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Porto Marghera, enfin un peu de vérité

Publie le lundi 20 décembre 2004 par Open-Publishing
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de Paolo Cacciari

Petit à petit même la "vérité judiciaire" s’incline devant la réalité et restitue leur dignité aux victimes : 160 ouvriers décédés, une autre centaine avec des infirmités permanentes à cause de processus productifs toxiques à l’usine pétrochimique de Porto Marghera. Cette fois la "prescription" (un terme technique qui est devenu la métaphore de la lenteur de notre administration judiciaire) n’arrive pas à ensabler complètement les responsabilités personnelles et les fautes subjectives des sommets industriels de Montedison. Cette fois tout n’a pas été inutile. Ce n’est pas un évènement inattendu, un accident imprévisible, une faute humaine qui sont mis en état d’accusation, mais une logique productive, une stratégie d’exploitation cynique de la force de travail, une méthode méprisant les ressources naturelles environnementales.

La condamnation de la fine fleur de la chimie de l’époque : Renato Calvi, Alberto Grandi, Emilio Bartalini, Piergiorgio Gatti, Giovanni D’Arminio Manforte est arrivée aussi pour rendre justice au dernier décédé, l’ouvrier Tullio Faggian qui a pu résister à sa terrible maladie jusqu’en 1999. Tous condamnés à un an et demi pour homicide involontaire. Sauf Eugenio Cefis, mais seulement parce qu’il nous a quittés il y a quelques mois de mort naturelle.

Mais, au-delà des condamnations, ce qui compte c’est que également pour les autres cas présentés pas le procureur, le tribunal de deuxième instance - en renversant la sentence précédente - a reconnu l’existence du "lien causal" entre l’apparition de maladies professionnelles gravissimes et rarissimes et les modalités productives d’ installation et de gestion existantes dans l’entreprise. Ce qui est mis en état d’accusation c’est le chlorure de vinyle monomère (un cancérigène en mesure de faire muter l’ADN des cellules, reconnu comme tel depuis les années 50), une substance de base pour les matières plastiques communes en Pvc, qui a été utilisé des années durant sans les nécessaires précautions, en en cachant la dangerosité et en exposant à des dommages certains les travailleurs et l’environnement. Cela a entraîné l’apparition de maladies incurables telles que l’angiosarcôme hépatique, le syndrome de Raynaud, des pathologies hépatiques de toutes sortes. Si on pense que de pareils travaux ont eu lieu aussi sur d’autres sites (Brindisi, Priolo), il est réaliste de penser - comme l’a affirmé Luigi Mara, animateur de Medicina Democratica - qu’il s’est agi du plus grave désastre environnemental arrivé en Europe occidentale.
La thèse de la défense, selon laquelle les dirigeants de l’entreprise ou bien ne savaient pas ou bien n’étaient pas tenus de le savoir, n’a pas été retenue en appel. Au contraire, le tribunal a reconnu que les habituels critères normatifs de prudence n’ont pas été appliqués et que bien après 1974 (date à laquelle entrent en vigueur en Italie des critères normatifs spécifiques) et jusqu’à 1980 l’installation d’engins d’aspiration a été omise. Maintenant les survivants, les parents des victimes ainsi que les autorités locales qui se sont portés parties civiles, pourront emprunter la voie des dédommagements, pour les blessures à l’environnement, au patrimoine et au décor de la ville aussi. En fait, la prescription n’efface pas les fautes.

Ma première pensée va au mois d’août 1994, quand Gabriele Bortolozzo vint au siège du groupe régional du Prc pour faire les photocopies du dernier exposé qu’il aurait peu après livré au procureur de service Felice Casson. Gabriele (disparu lui aussi) a été l’ouvrier autodidacte qui fit éclater l’affaire en pratiquant au début des années 80 sa personnelle objection de conscience au travail du Cvm (si bien que l’entreprise préféra le cantonner dans des tâches de magasinier) et en faisant une méticuleuse enquête épidémiologique personnelle sur ses collègues des ateliers du Cvm. Ses dénonciations répétées furent jugées (par les syndicats et par les forces politiques locales, à quelques rares exceptions près) excessivement alarmistes et de toute façon inopportunes, en considérant qu’une grande partie de l’économie industrielle de Venise dépendait du Pôle chimique. Maintenant, face à l’effritement du secteur chimique, il serait bon de réfléchir sur les nombreux cas de conflit qui se sont vérifiés entre les raisons de la santé et celles de l’emploi. Nous devrions avoir compris que la santé du tissu productif industriel passe par sa mise en sécurité absolue, demande de puissants investissements d’adaptation à l’environnement, exige des innovations aptes à exclure l’introduction dans l’environnement de substances cancérigènes. Vis-à-vis du "chantage de l’emploi", la logique doit être renversée : ou bien on innove à partir des raisons d’un développement soutenable, ou bien tôt ou tard les emplois non plus ne seront pas sauvés. A Porto Marghera plus de cent cheminées d’usine continuent à relacher leurs fumées dans l’atmosphère et quelques dizaines de bouches d’égouts à décharger dans la lagune. Les terres continuent à être contaminées par des millions de mètres cubes de déchets industriels. L’avocat de l’Etat était arrivé à obtenir 525 milliards de vieilles lires d’Enichem comme dédommagement, mais cet argent ne suffira même pas à délimiter les pestilentielles percolations des terrains. Les anticipations de l’Association italienne d’Oncologie sur les néoplasies dans la région vénitienne datent à peine d’hier : nous venons au premier rang national des "excès" pour le foie, les poumons et la vessie pour les hommes. Mais nous n’avons plus ni le temps ni l’envie d’attendre qu’un tribunal démontre les causes et les effets.
Nous voudrions que le droit de travailler et de vivre dans des milieux salubres devienne un droit inaliénable.

Traduit de l’italien par Karl & Rosa de Bellaciao

http://www.liberazione.it/giornale/041216/archdef.asp

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