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Quand Sarkozy joue au cinéphile

Publie le jeudi 7 octobre 2010 par Open-Publishing
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Par Didier PÉRON (libé.fr)

Nicolas Sarkozy a présenté mardi à Savigny-sur-Orge son projet de plateforme web « ciné-lycée » qui mettra gratuitement à disposition des élèves plusieurs dizaines de classiques du cinéma. Là-bas, notre hyper-président a jeté son dévolu sur un malheureux lycéen à barbichette pour échanger quelques vues profondes sur le cinéma mondial dans ce qu’il a de plus violemment auteuriste.

On apprend ainsi que le cinéma italien est un « super cinéma », liste de chefs-d’oeuvre à la clef : « Ecoute ! Rocco et ses frères, la Strada, le Jardin des Finzi Contini, Voyage à Rome... » (allusion probable au Voyage en Italie de Roberto Rosselini ; peut-être confondu avec Rome ville ouverte du même).

Sarkozy déclare qu’il aime beaucoup Théorème de Pasolini, film de 1968 dans lequel Terrence Stamp joue un homme à la beauté diabolique qui se met à coucher avec tous les membres d’une riche famille milanaise. Alors là, on tombe de sa chaise, Sarko, l’homme de la droite décomplexée et défenseur du bouclier fiscal, fan de ce brûlot antibourgeois tourné par un pédé lecteur de Gramsci qui avait vu venir de très loin l’abominable décadence de la société italo-berlusconienne ? Il dit quand même après, comme s’il avait fait une bourde, « c’est le maximum pour moi » dans le genre « Nouvelle Vague » (??? Théorème, Nouvelle Vague, heu, t’es sûr ?). On a eu peur. « J’aime mieux Visconti. »

Le jeune garçon, subitement à l’aise, se met à bombarder Sarko de références au cinéma soviétique : Dziga Vertov, Serguei Eisenstein. Le président ne relève pas, soit qu’il ne soit pas encore arrivé à ce rayon de la dvdthèque de Carla, soit qu’il juge inapproprié de faire de la pub à ces avant-gardistes révolutionnaires et se met à le questionner sur quelques puritains détraqués du Nord, entre le Danois Dreyer (« tu aimes ? C’est magnifique ») et le Suédois Bergman (« Cris et chuchotement, c’est magnifique mais c’est lourd, hein ? » ; une agonie au cancer, une femme qui se taille le vagin avec des tessons de bouteilles, zéro cascades, des décors tout rouges).

L’étudiant dit « Au revoir » mais Sarkozy ne veut pas le lâcher et annonce en guise d’infos finales : « Je vois à peu près une centaine de films par an. » Cent ? Mais il ne dort jamais ou quoi ? Récemment, il a envoyé une lettre de félicitation à Xavier Beauvois pour Des hommes et des dieux.

On imagine qu’il soit tombé sur un interlocuteur plus coriace et désinvolte : « Vous savez ce que Pasolini écrivait ? “La société préconsumériste avait besoin d’hommes forts, donc chastes. La société de consommation a besoin au contraire d’hommes faibles, donc luxurieux.” Qu’en pensez-vous ? » ou encore « “On naît sans but, on vit sans comprendre, et l’on meurt anéanti”, disait Bergman, vous y pensez le matin en vous rasant ? » S’il est à cours de trucs à voir le soir, on peut lui refiler dans le genre « lourd, hein ? », une intégrale des Straub, les film du hongrois Bela Tarr (Satan Tango, 9h30 sans entracte), une rétro Tarkovski en russe non sous-titré... C’est magnifique...

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