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Margaret Hassan kidnappée : l’héroïne qui offrait de l’espoir à l’Irak

Publie le mardi 2 novembre 2004 par Open-Publishing


de Robert Fisk

Margaret ? Margaret Hassan kidnappée ? Elle qui me disait que bientôt, très bientôt,
il y aurait plus d’une génération perdue en Irak ?

Les ravisseurs ne connaissent-ils donc aucune limite quand ils choisissent leurs
cibles ? Margaret Hassan a été enlevée à 7 h 30 du matin alors qu’elle se
rendait à son travail en tant que chargée de mission pour Care International
en Irak. Peu après, la chaîne de télévision arabe al-Jazira la montrait assise
dans une pièce, l’air calme bien qu’affectée. L’émission montrait ses papiers
d’identité en gros plan et le commentaire indiquait qu’un groupe irakien revendiquait
l’enlèvement sans qu’il soit nommé.

Margaret s’était dressée contre les sanctions des Nations Unies imposées à l’Irak. Elle est la figure symbolique de tous ceux qui croient que l’Irak - authentique, libre et non occupé - a un avenir ; et tout ce que l’on peut apprendre pour l’heure, c’est qu’elle aussi a rejoint la cohorte des non-personnes, des « disparus », le nombre de ceux qui, à cause de leur langue, de la couleur de leurs yeux ou de leur nationalité, ont glissé dans le trou noir de l’Irak.

Le comble du scandale, ça a été d’entendre hier les diplomates britanniques qui ont soutenu ces sanctions implacables, se lamenter sur le sort de « Margaret » en versant des larmes de crocodile.

Tony Blair s’est empressé de dire que la Grande-Bretagne ferait tout ce qu’elle peut pour obtenir sa libération. « A ce stade, ce que je peux vous dire est vraiment très limité, mais, évidemment, nous ferons tout ce que nous pourrons » a-t-il déclaré, alors qu’il se trouvait aux côtés du Secrétaire général des Nations Unies, Kofi Annan, à Londres.

« Cela montre bien que ces gens auxquels nous devons faire face n’hésitent pas à enlever quelqu’un comme elle. Nous ignorons de quel groupe il s’agit. »

Cependant, il ne faut pas oublier que M. Blair a donné son plein accord aux sanctions que Margaret jugeait inacceptables. Et, bien sûr, il a soutenu l’invasion de George Bush, qui a mené au chaos dans lequel a sombré l’Irak.

Depuis l’invasion, pas moins de 35 ressortissants étrangers en Irak ont été exécutés par leurs ravisseurs. Des Irakiens paraissant collaborer avec les forces d’occupation ou avec le gouvernement provisoire irakien ont également été victimes d’enlèvements. Cette semaine, deux entrepreneurs macédoniens qui avaient été enlevés, ont été décapités. Et, il y a deux semaines, l’entrepreneur britannique, Ken Bigley, a connu le même sort. Et maintenant, Margaret est tombée aux mains de ravisseurs. Margaret, qui, avant tout, est une humanitaire.

Je l’ai rencontrée pour la première fois lorsque The Independent a révélé l’utilisation par les Américains et les Britanniques de munitions d’uranium appauvri pendant la guerre du Golfe en 1991, ainsi que la vague de cancers et de leucémies dont les enfants irakiens ont été victimes au cours des années qui ont suivi. Les lecteurs de l’Independent avaient alors réuni 250 000 livres sterling pour les médicaments et Care - l’organisme pour lequel travaillait Margaret - s’est chargé de la distribution des vaccins parmi les hôpitaux irakiens. Margaret et sa collègue de Dublin, Judy Morgan¸ ont trouvé les camions nécessaires pour le transport de ces médicaments vitaux à travers l’Irak en vue de sauver les petites créatures dans les « pavillons de la mort » des services pour enfants.

J’ai vu Margaret gâter les camionneurs, implorer les hôpitaux, négocier avec les barons de l’air climatisé pour assurer la livraison de vincristine et autres fluides aux hôpitaux pour enfants sous la chaleur d’octobre.

Il y a maintenant trente ans que Margaret se consacre à l’Irak. Elle a commencé à travailler pour Care International peu après le début des opérations de cette organisation en 1991, à la fin de la guerre du Golfe. Elle dirige un personnel de 60 Irakiens qui veillent à l’exécution de programmes d’assistance alimentaire et sanitaire, et pour l’approvisionnement en eau à travers tout le pays. Elle est mariée à un Irakien et, bien que née en Irlande, elle a la double nationalité britannique et irakienne.

« Elle se considère comme une ressortissante irakienne », disait hier Amber Meikle, porte-parole de Care International. « Nous voulons souligner qu’elle se voit comme une Irakienne et qu’elle est chez elle en Irak. Elle vit ici depuis de nombreuses années et n’envisagerait jamais de retourner en Grande-Bretagne. »

Margaret est une femme très motivée, telle que je me la rappelle si bien. Chaque semaine, chaque jour, chaque heure, les indices d’une tragédie humaine à grande échelle - désastre provoqué par les sanctions des Nations Unies auquel ils ne pouvaient apporter aucun soulagement ou alors si petit - s’amoncelaient sur les bureaux de Care dans un immeuble crasseux de Bagdad.

Hier, j’ai repris un vieux bloc-notes bleu et y ai trouvé une interview de Margaret, datée du 5 octobre 1998. Dans la marge, j’avais écrit à son sujet : « Elle ne crie pas lorsqu’elle parle, mais son indignation - proférée sur fond de sifflement du climatiseur de son bureau - vous atteint comme un cri de colère et de frustration de quelqu’un qui est fatigué d’entendre toutes ces platitudes. »

C’étaient de sombres jours, mais la tragédie se poursuit encore pour son pays d’adoption. « C’est un désastre provoqué par l’homme », me disait-elle en tappant de sa main droite la paume de sa main gauche. « Oui, certaines personnes ont bénéficié de ce que nous avons fait. Mais nous ne pouvons résoudre le problème de l’Irak. Le pays n’a plus d’économie et nous ne pouvons pas pallier cela par de l’aide humanitaire. »

Margaret venait d’attraper un épais dossier sur son bureau, toujours en 1998. « À quoi pouvons-nous donc servir ici ? » se demandait-elle. « Si nous étions dans un pays du Tiers-Monde, nous pourrions faire livrer des pompes à eau pour quelques centaines de livres et ainsi sauver des milliers de vies. Mais l’Irak n’était pas un pays du Tiers-Monde avant cette guerre [de 1991] et on ne peut gérer un pays industrialisé par le recours à l’aide. Dans ce pays, les médecins sont excellents - un grand nombre d’entre eux ont été formés en Europe, de même qu’en Irak - mais, à cause des sanctions, ils n’ont pas eu accès à une revue médicale depuis huit ans. »

Margaret soupçonnait les Occidentaux d’avoir, en quelque sorte, divorcé des Irakiens au cours des 13 années de sanctions imposées par les Nations Unies.

« Je ne crois pas que nous les considérons comme des êtres humains », me disait-elle. « Lorsque vous voyez une personne souffrir, et si vous avez une parcelle d’humanité en vous, vous ne pouvez que faire quelque chose à cela. Les sanctions sont inhumaines et ce que nous faisons ne peut compenser cette inhumanité. Elles sont contraires à la charte des Nations Unies qui consacre les droits de la personne. C’est une contradiction, une hypocrisie, c’est Dr Jekyll et Mr Hyde. »

A certains moments, elle-même semblait presque abattue. Je me souviens qu’un après-midi, après avoir fait parvenir nos médicaments aux bébés cancéreux de Bagdad, des enfants condamnés, Margaret semblait écrasée.

« Ici, les gens souffrent vraiment, vraiment », disait-elle. « Sait-on ce que peut ressentir une mère¸ qui, chaque matin au réveil, ne sait pas comment faire pour nourrir ses enfants ? »

Avant la guerre déclenchée pour déloger Saddam Hussein, Margaret était une des nombreuses personnes qui avaient mis le gouvernement britannique en garde contre une invasion et une occupation qui allaient se traduire par une crise humanitaire dans un pays déjà gravement affaibli par les embargos.

Il est de la dernière ironie de voir qu’une femme assez brave, assez bonne et suffisamment intègre pour s’opposer aux scandaleuses sanctions que nous avons choisi d’infliger aux Irakiens, soit à présent l’otage de ravisseurs à Bagdad.

S’il a jamais été une véritable amie des Irakiens, c’est bien Margaret Hassan. Brave, franche et résolue, c’est une héroïne. Ses geôliers devraient se sentir honorés de pouvoir parler à une dame d’une telle noblesse de coeur.

Kidnapped - The Heroine Who Offered Hope for Iraq, by Robert Fisk

Traduction bénévole du rezo des Humains Associés

http://paxhumana.info/article.php3?id_article=492