Subhi Toma(*)
La guerre pour le pétrole commença en Irak lorsque
en 1908 l'empereur Guillaume Il obtint du sultan Abdül Hamid
l'octroi d'une concession portant sur une bande de territoire
de quinze cents kilomètres de long traversant la Turquie
et la Mésopotamie. Par cet octroi, l'Allemagne avait non
seulement acquis le droit d'y construire une vole de chemin de
fer allant de Constantinople à Bagdad mais d'exploiter
les richesses minérales du sous-sol sur une bande de trente
kilomètres de chaque côté de la dite voie
ferrée.
La défaite de l'empire Ottoman en 1920 permit à
l'Angleterre d'occuper la majeure partie du Proche-Orient. Le
Royaume Uni, afin d'éviter les difficultés inhérentes
à l'administration de ce vaste ensemble peuplé de
multiples communautés (Arabes, Kurdes, Sunnites, Chi'ites,
Chrétiens, Bédouins) forma plusieurs États
dans des territoires riches en pétrole. C'est ainsi que
plusieurs principautés furent créées dont
celle du Koweït, au sud de l'Irak. Le mandat britannique
sur l'émirat fut fixé à 99 ans, mais, dès
1938, le roi d'Irak, Ghiazi exigea le rattachement du Koweït
à son pays, estimant erre spolié par les Britanniques.
Il entama une série de démarches dans ce sens auprès
de l'autorité du colonisateur ainsi qu' une large campagne
d'information en direction des populations dans les deux territoires.
Une station de radio fut installée au palais royal de Bagdad
pour inviter les Kowetis à se révolter. En 1938,
lors d'un voyage en Suisse, le roi Ghazi meurt des suite d'un
accident obscur dont tout laisse à penser que ce fuir un
assassinat. Depuis aucun gouvernement irakien n'a réellement
abandonné cette revendication. Ni même Nuri al Sa'id,
qui fut pourtant l'homme des britanniques, mais tenta de convaincre
les Américains de faire pression sur l'Angleterre pour
la restitution du Koweit. Il périt, lui aussi, assassiné.
En 1961, Le général Kassem, le leader de la révolution,
trois ans après son accession au pouvoir décide
de récupérer le Koweït par la force. Les troupes
britan niques, dépêchées à la hâte
pour faire la guerre à l'Irak stoppent l'avance de l'armée
irakienne. En février 1963, Kassem fut assassiné
par une junte d'officiers soutenue par le gouvernement koweïtien.
Au mois de mars, le nouveau régime, sous la pression des
compagnies pétrolières, reconnaissait immédiatement
le Koweït. L'émirat versera 32 millions de dinars
au nouveau maître de Ba gdad. La Grande-Bretagne, affaiblie
par la
Deuxième Guerre mondiale fie pouvait plus assurer les
positions des grandes compa gnies pétrolières au
Proche-Orient et proposa alors un pacte liant les principaux pays
de la région aux U.S.A. En apparence cet accord visait
à protéger le « monde libre » contre
les menaces soviétiques ; en réalité, il
s'agissait d'une nouvelle alliance entre les pays de la région
permettant la protection des compagnies pétrolières
occidentales et l'exploitation du pétrole par les États-Unis
et l'Angleterre.
L'accord de l'Allemagne et de l'empire Ottoman pour construire
un chemin de fer reliant Berlin à Bagdad et pour effectuer
des recherches pétrolifères ne fut pas du goût
de la Grande-Bretagne, qui envahit l'Irak, alors province turque,
en 1914, avec l'aide des troupes Indiennes . Ce fut une des causes
de la Première Guerre mondiale. Après celle-ci,
la révolte des Irakiens, particulièrement dans le
sud, obligea les troupes britanniques à quitter le pays
mais la Grande-Bretagne se fit attribuer par la Société
des nations un mandat sur l'Irak en 1920.
Après la Première Guerre mondiale, la Grande-Bretagne
et la France imposèrent leur conception du droit au Moyen-Orient
en dessinant depuis Paris des frontières conformes à
leurs Intérêts pétroliers. La question du
droit international ne s'est jamais posée car ce droit
était toujours adapté pour préserver les
intérêts des pétroliers. Nous pourrons d'ailleurs
ultérieurement constater comment les États-Unis
et les autres membres du Conseil de sécurité ont
interprété le droit international.
En 1932, le pouvoir revient aux Irakiens dont le gouvernement
royal conclut un pacte avec les britanniques. De 1920 à
1958, une succession de révoltes coûte au peuple
d'énormes sacrifices : répressions, exécutions,
pendaisons perpétrés par le pouvoir royal aidé
des Anglais.
En 1958, les forces progressistes, le centre gauche, la gauche
et les nationalistes forment le Front patriotique uni. La révolution
du 14 juillet 1958 met fin à la royauté et aux pactes
avec la Grande-Bretagne. Diverses réformes sont amorcées
dont la réforme agraire, le statut personnel, l'égalité
de la femme devant l'héritage. Le système féodal
institué par les britanniques qui avait donné à
5% de la population 95 % des terres est abrogé. La terre
est redistribuée aux paysans.
En 1963, cinq ans après l'avènement de la République,
le nouveau régime irakien porté au pouvoir par un
vaste mouvement populaire s'était engagé dans un
bras de fer avec la puissante I.P.C., compagnie des pétroles
irakiens. aux mains du Royaume-Uni, de la France et des Pays-Bas,
qui avait la mainmise sur les richesses du pays depuis la fin
de la Première Guerre mondiale et qui n'utilisait pas la
totalité du potentiel pétrolier afin de maintenir
les prix, ne laissant, aux Irakiens qu' une part dérisoire.
L'État irakien espérait avoir un droit de regard
sur son pétrole et exigeait une augmentation de sa production
afin de pouvoir financer la reconstruction du pays déjà
pillé par l'empire Ottoman et les colonialistes britanniques,
mais 11PC. ne voulait rien céder. Le gouvernement demanda
que le mandat anglais sur le Koweït, qu'il considérait
comme province irakienne, soit annulé (la frontière
avait été délimitée en 1922 par le
protectorat britannique qui confia le pouvoir au cheikh avant
que la Koweït Oïl Company, anglo-américaine,
ne s'attribue pour 99 ans la concession des recherches et de l'exploitation
pétrolière). Devant le refus anglais, le gouvernement
décida alors la nationalisation de 90 % des terres renfermant
des gisements non exploités encore par l'I.P.C.
La nationalisation provoqua la colère des pétroliers
qui, fomentèrent, en 1963, un coup d'État, dont
le parti Bath fut le maître d'oeuvre, avec l'aide des différents
groupes d'intérêts anglo-saxons, et financé
par les koweïtiens. Après plusieurs jours de bombardement
du siège du gouvernement républicain et des affrontements
avec la population dans les rues de Bagdad, la junte militaire
parvint, en exécutant Kassem, chef du gouvernement et leader
de la révolution, et plusieurs de ses compagnons, à
mettre en place un régime de terreur qui dura neuf mois
pendant lesquels toutes les formes de répression, de torture
et d'exaction furent infligées aux patriotes anti-impérialistes
et aux loyalistes républicains. Plus de 400 000 personnes
furent arrêtées et torturées, 20 000 d'entre
elles ne sont jamais revenues des camps de concentration, mortes
sous la torture ou sommairement exécutées. Un grand
nombre de syndicalistes, les chefs du parti communiste, des intellectuels
et de simples militants anti-impérialistes furent ainsi
éliminés en quelques mois. Le mouvement patriotique
fur décapité.
Ce coup d'État permit aux pétroliers d'atteindre
leurs objectifs par l'annulation de la loi n°80 sur la nationalisation
du pétrole, la suppression du nouveau code civil (qui avait
instauré l'égalité entre hommes et femmes)
et l'abrogation de la réforme agraire en restituant les
terres aux grands propriétaires. Suppression également
du droit du travail, suspension des négociations sur les
droits du peuple kurde. Quelques années plus tard, plusieurs
dirigeants du coup d'État révèlèrent
qu'ils étaient étroitement liés avec les
milieux anglo-saxons. Ali Salh al Saadi, numéro deux du
parti et ministre de l'Intérieur déclarait en 1968
à Études arabes, revue libanaise : « Notre
parti était conduit au pouvoir par un train américain
».
En juillet 1963, le ministre de la défense irakien informa
officiellement son gouvernement que l'attaché militaire
américain en poste à Bagdad lui avait demandé
d'accueillir les experts américains chargés d'étudier
la fabrication des chars T 54 et des avions MIG 21 en possession
de l'armée irakienne. En contrepartie, le gouvernement
des États-Unis serait disposé à armer l'Irak
dans sa guerre contre les Kurdes. Ainsi la guerre contre les Kurdes
était le révélateur de l'absence de la souveraineté
du gouvernement irakien de l'époque face aux États-Unis(1).
En 1964, le parti Bath écarté du pouvoir, les nouveaux
dirigeants de Bagdad affichent leur sympathie pour Nasser et tentent
d'instaurer en Irak un socialisme calqué sur le modèle
Égyptien. Après la nationalisation du secteur bancaire
et des grandes industries, le gouvernement décide de créer
une compagnie nationale du pétrole irakienne (I.NO.C.)
et entame des négociations avec l'I.P.C. en vue de réaliser
un accord permettant d'associer l'Irak à l'exploitation
de son pétrole. Des accords séparés ont été
signés avec l'URSS et avec la France mais le conflit avec
11PC. aboutit à la chute du gouvernement.
En juillet 1968, le parti Bath revient au pouvoir. Il engage
une répression impitoyable envers l'opposition et développe
des alliances tactiques avec les superpuissances.
En 1975, le nouveau pouvoir nationalise la totalité du
pétrole. On engage un vaste programme (le reconstruction
du pays, d'industrialisation, d'infrastructures, d'éducation
(L'Irak obtint trois médailles de l'Unesco), et une campagne
d'alphabétisation. Le pétrole doit servir à
reconstruire le pays. L'industrialisation en 1991 est comparable
à celle de l'Europe. La guerre du Golfe ramènera
le pays cinquante ans en arrière.
Entre 1970 et 1975, le gouvernement irakien a consacré
1 500 millions de dollars au développement du Kurdistan.
L'enseignement était obligatoire et gratuit. Le nombre
des élèves du cycle primaire était de 2 200
000 en 1986. Dans le secondaire, 640 000 et 90 000 dans les collèges
techniques. Dans les cinq universités 130 000 étudiants.
Au total, en 1986, un tiers de la population suit des études
dont 3 millions d'étudiants et d'élèves et
2 millions d'adultes en cours d'alphabétisation.
S'il y a le problème de la liberté politique, la
liberté de la femme est acquise. Les femmes ont pris dans
la société moderne irakienne une place considérable
bien qu'un grand nombre d'entre elles travaillent encore la terre.
Elles représentaient avant la première guerre du
Golfe .38 % des enseignants, 31 % des médecins, 30% des
fonctionnaires, 11 % des travailleurs d'usine. En tout, 30 % de
la population active.
En 1981, le budget du ministère de la Culture atteignait
30 millions de dollars(2).
La guerre avec 1'Iran
La Grande-Bretagne avait tracé consciemment des frontières
fictives imprécises entre l'Iran et l'Irak. Ce sont des
revendications frontalières qui déclencheront la
guerre menée par Saddam Hussein.
La France ainsi que d'autres pays a prêté des avions,
des super-étendarts, vendu de l'armement à l'Irak
Une trentaine de gouvernements, plus d'un millier d'entreprises
ont rivalisé de zèle et d'ingéniosité
pour doter l'Irak d'une puissante machine de guerre. Une perte
globale en produit brut de 500 milliards de dollars (3) De leur
côté, les marchands d'armes ont fourni pour 50 milliards
de dollars d'armement à crédit.
L'Irak disposait de 15 milliards de dollars de réserve
de change en 1980, avant la guerre, mais il se trouvait en 1988
avec '70 milliards de dollars de dettes extérieures dont
40 milliards envers l'Occident et le Tiers Monde et 30 milliards
envers les pays du Golfe (Arable Saoudite et Koweït). La
dette envers la France s'élevait à 28 milliards
de francs.
L'Irak avait été soutenu et encouragé à
la fois par l'Occident et par les monarchies pétrolières
pour stopper la république iranienne. Tous les pays d'Europe,
les États-Unis, étaient amis de l'Irak Pendant ce
temps, le Koweït disposait d'un champ pétrolier irakien
(Roumaliyah) pour augmenter sa production et provoquer la baisse
des prix.
Une guerre de huit ans fera trois millions de morts et laissera
deux pays épuisés.
Le guet-apens
Les Occidentaux veulent conserver la maîtrise du pétrole
au Proche-Orient, en conséquence les États ne doivent
pas avoir leur indépendance. En Iran, lorsque Mossadegh,
Premier ministre, nationalisa le pétrole, la C.I.A. dépêcha
son agent, le général Scharwzkopf (père de
celui de la guerre du Golfe !) pour fomenter un soulèvement
contre le pouvoir élu au suffrage universel. Scharwzkopf
conservait d'excellentes relations avec les officiers de l'armée
impériale dont il avait été l'instructeur
de 42 à 48. Il mena la répression avec son ami,
le général Zahedi. Après avoir condamné
à mort pour haute trahison le Premier ministre Mossadegh,
le pouvoir du chah infligea au peuple une répression sanglante,
en particulier dans les champs pétrolifères ou des
milliers d'ouvriers furent assassinés et à Abadan
ou des milliers de personnes furent emprisonnées ou fusillées.
L'impérialisme américain s'est toujours ingénié
à entretenir les conflits pour s'emparer des richesses.
Il s'est appuyé sur l'affaiblissement de la région
pour assurer sa puissance économique. Il ne veut pas d'État
fort capable d'assurer son indépendance.
Après la guerre contre l'Iran, les Américains demandent
immédiatement à l'Irak de réduire sa capacité
militaire et décrètent l'embargo pour le faire plier.
Quand Saddam Hussein fait part de son désir de reconquérir
le Koweït, les États-Unis rassurent les Irakiens.
« C'est une affaire qui ne nous concerne pas ». Fin
juillet 1990, l'Irak massa ses troupes à la frontière
du Koweït, mouvement que les U.S.A. suivaient heure par heure
depuis le 14 juillet(4). Saddam crut avoir le feu vert, les Occidentaux
lui devaient bien ça.
Mais, dès le Koweït envahi, le processus de guerre
se met en marche.
Dès le 6 août 1990, le Conseil de sécurité
décide de sanctions militaires et économiques contre
l'Irak. Le 25 septembre, il impose l'embargo aérien. Le
29 novembre il décide l'utilisation de tous les moyens
pour permettre de châtier d'Irak et ce, à partir
du 15 janvier 1991. Par ailleurs, le même Conseil a tenté
à plusieurs reprises d'imposer des sanctions contre Israël
sans aucun succès en raison des vetos américains.
Voici quelques exemples : Veto américain contre la résolution
du Conseil de sécurité qui imposait l'embargo militaire
et économique à Israël en 1982 en raison de
l'occupation des territoires syriens. En juin 82, les États-Unis
opposent leur veto à la résolution du Conseil qui
visait à imposer des sanctions à Israël en
raison de son refus de retrait du Liban. En août 82, les
U.S.A. réitèrent leur veto face à une nouvelle
résolutrou qui exigeait le retrait d'Israël du Liban.
En août 83, les États-Unis s' opposent a la résolution
(lu Conseil de sécurité qui menaçait d'imposer
des sanctions à Israël en raison de sa politique expansionniste.
En janvier 88, nouveau veto américain contre une résolution
condamnant Israël eu raison de sa politique de non respect
des droits de l'homme envers les Palestiniens. En 89, le Conseil
de sécurité élaboré cinq résolutions
qui condamnent Israël. Les U.S.A. font échouer trois
d'entre elles grâce à leur droit de veto. En mal
89, veto américain contre la résolution du Conseil
de sécurité qui condamne l'occupation israélienne
au sud Liban. En novembre 89, le veto des U.S.A. fait échec
à la résolution qui proteste contre la destruction
des habitations palestiniennes. Eu novembre 89, la résolution
de l'assemblée générale des Nations unies
appelant à Un règlement du problème palestino-
israélien sur la base de la création de deux États
recueillait 151 voix favorables contre trois voix (États-Unis,
Israël et la République dominicaine) mais le lendemain
le New York Times publiait un article dénonçant
l'influence des États arabes sur l'O.N.U. Cependant, ce
même journal n'a jamais mentionné les pressions des
Etats-Unis sur le Conseil de sécurité(5). Jusqu'en
1990 aucun État n'avait réellement respecté
les multiples résolutions des Nations unies.
Une coalition des 33 pays parmi les plus puissants du monde.
Une propagande sans précédant pour mobiliser l'opinion.
On désigne les Irakiens comme 18 millions de fascistes
qui menacent l'humanité. L'opinion manipulée accepte
l'idée d'une guerre : L'Irak était devenue une menace
pour la paix mondiale alors que sa puissance économique
représentait 1/1000 de celles des puissances opposées.
La presse était soumise en Arabie Saoudite et en Israël
au contrôle militaire. Durant la guerre, les journalistes
occidentaux ont pu travailler dans de meilleures conditions en
Irak que dans ces deux pays. Et tour état de cause, l'Irak
partait et arrivait vaincu dans la coinpétition médiatique.
Au grand leu de la propagande, de la désinformation, du
mensonge, Saddam, et les siens ne faisaient pas le poids (6)
L'arsenal chimique de Saddam Hussein était rudimentaire.
Les deux gaz qui avaient sa prédilection, le tabun et le
satin, déjà employés par les Allemands contre
les juifs, tuent, en se répandant, ceux qui les respirent.
La bombe FAE (Fuel air explosive) ou bombe à vide, petit
dernier de la technique américaine tue tout ce qui respire
en aspirant par un effet de combustion tout l'oxygène disponible
dans un cercle d'un kilomètre carré. Les Américains
qui interdirent de fait à Saddam Hussein la tabun et le
satin s'autorisèrent à utiliser la bombe à
vide, sans parler des bombes au napalm et au phosphore, armes
éminemment propres qui nettoient tout ce qu'elles touch
L'arsenal chimique de Saddam Hussein était rudimentaire.
Les deux gaz qui avaient sa prédilection, le tabun et le
satin, déjà employés par les Allemands contre
les juifs, tuent, en se répandant, ceux qui les respirent.
La bombe FAE (Fuel air explosive) ou bombe à vide, petit
dernier de la technique américaine tue tout ce qui respire
en aspirant par un effet de combustion tout l'oxygène disponible
dans un cercle d'un kilomètre carré. Les Américains
qui interdirent de fait à Saddam Hussein la tabun et le
satin s'autorisèrent à utiliser la bombe à
vide, sans parler des bombes au napalm et au phosphore, armes
éminemment propres qui nettoient tout ce qu'elles touchent(6).
Quand à l'usage de l'uranium, il aurait contaminé
60 000 soldats américains et 10 000 britanniques. On ne
connaît pas son impact sur les populations de l'Irak du
Sud.
Une guerre propre, rapide, efficace, peu coûteuse. C'était
le slogan. Il faut oublier la plus puissante aviation jamais réunie,
partant chaque jour d'Arabie saoudite, de Turquie, de France,
d'Espagne, d'Angleterre, de la mer Rouge et de l'océan
Indien pour lâcher ses bombes meurtrières sur un
peuple de 18 millions d'habitants. Il faut oublier les missiles,
le napalm, les bombes à dépression et à fragmentation.
Résultat - le conflit a eu des effets quasi apocalyptiques
sur les infrastructures économiques de ce qui était
jusqu'en Janvier 1991 une société hautement urbanisée
et mécanisée. La plupart des moyens de soutien de
la vie moderne ont été détruits ou rendus
précaires. L'Irak a été renvoyée,
pour longtemps, à une ère préindustrielle,
mais avec tous les inconvénients que présente une
dépendance postindustrielle à l'égard d'une
utilisation intensive de l'énergie et de la technologie(7).
Bush l'avait promis : on ne peur accepter un gouvernement indépendant
gérant sa richesse.
Les U.S.A. entreprirent contre l'Irak trois types de guerre :
militaire, embargo, destruction du tissu social. D'abord la destruction
des forces militaires et des infrastructures. Ensuite tentative
de destruction de l'unité nationale par la manipulation
du peuple kurde et des chi'ites. On promet aide et protection
pour inciter à la révolte puis on abandonne les
révoltés à la répression. Les Kurdes
furent toujours l'enjeu de chantage et de manipulation. En vérité,
ni les U.S.A. ni l'Angleterre n'ont jamais voulu régler
le problème kurde, ils n'ont jamais accepté l'indépendance
du Kurdistan. En 1920, les accords de Sèvres, de Lausanne
et de Versailles n'ont pas accordé l'indépendance
aux Kurdes. En 1922, lorsqu'un roi kurde fut proclamé après
la Première Guerre mondiale, les populations furent bombardées
et gazées par les Anglais. Dès 199 1, les Kurdes
furent soumis à l'embargo. La Turquie fait au Kurdistan
des dizaines de milliers de morts, mais la Turquie est dans le
« bon camp », donc inattaquable. Diviser pour régner
est la devise, on encourage les rébellions ethniques, confessionnelles
: chi'ites, sunnites, arabes, chrétiens. Le Liban en est
l'exemple le plus tragique.
L'objectif du conflit était d'avoir le pétrole
à bon marché. Pour cela il fallait la mise sous
tutelle d'une nation, le massacre d'une population et la destruction
de l'appareil productif d'un pays.
Les États-Unis ont tiré les premiers bénéfices
industriels de la guerre contre l'Irak en remportant la plupart
des marchés d'armement dans la région. Les profits
des industriels de l'armement proviennent des marchés extérieurs
plus que du marché intérieur. Ces marchés
extérieurs se sont considérablement réduits
(avant 1990) parce intéreur que les grands acheteurs, tels
ceux du Moyen-Orient, ont vu la manne financière réduite.
Le marché mondial de l'armement a baissé de 60 %
en 1990. Cela a exacerbé une concurrence par les prix et
donc une recherche d'économie sur les coûts entraînant
logiquement une réduction drastique du nombre d'opérateurs
sur le marché. C'est ainsi que l'industrie américaine
de défense a connu en une dizaine d'années une vague
de restructurations et de concentrations sans précédent,
les cessions et acquisitions d'activités ou de sociétés
entières dans ce secteur se sont élevées
à plus de 100 milliards de dollars(8). Ces opérations
ont donné naissance à trois géants. Les ventes
d'armes cumulées des sociétés qui font désormais
partie de Lokheed-Martin, Boeing-MacDonnell Douglas et Raytheon
s'élevaient, en 1996, à près de 50 milliards
de dollars et représentaient à peu près autant
que le budget d'acquisition (hors recherche) du Pentagone. L'industrie
américaine, confortée par l'effondrement de l'U.R.S.S.
et surtout par son rôle dirigeant dans la coalition contre
l'Irak, creuse l'écart avec ses concurrents, selon les
données de l'institut international de recherche sur la
paix de Stockholm (SIPRI). En 1996, les États-Unis ont
accaparé 44 % du marché (certains spécialistes
avancent même le pourcentage de 50 %). Ils jouissent dans
ce secteur d'une suprématie dont ils ne disposent plus
dans aucun domaine civil(9). Après la guerre du Golfe,
les États-Unis, en quatre ou cinq ans, se sont assuré
le contrôle de la moitié des marchés (tous
matériels compris). La France détenait en 1985 près
de 10% du marché mondial, elle n'en possède plus
que 4 à 5 % après avoir été détrônée
par les Anglais qui en détiennent le double(10).
L'Irak ravagé, la guerre se poursuit économiquement
par l'embargo. Les revenus du pétrole étaient de
20 milliards de dollars dont 5 milliards étaient consacrés
à l'importation de médicaments et de nourriture.
Huit ans après, 2 milliards seulement par an de vente de
pétrole sont autorisés et l'essentiel sert à
payer la dette de guerre envers le Koweït.
L'embargo n'est autre qu'un processus destiné à
ramener l'Irak à l'âge préindustriel et à
lui retirer toute possibilité d'indépendance économique
en matière pétrolière. Les puissances occidentales
ne veulent pas laisser un État indépendant, avant
une puissance militaire, se développer et jouer un rôle
dans la région. Elle entend contrôler toutes les
richesses pétrolières. Le soi irakien contient encore
pour un siècle ou deux de pétrole. Il était
inévitable qu'il soit frappé.
Le contrôle des armements est une comédie qui ne
trompe plus personne' On ne nous fera pas croire qu'en huit ans
les experts de l'O.N.U., et particulièrement les Américains,
avec tous les moyens de détection ultra perfectionnés
dont ils disposent, les télécommunications, les
radars, les satellites, etc. n'ont pas pu vérifier leur
existence ou leur absence.
Avant l'embargo, en 1990, l'Irak répondait aux critères
de 'organisation mondiale pour la santé. Il consacrait
30 dollars par mois par individu alors qu'aujourd'hui il ne dépense
plus que 2 dollars soir une baisse de 93 %.
Les conséquences les plus tragiques de l'embargo touchent
particulièrement les couches fragiles de la population,
surtout les enfants.
En 1977, les chercheurs français envoyés en Irak
prédisaient une population de 25 millions en fin de siècle
(11) . Elle sera de 22 millions. L'Unicef. la F.A.U., la commission
des droits sociaux et économiques des Nations unies évaluent
à 1 million 300 mille le nombre d'enfants de moins de 5
ans morts à cause de l'embargo. Un million d'enfants ne
va plus à l'école. Sur 5 millions d'enfants de moins
de cinq ans, 1 million n . aura jamais de facultés mentales
normales par manque de protéines et de lait pour développer
leur cerveau. Ainsi un quart de la population future est estimée
désormais perdue.
Ainsi on sacrifie, pour des visées purement économiques.
un peuple en offrande au dieu pétrole.
Alors qu'il y avait autrefois, en Irak, plusieurs millions d'immigrés
des pays voisins, nous assistons à une émigration
vers l'étranger des intellectuels, les esprits les plus
brillants. Il y a là une perte du substance pour la société
irakienne. Beaucoup de familles sont déchirées par
l'émigration. Beaucoup de femmes se retrouvent seules.
Des familles se désunissent, la délinquance progresse.
Les femmes doivent maîtriser la misère familiale,
partager la nourriture entre leurs enfants, un jour l'un mangera,
le lendemain sera le tour de l'autre. Un père peur faire
vingt kilomètres à pied pour porter son enfant malade
dans un hôpital où on ne pourra pas le soigner parce
qu'il n'y a pas de médicaments.
On ne peut importer de médicaments ni de nourriture mais
pas non plus de pièces de rechange pour les appareillages
médicaux, pour l'outillage, pour les véhicules,
pas davantage de cahiers, de crayons, de livres pour les enfants
des écoles. Depuis huit ans l'Irak ne peut importer de
publications scientifiques. Les chercheurs ne peuvent se rendre
à l'étranger ni assister à des conférences
internationales. On ne peut s'équiper en informatique ni
avoir accès à Internet, aux connaissances que les
autres pays développent. On estime que le retard sera de
30 à 40 ans en réduisant les chances d'entrer en
communication avec la nouvelle culture du monde. Tous les secteurs
sont touchés. C'est une volonté délibérée
de réduire l'Irak au rang d'un pays du Tiers Monde. L'accord
pétrole contre nourriture n'a rien résolu. Il sert
essentiellement à payer la dette de guerre. Le pays n'en
touche que 20%. En ce qui concerne les dépenses de santé,
il en va de même. Et les accords d'importation ne sont même
pas respectés. Quant aux apports irakiens figés
à l'étranger, c'est du vol manifeste.
C'est bien la volonté des puissants qui domine le Conseil
de sécurité d'infliger un blocus sans précédent
pour empêcher un pays de se développer, pour ruiner
son avenir, un pays qui avait les moyens économiques d'aider
le Tiers Monde. Après la guerre immonde, l'embargo est
encore une guerre coloniale à caractère économique,
quel que soit le prétexte, même si c'est le droit
international
Pourtant ce peuple a démontré sa volonté
de résister et de survivre, de préserver sa dignité.
Mais on ne peut demander au peuple de se sacrifier à l'honneur.
Il est acculé à assurer sa survie. Contrairement
à ce que l'on avait espéré en décrétant
l'embargo, les divergences avec le régime sont estompées
sinon oubliés. Une population affamée ne cherche
qu'à se nourrir, elle ne fait pas la révolution.
Les Irakiens sont conscients que ce qu'ils subissent est fait
pour empêcher leur pays de se développer. Ils résistent,
mais lis ne pourront pas résister encore 10 ans. Ce peuple
est en péril. Si une guerre civile se déclenchait
en Irak, personne ne pourrait la contenir, toute la région
serait touchée. Les Américains jouent les apprentis
sorciers mais ne savent plus contrôler quand la boîte
de Pandore est ouverte. Ils n'ont pas pu maîtriser l'intégrisme
et les conflits suscités en Afghanistan depuis 25 ans.
Quel que soit le régime, c'est au peuple de se déterminer.
L'embargo est la guerre faite contre tous les régimes progressistes
ou indociles envers les États-Unis. La solidarité
avec le peuple irakien devrait animer toutes les forces progressistes
du monde.
Subhi Toma
(*) Subhi Toma est sociologue, d'origine irakienne, exilé
en France depuis 1971. Il a été secrétaire
général des étudiants irakiens opposants
au régime de Bagdad. Cofondateur de la coordination internationale
contre les embargos, il a conduit plusieurs missions d'observation
en Irak depuis la guerre de 1991.
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Avant embargo :
30 000 lit d'hôpitaux construits après la nationalisation
du pétrole.
Budget 500 millions de dollars. Les stocks médicaux étaient
d'un quart de milliard.
Mortalité infantile : 24 sur 1000. - Moins de 5 ans 540
par mois. Plus de 5 ans : 650
Après embargo
Budget : 37 millions de dollars. Stocks nuls.
Mortalité infantile : 92 sur 1000 ; Moins de 5 ans 7 500
par mois. Plus de 5 ans : 9000 par mois.
Malnutrition : 1100 calories par personne au lieu de 2.500. Poids
des enfants diminué de 22 %
(Unicef, Observatoire de la santé).
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Notes
1. Lionard Mosley La Guerre du pétrole, Presse de la Cité.
1974.
2. Charles Saint-Prot, Saddam Hussein, Albin Michel, 1987.
3. Alain Gresh et Dominique Vidal Golfe, clefs pour une guerre,
Le Monde édition, 1991.
4. Bob Woodward, Chefs de guerre, Calmann-Lévy, 1991.
5. Norman Finklsten, professeur de sciences politiques, AL Quds
16 12.97
6 Dominique Jamet et Régime Déforges, La Partie
de Golfe, (éditions 1991
7. Rapport de la mission envovée en Irak par l'O. N. U,
20 mars 1991
8. Pierre Dussauge professeur de stratégie politique d'entreprise
ait groupe H. E. C., Le Monde 20.1.98
9. Claude Serfati, Le Monde. 20 janvier 1998
10. Christian Schmid: président de I'association des économistes
de défense. Le Monde. 20.1,98
11. Alain Guerreau, L' Irak, développement et contradiction,
le Sycomore. 1978