Accueil > Fadoua est morte, le Makhzen est bien vivant

Fadoua est morte, le Makhzen est bien vivant

Publie le mercredi 2 mars 2011 par Open-Publishing
2 commentaires

Fadoua n’était pas une héroïne, elle n’a rien fait dans sa vie qui mérite d’être rapporté. Car Fadoua a mené ce genre de vie banalement misérable, qui aurait pu se prolonger pour ressembler à celles de millions d’autres, pour s’éteindre un jour, victime du manque de lits ou de personnel médical dans un hôpital public.

Fadoua avait sûrement une télé dans cette sorte de construction moyenâgeuse qu’elle devait appeler maison. Elle regardait sûrement ces chaînes nationales, où l’on y évoque à longueur de journée les avancées en matière de développement économique et social, des avancées non chiffrées, pour lesquelles personne n’a été consulté. Faut-il rappeler les irrégularités, connues par tous, inhérentes à ce genre de projets dans le plus beau pays du monde ?

Pendant que le Makhzen était occupé à s’enrichir, à tabasser les marocains libres, à orchestrer sa propagande médiatique que plus personne ne croit, Fadoua devait attendre patiemment son tour, une charité qui viendra, un jour, au hasard du bon vouloir d’un je ne sais quel responsable, ou je ne sais quelle autre visite royale.

Je n’ai jamais connu la misère. A peine l’ai-je vue. Cet état persistant de faim, du futur incertain, de crainte de cette maladie ou cette calamité qui raflerait le peu d’économies familiales. Et encore, avez-vous déjà essayé de vous faire soigner dans un hôpital public ? Avez-vous déjà eu affaire à un avocat commis d’office pour vous défendre d’une injustice devant une cour de justice aux abois ? Même avec l’argent qu’il faut, même avec les connexions qu’il faut, le marocain peine à trouver une école correcte pour ses enfants, une clinique avec des médecins compétents pour se soigner, et le travail de la justice se réduit souvent à un combat de pots-de-vin et de pistons. Triste réalité.

Fadoua voulait un toit décent. Peut-être une première étape pour se sentir un tant soit peu en sécurité, peut-être avait-elle des projets, un petit commerce, un petit boulot pour que ses enfants échappent au sort terrible que la vie lui a réservé, à elle. Mais un responsable quelque part en a décidé autrement. Sous prétexte que c’est une mère célibataire, donc ne pouvant être chef de famille, elle n’aura pas accès à son logement social, et la destruction de son taudis a été décidée. Elle se retrouve donc à la rue. Avec ses enfants. Elle n’a pas pu le supporter.

Peu avant son geste tragique et spectaculaire, elle fit un discours, une sorte de dernière volonté, “sarqouli berrakti” répétait-elle, avant de s’immoler – On m’a volé mon gourbi. Fadoua aurait pu mettre un terme à ses souffrance plus discrètement, mais ce n’était pas là son objectif. Si elle voulait simplement fuir l’âpre vie, elle aurait mis fin à ses jours d’une manière moins douloureuse. Car c’est bien ce qu’elle voulait : attirer l’attention, fût-elle posthume, de la société sur sa situation. Peut-être espérait-elle que l’affaire soit médiatisée, et que ses enfants bénéficient d’une certaine charité qui les sauverait de la précarité à laquelle sont destinés la plupart de nos compatriotes*. Elle n’a même pas eu, à la fin, droit à une dépêche MAP. Indigne Etat.

“On m’a volé mon gourbi ! ”. Elle n’a pas nommé un responsable. A-t-elle réussi à en identifier un ? Probablement pas. Dans un pays qui respecte ses citoyens, une enquête aurait été diligentée pour donner des noms, punir ceux qui le méritent, pallier à l’incohérence juridique s’il y en a une. Ce n’est pas le cas chez nous, car le responsable est tout un système, celui-même auquel les jeunes du 20 février voulaient mettre un terme. Cet espèce de monstre sans âme porte un nom : le Makhzen.

Un jour viendra, où ça sera au tour du Makhzen se consumer dans les flammes de notre volonté de changement. La situation des Fadoua n’en sera pas améliorée du jour au lendemain, je le concède. Mais la responsabilité ne sera plus celle d’un corps politique abstrait et ubique qui n’oeuvre que pour sa propre survie, mais celle de toute la société, de tous les individus, de tous les sujets désormais citoyens. Et je crois sincèrement qu’une fois leur destinée entre leurs propres mains, les Hommes en font le meilleur usage possible.

* La pauvreté- au sens du PNUD – touche 8.9 millions de marocains. Autant de Fadoua Laroui.

Fadoua Laroui dans la presse internationale :

 Fadoua Laroui : The Moroccan Mohamed Bouazizi – Laila Lalami, The Nation

 One Moroccan Woman’s Fiery Protest – The HuffPo

 Dépêche AFP

 RIP Fadoua Laroui : Blog d’AbMoul

Source : CJDM, 01/03/2011

Messages

  • Malheureusement il n’existe pas de pays aujourd’hui qui emp^che ce qui est arrivé à Fadoua... cela arrive aussi fréquemment ici en France et ailleurs... pays qui méritent aussi une Révolution.

  • J’avais pour voisine une mère célibataire au Maroc . En tant que femme, elle n’avait pas le droit de donner son nom de famille à sa petite fille qui n’avait donc qu’un prénom, pas de nom de famille, donc pas d’identité, et qui n’aurait par conséquent pas le droit d’aller à l’école, pas droit à quoi que ce soit, et même pas droit à un passeport pour quitter le pays et prétendre à une existence légale ailleurs .
    C’était en 1980 .

    Cette interdiction était terrible, surtout pour les mères qui n’avaient ni frère, ni père encore en vie pour adopter l’enfant et lui donner un nom . Cette voisine avait été rejetée par sa famille .

    Les choses ont-elles changé au Maroc, en ce qui concerne l’interdiction faite aux mères célibataires de donner leur nom de famille à leur enfant ?