Accueil > Ma fiche aux renseignements généraux

Ma fiche aux renseignements généraux

Publie le vendredi 7 mai 2010 par Open-Publishing
6 commentaires

Comme chaque citoyen en a le droit, Robert Charvin a demandé à consulter le dossier établi sur son compte par le ministère de l’Intérieur.

Témoignage

Les démocrates ont souvent pour vertu et faiblesse d’être naïfs. Ils se font des illusions sur ce que l’on appelle communément la « démocratie », particulièrement celle prétendue de la Ve « République » atteinte de diverses pathologies lourdes.

Chaque militant politique, syndical ou associatif devrait savoir qu’il n’est qu’en liberté surveillée : les intérêts supérieurs de l’État exigeraient que le gouvernement soit informé au quotidien de leurs agissements, surtout évidemment s’ils sont des opposants (subversifs, par nature) aux détenteurs du pouvoir (par exemple, aujourd’hui à ceux qui représentent, en raison des résultats électoraux récents, environ 11 % des électeurs inscrits). Les services du ministère de l’Intérieur et de la Défense veillent, et cela depuis Napoléon III jusqu’à nos jours. Sous Napoléon le Petit, l’objectif était pour « les renseignements généraux » de « surveiller les villes à population turbulente », plus précisément les « centres ouvriers ou fréquentés par des colonies d’étrangers ». Rien de neuf depuis cent cinquante ans !

Nul n’a jugé bon de se « priver » de cette surveillance, pas même les socialistes de 1981 à l’égard de leurs alliés communistes, comme le note Yves Bertrand, ancien directeur des renseignements généraux (1).
On peut s’interroger sur la compatibilité entre les principes démocratiques et l’existence de services contrôlant des individus dont l’action est publique et des organisations légales, c’està- dire assurant la transparence de la société civile alors que l’opacité des pouvoirs demeure. En attendant une éventuelle VIe République réalisant des avancées vers cette démocratie « à-venir », il est intéressant de solliciter la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) pour obtenir, dans sa préfecture, son propre dossier, afin de savoir ce que le ministère de l’Intérieur, par le relais de ses 4 000 agents affectés à cette tâche, a collecté sur soi-même. En vertu d’une loi du 6 janvier 1978, modifiée en août 2004, chaque citoyen a droit à l’accès à son dossier (expurgé)…. du moins s’il a la patience d’attendre (pour ma part, environ un an et demi), ce qui est surprenant étant donné les technologies contemporaines !
Face à deux représentants (muets) de l’ordre policier et préfectoral, il est enfin possible de consulter les fiches vous concernant.
On découvre tout d’abord sa propre personnalité telle que l’ont construite (approximativement) les fiches de police successives.
Ces fiches montrent que l’on s’est interrogé sur mon engagement communiste, étant « issu d’une famille très aisée » : pour les RG, qui ont sans doute mal digéré la pensée de Marx, c’était là une anomalie de classe ! Malgré les convenances, j’appartiens à la catégorie des « propagandistes acharnés » (sic). Tout en étant « très libéral dans le milieu universitaire », le surveillé que j’étais était au plan idéologique « extrêmement rigide » (resic) ! À l’occasion du 26e congrès, j’aurais été « réformateur » mais « non démissionnaire » !

Les RG relèvent d’ailleurs que ma propre fédération (selon quelles sources ?) ne savait plus à quoi s’en tenir : « L’appareil du Parti n’appréciait ni mon style décontracté ( ?) ni mon origine bourgeoise… » Au-delà de quelques banalités dans le recensement (très lacunaire) de mes livres, de certains articles de presse et de quelques conférences ici ou là, la surprise vient de ce que j’apprends sur certains de mes collègues universitaires qui, visiblement, avaient des contacts avec les RG au nom, sans doute, de la lutte patriotique contre la subversion académique, particulièrement durant la période où j’étais doyen !

Il faut dire que je cumulais tous les éléments d’une environnement hostile : une faculté de droit (où ne règne pas souvent un climat progressiste), Nice (administrée par ce grand honnête homme qu’était Jacques Médecin), une ministre A. Saunier-Séité (qui ne faisait pas dans la dentelle vis-à-vis de ceux qui la contestaient). Cela faisait beaucoup à la fois. Quelques chers collègues sont ainsi allés de leur délation puisque mon dossier indique combien les « modérés » ne supportaient pas mon décanat.

Enfin, et cela va de soi, les fiches sont nombreuses révélant que j’étais une menace (ou presque) pour la sûreté extérieure de l’État, en raison de mes actions totalement publiques et parfaitement légales en faveur de la « cause tiers-mondiste » (qui n’est apparemment pas bien en cour), et en particulier en faveur de la Libye (durant l’embargo pourtant illicite), de la Corée du Nord (victime d’un boycott d’un demi-siècle) et de la Palestine (pour laquelle il est indiqué que je m’y « investissais totalement »).

Le tout accompagné de nombreux voyages (universitaires) dans les pays du « socialisme réel », y compris en RDA (avec l’appui de l’association d’amitié France-RDA) et de l’université de Iéna, où Marx a soutenu sa thèse de doctorat ! Bref, voilà, pour ces messieurs des RG, de la graine d’ « agent d’influence » où je ne m’y connais pas !

Heureusement, pour moi et pour l’intérêt national, tout « va mieux ». J’ai pris ma retraite (mon dossier s’arrête à 2007) ; la Libye est partiellement rentrée dans le rang grâce à quelques concessions pétrolières ; la RDA a disparu ; la Corée du Nord est isolée et le mouvement palestinien est très affaibli.
J’imagine, avec horreur, les fiches concernant ces personnages (si nombreux sur la Côte d’Azur) qui blanchissent de l’argent pour diverses causes, qui trafiquent les marchés publics, financent des mercenaires, des trahisons et des divisions (dans les syndicats et ailleurs….). En comparaison, mon petit dossier doit paraître bien modeste… au point, d’ailleurs, qu’un commissaire des renseignements généraux n’a pas hésité à faire sur le tard une thèse de doctorat sous ma direction !

En bref, le système politique considère ses citoyens comme des suspects en puissance dès lors qu’ils participent à la vie publique et ses opposants comme des éléments subversifs, alors qu’il fait preuve de « modération » visà- vis des scandales financiers et des non moins scandaleuses pratiques d’un certain patronat.
Ce système se refuse (à la différence du « modèle » américain si souvent présenté comme une référence) à placer le renseignement – qui pourrait être assuré par des services « civils » – sous le contrôle parlementaire, ce qui devrait aller de soi dans une démocratie soi-disant représentative : pour le pouvoir présidentiel, le renseignement est avant tout un outil parmi d’autres de gestion des crises. Que ne concentre-t-il pas ses efforts sur « l’intelligence économique », c’est-à-dire sur le dévoilement de toutes les concurrences déloyales qui fleurissent dans le cadre de la mondialisation à l’encontre de l’économie nationale !

(1) Dans Je ne sais rien, mais je dirai (presque) tout (Plon 2007, page 198), Yves Bertrand écrit : « L’Élysée et la direction du Parti socialiste connaissaient les directions du Parti communiste, leurs prises de position internationales sur les grandes questions nationales et internationales, mais aussi, ce qui n’était pas mince, les réactions des fédérations à ces instructions. » Entre amis…

 Par Robert Charvin, professeur émérite de l’université de Nice, doyen honoraire de la faculté de droit.

http://www.humanite.fr/Ma-fiche-aux...

Messages

  • SACRE ROBERT !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

     :)

    LL

    • Merci pour la photo... ça fait du bien cette rencontre physique/virtuel avec cet homme.
      Pouvoir entrer dans la vie des humains de cette manière-là, *la nôtre*, avec leur total consentement, et en toute transparence c’est cela aussi, cette autre partie de *l’éthique communiste* qui me séduit, me mobilise et que nous construirons *ensemble*.

      Merci aux Webmaster et autres LL... ;-)... communistes au jour le jour... et même la nuit... ;-)... si si !

      Construisons, dès maintenant si possible, toutes et tous, cette éthique communite qui est au fond de nous, enfoui en nos cerveaux réptiliens depuis l’époque ancestrale du *communisme primitif* et nous tient encore à coeur et à cris-de-joie.

      Elle nous élevera à des hauteurs inégalées, soyez-en sûr-e-s et certain-e-s !

      MERCI Á NOUS TOUTES ET TOUS !

      et que *la transparence des temps nouveaux* advienne enfin.

      Fraternellement.
      R.B

  • Les RG relèvent d’ailleurs que ma propre fédération (selon quelles sources ?) ne savait plus à quoi s’en tenir : « L’appareil du Parti n’appréciait ni mon style décontracté ( ?) ni mon origine bourgeoise… »

    Les contradictions et la dialectique deux choses qui échapperont tjs aux RG.

    Viktor Serge, reviens !!!

    Merci à M charvon pour cet article et ce témoignage

  • Trés bel article.

    Merci de nous donner dans le détail la procédure à suivre.

    Et si tout le monde réclamait sa fiche, quelles seraient les conséquences pour le pouvoir ?

    Une prise de conscience du pouvoir des travailleurs ?

    Un réveil des consciences ?

    La peur pour les élites que le peuple se mette à réfléchir et à prendre conscience de sa force ?

    • Excellente suggestion ! Je suis prête à participer, mais comment inciter un maximum de gens à le faire ? Comment divulguer cette possibilité que chacun/e réclame sa fiche ? D’autre part, que signifie" fiche expurgée" et si elle est si expurgée a-t-elle encore un sens ? Dans quel pourcentage et comment ?

    • Sur l’exercice du droit d’accès :

      L’article 8 du décret du 5 juillet 2001 relatif au fichier STIC, qui ne serait pas modifié par le présent projet de décret, prévoit que « le droit d’accès s’exerce d’une manière indirecte, dans les conditions prévues par l’article 39 (41) de la loi du 6 janvier 1978 susvisée, par demande portée devant la Commission nationale de l’informatique et des libertés, pour l’ensemble des données ». Son deuxième alinéa dispose que « la commission peut constater, en accord avec le ministère de l’intérieur, que des données nominatives enregistrées ne mettent pas en cause la sûreté de l’Etat, la défense ou la sécurité publique et qu’il y a donc lieu de les communiquer à la personne intéressée, sous réserve que la procédure soit judiciairement close et après accord du procureur de la République ».

      La commission observe que l’article 22 de la loi du 18 mars 2003 a modifié l’article 39 de la loi du 6 janvier 1978 (devenu, par la loi du 6 août 2004, l’article 41) de façon à ce que « lorsque la commission constate, en accord avec le responsable du traitement, que la communication des données qui y sont contenues ne met pas en cause ses finalités, la sûreté de l’Etat, la défense ou la sécurité publique, ces données peuvent être communiquées au requérant ». En outre, son dernier alinéa dispose que « lorsque le traitement est susceptible de comprendre des informations dont la communication ne mettrait pas en cause les fins qui lui sont assignées, l’acte réglementaire portant création du fichier peut prévoir que ces informations peuvent être communiquées au requérant par le gestionnaire du fichier directement saisi ».

      Dès lors que la loi du 18 mars 2003 ouvre au gestionnaire du fichier concerné une possibilité de communiquer directement aux requérants les informations dont la communication ne mettrait pas en cause la finalité du fichier considéré, la commission estime qu’il y a lieu de prévoir pour les personnes inscrites dans le fichier STIC en tant que victimes la transmission directe par les soins du ministère de l’intérieur du contenu de leur fiche.

      La saisine directe du responsable du traitement, même limitée aux victimes, permettra en outre de réduire la durée des procédures, ce qui va dans le sens d’une meilleure garantie des droits individuels.

      Pour tenir compte des dispositions du premier alinéa de l’article 41 de la loi du 6 janvier 1878 modifiée, et dans le même souci de répondre plus rapidement et plus efficacement aux requérants, la commission considère en outre que la rédaction nouvelle de l’article 41 de la loi n’impose plus de subordonner l’exercice du droit d’accès indirect au recueil de l’accord du procureur de la République ni à l’exigence que la procédure soit judiciairement close.

      En conséquence, l’article 8 du décret STIC devrait être modifié de façon, d’une part, à prévoir l’exercice du droit d’accès direct pour les victimes et, d’autre part, à supprimer les deux conditions supplémentaires prévues par cet article pour permettre la communication, avec l’accord du ministère de l’Intérieur, des données les concernant aux personnes mises en cause.

      http://bellaciao.org/fr/spip.php?article35498