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Julian Quichotte ou Wikileaks attaque l’Empire

Publie le dimanche 12 décembre 2010 par Open-Publishing

de Eric Walberg

paru dans CounterPunch, le 8 décembre 2010

Le président des Etats-Unis, Woodrow Wilson, préconisait la "diplomatie ouverte" – en tête de liste de ses 14 propositions en 1918 – afin que, disait-il, " la diplomatie s’exerce toujours franchement et au vu et au su de tous".
Il approuverait sans doute les tentatives de diplomatie ouverte de Wikileaks, même si la secrétaire d’état actuelle, Hillary Clinton, les a qualifiées d’"attaque contre les intérêts de la politique américaine", voire de la "communauté internationale", sans préciser, toutefois, quels membres spécifiques de cette communauté en ont été les victimes, ou de quoi, ils avaient été victimes.
Le 7 décembre, la bête noire de l’Empire US s’est rendu de lui-même à la police et risque de passer en jugement et d’être extradé en Suède, sans doute d’ici à la fin de l’année, accusé de "viol, de coercition illégale et de "deux chefs d’accusation pour agression sexuelle", qui auraient été commis en août 2010. Ces affaires forgées de toutes pièces concernent des rapports sexuels consentis, l’un étant un piège de toute évidence tendu par une taupe de la CIA et l’autre venant d’une groupie éconduite du genre Monica Lewinski.
Assange est carrément passé dans la légende au bout d’un an de révélations, en particulier une vidéo diffusée en avril prise en 2007 en Irak depuis un hélicoptère qui montre des GIs qui abattent 12 Irakiens innocents. Dès juillet, il a publié 500.000 documents de l’armée US sur les guerres en Iraq et en Afghanistan. La goutte d’eau qui a fait déborder le vase, c’est le lot de 250.000 dépêches diplomatiques US (écrites entre 1966 et 2009) en novembre dernier, et qui révèlent un milieu de la diplomatie US agissant de plus en plus comme une branche de la CIA, et le cynisme à la fois des pays occidentaux et des pays arabes impatients de détruire l’Iran.
Ces révélations ont largement été saluées dans le monde entier comme étant un coup porté aux activités criminelles des Etats-Unis, par des tas de gens, parmi lesquels l’élu du Congrès US, *Ron Paul, et condamnées par les adorateurs de l’Empire comme l’ex-candidate à la vice-présidence, Sarah Palin, qui demandait qu’Assange soit poursuivi avec la même "détermination que pour les dirigeants d’Al-Qaeda et des Taliban".
Le Ministre des Affaires étrangères du Royaume Uni, Sir Malcolm Rifkind a déclaré que les actions de WikiLeaks revenaient à "aider activement les organisations terroristes", oubliant d’évoquer le propre passé de terrorisme du Royaume Uni partout dans le monde.

Assange, 39 ans, est australien, même si Julia Gillard, premier ministre australien, a menacé de le déchoir de sa nationalité. Il est décrit par des collègues de travail comme quelqu’un de charismatique, de motivé et d’une intelligence supérieure, possédant des dons exceptionnels pour le piratage informatique. Pour ses détracteurs, il n’est que quelqu’un qui cherche à se faire de la publicité et un coureur de jupons.
In 1995, il est accusé avec un ami d’avoir piraté des dizaines de sites et écope d’une amende, avec la promesse de bien se tenir dorénavant.
Il signe avec Suelette Dreyfus un livre, "Underground", qui évoque le côté subversif d’internet. Dreyfus décrit Assange comme quelqu’un de "passionné par les notions d’éthique et de justice, et sur ce que les gouvernements doivent et ne doivent pas faire".
Il lance Wikileaks en 2006 pour servir de "boite aux lettres mortes" des documents confidentiels que souhaiteraient divulguer des militaires – les véritables héros de cette saga, ces soldats inconnus écœurés du rôle de mercenaires qu’on leur fait jouer. Son collectif développe des tactiques de guérilla dans le style de Robin des Bois, déplaçant les communications et les gens d’un pays à l’autre pour s’appuyer sur les lois qui défendent la liberté d’expression. Daniel Schmitt, le co-fondateur de WL décrit Assange comme "une des rares personnes qui se soucie véritablement de promouvoir des réformes positives dans le monde actuel à un tel point qu’on est prêt à s’engager dans des actions radicales".
Wikileaks a dû, cette année, passer à un serveur dédié en Suisse après que plusieurs fournisseurs de services d’Internet ont fermé le site, sous prétexte qu’il mettait des vies en danger, alors qu’il avait bien spécifié qu’il s’appliquait à passer au crible les télégrammes de l’armée en provenance d’Afghanistan et d’Irak, justement pour éviter cela. Son site a également subi une attaque et Paypal (la société américaine de paiements par internet) a désactivé son compte (réactivé par la suite – NDT).
Il ne fait aucun doute que Gillard, le procureur suédois, PayPal, et les autres subissent tous des pressions de la part du gouvernement US pour qu’ils contribuent à supprimer ce rayon de lumière qui met à jour ses nombreux crimes. Seul le fournisseur de service internet OVH a annoncé qu’il n’avait pas l’intention de mettre fin à l’hébergement de Wikileaks, et un juge a rejeté la demande du ministre de l’industrie, Eric Besson, de les forcer à le faire.

Les hackers admirateurs de M. Quichotte ont créé des sites miroirs et lancent actuellement des attaques de déni de service contre ses ennemis d’internet.
Coldblood, membre du "computer group Anonymous" a expliqué à la BBC :

"les sites web qui s’inclinent devant les pressions du gouvernement sont devenus des cibles. Nous estimons que Wikileaks est, à l’heure actuelle, plus qu’une histoire de diffusion de documents secrets, c’est devenu un champ de bataille, le peuple contre l’Etat".

L’Homme de la Mancha a dû repousser plus d’une "centaine d’attaques légales", dont l’une a été commise par une banque suisse dont les activités illégales dans les paradis fiscaux ont ainsi été dévoilées. Cette affaire a été également déboutée par la justice et a obligé les banquiers à se bouger pour protéger leurs gains mal acquis.
Le spectacle continue. Le porte-parole de Wikileaks, Kristinn Hrafnsson, a déclaré que l’arrestation d’Assange était une agression contre la libre circulation des informations, puis a annoncé : "Wikileaks fonctionne. Nous poursuivons dans la même voie qu’auparavant. Assange – ou ses collègues toujours dans la nature – espère dispatcher un certain nombre de "chapitres indépendants dans le monde entier" et compte également servir d’intermédiaire entre ses sources et les journaux.
Bizarrement, il a été accusé à gauche d’être le laquais de la CIA ou d’Israël, or le premier cas n’est pas du tout vraisemblable. Il est vrai que le second s’en sort plutôt bien dans ce cloaque diplomatique.

Mais ce que révèlent les rares dépêches diplomatiques US données avec réticence concernant Israël, c’est la peur des diplomates US de dire quoi que ce soit de négatif à l’encontre d’Israël. Peut-être par peur d’être traités d’"antisémites" ou peut-être craignent-ils que leur courrier soit lu, comme de bien entendu, par le Mossad.
Une dépêche succincte de l’ambassade US à Bakou, en Azerbaïdjan, compare les relations entre Israéliens et Azéris à "un iceberg immergé aux 9/10ièmes. Une autre dépêche courtoise révèle que plusieurs gros bonnets du crime organisé qui avaient fait des demandes de visas pour assister à une "conférence sur la sécurité" à Las Vegas ne sont heureusement pas revenus quand on leur a demandé un extrait de leur casier judiciaire russe.
On peut établir une comparaison intéressante entre Assange et un autre à avoir divulgué des secrets militaires. Jonathan Pollard , le (seul) espion US-Israël qui purge actuellement une peine de prison à perpétuité depuis sa condamnation en 1987 pour avoir révélé des secrets militaires.
La grande différence, évidemment, c’est que Pollard n’a pas appliqué le principe de "diplomatie ouverte". S’il avait masqué les noms sensibles et exposé les secrets en pleine lumière comme Assange, il aurait pu avoir une influence bénéfique sur la politique mondiale. Au lieu de cela, il a revendu ces documents secrets à Israël et, ainsi, un nombre incalculable d’agents de la CIA ont perdu la vie en Union soviétique (c’est un peu plus complexe que ça, NDT).
Une autre comparaison intéressante, c’est avec le légendaire *Daniel Ellsberg, qui avait divulgué en 1971 les *Pentagon Papers (Papiers du Pentagone), et qui, comme Assange, s’était rendu aux autorités et avait fait face aux conséquences de ses actes, mais cela n’avait pas été bien terrible, finalement. Le juge avait rejeté toutes les accusations portées contre lui en 1973 et le New York Times l’encensait avec grandiloquence, en 1996, disant que les documents démontraient que "l’Administration Johnson avait menti systématiquement sur un sujet d’intérêt et d’importance nationales transcendants".

Ellsberg et Assange, qui ont suivi les conseils de Woodrow Wilson, sont des héros. Pollard, un véritable escroc, est vénéré aujourd’hui en Israël, où son 9000-ième jour de prison a été commémoré l’an dernier avec un spectacle son et lumières projeté sur les murs de la partie historique de Jérusalem. Le mois dernier, 39 élus du Congrès ont remis une pétition à Barack Obama pour demander sa grâce. L’été dernier, Netanyahu a eu le culot de proposer de prolonger le gel de la colonisation pendant quelques mois supplémentaires en échange de sa libération.
Assange connaîtra-t-il le sort de Pollard ou celui d’Ellsberg ? La machine militaire US était en pleine confusion en 1971 et Ellsberg lui a courageusement donné une bonne bourrade, ce qui avait contribué à faire revenir les troupes. Mais nous sommes en 2010. Les appels directs à libérer Pollard sont considérés comme allant de soi.
Les Hillary et les Sarah appellent à l’assassinat d’Assange pour avoir agi héroïquement, leurs semblables demandent la libération d’un traitre, responsable d’avoir trahi son pays et provoqué la mort d’un nombre incalculable d’agents US.
Les camps se forment, comme l’avait prédit Bush en 2001 avec son "soit vous êtes avec nous, soit vous êtes contre nous". Un Australien courageux, un juge français avec une éthique, un élu du congrès libertarien, un geek juvénile – les ennemis de l’empire sont très différents les uns des autres.

Eric Walberg écrit pour Al-Ahram Hebdo.

Liens utiles

  • "Ron" Paul est un homme politique américain, membre du Parti républicain.

Partisan du libertarianisme (plus précisément du paléo-libertarianisme) une doctrine politique qui prône la « non-agression » et qui place la liberté comme principe absolu de vie, il préconise un État fédéral au rôle limité, de faibles impôts, des marchés libres et une politique étrangère.
Il est parfois surnommé « Docteur Non » au Congrès parce qu’il vote contre toutes les lois qui selon lui violent la constitution américaine ou qui augmentent les impôts ou les revenus des membres de la Chambre des Représentants.

Note perso :

Voici, donc, une autre analyse de la question. Ou plutôt un survol.
Ce qui est intéressant ici, c’est d’une part, l’explication sur le manque de détails sur les échanges diplomatiques avec Israël – une explication fort vraisemblable, mais bien inquiétante par ce que cela implique ;
Et d’autre part, la ferveur, voire l’idolâtrie qu’il suscite parmi ses soutiens du monde entier et la haine de la part de ses détracteurs, défenseurs acharnés et aveugles de l’Empire.
Comme si les uns et les autres n’attendaient que lui pour sauver le capitalisme et faire cesser les dérives actuelles du système qui commencent à se voir.

Et pendant ce temps là … mais où est donc passé Assange ?
Difficile de ne pas le savoir : il est incarcéré depuis mardi dernier (7 dec.) à la prison de Wandsworth à Londres.
Depuis, il a été placé dans une cellule d’isolement "pour sa propre sécurité".
Il a demandé à disposer d’un ordinateur portable pour pouvoir préparer sa défense et répondre à ses détracteurs, car il a "des problèmes pour écrire".
Ben voyons.

Apparemment, ils accèderaient à ses désirs. Avec une connexion limitée à Internet.
Hum … Je dis ça, je dis rien, mais si on ne veut pas d’embrouilles avec ce genre de gars, un stylo et du papier seraient plus sûrs. Mais c’est eux qui voient.

Autre nouvelle : les anciens potes d’Assange semblent vouloir lui emboîter le pas et comptent créer un site concurrent, "Openleaks", dédié au stockage de documents confidentiels destinés aux professionnels de la presse.
Ca devrait payer.
Qu’ils fassent tout de même attention aux sirènes anticastristes suédoises.

La suite aux prochains épisodes …

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