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En Martinique grève chez Bricolage

Publie le vendredi 24 décembre 2010 par Open-Publishing
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C’est mi-novembre novembre que la grève a éclaté chez Mr Bricolage. L’auteur de ces lignes s’en est rendu compte un ou deux jours après le déclenchement du mouvement, en voulant acheter une planche. Une barricade de palettes et de pneus plantés des drapeaux rouges du syndicat CSTM, surmontée d’une large banderole, empêchait l’accès au magasin dont les rideaux métalliques avaient été tirés.

En discutant avec les grévistes, en voyant leurs fiches de paie rendus publique, en lisant les communiqués déjà diffusé, ainsi que le tract, on s’apercevait aisément de l’injustice dont était victime les salariés. Les conditions de salaires étaient en effet inacceptables. Ceux-ci s’échelonnaient entre moins de 900 euros et un peu plus de 1000 euros, mais après…11 d’ancienneté pour certains ! Certes, l’employeur n’accordait que des temps partiels, le plus souvent des ¾ temps mais la base première était donc celle d’un smic. Pas de NAO (1), aucune revalorisation des salaires.

Comment vivre ainsi dans une île où il est communément admis que la vie est 30% plus chère qu’en France, où le loyer minimum pour loger une famille de trois personnes est de 700 euros mensuels ?

L’entreprise appartient à des actionnaires dont le plus important est LGBH, c’est-à-dire Le Groupe Bernard Hayot (2). Son siège est situé justement dans un carrefour, à quelques dizaines de mètres, du magasin Mr bricolage, cerné par les grévistes.

Et Mr Bricolage tourne bien, permet d’engranger bénéfices et dividendes. 1,2 million d’euros de bénéfice en 2008. 1,5 million en 2009 … Des profits gagnés sur le dos de salariés souvent jeunes, sur diplômés, sans perspective de carrière ou de quelconque promotion.

A ces salariés qui demandent essentiellement 100 euros d’augmentation de salaire mensuels, la direction, qui a déjà organisé la défense de l’immeuble du siège de LGBH par l’emploi de vigiles payés 200 euros par jour, va répondre rapidement. 10 euros d’augmentation ! Et encore cela devrait se faire en deux étapes : une fois 5 euros et 5 euros six mois plus tard… Ce qui apparait clairement comme une provocation déclenche la colère et une plus grande détermination encore des jeunes salariés touchés dans leur dignité.

Le défi est relevé avec fougue et courage. Bientôt le supermarché Carrefour de Génipa, à Ducos, dont le propriétaire est Bernard Hayot, est l’objet d’un blocage. C’est l’hypermarché par excellence. Pour son édification on a détruit une partie de la mangrove, étalant à ses pieds un gigantesque parking macadamisé et bétonné. Camions barricades de palettes et de pneus, drapeaux rouges à lettres noires de la CSTM ne vont pas longtemps entraver les entrées de la grande surface. Une menace d’astreinte de 5000 euros par jour menace le syndicat. Les gardes mobiles interviennent de nuit vers 22 heures et enlèvent les barricades, chassent les piquets de manifestants.

Mais la section CSTM, la CSTM elle-même, avait-elle contacté préalablement les salariés ? Ceux de Carrefour bien sûr, mais aussi à une autre échelle les autres organisations syndicales ? Roger Lanoix, le leader de la CDMT, dans un premier temps, avait déploré d’emblée l’absence d’une stratégie unitaire, la concertation nécessaire avec tout le monde du travail et particulièrement avec les sections syndicales des entreprises que l’on cherche à bloquer. Il avait aussi évalué d’un œil défavorable la recherche d’une entremise de l’inspection du travail ou du Préfet. Cela ne permettrait-il pas à la partie patronale, intransigeante, refusant de véritables négociations, de « noyer le poisson » pour s’engager dans des palabres interminables ? Manière d’user les grévistes et de casser le mouvement.

14 décembre. Nouvelle action des grévistes et de leurs soutiens sur le pont de la Lézarde qui commande l’accès à la zone artisanale et commerciale du même nom. Les forces de l’ordre, ayant parait-il reçu des ordres « d’en haut », interviennent avec une brutalité inhabituelle. Elles attaquent aussi de la même façon, par surprise, avec des tirs de gaz lacrymogènes et des flash-balls, le piquet de grève de Mr Bricolage lui-même, constitué de 49 camarades, à quelques centaines de mètres du Pont de la Lézarde. Les tirs atteignent même les ouvriers de la SOMAREC, qui, eux, ne sont pas en grève. Certains doivent fuir à bord de leur voiture personnelle pour éviter les tirs et la charge qui s’avance.

De multiples blessés et sept interpellations. Nous irons chercher les interpelés le soir même à l’Hôtel de Police. Les responsables des forces de l’ordre ont fait état d’éléments « étrangers » aux grévistes. Il s’agit là bien évidemment d’un faux prétexte. Mais il est vrai que nombre de jeunes des cités ont rodé. E ux n’attendent que pour en découdre avec les forces de l’ordre. Une telle violence – qui est aussi un désir d’action dans l’immédiat - comprimée dans la jeunesse devrait néanmoins interpeler les syndicats se plaignant toujours de « l’indifférence » desdits jeunes.

Sur la radio nationaliste APAL, Alfred Marie-Jeanne, l’ex président du Conseil Régional aujourd’hui dans l’opposition, fait un communiqué où il déplore l’injustice dont sont l’objet nombre de jeunes dans notre pays.
21 décembre. La solidarité s’organise. On en est au 38e jour de grève, chiffre symbolique car ce fut là la durée du mouvement social de février-mars. L’intersyndicale et le K5F dont les militants, sur le terrain ont montré déjà leur solidarité, avait donc appelé à une manifestation devant Mr Bricolage ce mardi 21 décembre. Vers 8 heures du matin nous sommes plus d’une centaine. Tous les leaders syndicaux appellent à l’unité, indiquant que la grève de Mr Bricolage est un test pour les patrons. La presse – France Antilles – ment. Elle a relayé les allégations mensongères du représentant du groupe Brernard Hayot affirmant que les salariés avaient été augmentés de 30% et qu’ils gagnaient à présent quelques 1300 euros ! France-Antilles n’a pas seulement reproduit les propos du dirigeant, mais a pris soin de répéter ses propos mensongers en grosses lettres en fin d’article, comme s’il s’agissait d’une vérité. C’est bien ce qui est alors dénoncé.
Nous nous dirigeons ensuite vers la Direction Départementale du Travail où se déroule des négociations.

Entretemps le camp Hayot n’a pas bougé d’un iota. La délégation salariée n’a-t-elle pas, à un moment donné, quitté la table de « négociations » un peu trop vite ? C’est la remarque que leur fait leur propre avocat. Roger Lanoix pense qu’on aurait pu diversifier les revendications et mettre la partie patronale au pied du mur par un feu roulant de propositions.

Les grévistes ont baissé leurs exigences, ramenant leur revendication salariales à 70 euros (en deux fois : 40 puis 30 euros…). Après avoir cru percevoir en Serge Letchimy, Président du Conseil, un acteur de médiation, ce sont finalement deux médiateurs qui sont entré en scène dès le 20 décembre. Les pourparlers dans les jours qui suivirent durèrent jusque dans la nuit. Le 23, dans la journée, un protocole d’accord de fin de conflit est finalement signé.

La partie patronale aura soufflé le chaud et le froid jusqu’au bout, obligeant un moment Bertrand Cambuisy, le leader de la CSTM a lancer un appel par téléphone au K5F. C’est sans doute aussi cette menace qui a fait reculer le camp Hayot. Les salariés obtiennent une revalorisation salariale de 35 euros ainsi qu’une augmentation de 6 euros pour la prime de transport. Après 40 jours de grève les acquis peuvent sembler maigres. Mais les grévistes obtenant des avancées, peuvent repartir au travail avec le sentiment justifié d’une victoire. Roger Lanoix (CDMT) étranger au conflit, suggérait, compte tenu du manque d’appui populaire suffisant, de prendre ce qu’on pouvait afin d’éviter la défaite. Car la solidarité des autres secteurs a manqué. On a en effet le souvenir de la menace d’intervention de syndicats étrangers à certains secteurs d’activités en grève, comme ceux des dockers, qui, dans le passé avaient vite fait plier les patrons. Cette solidarité, il est vrai ne se décréte pas d’un coup de baguette magique et il faudra y travailler aussi sur le terrain, quotidiennement, à la base, avec les gens ordinaires, pour qu’elle puisse renaître.

C’est elle seule qui est le gage de nos victoires futures.

(1) Négociations Annuelles que toute entreprise doit normalement engager.

(2) Hayot est le nom d’une famille béké possédant une grande partie de l’économie de la Martinique. Bernard Hayot , patron d’esprit rétrograde, est une des personnalités parmi les plus riches de France. Ses intérêts sont souvent à l’étranger et son influence au sein des commissions de L’Union Européenne est certaine.

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