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Des mérites de la rente

Publie le samedi 17 juillet 2010 par Open-Publishing
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Liliane Bettencourt paie-t-elle des impôts ?

Par THOMAS PIKETTY directeur d’études à l’EHESS et professeur à l’Ecole d’économie de Paris.

Au-delà de l’évidente question du conflit d’intérêt avec le pouvoir en place, l’affaire Bettencourt illustre à la perfection plusieurs défis fondamentaux auxquels se trouvent confrontées les sociétés contemporaines : le vieillissement de la fortune ; l’importance croissante de l’héritage, évolution longue qui remet profondément en cause l’idéal méritocratique ; et, par-dessus tout, l’inéquité de notre système fiscal. « Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune », dit l’article1 de la Déclaration des droits de l’homme. De toute évidence, le fait que Liliane, octogénaire, et sa fille Françoise, quinquagénaire, contrôlent le capital de L’Oréal et siègent à son conseil d’administration, n’est que de peu d’utilité pour l’économie et la société françaises.
Ce ne sont pas des entrepreneuses : ce sont des héritières, des rentières, surtout occupées à se battre comme des chiffonnières. Un système fiscal rationnel, c’est-à-dire juste et efficace, fondé sur l’utilité commune, devrait en toute logique les taxer lourdement, de façon à ce que leurs titres soient progressivement vendus à des actionnaires moins riches et plus dynamiques.

Or c’est exactement le contraire qui se produit. Certes, Liliane a annoncé fièrement qu’elle avait payé au total « 397millionsd’euros » d’impôts sur ses revenus et sa fortune en dix ans. Sans s’en rendre compte, elle nous révèle que son taux d’imposition est bien inférieur à celui des salariés de L’Oréal, et de tous ceux qui n’ont que leur travail pour vivre. D’après les magazines, sa fortune est estimée à 15 milliards d’euros.
En dixans, elle a donc payé l’équivalent de 2,5% de son patrimoine en impôts, soit 0,25% par an. Supposons que sa fortune, gérée par la femme du ministre, lui a rapporté en moyenne un rendement de 4% par an - ce qui n’est pas fameux.
Cela signifie que son taux d’imposition moyen au cours des dix dernières années était d’à peine plus de6% de ses revenus annuels (6% de 4% égalent 0,24%). Comment cela est-il possible, et comment se fait-il dans ces conditions que Liliane Bettencourt ait bénéficié du bouclier fiscal ?

Tout simplement parce que le concept de revenu fiscal utilisé par le bouclier n’a rien à voir avec le revenu économique réel. Par idéologie, et sans doute aussi par incompétence, le bouclier fiscal institué par le pouvoir en place fonctionne de facto comme une machine à subventionner les rentiers.

Supposons que Liliane déclare 15milliards d’euros au titre de l’impôt sur la fortune. En principe, elle devrait payer chaque année près de 1,8% de sa fortune au titre de l’ISF, soit 270millionsd’euros d’impôts. Avec un rendement de 4%, sa fortune devrait lui rapporter un revenu économique réel de 600 millions d’euros par an. Mais Liliane n’a pas besoin de tant d’argent. Pour payer son majordome, sa bonne,etc., il lui suffit sans doute de se verser 10millions d’euros de dividendes annuels sur les bénéfices de la société Clymène qui gère sa fortune (le reste s’accumulant tranquillement dans ladite société). Dans ce cas, le fisc considère que son revenu fiscal est de10millions (et non de600). Avec un impôt sur le revenu de40%, soit 4millions, Liliane paie donc au total 274 millions d’impôts, soit nettement plus que la moitié de son revenu fiscal de 10millions. C’est inique, nous expliquent en cœur les ténors de l’UMP : Liliane travaille plus de six mois par an pour le fisc ! C’est vrai, elle travaille dur, Liliane. Elle aura donc droit au bouclier fiscal, c’est-à-dire à un chèque de 269 millions, qui en gros lui rembourse son ISF.

C’est ainsi qu’en toute légalité les Liliane de ce monde peuvent se retrouver à payer 5 millions d’impôts pour 600millions de revenus, soit un taux d’imposition inférieur à 1%. Par construction, plus le rentier est gros, moins il a besoin de se servir un revenu fiscal important, et plus la ristourne est élevée… Une belle invention, en vérité. En l’occurrence, Mme Bettencourt a reçu un chèque de seulement 30 millions au titre du bouclier fiscal, sans doute parce que son patrimoine imposable déclaré à l’ISF ne dépasse pas un ou deux milliards - le reste de sa fortune bénéficiant de la niche fiscale pour biens « professionnels » ou étant déclaré par sa fille (elle-même sans doute grosse récipiendaire du bouclier fiscal).

Dormez tranquille, tout est prévu.

http://www.liberation.fr/economie/0101646656-liliane-bettencourt-paie-t-elle-des-impots

Messages

  • Merci,merci

    Nous ne sommes pas habitués à manier de ces chiffres, ni ces ordres de grandeur, mais la démonstration est confirmée : mieux vaut être épargnant, c-à-d capitaliste, que travailleur salarié.

    Mieux vaut être imposable sur la fortune, que sur les revenus par l’Impôt sur le Revenu des Personnes Physiques ou encore par la consommation, par la TVA imputée aux fameux et trop discrets " consommateurs finaux".

    On s’étonne des revenus des joueurs de football en ces temps de " mondial de la FIFA" ( appellation contrôlée et rémunératrice). Mais combien de riches dans le monde ramasse ces mêmes revenus pendant 30 ou 50 ans ?
    Le spectacle sportif comme les autres techniques de l’illusion et de l’apparence ne fait qu’entretenir l’écran de fumée utile aux plus riches des riches.

    Si pour eux, le bruit ne fait pas de bien, alors, il faut continuer à faire du bruit, devant la mairie de Chantilly, rue Saint-Honoré à Paris, et partout où les plus riches se cachent et veulent se cacher pour taire leurs turpitudes et leurs enrichissements nuisibles à la société.

    ENRICHISSEMENTS NUISIBLES DES PLUS RICHES, VOILÀ LES PRIVILÈGES ROYAUX !