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Des juges saluent la mémoire d’un ancien condamné à mort

Publie le lundi 29 novembre 2010 par Open-Publishing

Le 25 novembre 1910, suite à une machination patronale, l’anarcho-syndicaliste havrais Jules Durand était condamné à mort par la cour d’assises de Seine-Inférieure. Ce week-end, à Paris, le congrès annuel du Syndicat de la Magistrature a rendu hommage à ce « Dreyfus ouvrier ».

Une cérémonie sans précédent s’est déroulée au Havre le 25 novembre. Réuni-e-s dans le cimetière Sainte-Marie autour du monument Jules Durand, des militant-e-s syndicaux (CGT, Solidaires), des élu-e-s de l’opposition municipale, des membres d’associations humanistes (LDH, AI) voulaient marquer le centenaire du verdict odieux qui avait condamné Jules Durand à avoir la tête tranchée sur une place publique de Rouen. Christiane Delpech, la petite fille de l’anarcho-syndicaliste, était présente pour dire l’effroi qui avait durablement accablé la famille Durand.

Anéanti par l’injustice, l’ex-secrétaire du syndicat des charbonniers sombra dans la folie. Jules Durand décéda le 20 février 1926 dans l’asile d’aliénés de Quatre-Mares, près de Rouen. Entre temps, la peine capitale avait été commuée en sept ans de réclusion - ce qui n’était pas moins scandaleux - et Durand fut finalement reconnu innocent par la cour de cassation en juin 1918. Sa famille ne fut jamais indemnisée pour l’insondable préjudice. Aucune poursuite pénale ne fut engagée contre les auteurs des faux témoignages ni contre les personnes à l’origine de la subordination de témoins.

Parmi les gerbes déposées la semaine dernière, juste avant la chute des premiers flocons de neige, une portait un ruban « Magistrats et avocats du Havre ». C’était la première fois que des représentants des professions judiciaires s’associaient à une telle cérémonie. Patrick Ben Bouali, bâtonnier de l’ordre des avocats du Havre, et Marc Hédrich, juge d’instruction membre du Syndicat de la Magistrature, ont pris la parole pour combattre l’oubli qui entoure une affaire pourtant si singulière pour ne pas dire unique. « Il est grandement temps de rendre à cet innocent, condamné au nom du peuple français, l’hommage solennel qui lui est dû », expliqua le magistrat, ex-inspecteur du travail qui fut pendant plusieurs années le président de la section havraise de la Ligue des droits de l’homme, l’une des premières organisations qui défendit Jules Durand et ses camarades. N’oublions pas que trois autres ouvriers charbonniers furent condamnés aux travaux forcés dans la même affaire. Lefrançois, le seul survivant, revint libre au Havre en 1924 grâce à l’aide matérielle de la LDH. Mathieu est mort sur l’île de Ré avant son transfert en Guyane. Couillandre n’a pas supporté longtemps les tortures du bagne.

Marc Hédrich (qui, ironie de l’histoire, occupe sans doute le bureau du juge qui inculpa Jules Durand en septembre 1910 pour « complicité morale d’assassinat ») était à Paris ce week-end pour présenter une motion au 44ème congrès du Syndicat de la Magistrature. Intitulé Hommage à Jules Durand, le texte adopté dénonce le « fiasco judiciaire » qui suivit la machination patronale dont le but était de briser un syndicat trop virulent dans sa lutte contre l’extension du machinisme, contre la vie chère, pour l’augmentation des salaires et le paiement des heures supplémentaires.

Appréciée par les organisations syndicales ouvrières, l’action de Marc Hédrich fait grincer quelques dents dans les couloirs du palais de justice du Havre. Le Syndicat de la Magistrature souhaite en effet que la nouvelle salle d’audience du conseil de prud’hommes porte le nom de Jules Durand. La hiérarchie judiciaire s’oppose à l’avis majoritaire qui s’exprime chez les magistrats havrais. Pour couper court à toute polémique, la salle s’appelle désormais… la salle A !

Comme le laisse entendre la conclusion de la motion, l’ombre du syndicaliste révolutionnaire n’a pas fini de hanter l’actualité. « Le Syndicat de la Magistrature, réuni en congrès, tient à rendre hommage à Jules Durand, victime de l’une des plus grandes erreurs judiciaire du XXème siècle, et à saluer la justesse de son combat pour la dignité humaine, le respect du droit syndical et la défense de la classe ouvrière. Consternée une nouvelle fois par la pusillanimité et le conservatisme de certains hiérarques, le Syndicat de la Magistrature s’engage à soutenir les initiatives nationales et locales visant à perpétuer la mémoire de ce « Dreyfus ouvrier ». »

Il a fallu attendre 1977 pour que le gouverneur du Massachusetts réhabilite les militants anarchistes Nicola Sacco et Bartolomeo Vanzetti, victimes également d’une tragique machination et assassinés sur la chaise électrique en août 1927 aux États-Unis. Même quand l’avocat de Jules Durand, René Coty, devint président de la République française, aucune cérémonie n’a jamais reconnu officiellement la responsabilité criminelle d’une expéditive justice de classe aux ordres des puissants. « À quand l’évocation de l’affaire Durand dans les livres d’histoire ? À quand une cérémonie officielle organisée par les autorités politiques et judiciaires de ce pays ? », questionne Marc Hédrich.

Plus d’infos sur le Syndicat de la Magistrature en allant sur le site.

Par les temps que nous vivons, il n’est pas inutile non plus de télécharger Le Guide du manifestant arrêté rédigé par le Syndicat de la Magistrature.

Photo : Marc Hédrich (au centre) en conversation avec Christiane Delpech, la petite fille de Jules Durand, le 25 novembre près de la tombe du syndicaliste.

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