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Financer l’assistance médicale aux personnes âgées "Medicare" sous la prochaine administration américaine

Publie le mardi 2 novembre 2004 par Open-Publishing


Département de Politique de Santé, Ecole de Médecine d’Harvard ; et Département
de Politique de Santé et de Management, Ecole de santé Publique d’Harvard - Boston
 ; Ecole d’Administration Kennedy, Université Harvard, Cambridge, Massachusetts.
New England Journal of Medicine ; 351 (17) : 1714-1716


de Joseph P. Newhouse, Ph.D.

Vu son importance et son impact politique, Medicare fera partie des priorités dans le calendrier de politique intérieure du prochain gouvernement quel qu’il soit. Lorsque celui-ci prendra ses fonctions en janvier 2005, Medicare représentera plus de 13 % des dépenses fédérales totales ; toujours en matière de politique intérieure, seule la Sécurité Sociale représentera une part plus importante (21 %). D’ici à l’année fiscale 2007, avec l’introduction progressive du remboursement des prescriptions de médicaments, Medicare verra sa part augmenter de 16 % parmi les dépenses fédérales. Bref, la nouvelle administration sera limitée dans le développement de nouveaux projets à cause des besoins gargantuesques de Medicare.

Au cours de l’année 2005, Medicare dépensera en moyenne presque 8000$ pour chacun des 41 millions de bénéficiaires. Il n’est donc pas surprenant que le vote de ces bénéficiaires et de leurs enfants en soit influencé. Les Américains de 60 ans et plus qui votèrent aux élections présidentielles de 1996 avaient placé Medicare et la Sécurité Sociale en tête de leurs préoccupations ; 29 % des électeurs de cette catégorie d’âge le mettaient en première position, contre seulement 8 % chez les électeurs de moins de 30 ans. Il y a de plus une hausse disproportionnée des électeurs parmi les personnes âgées : 70 % des Américains de 65 ans et plus ont voté en 2000, contre 36 % dans la tranche 18 – 24 ans, et 51 % entre 25 et 34 ans.

Pourtant, outre le sujet du remboursement des médicaments, ni le Président Georges W. Bush, ni le Sénateur John F. Kerry n’ont beaucoup attiré l’attention sur Medicare pendant la campagne présidentielle au cours du mois de septembre. L’administration à venir aura néanmoins à faire face aux problèmes réels et budgétaires que Medicare posera, et qui finiront par passer au premier plan. La question essentielle est de savoir comment et combien payer les pourvoyeurs de produits et de services médicaux, ainsi que définir le rôle des assurances privées dans le fonctionnement de Medicare. Les problèmes de financement se posent à la fois à court et à long terme. Les solutions correspondantes détermineront comment le coût de Medicare sera distribué entre personnes âgées et plus jeunes, et entre les différentes catégories de revenus au sein des seniors.

Bien que rien n’indique qu’un prochain gouvernement ait l’intention de régler le problème du financement à long terme, il devra s’attaquer au court terme. Le Bureau du Budget au Congrès Congressional Budget Office) estime que le déficit en 2005 sera de 348 milliards de dollars, c’est à dire 2,8 % du PIB (Gross Domestic Product, GDP) – un chiffre élevé par rapport aux standards de référence historiques, lors d’une année au cours de laquelle le pays n’est pas en phase de récession. Bush et Kerry ont tous les deux déclaré qu’ils souhaiteraient réduire ce chiffre de moitié d’ici à 2009. Lorsqu’ils seront directement confrontés au problème du déficit, ils auront à faire face non seulement à la proportion importante du budget actuel, mais également à l’augmentation prévue des dépenses fédérales consacrées à Medicare (voir tableau). En voyant ces chiffres, il est difficile d’imaginer un moyen de réduire le déficit sans conséquences sur Medicare.

Le tableau est encore plus sombre qu’il n’y paraît, car les chiffres présentés sont des estimations calculées en fonction de la loi actuelle, qui prévoit la baisse annuelle de 5 % des honoraires des médecins à partir de 2006. Il est peu probable que cette diminution devienne effective car elle mettrait en danger à terme l’accès au soin pour les bénéficiaires de Medicare. Par ailleurs, faire une coupe dans le financement du programme de remboursement des médicaments est impensable ; de fait, il y a déjà une pression politique substantielle pour l’augmenter.

Bien qu’aucun des candidats n’ait proposé de plan de financement de Medicare, on peut émettre quelques hypothèses à propos des stratégies qu’ils pourraient utiliser en se basant sur le type de mesures qui ont été traditionnellement choisies par les Démocrates et les Républicains au Congrès. Kerry pourrait s’en prendre aux versements destinés aux plans de santé privés – le programme appelé « Medicare Advantage ». La Déclaration de Modernisation de Medicare (Medicare Modernization Act) de 2003 augmentait le montant de ces versements afin d’inciter une plus grande participation des plans de santé au système Medicare, et la réponse a été favorable.

Le Bureau du Budget au Congrès estime cependant que les versements les plus élevés devraient représenter seulement 14 milliards de dollars sur 10 ans, une proportion modeste des 395 milliards d’augmentation des dépenses de Medicare. Kerry pourrait également chercher à faire payer davantage les bénéficiaires aux revenus les plus élevés. La Déclaration de Modernisation de Medicare allait déjà dans ce sens en réduisant l’aide aux cotisations de catégorie B que les personnes âgées aux revenus les plus élevés percevaient* ; l’aide aux cotisations de catégorie D (médicaments) pourrait de même être réduite à l’avenir.

Ce que Bush ferait pour réduire les dépenses liées à Medicare est moins clair. Il est possible que lui aussi chercherait à faire prendre en charge plus de dépenses par les bénéficiaires aux revenus les plus élevés, mais il ne réduirait certainement pas le montant des versements aux plans de santé privés, car il est extrêmement favorable à une plus grande implication de leur part dans Medicare.

A long terme, lorsque les baby-boomers atteindront 65 ans, la Sécurité Sociale et Medicare, ainsi que le quart du programme Medicaid qui finance les soins de longue durée, réclameront une participation considérablement plus importante des dépenses publiques que celle d’aujourd’hui. Estimer de combien cette part devra augmenter reste très spéculatif ; cela dépend en grande partie de la rapidité avec laquelle les dépenses de santé par bénéficiaire augmenteront.

Les prévisions des gestionnaires financiers du programme Medicare estiment qu’entre aujourd’hui et le milieu des années 2020, la dépense annuelle par bénéficiaire concernant les catégories A et B (c’est à dire sans le remboursement des médicaments) aura un taux d’augmentation d’1,1 % plus élevé que le PIB. Ces financiers n’expliquent pas comment ils arrivent à de tels chiffres, mais les références historiques suggèrent que ces prévisions sont plutôt optimistes : depuis 1960, le taux d’augmentation annuelle des dépenses de santé a dépassé la croissance du PIB de 2,7 %.

Et l’augmentation de Medicare doit raisonnablement rester en rapport avec le coût total de la santé, sinon les médecins pourraient devenir réticents à traiter les patients pris en charge par Medicare. Le graphique illustre la prise en charge par Medicare et par les autres prestataires des dépenses par personne pour les soins hospitaliers et les fournisseurs de services médicaux ; entre 1975 et 2002, les dépenses de Medicare ont augmenté légèrement plus vite que le reste des dépenses de santé, bien que leurs taux d’augmentation respectifs soient restés presque identiques depuis 1995.

Le fait que le taux de croissance des dépenses de santé dépasse celui du PIB n’est pas un fait propre aux Etats-Unis ; l’histoire est similaire même dans les pays appliquant un système de santé à prestataire unique. Parmi les cinq pays du G7 autres que les Etats-Unis dont les chiffres sont disponibles (Canada, France, Allemagne, Japon, et Royaume Uni), le dépassement moyen des dépenses de santé par rapport au taux de croissance du PIB a été de 2,0 % par an entre 1960 et 2002.

Même si les dépenses par bénéficiaire n’augmentent que de 1,1 % plus vite que le PIB, environ 3 % du PIB seront toujours dévolus à Medicare en 2025, et des investissements supplémentaires seront à faire pour la Sécurité Sociale et les prestations de soins de longue durée du Medicaid. Si l’on suppose que les autres dépenses fédérales augmentent au même taux que le PIB et qu’il n’y ait pas de hausse du déficit, le coût de Medicare impliquerait une augmentation de 15 % des revenus d’impôts fédéraux.

L’expansion apparemment sans résistance des dépenses médicales et de la démographie finira par se heurter à la réticence historique des électeurs américains à accorder beaucoup plus que 18 % du PIB aux dépenses fédérales. Depuis 1946, ce chiffre de 18 % est resté remarquablement stable, passant sous les 16 % au cours de 2 années et au-delà de 20 % pendant une année seulement sur toute la période.

Une attitude, bien sûr, est celle d’ignorer ce plafond et de considérer qu’une société en voie de vieillissement aura la volonté d’accorder une part plus importante de son argent pour assurer les retraites et la santé des plus âgés. Mais le financement de Medicare et de la Sécurité Sociale repose sur une composante substantielle des prélèvements sur salaire, charge qui repose en fait sur les actifs plus jeunes. Bien que beaucoup de ces salariés aient des parents âgés et anticipent eux-mêmes leur propre accession à ces prestations, il n’est pas certain qu’un tel transfert de ressources des plus jeunes vers les plus âgés trouve un soutien politique.

Le Sénateur défunt Daniel P. Moynihan (D-N.Y.) a donné à la Sécurité Sociale son surnom célèbre de troisième rail de la politique américaine. Depuis cette déclaration, les sommes dépensées pour la Sécurité Sociale et Medicare ont augmenté, donnant à ce « rail » une importance considérable. En conséquence, une grande habileté politique est nécessaire pour s’attaquer au problème du financement à long terme, ce qui rendra le prochain gouvernement très sensible à la tentation de laisser le règlement du dossier à ses successeurs. Malheureusement, reporter l’échéance ne fera qu’aggraver le problème pour les prochaines administrations et les citoyens imposables.

Les travaux du Dr Newhouse sont utilisés par l’équipe de direction et « holding equity » (maintenir l’égalité) de la compagnie d’assurance AETNA

Note du traducteur :
Les catégories A, B, C, et D font référence aux types de prestations médicales : soins, médicaments, etc...

Traduit par Valerie de Bellaciao