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Maxime Brunerie est condamné à dix ans de réclusion

Publie le samedi 11 décembre 2004 par Open-Publishing

de Pascale Robert-Diard

L’avocat général n’avait requis que six à huit ans de prison contre le jeune homme qui avait tenté d’assassiner le président de la République le 14 juillet 2002, demandant aux jurés de "comprendre" l’accusé et invoquant son évolution "favorable".

Il n’y a eu qu’une seule vraie plaidoirie en faveur de Maxime Brunerie, qui a tiré sur le président de la République lors des cérémonies du 14 juillet 2002, et elle est venue, vendredi 10 décembre, de l’avocat général Philippe Bilger. Depuis le premier jour de ce procès, on l’avait vu témoigner un intérêt profond pour cet accusé, auquel il n’a cessé de tendre des clés pour l’inciter à s’ouvrir un peu et à offrir à la cour autre chose que ce visage morne, ces réponses trop courtes et ce regard éteint.

Peut-être M. Bilger en a-t-il attendu plus que Maxime Brunerie ne pouvait en donner. Sans doute aussi a-t-il recherché, dans ce dialogue singulier entre accusation et accusé, qui s’aventurait hors des chemins balisés par la procédure, une mutuelle valorisation. Mais ne mégotons pas, on ne rencontre pas tous les jours une réflexion de cette qualité. Elle commande d’être résumée et transcrite au plus près.

"Ici, ce n’est pas un procès populaire, c’est un procès criminel dans lequel vous êtes des juges et non pas des citoyens. Le problème n’est pas d’aimer ou de ne pas aimer Maxime Brunerie, de le trouver gentil ou méchant, mais de le comprendre. "La réalité, pour moi, c’est d’abord l’ennui" : cette phrase de Maxime Brunerie éclaire dramatiquement son existence. Cette existence, je l’analyse comme une sorte de roman d’apprentissage. Au cours de ses 25 ans d’existence, il a perdu peu à peu toutes ses illusions. La première a été celle de l’école. Après des débuts scolaires prometteurs, arrivent la moquerie, le sentiment d’être le souffre-douleur, la terrible parenthèse de la maladie, puis l’échec.

"Il y a par conséquent, dans cette existence scolaire, puis universitaire, déjà l’ennui. C’est la première illusion qui tombe. Or l’école était peut-être une passerelle qui aurait permis à Maxime Brunerie de trouver de la saveur au monde, et cette passerelle s’est effondrée." La deuxième a été la famille. C’est un échec absolu. Non pas parce qu’il aurait été un jeune homme parfait et que ses parents auraient tous les torts. Mais parce que, dans cette famille, chacun va demeurer dans sa sphère, sans communication des uns avec les autres, sans laisser passer de courant de chaleur. La famille, cette passerelle fondamentale de l’être humain vers le monde, c’est, pour Maxime Brunerie, la deuxième illusion qui tombe. La troisième, ce sont les groupes, la vie politique. Il y a, clairement, chez Maxime Brunerie, une appétence pour l’extrême droite. Mais derrière, il y a aussi sa passion puérile de l’interdit, sa volonté d’aller vers le transgressif.

" En rejoignant ces groupes, il se donnait une singularité que son existence ne lui offrait pas. Or, au bout d’un certain temps, il ne va plus être convaincu. Peut-être parce qu’il voulait leur faire lire des livres et qu’on lui proposait de boire de la bière. Cette troisième illusion est tombée, cette passerelle vers la société s’est effondrée.

" La dernière illusion que Maxime Brunerie va perdre, c’est lui-même. Rappelez-vous : le strabisme, le thorax enfoncé, la maladie de Hodgkin... Il y a de quoi voir la vie en noir, en tout cas en sombre. Il y a de quoi être intimidé devant les jeunes filles. Cette succession de problèmes physiques lui a fait perdre le peu de confiance qu’il avait en lui."

M. Bilger en vient à ces semaines qui précèdent la tentative d’assassinat : "La désillusion de l’élection présidentielle, la copie blanche volontairement rendue à l’examen du BTS, l’amour impossible pour Claire. Ce qui se passe à partir d’avril 2002, c’est Maxime Brunerie confronté à lui-même. Petit Poucet absurde, il en a jeté des cailloux ! Il vide ses comptes bancaires, paie des repas et des voyages à ses amis, lui, le radin, lui, l’économe !"

La décision du suicide est prise, celle de tirer sur le président aussi. "C’est une volonté de volupté médiatique. L’extrême droite n’a pas de rapport direct avec l’acte qu’il a commis. Mais il y a là des choses qui renvoient au goût de Maxime Brunerie pour l’histoire et à sa passion de l’interdit. A ses lectures de Brasillach, Degrelle, Drieu la Rochelle, Hitler. Comme l’expression d’une nostalgie, une volonté d’apocalypse personnelle et scandaleuse. Il aurait pu choisir autre chose, il a choisi son acte dans la catégorie politique. Le 14 juillet, ce n’est pas le militant qui disjoncte, c’est l’être humain qui a un grave malaise. Maxime Brunerie appartient à cette catégorie des vaincus de la vie. Il y a quelque chose qui peut nous toucher, parce que s’il accomplit cet acte-là, c’est parce qu’il est mal dans la communauté humaine."

"UN SIGNE DU PRÉSIDENT"

L’avocat général évoque alors la question de la responsabilité pénale de l’accusé, que ses défenseurs ont renoncé à poser à la cour, en faveur d’une simple"altération du jugement au moment de l’acte" présentée la veille par quatre des cinq experts psychiatres commis. "Il en va de la dignité de l’accusé d’être jugé responsable. Une responsabilité, certes limitée, mais qu’il n’a en réalité jamais voulu fuir et qui fait sans doute partie de sa restauration."

Il reste à M. Bilger un ultime point à soulever : la cible visée, le président de la République. Celui-là même qu’en ses fonctions de ministère public, s’exprimant au nom des intérêts de la société, il se doit particulièrement de défendre. "Le président de la République ne s’est pas constitué partie civile. Cette volonté laisse l’espace judiciaire entièrement ouvert. Il n’y a pas de pression."

Soulignant enfin sa "conduite exemplaire en prison", l’évolution "favorable" qu’il présente depuis sa prise en charge médico-psychologique, l’avocat général invite la cour et les jurés à prononcer "un créneau de peine qui puisse satisfaire -leur- besoin de justice". Il requiert six à huit ans de réclusion criminelle. Pour la défense, Me Pierre Andrieu demande, lui, une peine avec sursis.

Quatre heures plus tard, le verdict tombe : Maxime Brunerie est condamné à dix ans de prison. Il continuera, dit-il, "d’y attendre chaque jour, au courrier, un signe du président, en espérant qu’il me pardonne". La tristesse se lit sur le visage de Philippe Bilger.

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