L'IRAK VICTIME DU PÉTROLE


Subhi Toma(*)


La guerre pour le pétrole commença en Irak lorsque en 1908 l'empereur Guillaume Il obtint du sultan Abdül Hamid l'octroi d'une concession portant sur une bande de territoire de quinze cents kilomètres de long traversant la Turquie et la Mésopotamie. Par cet octroi, l'Allemagne avait non seulement acquis le droit d'y construire une vole de chemin de fer allant de Constantinople à Bagdad mais d'exploiter les richesses minérales du sous-sol sur une bande de trente kilomètres de chaque côté de la dite voie ferrée.

La défaite de l'empire Ottoman en 1920 permit à l'Angleterre d'occuper la majeure partie du Proche-Orient. Le Royaume Uni, afin d'éviter les difficultés inhérentes à l'administration de ce vaste ensemble peuplé de multiples communautés (Arabes, Kurdes, Sunnites, Chi'ites, Chrétiens, Bédouins) forma plusieurs États dans des territoires riches en pétrole. C'est ainsi que plusieurs principautés furent créées dont celle du Koweït, au sud de l'Irak. Le mandat britannique sur l'émirat fut fixé à 99 ans, mais, dès 1938, le roi d'Irak, Ghiazi exigea le rattachement du Koweït à son pays, estimant erre spolié par les Britanniques. Il entama une série de démarches dans ce sens auprès de l'autorité du colonisateur ainsi qu' une large campagne d'information en direction des populations dans les deux territoires. Une station de radio fut installée au palais royal de Bagdad pour inviter les Kowetis à se révolter. En 1938, lors d'un voyage en Suisse, le roi Ghazi meurt des suite d'un accident obscur dont tout laisse à penser que ce fuir un assassinat. Depuis aucun gouvernement irakien n'a réellement abandonné cette revendication. Ni même Nuri al Sa'id, qui fut pourtant l'homme des britanniques, mais tenta de convaincre les Américains de faire pression sur l'Angleterre pour la restitution du Koweit. Il périt, lui aussi, assassiné.

En 1961, Le général Kassem, le leader de la révolution, trois ans après son accession au pouvoir décide de récupérer le Koweït par la force. Les troupes britan niques, dépêchées à la hâte pour faire la guerre à l'Irak stoppent l'avance de l'armée irakienne. En février 1963, Kassem fut assassiné par une junte d'officiers soutenue par le gouvernement koweïtien. Au mois de mars, le nouveau régime, sous la pression des compagnies pétrolières, reconnaissait immédiatement le Koweït. L'émirat versera 32 millions de dinars au nouveau maître de Ba gdad. La Grande-Bretagne, affaiblie par la

Deuxième Guerre mondiale fie pouvait plus assurer les positions des grandes compa gnies pétrolières au Proche-Orient et proposa alors un pacte liant les principaux pays de la région aux U.S.A. En apparence cet accord visait à protéger le « monde libre » contre les menaces soviétiques ; en réalité, il s'agissait d'une nouvelle alliance entre les pays de la région permettant la protection des compagnies pétrolières occidentales et l'exploitation du pétrole par les États-Unis et l'Angleterre.

L'accord de l'Allemagne et de l'empire Ottoman pour construire un chemin de fer reliant Berlin à Bagdad et pour effectuer des recherches pétrolifères ne fut pas du goût de la Grande-Bretagne, qui envahit l'Irak, alors province turque, en 1914, avec l'aide des troupes Indiennes . Ce fut une des causes de la Première Guerre mondiale. Après celle-ci, la révolte des Irakiens, particulièrement dans le sud, obligea les troupes britanniques à quitter le pays mais la Grande-Bretagne se fit attribuer par la Société des nations un mandat sur l'Irak en 1920.

Après la Première Guerre mondiale, la Grande-Bretagne et la France imposèrent leur conception du droit au Moyen-Orient en dessinant depuis Paris des frontières conformes à leurs Intérêts pétroliers. La question du droit international ne s'est jamais posée car ce droit était toujours adapté pour préserver les intérêts des pétroliers. Nous pourrons d'ailleurs ultérieurement constater comment les États-Unis et les autres membres du Conseil de sécurité ont interprété le droit international.

En 1932, le pouvoir revient aux Irakiens dont le gouvernement royal conclut un pacte avec les britanniques. De 1920 à 1958, une succession de révoltes coûte au peuple d'énormes sacrifices : répressions, exécutions, pendaisons perpétrés par le pouvoir royal aidé des Anglais.

En 1958, les forces progressistes, le centre gauche, la gauche et les nationalistes forment le Front patriotique uni. La révolution du 14 juillet 1958 met fin à la royauté et aux pactes avec la Grande-Bretagne. Diverses réformes sont amorcées dont la réforme agraire, le statut personnel, l'égalité de la femme devant l'héritage. Le système féodal institué par les britanniques qui avait donné à 5% de la population 95 % des terres est abrogé. La terre est redistribuée aux paysans.

En 1963, cinq ans après l'avènement de la République, le nouveau régime irakien porté au pouvoir par un vaste mouvement populaire s'était engagé dans un bras de fer avec la puissante I.P.C., compagnie des pétroles irakiens. aux mains du Royaume-Uni, de la France et des Pays-Bas, qui avait la mainmise sur les richesses du pays depuis la fin de la Première Guerre mondiale et qui n'utilisait pas la totalité du potentiel pétrolier afin de maintenir les prix, ne laissant, aux Irakiens qu' une part dérisoire. L'État irakien espérait avoir un droit de regard sur son pétrole et exigeait une augmentation de sa production afin de pouvoir financer la reconstruction du pays déjà pillé par l'empire Ottoman et les colonialistes britanniques, mais 11PC. ne voulait rien céder. Le gouvernement demanda que le mandat anglais sur le Koweït, qu'il considérait comme province irakienne, soit annulé (la frontière avait été délimitée en 1922 par le protectorat britannique qui confia le pouvoir au cheikh avant que la Koweït Oïl Company, anglo-américaine, ne s'attribue pour 99 ans la concession des recherches et de l'exploitation pétrolière). Devant le refus anglais, le gouvernement décida alors la nationalisation de 90 % des terres renfermant des gisements non exploités encore par l'I.P.C.

La nationalisation provoqua la colère des pétroliers qui, fomentèrent, en 1963, un coup d'État, dont le parti Bath fut le maître d'oeuvre, avec l'aide des différents groupes d'intérêts anglo-saxons, et financé par les koweïtiens. Après plusieurs jours de bombardement du siège du gouvernement républicain et des affrontements avec la population dans les rues de Bagdad, la junte militaire parvint, en exécutant Kassem, chef du gouvernement et leader de la révolution, et plusieurs de ses compagnons, à mettre en place un régime de terreur qui dura neuf mois pendant lesquels toutes les formes de répression, de torture et d'exaction furent infligées aux patriotes anti-impérialistes et aux loyalistes républicains. Plus de 400 000 personnes furent arrêtées et torturées, 20 000 d'entre elles ne sont jamais revenues des camps de concentration, mortes sous la torture ou sommairement exécutées. Un grand nombre de syndicalistes, les chefs du parti communiste, des intellectuels et de simples militants anti-impérialistes furent ainsi éliminés en quelques mois. Le mouvement patriotique fur décapité.

Ce coup d'État permit aux pétroliers d'atteindre leurs objectifs par l'annulation de la loi n°80 sur la nationalisation du pétrole, la suppression du nouveau code civil (qui avait instauré l'égalité entre hommes et femmes) et l'abrogation de la réforme agraire en restituant les terres aux grands propriétaires. Suppression également du droit du travail, suspension des négociations sur les droits du peuple kurde. Quelques années plus tard, plusieurs dirigeants du coup d'État révèlèrent qu'ils étaient étroitement liés avec les milieux anglo-saxons. Ali Salh al Saadi, numéro deux du parti et ministre de l'Intérieur déclarait en 1968 à Études arabes, revue libanaise : « Notre parti était conduit au pouvoir par un train américain ».

En juillet 1963, le ministre de la défense irakien informa officiellement son gouvernement que l'attaché militaire américain en poste à Bagdad lui avait demandé d'accueillir les experts américains chargés d'étudier la fabrication des chars T 54 et des avions MIG 21 en possession de l'armée irakienne. En contrepartie, le gouvernement des États-Unis serait disposé à armer l'Irak dans sa guerre contre les Kurdes. Ainsi la guerre contre les Kurdes était le révélateur de l'absence de la souveraineté du gouvernement irakien de l'époque face aux États-Unis(1).

En 1964, le parti Bath écarté du pouvoir, les nouveaux dirigeants de Bagdad affichent leur sympathie pour Nasser et tentent d'instaurer en Irak un socialisme calqué sur le modèle Égyptien. Après la nationalisation du secteur bancaire et des grandes industries, le gouvernement décide de créer une compagnie nationale du pétrole irakienne (I.NO.C.) et entame des négociations avec l'I.P.C. en vue de réaliser un accord permettant d'associer l'Irak à l'exploitation de son pétrole. Des accords séparés ont été signés avec l'URSS et avec la France mais le conflit avec 11PC. aboutit à la chute du gouvernement.

En juillet 1968, le parti Bath revient au pouvoir. Il engage une répression impitoyable envers l'opposition et développe des alliances tactiques avec les superpuissances.

En 1975, le nouveau pouvoir nationalise la totalité du pétrole. On engage un vaste programme (le reconstruction du pays, d'industrialisation, d'infrastructures, d'éducation (L'Irak obtint trois médailles de l'Unesco), et une campagne d'alphabétisation. Le pétrole doit servir à reconstruire le pays. L'industrialisation en 1991 est comparable à celle de l'Europe. La guerre du Golfe ramènera le pays cinquante ans en arrière.

Entre 1970 et 1975, le gouvernement irakien a consacré 1 500 millions de dollars au développement du Kurdistan.

L'enseignement était obligatoire et gratuit. Le nombre des élèves du cycle primaire était de 2 200 000 en 1986. Dans le secondaire, 640 000 et 90 000 dans les collèges techniques. Dans les cinq universités 130 000 étudiants. Au total, en 1986, un tiers de la population suit des études dont 3 millions d'étudiants et d'élèves et 2 millions d'adultes en cours d'alphabétisation.

S'il y a le problème de la liberté politique, la liberté de la femme est acquise. Les femmes ont pris dans la société moderne irakienne une place considérable bien qu'un grand nombre d'entre elles travaillent encore la terre. Elles représentaient avant la première guerre du Golfe .38 % des enseignants, 31 % des médecins, 30% des fonctionnaires, 11 % des travailleurs d'usine. En tout, 30 % de la population active.

En 1981, le budget du ministère de la Culture atteignait 30 millions de dollars(2).

La guerre avec 1'Iran

La Grande-Bretagne avait tracé consciemment des frontières fictives imprécises entre l'Iran et l'Irak. Ce sont des revendications frontalières qui déclencheront la guerre menée par Saddam Hussein.

La France ainsi que d'autres pays a prêté des avions, des super-étendarts, vendu de l'armement à l'Irak Une trentaine de gouvernements, plus d'un millier d'entreprises ont rivalisé de zèle et d'ingéniosité pour doter l'Irak d'une puissante machine de guerre. Une perte globale en produit brut de 500 milliards de dollars (3) De leur côté, les marchands d'armes ont fourni pour 50 milliards de dollars d'armement à crédit.

L'Irak disposait de 15 milliards de dollars de réserve de change en 1980, avant la guerre, mais il se trouvait en 1988 avec '70 milliards de dollars de dettes extérieures dont 40 milliards envers l'Occident et le Tiers Monde et 30 milliards envers les pays du Golfe (Arable Saoudite et Koweït). La dette envers la France s'élevait à 28 milliards de francs.

L'Irak avait été soutenu et encouragé à la fois par l'Occident et par les monarchies pétrolières pour stopper la république iranienne. Tous les pays d'Europe, les États-Unis, étaient amis de l'Irak Pendant ce temps, le Koweït disposait d'un champ pétrolier irakien (Roumaliyah) pour augmenter sa production et provoquer la baisse des prix.

Une guerre de huit ans fera trois millions de morts et laissera deux pays épuisés.

Le guet-apens

Les Occidentaux veulent conserver la maîtrise du pétrole au Proche-Orient, en conséquence les États ne doivent pas avoir leur indépendance. En Iran, lorsque Mossadegh, Premier ministre, nationalisa le pétrole, la C.I.A. dépêcha son agent, le général Scharwzkopf (père de celui de la guerre du Golfe !) pour fomenter un soulèvement contre le pouvoir élu au suffrage universel. Scharwzkopf conservait d'excellentes relations avec les officiers de l'armée impériale dont il avait été l'instructeur de 42 à 48. Il mena la répression avec son ami, le général Zahedi. Après avoir condamné à mort pour haute trahison le Premier ministre Mossadegh, le pouvoir du chah infligea au peuple une répression sanglante, en particulier dans les champs pétrolifères ou des milliers d'ouvriers furent assassinés et à Abadan ou des milliers de personnes furent emprisonnées ou fusillées. L'impérialisme américain s'est toujours ingénié à entretenir les conflits pour s'emparer des richesses. Il s'est appuyé sur l'affaiblissement de la région pour assurer sa puissance économique. Il ne veut pas d'État fort capable d'assurer son indépendance.

Après la guerre contre l'Iran, les Américains demandent immédiatement à l'Irak de réduire sa capacité militaire et décrètent l'embargo pour le faire plier. Quand Saddam Hussein fait part de son désir de reconquérir le Koweït, les États-Unis rassurent les Irakiens. « C'est une affaire qui ne nous concerne pas ». Fin juillet 1990, l'Irak massa ses troupes à la frontière du Koweït, mouvement que les U.S.A. suivaient heure par heure depuis le 14 juillet(4). Saddam crut avoir le feu vert, les Occidentaux lui devaient bien ça.

Mais, dès le Koweït envahi, le processus de guerre se met en marche.

Dès le 6 août 1990, le Conseil de sécurité décide de sanctions militaires et économiques contre l'Irak. Le 25 septembre, il impose l'embargo aérien. Le 29 novembre il décide l'utilisation de tous les moyens pour permettre de châtier d'Irak et ce, à partir du 15 janvier 1991. Par ailleurs, le même Conseil a tenté à plusieurs reprises d'imposer des sanctions contre Israël sans aucun succès en raison des vetos américains. Voici quelques exemples : Veto américain contre la résolution du Conseil de sécurité qui imposait l'embargo militaire et économique à Israël en 1982 en raison de l'occupation des territoires syriens. En juin 82, les États-Unis opposent leur veto à la résolution du Conseil qui visait à imposer des sanctions à Israël en raison de son refus de retrait du Liban. En août 82, les U.S.A. réitèrent leur veto face à une nouvelle résolutrou qui exigeait le retrait d'Israël du Liban. En août 83, les États-Unis s' opposent a la résolution (lu Conseil de sécurité qui menaçait d'imposer des sanctions à Israël en raison de sa politique expansionniste. En janvier 88, nouveau veto américain contre une résolution condamnant Israël eu raison de sa politique de non respect des droits de l'homme envers les Palestiniens. En 89, le Conseil de sécurité élaboré cinq résolutions qui condamnent Israël. Les U.S.A. font échouer trois d'entre elles grâce à leur droit de veto. En mal 89, veto américain contre la résolution du Conseil de sécurité qui condamne l'occupation israélienne au sud Liban. En novembre 89, le veto des U.S.A. fait échec à la résolution qui proteste contre la destruction des habitations palestiniennes. Eu novembre 89, la résolution de l'assemblée générale des Nations unies appelant à Un règlement du problème palestino- israélien sur la base de la création de deux États recueillait 151 voix favorables contre trois voix (États-Unis, Israël et la République dominicaine) mais le lendemain le New York Times publiait un article dénonçant l'influence des États arabes sur l'O.N.U. Cependant, ce même journal n'a jamais mentionné les pressions des Etats-Unis sur le Conseil de sécurité(5). Jusqu'en 1990 aucun État n'avait réellement respecté les multiples résolutions des Nations unies.

Une coalition des 33 pays parmi les plus puissants du monde. Une propagande sans précédant pour mobiliser l'opinion. On désigne les Irakiens comme 18 millions de fascistes qui menacent l'humanité. L'opinion manipulée accepte l'idée d'une guerre : L'Irak était devenue une menace pour la paix mondiale alors que sa puissance économique représentait 1/1000 de celles des puissances opposées. La presse était soumise en Arabie Saoudite et en Israël au contrôle militaire. Durant la guerre, les journalistes occidentaux ont pu travailler dans de meilleures conditions en Irak que dans ces deux pays. Et tour état de cause, l'Irak partait et arrivait vaincu dans la coinpétition médiatique. Au grand leu de la propagande, de la désinformation, du mensonge, Saddam, et les siens ne faisaient pas le poids (6)

L'arsenal chimique de Saddam Hussein était rudimentaire. Les deux gaz qui avaient sa prédilection, le tabun et le satin, déjà employés par les Allemands contre les juifs, tuent, en se répandant, ceux qui les respirent. La bombe FAE (Fuel air explosive) ou bombe à vide, petit dernier de la technique américaine tue tout ce qui respire en aspirant par un effet de combustion tout l'oxygène disponible dans un cercle d'un kilomètre carré. Les Américains qui interdirent de fait à Saddam Hussein la tabun et le satin s'autorisèrent à utiliser la bombe à vide, sans parler des bombes au napalm et au phosphore, armes éminemment propres qui nettoient tout ce qu'elles touch L'arsenal chimique de Saddam Hussein était rudimentaire. Les deux gaz qui avaient sa prédilection, le tabun et le satin, déjà employés par les Allemands contre les juifs, tuent, en se répandant, ceux qui les respirent. La bombe FAE (Fuel air explosive) ou bombe à vide, petit dernier de la technique américaine tue tout ce qui respire en aspirant par un effet de combustion tout l'oxygène disponible dans un cercle d'un kilomètre carré. Les Américains qui interdirent de fait à Saddam Hussein la tabun et le satin s'autorisèrent à utiliser la bombe à vide, sans parler des bombes au napalm et au phosphore, armes éminemment propres qui nettoient tout ce qu'elles touchent(6). Quand à l'usage de l'uranium, il aurait contaminé 60 000 soldats américains et 10 000 britanniques. On ne connaît pas son impact sur les populations de l'Irak du Sud.

Une guerre propre, rapide, efficace, peu coûteuse. C'était le slogan. Il faut oublier la plus puissante aviation jamais réunie, partant chaque jour d'Arabie saoudite, de Turquie, de France, d'Espagne, d'Angleterre, de la mer Rouge et de l'océan Indien pour lâcher ses bombes meurtrières sur un peuple de 18 millions d'habitants. Il faut oublier les missiles, le napalm, les bombes à dépression et à fragmentation. Résultat - le conflit a eu des effets quasi apocalyptiques sur les infrastructures économiques de ce qui était jusqu'en Janvier 1991 une société hautement urbanisée et mécanisée. La plupart des moyens de soutien de la vie moderne ont été détruits ou rendus précaires. L'Irak a été renvoyée, pour longtemps, à une ère préindustrielle, mais avec tous les inconvénients que présente une dépendance postindustrielle à l'égard d'une utilisation intensive de l'énergie et de la technologie(7). Bush l'avait promis : on ne peur accepter un gouvernement indépendant gérant sa richesse.

Les U.S.A. entreprirent contre l'Irak trois types de guerre : militaire, embargo, destruction du tissu social. D'abord la destruction des forces militaires et des infrastructures. Ensuite tentative de destruction de l'unité nationale par la manipulation du peuple kurde et des chi'ites. On promet aide et protection pour inciter à la révolte puis on abandonne les révoltés à la répression. Les Kurdes furent toujours l'enjeu de chantage et de manipulation. En vérité, ni les U.S.A. ni l'Angleterre n'ont jamais voulu régler le problème kurde, ils n'ont jamais accepté l'indépendance du Kurdistan. En 1920, les accords de Sèvres, de Lausanne et de Versailles n'ont pas accordé l'indépendance aux Kurdes. En 1922, lorsqu'un roi kurde fut proclamé après la Première Guerre mondiale, les populations furent bombardées et gazées par les Anglais. Dès 199 1, les Kurdes furent soumis à l'embargo. La Turquie fait au Kurdistan des dizaines de milliers de morts, mais la Turquie est dans le « bon camp », donc inattaquable. Diviser pour régner est la devise, on encourage les rébellions ethniques, confessionnelles : chi'ites, sunnites, arabes, chrétiens. Le Liban en est l'exemple le plus tragique.

L'objectif du conflit était d'avoir le pétrole à bon marché. Pour cela il fallait la mise sous tutelle d'une nation, le massacre d'une population et la destruction de l'appareil productif d'un pays.

Les États-Unis ont tiré les premiers bénéfices industriels de la guerre contre l'Irak en remportant la plupart des marchés d'armement dans la région. Les profits des industriels de l'armement proviennent des marchés extérieurs plus que du marché intérieur. Ces marchés extérieurs se sont considérablement réduits (avant 1990) parce intéreur que les grands acheteurs, tels ceux du Moyen-Orient, ont vu la manne financière réduite. Le marché mondial de l'armement a baissé de 60 % en 1990. Cela a exacerbé une concurrence par les prix et donc une recherche d'économie sur les coûts entraînant logiquement une réduction drastique du nombre d'opérateurs sur le marché. C'est ainsi que l'industrie américaine de défense a connu en une dizaine d'années une vague de restructurations et de concentrations sans précédent, les cessions et acquisitions d'activités ou de sociétés entières dans ce secteur se sont élevées à plus de 100 milliards de dollars(8). Ces opérations ont donné naissance à trois géants. Les ventes d'armes cumulées des sociétés qui font désormais partie de Lokheed-Martin, Boeing-MacDonnell Douglas et Raytheon s'élevaient, en 1996, à près de 50 milliards de dollars et représentaient à peu près autant que le budget d'acquisition (hors recherche) du Pentagone. L'industrie américaine, confortée par l'effondrement de l'U.R.S.S. et surtout par son rôle dirigeant dans la coalition contre l'Irak, creuse l'écart avec ses concurrents, selon les données de l'institut international de recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI). En 1996, les États-Unis ont accaparé 44 % du marché (certains spécialistes avancent même le pourcentage de 50 %). Ils jouissent dans ce secteur d'une suprématie dont ils ne disposent plus dans aucun domaine civil(9). Après la guerre du Golfe, les États-Unis, en quatre ou cinq ans, se sont assuré le contrôle de la moitié des marchés (tous matériels compris). La France détenait en 1985 près de 10% du marché mondial, elle n'en possède plus que 4 à 5 % après avoir été détrônée par les Anglais qui en détiennent le double(10).

L'Irak ravagé, la guerre se poursuit économiquement par l'embargo. Les revenus du pétrole étaient de 20 milliards de dollars dont 5 milliards étaient consacrés à l'importation de médicaments et de nourriture. Huit ans après, 2 milliards seulement par an de vente de pétrole sont autorisés et l'essentiel sert à payer la dette de guerre envers le Koweït.

L'embargo n'est autre qu'un processus destiné à ramener l'Irak à l'âge préindustriel et à lui retirer toute possibilité d'indépendance économique en matière pétrolière. Les puissances occidentales ne veulent pas laisser un État indépendant, avant une puissance militaire, se développer et jouer un rôle dans la région. Elle entend contrôler toutes les richesses pétrolières. Le soi irakien contient encore pour un siècle ou deux de pétrole. Il était inévitable qu'il soit frappé.

Le contrôle des armements est une comédie qui ne trompe plus personne' On ne nous fera pas croire qu'en huit ans les experts de l'O.N.U., et particulièrement les Américains, avec tous les moyens de détection ultra perfectionnés dont ils disposent, les télécommunications, les radars, les satellites, etc. n'ont pas pu vérifier leur existence ou leur absence.

Avant l'embargo, en 1990, l'Irak répondait aux critères de 'organisation mondiale pour la santé. Il consacrait 30 dollars par mois par individu alors qu'aujourd'hui il ne dépense plus que 2 dollars soir une baisse de 93 %.

Les conséquences les plus tragiques de l'embargo touchent particulièrement les couches fragiles de la population, surtout les enfants.

En 1977, les chercheurs français envoyés en Irak prédisaient une population de 25 millions en fin de siècle (11) . Elle sera de 22 millions. L'Unicef. la F.A.U., la commission des droits sociaux et économiques des Nations unies évaluent à 1 million 300 mille le nombre d'enfants de moins de 5 ans morts à cause de l'embargo. Un million d'enfants ne va plus à l'école. Sur 5 millions d'enfants de moins de cinq ans, 1 million n . aura jamais de facultés mentales normales par manque de protéines et de lait pour développer leur cerveau. Ainsi un quart de la population future est estimée désormais perdue.

Ainsi on sacrifie, pour des visées purement économiques. un peuple en offrande au dieu pétrole.

Alors qu'il y avait autrefois, en Irak, plusieurs millions d'immigrés des pays voisins, nous assistons à une émigration vers l'étranger des intellectuels, les esprits les plus brillants. Il y a là une perte du substance pour la société irakienne. Beaucoup de familles sont déchirées par l'émigration. Beaucoup de femmes se retrouvent seules. Des familles se désunissent, la délinquance progresse. Les femmes doivent maîtriser la misère familiale, partager la nourriture entre leurs enfants, un jour l'un mangera, le lendemain sera le tour de l'autre. Un père peur faire vingt kilomètres à pied pour porter son enfant malade dans un hôpital où on ne pourra pas le soigner parce qu'il n'y a pas de médicaments.

On ne peut importer de médicaments ni de nourriture mais pas non plus de pièces de rechange pour les appareillages médicaux, pour l'outillage, pour les véhicules, pas davantage de cahiers, de crayons, de livres pour les enfants des écoles. Depuis huit ans l'Irak ne peut importer de publications scientifiques. Les chercheurs ne peuvent se rendre à l'étranger ni assister à des conférences internationales. On ne peut s'équiper en informatique ni avoir accès à Internet, aux connaissances que les autres pays développent. On estime que le retard sera de 30 à 40 ans en réduisant les chances d'entrer en communication avec la nouvelle culture du monde. Tous les secteurs sont touchés. C'est une volonté délibérée de réduire l'Irak au rang d'un pays du Tiers Monde. L'accord pétrole contre nourriture n'a rien résolu. Il sert essentiellement à payer la dette de guerre. Le pays n'en touche que 20%. En ce qui concerne les dépenses de santé, il en va de même. Et les accords d'importation ne sont même pas respectés. Quant aux apports irakiens figés à l'étranger, c'est du vol manifeste.

C'est bien la volonté des puissants qui domine le Conseil de sécurité d'infliger un blocus sans précédent pour empêcher un pays de se développer, pour ruiner son avenir, un pays qui avait les moyens économiques d'aider le Tiers Monde. Après la guerre immonde, l'embargo est encore une guerre coloniale à caractère économique, quel que soit le prétexte, même si c'est le droit international

Pourtant ce peuple a démontré sa volonté de résister et de survivre, de préserver sa dignité. Mais on ne peut demander au peuple de se sacrifier à l'honneur. Il est acculé à assurer sa survie. Contrairement à ce que l'on avait espéré en décrétant l'embargo, les divergences avec le régime sont estompées sinon oubliés. Une population affamée ne cherche qu'à se nourrir, elle ne fait pas la révolution. Les Irakiens sont conscients que ce qu'ils subissent est fait pour empêcher leur pays de se développer. Ils résistent, mais lis ne pourront pas résister encore 10 ans. Ce peuple est en péril. Si une guerre civile se déclenchait en Irak, personne ne pourrait la contenir, toute la région serait touchée. Les Américains jouent les apprentis sorciers mais ne savent plus contrôler quand la boîte de Pandore est ouverte. Ils n'ont pas pu maîtriser l'intégrisme et les conflits suscités en Afghanistan depuis 25 ans. Quel que soit le régime, c'est au peuple de se déterminer. L'embargo est la guerre faite contre tous les régimes progressistes ou indociles envers les États-Unis. La solidarité avec le peuple irakien devrait animer toutes les forces progressistes du monde.

Subhi Toma

(*) Subhi Toma est sociologue, d'origine irakienne, exilé en France depuis 1971. Il a été secrétaire général des étudiants irakiens opposants au régime de Bagdad. Cofondateur de la coordination internationale contre les embargos, il a conduit plusieurs missions d'observation en Irak depuis la guerre de 1991.


--------------------------------------------------------------------------------

Avant embargo :

30 000 lit d'hôpitaux construits après la nationalisation du pétrole.
Budget 500 millions de dollars. Les stocks médicaux étaient d'un quart de milliard.
Mortalité infantile : 24 sur 1000. - Moins de 5 ans 540 par mois. Plus de 5 ans : 650

Après embargo

Budget : 37 millions de dollars. Stocks nuls.
Mortalité infantile : 92 sur 1000 ; Moins de 5 ans 7 500 par mois. Plus de 5 ans : 9000 par mois.
Malnutrition : 1100 calories par personne au lieu de 2.500. Poids des enfants diminué de 22 %

(Unicef, Observatoire de la santé).


--------------------------------------------------------------------------------

Notes

1. Lionard Mosley La Guerre du pétrole, Presse de la Cité. 1974.
2. Charles Saint-Prot, Saddam Hussein, Albin Michel, 1987.
3. Alain Gresh et Dominique Vidal Golfe, clefs pour une guerre, Le Monde édition, 1991.
4. Bob Woodward, Chefs de guerre, Calmann-Lévy, 1991.
5. Norman Finklsten, professeur de sciences politiques, AL Quds 16 12.97
6 Dominique Jamet et Régime Déforges, La Partie de Golfe, (éditions 1991
7. Rapport de la mission envovée en Irak par l'O. N. U, 20 mars 1991
8. Pierre Dussauge professeur de stratégie politique d'entreprise ait groupe H. E. C., Le Monde 20.1.98
9. Claude Serfati, Le Monde. 20 janvier 1998
10. Christian Schmid: président de I'association des économistes de défense. Le Monde. 20.1,98
11. Alain Guerreau, L' Irak, développement et contradiction, le Sycomore. 1978