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L’échec de l’intervention française en Côte d’Ivoire

Publie le jeudi 30 décembre 2004 par Open-Publishing

Compte tenu de la complexité de la situation sur le terrain, des affirmations et démentis qui se succèdent, et du brouillard de la désinformation inhérent à tous les conflits armés, beaucoup de travailleurs et de jeunes, en France, ont du mal à suivre ce qui se passe en Côte d’Ivoire.

L’armée française n’a jamais quitté la Côte d’Ivoire, mais des renforts considérables ont été envoyés sur place pour soutenir le président Gbagbo face aux rebelles nordistes. Ce n’est que grâce à l’intervention de la France, sous la couverture de l’opération Licorne, dite de « maintien de la paix », que le régime de Gbagbo a pu arrêter l’avancée vers Abidjan des rebelles dans le nord du pays. Ensuite, nous avons appris que des avions du camp Gbagbo ont bombardé des positions de l’armée française, le 6 novembre dernier, et que l’armée française a ouvert le feu sur une manifestation pro-Gbagbo.

L’envoi des troupes françaises n’était pas une mission de « paix », mais une intervention militaire contre les nordistes, sur lesquels l’armée française a ouvert le feu trois fois au cours des premières semaines de l’opération.

Cette rébellion a commencé par une incursion de déserteurs ivoiriens à partir du Burkina Faso. Cette tentative de coup d’Etat a échoué, mais elle a provoqué un mouvement insurrectionnel généralisé dans toute la moitié nord du pays.

Les gendarmes et soldats d’Abidjan, notoirement corrompus, sont plus motivés pour racketter la population que pour affronter des tirs ennemis. Ils n’auraient pas résisté à l’offensive nordiste. Sans l’intervention française, une partie beaucoup plus grande du pays risquait de tomber dans les mains des « forces nouvelles ». Chirac et de Villepin le savaient parfaitement, et c’est pour cette raison que l’expédition militaire a été ordonnée.

Ainsi, même si nous n’avons aucune illusion dans les forces rebelles du nord, le fait est que la politique de Chirac a consisté à soutenir le régime réactionnaire de Laurent Gbagbo. Ce dernier a perpétué la propagande sur « l’ivoirité » initiée par l’ancien président Bédié. Cette stratégie de division visait à attiser les frictions et violences entre les autochtones et les immigrés venus des pays voisins, et interdire par la même occasion la candidature présidentielle d’Alassane Outtara. Ceci dit, Outtara, le candidat à la présidence des nordistes, ne vaut pas mieux que Gbagbo. Il s’agit d’un ancien ministre sous la dictature de Félix Houphouët-Boigny, et d’un ancien représentant du Fonds Monétaire International.

Les accords de Marcoussis, signés en février 2003 et salués triomphalement par Villepin, n’avaient d’autre objectif que de faire gagner du temps à Gbagbo en lui permettant d’acheter une grande quantité d’armes sur les marchés internationaux (principalement en Europe de l’Est et en Israël), de façon à préparer une offensive contre les rebelles. La France n’a rien fait pour forcer Gbagbo à respecter les accords. Certes, ce dernier s’est engagé à laisser Outtara participer aux élections présidentielles prévues pour 2005, mais le fait que le parlement, largement dominé par le FPI (le parti de Gbagbo) ait rejeté cette concession en dit long sur ses intentions réelles.

Une nouvelle preuve de
l’affaiblissement du
capitalisme français sur
la scène internationale

La diplomatie française prétend ne pas avoir été au courant des achats d’armes de Gbagbo. Les services de renseignement français et l’armée sur place n’ont apparemment rien vu. Si cela était vrai, ce serait un bien triste commentaire sur l’efficacité du dispositif de renseignement militaire français. Mais c’est un mensonge. Non seulement la France a dû être au courant de ces achats, mais il y a même fort à parier que, compte tenu de sa position importante sur le marché international de l’armement, elle les a grandement facilités.

La complicité entre la France et Abidjan se voit dans le comportement de l’armée française sur place. Elle n’a rien fait tant que les forces gouvernementales se sont contentées d’attaquer les rebelles, et ne s’est rappelée de sa mission de « neutralité » que lorsque les missiles de Gbagbo ont commencé à pleuvoir sur les casernes françaises ! Avec la destruction des avions militaires de Gbagbo, en représailles à cette attaque, et l’imposition de l’embargo international sur la Côte d’Ivoire, c’est le retour à la case de départ. Ni le gouvernement ni les rebelles ne sont assez forts pour s’imposer sur l’ensemble du territoire national. Chirac, qui voulait aider Gbagbo à reconquérir le nord en 2002 et 2003, a parlé, le 14 novembre dernier, de la « dérive fasciste » du régime d’Abidjan. Les 5 500 militaires français font ainsi face à des ennemis dans le nord et dans le sud.

Les causes profondes des pillages et des violences à l’encontre des expatriés français, pendant les jours qui ont suivi les frappes de l’armée française, sont assez évidentes. La baisse régulière du niveau de vie de la population, le chômage de masse, la misère effrayante des bidonvilles, la chute des cours du cacao et la mainmise des entreprises françaises sur les ressources économiques du pays forment la toile de fond des événements qui se déroulent dans le pays. La Côte d’Ivoire est nominalement « indépendant », mais économiquement colonisée. On imagine aisément l’impact psychologique et politique, sur la jeunesse de la Côte d’Ivoire, des mitrailleuses et des hélicoptères de l’ancienne puissance coloniale tirant « dans le tas » des manifestants. Il n’en fallait pas davantage pour pousser une partie de la population, notamment la plus désespérée, à s’en prendre à ceux qui sont à ses yeux - à tort ou à raison - des privilégiés et des exploiteurs.

L’échec de l’intervention militaire française en Côte d’Ivoire est une nouvelle preuve de l’affaiblissement du capitalisme français sur la scène internationale - au profit, notamment, des Etats-Unis. La France ne veut absolument pas perdre son influence en Côte d’Ivoire. Mais la situation lui échappe, et l’évolution prochaine du conflit dans le pays risque fort de la placer devant un choix semblable à celui des Américains en Irak, qui sont intervenus militairement pour sauvegarder leurs intérêts économiques et stratégiques. Soit l’impérialisme français abandonnera la partie, soit il sera progressivement entraîné, par la logique même des événements, dans une guerre « coloniale » non déclarée, et se retrouvera complice de massacres ethniques - comme ce fut le cas au Rwanda dans les années 90.

Marc Caprioli, PCF

Source :

www.lariposte.com