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Affaire Cesare Battisti : la droite embarrassée par son passé

Publie le mardi 19 octobre 2004 par Open-Publishing

Depuis 1985, tous les gouvernements ont refusé d’extrader les activistes italiens.

Par Dominique SIMONNOT

Cela s’appelle, depuis 1985, « la doctrine Mitterrand ». A tort. Car la promesse du président de la République d’accueillir en France des activistes italiens d’extrême gauche, contre l’assurance qu’ils avaient rompu « avec la machine infernale » du terrorisme, a perduré. Cohabitation ou pas, les gouvernements de droite l’ont appliquée sans sourciller. Jamais, jusqu’au revirement de Jean-Pierre Raffarin, un seul de ces « réfugiés » italiens ne fut extradé. Avant ou après l’élection de Jacques Chirac, en 1995, et malgré des avis favorables de la justice française à leur extradition.

Pourvoi rejeté. Julien Dray ne s’y est pas trompé. Mercredi, après le rejet du pourvoi en cassation de Cesare Battisti (toujours en cavale), le porte-parole du PS a demandé au Premier ministre, « au nom de la doctrine Mitterrand-Balladur », de ne pas signer le décret d’extradition de l’auteur de polars réclamé par son pays pour y purger une peine de prison à vie. « Le dispositif a été installé par Mitterrand en 1985. Et le Premier ministre de Mitterrand qui l’applique, c’est Edouard Balladur entre 1993 et 1995 ! Or, à l’époque, les demandes d’extradition existent, et ce, depuis des années. Balladur aurait pu autoriser les extraditions. Il ne l’a pas fait. Pas plus que Chirac, quand il succède à Mitterrand », explique Dray. Pourquoi ?

A grosse gêne, grosse défilade (1). Edouard Balladur refuse tout net de répondre. Sollicité à plusieurs reprises, Pierre Méhaignerie, garde des Sceaux de Balladur de 1993 à 1995, et donc destinataire à la fois des demandes d’extradition italiennes et des avis favorables de la justice française, a fini par répondre : « Nous n’avons pas eu à nous positionner car aucun dossier ne nous est parvenu au ministère de la Justice. » Quant à Jacques Toubon, ministre de la Justice du gouvernement Juppé entre 1995 et 1997, aujourd’hui eurodéputé, il choisit de « botter » en touche : « Il y avait à l’époque une méfiance envers les justices des autres pays européens. Elle n’existe plus aujourd’hui. La meilleure preuve en est le mandat d’arrêt européen par lequel nous acceptons même d’extrader nos nationaux. Comment, aujourd’hui, donner le mauvais exemple ? Affirmer l’idée de l’espace judiciaire européen et en même temps refuser d’extrader vers l’Italie ? Et je m’en tiens à la doctrine Mitterrand qui, selon Robert Badinter, excluait les crimes de sang. » Avec ce bémol que, de fait, cette doctrine a bénéficié à ceux des « réfugiés » italiens qui, comme Battisti, ont été condamnés pour assassinats.

« Compromis historique ». Voix discordante à droite, François Bayrou (lire ci-contre) a une vision plus proche de celle de Julien Dray, et certains pourront y voir une nouvelle opération destinée à séduire les électeurs de gauche. Comme l’explique Dray, « au début des années 80, il y avait une sorte de compromis historique entre la France et l’Italie. Nous avons accueilli les ex-terroristes. Maintenant, l’Italie se réveille et crie "on ne veut plus de ça". Je sais qu’une partie de la gauche italienne est indignée, mais c’est elle qui a un problème. Pour moi, quand un homme est accusé, jugé, sans possibilité d’être confronté à ses accusateurs, si cette accusation tient, on fait un nouveau procès. Or la loi italienne ne le permet pas ». On saura bientôt si Raffarin signe ou pas le décret permettant l’extradition de Battisti. Puis, ce sera au Conseil d’Etat de trancher. En examinant le droit, mais aussi ce temps écoulé depuis une parole donnée et jamais démentie par le pouvoir politique. (1) La question n’a pas été posée à Alain Juppé, très occupé à se défendre devant la cour d’appel de Versailles.

http://www.liberation.fr/page.php?Article=246918