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Du trou « virtuel » de la Sécurité Sociale

Publie le samedi 17 avril 2010 par Open-Publishing
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La Sécurité Sociale est un organisme qui a été mis en place dès 1945 à l’instigation du général de Gaulle et du Conseil National de la Résistance présidé entre autres par Jean Moulin. (CNR défini sur wikipédia comme « l’organe qui dirigea et coordonna les différents mouvements de la Résistance intérieure française, de la presse, des syndicats et des membres de partis politiques hostiles au gouvernement de Vichy à partir de mi-1943. ») Elle est inspirée des théories économiques et politiques de John Maynard Keynes qui voyait l’État comme un acteur fort et porteur de régulations positives contre des marchés qui n’étaient, pour lui, ni nécessairement auto-régulateurs, ni producteurs de bien-être généralisé.
Le mode de fonctionnement de la Sécurité Sociale correspond à la devise « De chacun selon ses moyens à chacun selon ses besoins » et vise à fournir aux travailleurs et salariés, puis par la suite à l’ensemble de la population, une meilleure qualité de santé et de vie, les rendant plus forts et plus productifs dans les tâches qu’ils réalisent au service de leur employeur et, partant, de la vigueur économique de la France. En cela, elle rompt avec la tradition libérale et bourgeoise du XIX° siècle dont les écrits d’Émile Zola, notamment, sont un témoignage poignant de la misère dans laquelle sont plongés les perdants de l’individualisme.

Qui veut la fin de la Sécurité Sociale ?

Le système français de solidarité et particulièrement la Sécurité Sociale sont loués dans des discours auto-satisfaits et consensuels pour avoir permis à la France de mieux résister à la première vague de la crise mondiale par ceux-là même qui veulent leur disparition. Cependant, cela ne change rien aux années de propagande qui ont créé dans l’esprit du peuple français la certitude que « la sécu est malade ». Les intérêts sont divers et peuvent être regroupés globalement en deux catégories :
 pour raisons idéologiques : les « libéraux » qui ont courbé l’échine pendant 40 ans de politique mondiale d’inspiration keynésienne et qui portent aujourd’hui le discours de « réforme » (comprendre destruction) de la Sécurité Sociale. Ils proposent des solutions individualistes proches de celles en place au XIX° siècle et qui faisaient d’eux les alliés objectifs des capitaines d’industries et autres grands bourgeois. L’objectif premier est d’assouplir le marché du travail malgré l’affaiblissement de toute la classe des travailleurs en résultant ;
 pour raisons capitalistes : les assureurs, banques et mutuelles (le frère de l’actuel président est d’ailleurs délégué général du groupe Malakoff Médéric qui se définit comme « le premier groupe paritaire de protection sociale. » (1)) ont un intérêt financier direct et à court-terme. Ces organismes bénéficient d’une écoute attentive des décideurs politiques français et européens, bien que leurs intérêts à la privatisation de la Sécurité Sociale soient en opposition avec les recommandations du CNR pour une France économiquement dynamique au service de ses citoyens.

L’origine des dépenses

L’augmentation des dépenses de santé est chaque année supérieure à l’augmentation du produit intérieur brut, de l’ordre de 3 à 6% (2). Le discours libéral relayé dans les médias est de contester le fondement de la Sécurité Sociale qui ne serait qu’un organe « déresponsabilisateur » permettant aux classes populaires, aux chômeurs et autres RMIstes de recourir à des consultations ou des soins dont ils n’auraient pas besoin en profitant d’un biais qui ferait que le « consommateur » n’est pas le payeur. Ce discours est faux et construit sur un mensonge par omission :
 « faux » car, comme le montre « l’enquête sur la santé et la sécurité sociale » effectuée par le credes (3) auprès de 20 000 personnes de plus de 16 ans (enquête reprise en page 100 du livre « Le mythe du « trou de la Sécu » » de Julien Duval (4)), la fréquentation d’un médecin spécialiste est deux fois plus forte chez les cadres que chez les populations affaiblies économiquement. Dans le même temps, le rapport s’inverse au détriment des chômeurs et RMIstes et passe du simple au triple en ce qui concerne le renoncement aux soins (32% et 37% contre 12%) ;
 « mensonger » car ce discours omet des éléments comme l’augmentation de la durée de la vie (et de son corollaire qu’est l’augmentation de la médicalisation et de la dépendance) dont l’accompagnement à un coût élevé. Sont occultés, aussi, les progrès de la médecine qui se mesurent entre autres au prix des machines de pointe comme à l’apparition de traitements nouveaux (contre le cancer, chirurgie plastique pour les grands brûlés, …).
Toutes ces avancées sont coûteuses et doivent faire l’objet d’un choix de société (quel accompagnement propose-t-on à nos retraités, à nos accidentés du monde du travail, de la route ou de la vie, …) plutôt qu’à un simple calcul comptable.

Le déficit

comparatif État / Sécurité Sociale

http://www.sentinelles-de-la-republique.com/wp-content/uploads/2009/12/trous%C3%A9cutableau.jpg

* Données 2008, extraites du travail de la cour des comptes « Rapport sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale – 16 septembre 2009″ – chapitre I : Les résultats et le financement des déficits pour les recettes et les dépenses. Données extraites des comptes du treizième exercice (2008) de la Caisse d’amortissement de la dette sociale pour le volume de la dette sociale (déficit accumulé par le régime général de la sécurité sociale)
** Données 2008, diffusées par performance-publique.gouv.fr pour les recettes et par actualités françaises pour les dépenses et le déficit. Données INSEE pour la dette globale de l’état ( « dette nette » moins « dette sociale »).

Les sommes manipulées par la Sécurité Sociale pour, notamment, la santé de tous sont très élevées, même plus élevées que les recettes perçues par l’état. En allant plus loin, on voit bien à la lecture de ce tableau que l’importance du « trou de la sécu » n’est que relative. Avec une dette globale représentant 30 % des recettes annuelles, nous sommes bien loin des 430 % pour l’ensemble des autres administrations publiques de l’État.
Le propos n’est pas de dire que tout est parfait au niveau de la Sécurité Sociale, mais force est de constater que les attaques qui se concentrent contre elle ne sont pas justifiées d’un point de vue pragmatique. Pourquoi nous parle-t-on systématiquement d’une « Sécurité Sociale malade » souffrant d’un « trou abyssal » ? Les intérêts idéologiques et financiers cités plus haut n’en apparaissent qu’avec plus de force : la Sécurité Sociale n’est pas si mal en point, il est possible de tirer partie de sa privatisation directement (pour les assureurs et banquiers qui investiraient le secteur avec une logique de rendement) ou indirectement (pour les libéraux qui déséquilibreraient un peu plus la balance au détriment des couches sociales les plus faibles).

Responsabilités

Le discours médiatique nous rappelle très souvent que la « Sécu va mal » et de nombreuses « enquêtes » plus ou moins exclusives nous parlent de l’origine du « trou de la sécu ». Relayant, sans grand effort pour la mettre à l’épreuve de la réalité, la théorie libérale, les journalistes montrent du doigt les utilisateurs et plus particulièrement les patients. Souvent irresponsables, parfois fraudeurs, la mesure de l’impact chiffré sur le déficit de la Sécurité Sociale se fait inversement au scoop que représente la diffusion du témoignage d’un RMIste profitant autant que possible de toutes les allocations de l’État. En cela, cet article dans l’express est symptomatique. Ce discours a tellement été répété que le citoyen va finir par se persuader que la Sécurité Sociale est en danger de banqueroute à cause de la fraude et des abus de parasites. Pour répondre à cette préoccupation créée de toutes pièces, a été institué en 2008 un comité national de lutte contre les fraudes. Cela permet aussi de créer un service pour lequel certains semblent prêts à payer : pour éviter les fraudes à la Sécurité sociale, MEDIVERIF propose une solution aux employeurs : les contrôles médicaux patronaux.
Le propos de cet article n’est pas de justifier la fraude et les abus, surtout venant de réseaux organisés parasites qui profitent des cotisations issues de nos salaires parfois durement gagnés, mais force est de constater que le discours sur le « trou de la sécu » occulte systématiquement et de façon très démagogue toute une série d’autres responsabilités. On pourra aborder :

 les laboratoires pharmaceutiques et les médecins. Dans une France championne du monde de la consommation de médicaments, on continue de culpabiliser les patients. Pourtant le consommateur n’est pas le prescripteur. Jamais le lobbying des laboratoires pharmaceutiques auprès de la profession des médecins n’est remis en cause. Pourquoi le discours libéral, prompt à dénoncer l’attitude du RMIste qui profiterait du fait que le consommateur n’est pas le payeur, ne dénonce-t-il jamais le comportement des laboratoires pharmaceutiques qui poussent à la consommation pour assurer leurs bénéfices ? Ceux-ci se désintéressent pourtant bien du problème puisque « c’est la Sécu qui paye ! » ;

 l’État. Il est choisi dans cet article d’étudier le rapport sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale de 2006. L’étude des différents rapports de la cour des comptes est très instructive. On peut en retirer ces commentaires éclairant le comportement étatique : « l’accroissement régulier des dettes de l’État du fait d’une insuffisance chronique de dotations budgétaires destinées à financer les prestations versées en son nom ou à compenser les exonérations de cotisations sociales… » ainsi qu’ »une confirmation de la tendance à reporter vers des organismes aux ressources insuffisantes ou incertaines les impasses financières liées à l’écart désormais structurel des charges et des produits… ». Une valeur chiffrée est trouvée dans le tableau « Créances et produits à recevoir liés aux mesures en faveur de l’emploi : évolution au cours de l’exercice 2005 » intégré en page 71 et montrant que, pour le seul aspect des exonérations de cotisations patronales devant être compensées, l’État n’a pas respecté son engagement à hauteur de 2,24 milliards d’euros en cette année 2005. Ce seul exemple permet d’expliquer 20% des 11,6 milliards d’euros de déficit du régime général en 2005.
Il arrive parfois que l’État rembourse une partie de ses arriérés (comme un versement d’environ 5Md€ en 2007) mais ceux-ci se reconstituent très rapidement (2 ans plus tard, l’État a reconstitué sa dette à hauteur de 6Md€).
Cet article n’est pas le lieu pour faire une liste exhaustive mais on notera que l’État est de manière récurrente accusé de ne pas non plus verser à la Sécurité Sociale l’intégralité de la part due sur la vente de tabacs, les boissons alcoolisées ou les assurances des véhicules automobiles, … Plus de 5 milliards de dette annuelle de l’État dans un budget en déficit de 10 milliards, à se demander qui des malades ou des hommes politiques creusent le « trou de la sécu » ;

 le patronat. Friand consommateur de travail au noir avec près de 15% des entreprises inspectées en infraction avec la législation sur le travail non déclaré. Le journal « La croix » estime dans un article repris par Impôts-utiles.com : « Pour la Sécurité Sociale, le manque-à-gagner se situerait entre 6,2 et 12,4 milliards d’euros. » On retrouve le même constat dans un rapport de la cour des comptes repris par la Confédération Nationale du Travail et qui parle de « 9,7 à 13,4 milliards d’euros » pour 2007. Plus de 9 milliards de manque à gagner dans un budget en déficit de 12 milliards, à se demander qui des malades ou du patronat creusent le « trou de la sécu ». Patronat qui d’ailleurs crie systématiquement au danger que représente pour les finances publiques ce déficit qu’il contribue chaque jour par la fraude à creuser et qui en demande très fréquemment la privatisation totale. « Aux innocents les mains pleines » ;

 politiques « en faveur de l’emploi ». On parlera ici de la responsabilité de l’État à travers ses choix politiques liés à l’activité économique. À travers les exonérations de cotisations pour les bas salaires de M. Chirac, les exonérations de cotisations pour les heures supplémentaires et le statut d’auto-entrepreneur de M. Sarkozy et le salariat à temps partiel imposé par le patronat avec la bénédiction des politicien(ne)s de tous bords, ce sont autant de manque-à-gagner pour la Sécurité Sociale. On retrouve la Confédération Nationale du Travail qui fait remarquer que les politiques aboutissant à une forme de salariat dégradé entrainent de faibles contributions au système de Sécurité Sociale et par ailleurs que « 1% de masse salariale en moins représente 1,1 milliard d’euros de perte pour la Sécu. » Il est possible de multiplier les exemples de l’impact de ces mesures sur la dégradation des comptes de la Sécurité Sociale telles que l’intéressement et les stock-options plutôt qu’une intégration effective dans la fiche de salaire.

Que se passe-t-il ailleurs ?

En page 25 du livre « Le mythe du « trou de la Sécu » » cité plus haut, on trouve un tableau des dépenses et indicateurs de santé dans quelques pays de l’OCDE. On pourra noter ici la part des dépenses de santé dans le PIB en Allemagne 10,6%, en Espagne 7,3%, aux États-Unis d’Amérique 15,3%, en France 10,5%, en Italie 8,7%, au Japon 8,0% ou au Royaume-Uni 8,5%.

Ce tableau donne envie d’aller voir ailleurs ce qu’il se passe.
On pourra noter quelques éléments anecdotiques permettant des économies à petite échelle en évitant le gaspillage. Ce serait très peu mais ce serait toujours ça …
Au Royaume-Uni, les pharmaciens lisent l’ordonnance du médecin et donnent au malade la quantité exacte prescrite pour le traitement. Quand on sait la quantité de médicaments qui ont passé de validité dans les armoires de salle-de-bain en France, on trouve dommage que ce surplus gaspillé serve à assurer les bénéfices des laboratoires pharmaceutiques avec les sous de la Sécurité Sociale, des sous issus de notre travail.
En Espagne, les personnes reconnues « chroniques » ont une ordonnance spéciale qui leur permet d’obtenir « à vie » leurs médicaments, inutile pour eux de retourner tous les 3 ou 6 mois donner 22€ à leur praticien pour refaire une prescription.

On voit aussi que le pays qui a le plus haut niveau de dépenses de santé par rapport au PIB, les États-Unis d’Amérique est aussi celui qui a la plus grande partie de sa population non couverte pour le risque « santé » (autour de 20% des salariés ne sont pas du tout couverts (5)). Ce chiffre important vient des cotisations aux mutuelles d’assurance-maladie privées qui « investissent une part non négligeable de leurs ressources dans des techniques destinées à démasquer les « mauvais clients » qui dissimulent des problèmes de santé. Ces techniques incluent des incursions très discutables dans la vie privée, et un surcoût important ». (4) L’obligation de rentabilité financière est un autre élément expliquant ce surcoût.
Le système de base états-unien est, lui, structuré comme le modèle libéral en vigueur en France au XIX° siècle. Il dépend essentiellement des employeurs (sauf pour les très pauvres et les indigents bénéficiant de l’équivalent de notre CMU). Si une entreprise fait faillite ou choisit un placement dangereux pour les sommes récoltées… l’ensemble de l’épargne des salariés, pour la couverture maladie comme pour la pension de retraite, est tout simplement perdu !

Conclusion

On a pu voir, au fil de cet article, que la Sécurité Sociale, bien qu’améliorable est dans un état de santé que lui jalousent les investisseurs privés. Ceux-ci rongent leur frein en attendant que le travail de sape de la propagande libérale fasse son effet et que la privatisation apparaisse au peuple français comme une solution nécessaire et bénéfique pour tout le monde, une solution qu’il validera par son vote avec la certitude de faire le bon choix.
La réalité c’est l’abandon de l’idée de vouloir un plus grand nombre en bonne santé. C’est aussi la fin de la solidarité des citoyens envers les accidentés ou les personnes développant une maladie chronique qui n’auraient plus que leur famille comme seul recours face à une maladie grave entraînant une hospitalisation, la perte du salaire et celle de la couverture maladie car « l’abonnement » ne pourrait plus être payé.
La réalité c’est aussi que le discours libéral ne parle pas du coût des dégâts de la privatisation pour la société, l’économie nationale et pour les entreprises. Un employé en bonne santé est productif, un employé malade doit être remplacé par quelqu’un qu’il faut former et à qui il faut laisser le temps de s’adapter à son nouveau poste.
Au final les classes favorisées n’ont pas vraiment de problèmes de santé grâce à un travail facile physiquement, des conditions de vie agréables, des vacances confortables, … Les membres des couches populaires qui, pour beaucoup, ont un travail difficile, mutilant, aliénant, peu rémunérateur, peu propice à l’épargne, … seraient ceux à qui l’on souhaiterait faire payer encore plus alors qu’ils souffrent déjà de leur place de dominés dans la société actuelle. Cela s’inscrit dans la racine de cette maladie de notre époque : le profit immédiat au mépris des conséquences à long terme, en lutte avec la vision de 1945 d’une France forte de sa solidarité.

Auteur : lottà

http://www.sentinelles-de-la-republique.com/du-trou-virtuel-de-la-securite-sociale/

ressources :

(1) http://www.malakoffmederic.com/

(2) http://www.continentalnews.fr/actualite/sante,7/206-5-milliards-d-euros-des-depenses-de-sante-en-france,2539.html

(3) http://www.credes.net/

(4) Le mythe du « trou de la Sécu ». Julien Duval. Éditions Raisons d’agir, 2007. ISBN 978.2.912107.34.3
http://www.homme-moderne.org/societe/socio/jduval/secu/extraits1.html

(5) http://www.sante.gouv.fr/drees/etude-resultat/er-pdf/er119.pdf

http://www.cnt-f.org/spip.php?article392

http://www.inegalites.fr/spip.php?article190

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