Accueil > De la générosité populaire et de l’escroquerie gouvernementale

De la générosité populaire et de l’escroquerie gouvernementale

Publie le samedi 4 décembre 2010 par Open-Publishing

André Wurmser brocarde dans sa chronique quotidienne de l’Huma (Mais...) l’hypocrisie d’une opération médiatique destinée à financer la recherche médicale par la générosité publique. On ne croirait pas cette chronique écrite il y a 40 ans. En gras italique : légendes sous les photos

De la générosité populaire et de l’escroquerie gouvernementale

Article d’André Wurmser dans l’Humanité publié le 17 mars 1970

Il est d’utilité publique de revenir sur la manœuvre qui rassembla de braves gens dans leurs mairies – mairies arbitrairement et par force placées (sans que les élus de la municipalité ni ceux de la nation aient été consultés) aux ordres d’un office « indépendant », et pourquoi ? Afin que ne soient pas prélevés trois milliards d’impôts sur les profits des trusts de produits pharmaceutiques ! Contrecarrer sur-le-champ un tel subterfuge est impossible : à supposer que nous puissions nous faire entendre, le peu que nous dirions serait interprété par les tendeurs de sébile comme « Au diable, la recherche médicale ! », ce qui n’est évidemment pas notre pensée. C’est donc à froid qu’il faut exposer le mécanisme de l’opération.

Pendant les 2 jours du Téléthon, Sanofi Aventis aura engrangé près de 40 millions d’euros de bénéfice.

Observons d’abord qu’elle se fait au profit de l’Etat, à qui incombent si bien les dépenses nécessaires à la Santé publique qu’elles figurent au budget du ministère ainsi nommé. Or cet Etat dépense par an et par habitant 85 francs prégaullistes pour la recherche médicale, l’Etat suédois 255 francs, le britannique 265. Tripler les crédits rapporterait à la recherche médicale française cinq fois plus chaque année qu’une seule fois la quête nationale. Mais justement, une fois fixés les chiffres d’un budget où surabondent les milliards gaspillés qui auraient largement suffi à subventionner la Recherche médicale, l’opération consiste à substituer les dons des Français les plus généreux -et ce sont les moins fortunés, à des impôts qui, pour injuste que soit notre fiscalité, coûteraient tout de même davantage aux grandes compagnies et rien, où beaucoup moins que leur actions-vie, aux contribuables les plus modestes.

T’as pas cent balle pour la misère ?

D’autre part, le pouvoir veut habituer les Français à tenir pour naturel que le fonctionnement de la nation -Santé publique, Recherche médicale ou scientifique, Université, téléphone, autoroutes...- soit assuré non par l’État (« A bas l’étatisme ! »), mais par des particuliers. En dernière analyse, c’est donc pour préserver les profits des trusts que le gouvernement escroque les téléspectateurs, à l’esbroufe – car la prétendue recherche d’un effet de surprise a pour fin réelle de ne pas laisser aux gens le temps de s’informer, ni même de réfléchir.

Dieu que la guerre humanitaire est jolie !

Prenons par exemple le premier tapage à grand tapage. Le prétexte en fut le peuple laotien ; qui ne souhaitait pas lui manifester sa solidarité ? Seulement, aujourd’hui, chacun sait ce que le gouvernement le laissait alors ignorer : qu’une partie du Laos était soumise à l’influence américaine, l’autre aux bombardements américains. À quels Laotiens les milliards raflés par l’O.R.T.F. sont-ils allés ? À qui le riz fut-il acheté ? À quel prix ? Mais allez donc conseiller aux braves gens de n’écouter leur coeur qu’une fois les réponses fournies à des questions raisonnables ! C’est justement en quoi consiste l’escroquerie : elle abuse de l’ignorance des généreux.

Celui qui tend la main et force la main est ce ministre qui reconnut : « La recherche médicale subira, elle aussi, bien sûr, le contre-coup du freinage que le gouvernement a dû décider. » A dû, puisqu’il était décidé à ne pas faire payer les profiteurs de la recherche médicale. Ce ministre est, par sa fonction, responsable du fait que la France occupe, pour la densité médicale, le dix-neuvième rang dans le monde, qu’elle dispose de moitié moins de médecins que l’U.R.S.S., d’un tiers de médecins de moins que l’Allemagne fédérale, de 20% de moins que les U.S.A., du fait aussi qu’en 1970 la Recherche médicale ne pourra recruter AUCUN nouveau chercheur, dans AUCUNE discipline. Mais le plus grave est que ces chiffres et ces faits ne furent pas les seuls que le ministre cacha : son émission se garda de toute allusion aux profits que l’opération avait pour but d’épargner !

L’audiovisuel public au service du charity business

Je ne m’étonne pas que tant de Français aient répondu à l’appel de l’O.R.T.F. : je connais leur cœur. Je ne m’étonne pas non plus que d’éminents savants les en aient remerciés : il leur appartient d’employer les crédits, non d’en déterminer la source. Et je m’étonne moins encore bien sûr, du silence goguenard des ingrats bénéficiaires de la générosité populaire : Rhône Poulenc, les laboratoires Roussel et leurs rares pareils.

17 mars 1970

"Je te promets pas le grand soir." Pédagogie du renoncement

Le scandale avait de tout autres dimensions que je ne l’imaginais. Il devait être par la suite révélé que ces pathétiques appels avaient été fructueux pour l’entreprise commerciale chargée de l’opération, pour beaucoup de voix tremblotantes d’émotion, pour l’Etat lui-même qui, pour comble, prélevait sa dîme sur le « chiffre d’Affaire ».
(commentaire d’André Wurmser en 1974 lors de la publication de "150 nouveaux MAIS...")