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Un bâtiment du Crous, habité par 685 personnes sans logement est devenu le plus gros squat de France

Publie le jeudi 28 octobre 2004 par Open-Publishing

A Cachan, un village sorti de nulle part

Par Tonino SERAFINI

C’est sans doute le plus gros squat de France. En population, le bâtiment F de cette ancienne résidence étudiante tient la comparaison avec un village de taille moyenne : 685 habitants. Des célibataires, des couples, des familles avec des enfants, 129 au total. C’est aussi un village planétaire, une trentaine de nationalités, en majorité d’Afrique, ainsi que des Français, des Indiens, des Chinois, des Turcs, des Russes.

Couloirs. Les lieux : une seule grande barre de cinq étages datant de 1961, située dans l’enceinte d’un campus, à quelques pas du centre de Cachan (Val-de-Marne), une commune de 27 000 habitants de la banlieue sud de Paris. Trois cages d’escalier desservent à chaque étage un immense couloir où sont alignées des chambrettes de 9m2. On y vit seul, ou on s’y serre à deux, à trois ou même à quatre. Quelques familles nombreuses disposent de deux pièces. Aux extrémités de chaque étage, des salles de douches. L’archétype de la cité U qu’ont connue des générations d’étudiants. « Le bâtiment ayant été occupé avant sa fermeture définitive par le Crous (le centre régional des oeuvres universitaires et scolaires, ndlr), nous avons l’eau et l’électricité », explique Fidèle Nitiéma, porte-parole du squat. Pour d’évidentes raisons sanitaires et de sécurité, le Crous et la préfecture ont laissé les branchements. Mais il n’y a ni eau chaude, ni chauffage central. En période de froid, on se débrouille avec des radiateurs d’appoint. La cuisine se prépare sur des plaques électriques.

A chaque étage, deux délégués pointent les difficultés matérielles et règlent les querelles de voisinage. Malgré la grande précarité, l’immeuble mène donc une vie tranquille. Une minorité de personnes sont de nationalité française et squattent faute de trouver à se loger. Il y a aussi des étrangers en situation régulière, souvent salariés, en panne de logement. Mais la grosse majorité de migrants sont sans papiers ou en attente d’une régularisation. Environ 40 % des habitants sont originaires du nord de la Côte-d’Ivoire. « Beaucoup sont arrivés directement à Cachan en provenance de Côte-d’Ivoire au printemps 2003 », raconte Michel Jouvin, chercheur à Orsay et membre du comité de soutien. « Beaucoup d’Ivoiriens présents ici ont été obligés de fuir en raison du contexte politique », explique un homme croisé dans un couloir du troisième étage. « Moi, j’avais une casse automobile à Abidjan. Un jour, les gendarmes sont venus. Ils ont mis le feu parce qu’on était originaires du nord du pays. Quand vous êtes du Nord, on vous suspecte d’aider les rebelles. » Sa demande d’asile politique est en cours d’instruction.

Réfugiés. Un de ses voisins de chambrée s’appelle Vachomana. Il est âgé de 31 ans. Lui aussi a fui son pays. Il possédait avec ses parents un atelier de couture dans la capitale ivoirienne. « L’armée est venue chez nous. Elle a tout saccagé. On nous a menacés. On était devenus des Ivoiriens de seconde zone. » Arrivé en France fin décembre 1999, il a obtenu le statut de réfugié politique en 2001. Il a un emploi stable de chauffeur-livreur. « J’ai mes papiers, un travail, un salaire. Mais pas de logement », se désole-t-il. Sophie Ba, une femme de nationalité sénégalaise en situation régulière, est l’une des délégués d’étage. « J’ai un emploi d’auxiliaire de vie auprès de personnes âgées. Mais je n’ai jamais eu d’appartement. J’étais hébergée par des amis. J’ai su par le bouche à oreille qu’il y avait ce squat. Je suis venue. »

Avant l’afflux des Ivoiriens, les premiers squatteurs, dont beaucoup de travailleurs maghrébins, sont arrivés à Cachan il y a deux ans. « Je suis dans ce squat depuis mars 2002. Au début, je partais très tôt le matin et rentrais à la nuit tombée pour éviter de me faire repérer. J’avais conscience d’être dans l’illégalité. Malheureusement, je n’ai pas le choix. Il m’est arrivé de dormir dehors. J’ai failli mourir », témoigne Kamel, un Algérien. Il vit en France depuis février 2000. Il n’est pas parvenu à se faire régulariser. Mais il n’a « pas de difficulté à trouver du boulot » comme ouvrier dans le bâtiment. La majorité des hommes du squat occupent des emplois non déclarés : dans la sécurité, la restauration ou le nettoyage.

Evacuation. L’immeuble est un casse-tête pour la préfecture. Le 16 avril, un jugement d’expulsion a été rendu par le tribunal de Melun. Mais les pouvoirs publics ont renoncé à une expulsion par la force. Le nombre d’occupants et la configuration des locaux se prêtent peu à une évacuation manu militari. La préfecture privilégie désormais une solution d’« évacuation progressive ». Un recensement des occupants a été effectué début août. Pour ceux de nationalité française et les étrangers disposant de titres de séjour, il s’agit de se reloger ailleurs. Pour les sans-papiers, l’objectif est la régularisation. « Les gens ont accepté de se faire identifier. Maintenant, la préfecture doit nous donner une chance de régulariser notre situation », argumente Fidèle Nitiéma. Les résidents n’accepteront pas que les autorités profitent de cette identification pour procéder à des reconduites express à la frontière.

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