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A propos du "TRAVAIL"... une analyse desplus interessantes

Publie le mercredi 22 juin 2011 par Open-Publishing
1 commentaire

Avertissement :

Je reçois d’un copain marxiste ..un texte de Zafarian qui mérite, selon moi, la lecture.
"Vieux" d’un an, s’il a déjà été en ligne sur Bella CIao, on peut bien entendu l’effacer.

J’ai pris sur moi de glisser intertitres et " gras" afin d’aérer la présentation.

Cordialement

A.C

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Intervention lors du colloque organisé par la CGT, le 2 juillet 2010 sur " Les transformations du travail et le développement humain durable " (reprise intégrale de l’intervention orale)

PRESENTATION de l’AUTEUR

Je suis professeur de sociologie à l’université de Marne-la-Vallée et chercheur sur les questions du travail, de l’organisation, des qualifications et des compétences. Je suis un chercheur qu’on peut dire de terrain, c’est-à-dire que ma pratique est de mener des recherches dans les entreprises. Ma particularité est de mener mes recherches sur la longue durée. Ce sont des ensembles de recherches qui se suivent dans la durée sur les mêmes entreprises. L’intérêt est de comprendre les mutations et pour cela il faut du temps, il faut suivre dans la durée les même situations dans les mêmes entreprises. Je mène des recherches à France-Telecom depuis 96 donc depuis 14 ans.

Ma dernière recherche s’est arrêtée ce mois-ci. C’était sur les métiers techniques et j’ai fait une restitution sur ces métiers à cinq ans à France-Telecom. J’espère reprendre bientôt. Je mène très régulièrement des recherches dans cette entreprise et à chaque fois sur un sujet différent. Même chose à la SNCF, où je fais des recherches depuis six ans. Je viens d’en commencer une sur le tutorat. C’est un peu moins la même chose pour la Poste où j’ai mené des recherches pendant quatre ou cinq ans. Pour l’instant c’est arrêté, disons qu’il n’y a plus de demandes. Mais j’espère pouvoir reprendre. Bien entendu j’essaie de me diversifier, donc je mène aussi des recherches dans d’autres entreprises mais sur des durées plus courtes. J’insiste sur le fait que ce sont vraiment des recherches de terrain avec énormément d’entretiens et d’observations. Et ma demande, quel que soit le commanditaire, est de voir des gens de toutes les catégories sociales, du PDG jusqu’à l’employé de base. Pour moi c’est absolument essentiel de traverser toutes les catégories d’employés dans une entreprise et d’avoir une diversité des points de vue à travers l’ensemble de ces catégories. Donc ça, je le demande et je l’obtiens sinon je ne fais pas de recherche avec eux. Certaines de ces recherches sont demandées et dirigées par un institut des métiers, donc paritaires entre les organisations syndicales et la direction.

Ma dernière recherche à FT sur les métiers techniques à cinq ans, était une demande de l’Institut des métiers à FT et a été pilotée entre organisations syndicales et direction de FT. La restitution s’est faite devant 170 personnes où la moitié de la salle comptait des gens que la direction avait fait venir, et l’autre moitié des gens que les organisations syndicales avaient fait venir. Ce sont des conditions idéales qui permettent des controverses comme on dit. C’est assez amusant et intéressant à voir.

Analyse du document e la CONFEDERATION

Je vais maintenant réagir au document de la confédération " développement humain durable et politique du travail ". Et je vais commencer par inverser le titre ; je dirais " politique globale du travail, orientation de service et DHD ". Pourquoi commencer par " politique globale du travail " : ce n’est pas du tout un problème de logique. Je n’essaie pas d’introduire ici un problème de logique intellectuelle. C’est plus un problème de point de vue pratique.

Sur quoi on a du pouvoir ? Je crois en tant qu’organisation syndicale et aussi d’une certaine manière en tant que chercheur, qu’on a du pouvoir sur le travail. Savoir si on a un pouvoir sur le développement durable, oui, mais c’est déjà à un niveau plus élevé. Par contre, on peut construire des points tout à fait solides sur la question du travail et à partir de là on peut bien entendu élargir. Mais je me méfie beaucoup des discours trop globaux à partir desquels on n’a pas de point d’ancrage solide. Or le travail c’est un point d’ancrage à partir duquel on peut élargir.

Pourquoi je mets " orientation service " ? C’est qu’il me semble qu’entre politique globale du travail et développement humain durable il faut faire une transition. On ne passe pas immédiatement de l’un à l’autre. Passer du travail au développement durable est un exercice un peu périlleux, et je crois qu’il existe un intermédiaire qui est la question du service. Donc je vais essayer de montrer comment la question du service est un intermédiaire entre la question du travail et la question que vous appelez développement humain durable. Je ne vais pas discuter de cette notion qui n’est pas la mienne mais je la reprends.

Politique globale du travail

Je vais faire un constat de départ, qui ne va pas vous surprendre, je pense qu’il est très largement partagé. C’est ce que j’appelle une mise en disparition du travail. Le travail devient de plus en plus invisible, on en parle de moins en moins. On peut dire que le travail est quelque part en train de disparaître des énoncés et des visions.

Premier constat : depuis le milieu des années 70 il n’y a plus aucun débat public sur le travail. On a eu un grand débat sur la crise du travail à l’époque ainsi qu’un grand débat sur la crise du taylorisme, qui ont abouti à des décisions non négligeables : la création de l’ANACT, la création du Cereq, donc des institutions publiques qui étaient porteuses d’études et de recherches sur la question du travail. Il y a donc eu un très important débat à l’époque et on peut dire qu’un des résultats a été un discrédit du taylorisme. Il a été précédé par les grandes grèves des OS au début des années 70. Mais en tout cas, ce débat a eu lieu.

Or depuis le milieu des années 70, il n’y a plus aucun débat public sur la question du travail ! Je reprends par exemple la période de la loi sur les 35 heures. Il se trouve que j’avais été convoqué par Mme Aubry comme un certain nombre de chercheurs pour me prononcer sur cette loi. J’étais évidemment d’accord pour les trente-cinq heures, mais j’ai dit 35 h de travail mais pour quel travail ? il n’y a eu aucun débat sur le travail. On a parlé temps libre, on a parlé création d’emploi mais on n’a pas parlé travail et bien entendu, n’importe qui un peu au courant des choses, savait que ça allait se traduire par une intensification du travail. Nul besoin d’être un grand économiste pour savoir que les directions d’entreprise allaient se récupérer sur l’intensité du travail. Rien sur l’intensité du travail dans la loi, aucun débat collectif là-dessus. Je n’insiste pas. Ensuite, aucun débat sauf Sarkozy " travaillez plus " mais ce n’est toujours pas un débat sur le travail.
Et voilà que revient le débat sur le travail je ne dirais pas de la pire des façons mais tout de même, à travers la souffrance au travail. Donc voilà tout à coup que s’ouvre un grand débat, alors qu’on n’a pas discuté du travail pendant trente ans. Alors on ouvre un débat sur la souffrance au travail et on arrive en partie à ce tour de force de parler de la souffrance au travail sans parler du travail !

La question du travail est évacuée aujourd’hui du débat public de façon fantastique. Au niveau des entreprises, je dirais qu’il y a une tombée en désuétude de ce qu’on appelait le travail (le travail prescrit, les analyses de poste, de tâche etc.). Je ne dis pas que le travail prescrit est terminé, il a encore de beaux jours devant lui ; je dirais qu’il est en crise car il devient totalement désadapté par rapport à l’évolution des entreprises et de l’économie. Une bonne partie des analyses de poste on les garde dans les tiroirs etc. Pas de doute que l’autonomie dans le travail progresse d’année en année. En fait, le problème n’est pas là. D’une certaine manière, il y a un affaiblissement du travail prescrit car il devient inadéquat, inutile par rapport aux conditions économiques et sociales mais surtout économiques des entreprises. Donc, en même temps que le travail prescrit a tendance à reculer, à ne plus être utilisé, le travail réel, qui était présenté comme la résistance au travail prescrit, d’une certaine manière disparaît en même temps que disparait le travail prescrit puisque c’était la résistance au travail prescrit.

On ne peut plus formuler le travail réel comme à l’époque où on disait " c’est de la résistance ! ". A partir du moment où le travail prescrit recule, l’autonomie monte et la question est : qu’est-ce qu’on fait de l’autonomie ? ça n’est pas tellement d’opposer un travail réel à un travail prescrit. Mon analyse si vous voulez, c’est qu’aujourd’hui l’autonomie dans le travail progresse mais les pressions sur le travail augmentent. Mais ces pressions sur le travail s’exercent sur les conditions d’exercice du travail plus que sur le travail lui-même. Le travail, je vous l’ai dit, on ne le voit plus, on n’en discute quasiment plus.

Par contre, on a mis en place des modes de contrôle qui enserrent le travail. Vous avez le fameux mode de contrôle objectif-résultat qui vient de la manière de contrôler les cadres qui maintenant se généralise partout, et ce contrôle dit ce qu’il y a avant (les objectifs) et ce qu’il y a après (les résultats). Il ne dit absolument rien sur le travail. Mais bien évidemment, la pression du résultat à atteindre, résultat de performance, pénètre le travail, pénètre la manière de travailler. La réalisation du travail est enserrée entre les objectifs et les résultats avec une pression bien entendu du temps tout à fait importante. Résultat de performance donc. On pourra peut-être dire deux mots de ce qu’est la performance. En parallèle, en latérale, il y a une montée des procédures. Mais il ne s’agit pas de prescriptions classiques. Les procédures sont une manière de cadrer latéralement le travail. Je dirais le travail cadré en amont (qu’est-ce qu’on demande), les objectifs en aval (des résultats), en latéral des procédures, mais le travail lui-même encore une fois disparaît. Vous avez des pressions qui s’exercent sur quelque chose dont on ne parle pas.

J’aimerais vous faire toucher du doigt ce que ça peut représenter. Quand un travailleur va aller par exemple à son entretien individuel de performance, certes le hiérarchique va lui dire " t’avais des résultats tu les as réussis ou pas, y’a tel décalage etc., " et le salarié automatiquement a envie de parler du travail, de dire pour telle ou telle raison il n’a pas pu, telle difficulté explique cela, l’organisation a mal fonctionné… Donc le salarié a naturellement envie de parler du travail mais dans l’entretien, l’espace n’est pas ouvert pour ça. Souvent le N+1 il connaît encore un peu le travail mais le N+2 il connaît plus le travail et donc il n’est pas spécialement armé pour avoir une discussion sur le travail. Ce fameux entretien d’évaluation des performances, et pas du tout du travail, parle de résultat mais il n’analyse absolument pas les conditions d’obtention de ce résultat c’est-à-dire le travail. Donc le travail est masqué, que ça soit en termes de réussite ou de difficulté. Il est de plus en plus masqué. Le grand problème aujourd’hui est moins le travail en tant que tel mais les conditions de réalisation du travail et l’ensemble des pressions de tout côté qui s’exercent sur la personne qui travaille.

Cela dit, je pense personnellement que cette mise en disparition du travail repose sur une tendance de fond qui est plutôt positive. Parce que finalement quand on analyse ce qu’a voulu dire le travail prescrit depuis Adam Smith, le travail prescrit est un travail objectivé, une analyse du travail ou plutôt une analyse des modes opératoires qui sont attachés à un poste du travail avec une liste de tâches, et on suppose que ce travail peut être réalisé par n’importe qui. On définit d’abord le travail et ensuite les travailleurs qui vont occuper le poste de travail. On a créé un objet sur une très longue durée (deux siècles), on a parlé d’un truc qui s’appelait le travail mais en fait le travail était une analytique du travail fait par des agents des méthodes et des ingénieurs, et qui était supposé être réalisé par n’importe qui pourvu qu’il ait la formation au poste. Autrement dit, le travail était un truc objectivé mais qui n’était pas du tout rempli par la subjectivité de la personne qui travaillait. Je pense pour des tas de raisons comme je l’ai dit très rapidement, que ce travail prescrit entre en crise, plus exactement progressivement en désuétude. Il serait totalement idiot de vouloir recréer une autre forme de travail prescrit, même si c’est les syndicats qui le définissent. Ça me semblerait totalement idiot de réécrire des analyses du travail, de refaire des analyses d’emploi et totalement inutile soit dit entre nous. J’ai fait ça pendant des années au Cereq mais il vaut mieux mettre tout ça dans des tiroirs.

C’est quoi le travail ?

Il faut quand même revenir à une réalité de base : le travail c’est l’action des travailleurs et pas autre chose. Le travail n’existe pas sans l’action des travailleurs. Donc on est obligé quand même de revenir à un truc tout à fait basique, qui était évident à l’époque de l’artisanat et qu’on a perdu avec toute la période industrialiste, à savoir le travail c’est la mise en œuvre du pouvoir d’action si je reprends Yves Clot -moi j’appelle ça la puissance d’action mais peu importe- les compétences, dans des situations professionnelles ; le travail ce n’est pas autre chose que l’intervention de personnes compétentes dans les situations professionnelles. Ce qu’il faut comprendre ça n’est pas le travail mais le pouvoir d’action, ses effets, les compétences et les enjeux qu’il y a dans les situations professionnelles. C’est ça qu’il faut savoir ! C’est à partir de là qu’on peut valablement parler du travail. Mais enfin, le plus important n’est pas le travail, c’est la puissance d’action des gens qui interviennent dans des situations.

Je préfère le mot intervenir que travailler. Je dirais qu’on change alors radicalement d’objet. Ce qu’il faut connaître, reconnaître et encourager c’est ce pouvoir d’action, ces prises d’initiatives, ces compétences et ces effets. C’est ça qui devrait devenir l’objet de l’attention réelle de tout le monde. Et non plus le travail. Je suis donc pour connaître, reconnaître, développer, soutenir, les prises d’initiative des personnes en situation professionnelle.

L’orientation service

Quand on intervient ou lorsqu’on travaille on produit quelque chose. Qu’est-ce qu’on produit ? On peut dire qu’aujourd’hui, dans la société actuelle, on peut retrouver une vieille phrase de Marx d’ailleurs, on produit des effets utiles ou des valeurs d’usage. Mais je préfère l’expression effet utile parce que ça montre bien que le travail produit des effets à " destination de "… ou disons pour quelqu’un. Dès qu’on se pose la question des effets utiles on se pose la question des effets utiles à qui et à quoi. On se pose une question ouverte ; c’est-à-dire que la production ne se suffit pas à elle-même, elle n’est pas arrêtée. Une fois qu’on a produit quelque chose les choses ne sont pas arrêtées, encore faut-il que ces effets soient réellement utiles, soient appropriés par des destinataires, soient utilisés réellement. La production ne s’arrête pas avec la réalisation d’un produit ou d’un service au sens banal. La production ne se développe qu’à travers l’utilisateur de ces services, les usagers, les destinataires du service.

Je donne du " service " la définition suivante, à l’évidence soumise à la contestation. J’appelle service une transformation dans les modes de vie et les dispositions de pensée et d’action des destinataires autrement dit les usagers. Le téléphone mobile par exemple, on peut dire c’est un produit c’est un objet mais c’est surtout un nouveau mode de vie ou quelque chose qui modifie le mode de vie. C’est ça le service, cette modification du mode de vie qu’introduit l’usage du téléphone mobile. Quand on produit du téléphone mobile, on produit une composante nouvelle des modes de vie. L’interrogation qu’il faut avoir porte sur la validité de ce service : le téléphone mobile dans les modes de vie. Tout service pose une interrogation quant à sa validité. Tout service n’est pas naturellement utile. Il faut se poser la question de sa validité.

Je prends un autre exemple, celui de la santé ou de l’enseignement. Quand on est un enseignant, qu’on le veuille ou non, on concourt à modifier les dispositions de pensée des étudiants. On transforme quelque chose chez les étudiants, à condition qu’ils se l’approprient bien sûr. Mais toujours pareil, à la condition que le destinataire s’approprie le service. Il y a toujours un travail du destinataire. La question du service est celle de son évaluation et non de sa mesure. Un service ne se mesure pas, c’est son évaluation. Et c’est quoi ? il s’agit d’une discussion, d’un dialogue. Il n’existe pas d’évaluation sans dialogue. Alors un dialogue par exemple, entre les usagers qui vont avoir leur propre point de vue sur le service qu’on leur rend. Ils vont dire c’est bon ou pas, ça pourrait être meilleur, bref, tout usager va avoir un point de vue sur le service qu’on lui rend. Mais c’est aussi le point de vue de ceux qui offrent le service, qui ont des choses à dire sur les potentialités du service que peut-être les usagers ne connaissent pas, ou qu’ils n’ont pas découvert, ou qu’ils ont mal évalué.

Donc pour moi le service, c’est vraiment l’évaluation croisée entre ceux qui l’offrent qui en ont une certaine connaissance, et les usagers qui en ont une autre connaissance à travers l’usage qu’ils en font. Et ce qu’il faudrait mettre en place dans les entreprises qui produisent du service, ce sont des processus d’évaluation avec les destinataires de ces services qui actuellement se limitent aux enquêtes de satisfaction. Les enquêtes satisfaction client c’est de la rigolade bien entendu en termes de satisfaction. A mon avis, à partir du moment où on a un débat sur les services, on peut voir que tout est service. Une voiture, ça rend service, ça nous permet de nous déplacer. Le service c’est le déplacement individuel ou familial. A partir du moment où on va se dire, tiens il y a une évaluation à faire sur telle ou telle véhicule, où on va faire entrer pas mal de considérations, on va s’apercevoir que cette évaluation certes elle fait entrer en ligne de compte celui qui achète et celui qui vend, l’offreur et le destinataire, mais à partir d’un certain moment, cette évaluation va renvoyer à un débat social. Si je prends l’exemple de la voiture : certes on peut avoir une évaluation entre l’acheteur de la voiture et le producteur. Elle existe bien entendu. Cela dit comme la voiture transforme non seulement la situation de quelqu’un mais les modes de vie, à partir du moment où on transforme les modes de vie, le débat n’est plus circonscrit à l’acheteur et au vendeur. Ce débat-là existera toujours, mais le débat est en fait beaucoup plus large. Il devient un débat de la Cité, un débat public : il faut débattre du rôle de la voiture dans les modes de vie. Partant de l’entreprise, partant du travail, une fois qu’on amène cette notion de service, dans un premier temps on va l’aborder en tête-à-tête entre client et entreprise, mais dès qu’on pousse un petit peu cette question du service, on voit immédiatement, comme elle a des effets sur les modes de vie, qu’elle ouvre sur une évaluation beaucoup plus sociétale. Y compris le téléphone mobile, qui transforme les relations sociales dans la société et pas seulement entre papa maman et les enfants. Donc ça introduit à des débats " importants ". Et bien entendu qui n’ont absolument pas lieu actuellement. Je fais ici un exercice pour aller plus loin que ce qui existe aujourd’hui.

J’ai parlé du travail, de la politique globale du travail, de la question des services et de leur évaluation, et je suis tout de suite amené à parler de la société, de ce que vous appelez le développement humain durable.

Sur le développement humain durable

Pour aborder cette question-là encore une fois de manière concrète car je suis quelqu’un de très pratique, la question est de se dire : qui peut agir sur le DHD ? Personnellement, je me méfie des généralités vides. On peut créer des généralités vides sur le développement humain durable autant qu’on veut, ça n’est pas un problème. La question est qui va porter cet aspect-là, et à partir de là je dirais deux mots sur ce que j’en pense. Je crois comme il a été dit dans le document, qu’il existe un préalable qui est une autre façon de voir les collectifs ou le collectif.

Dans le document, il est écrit " il y a un affaiblissement des appartenances traditionnelles, donc se pose la question du collectif ". La question du collectif, je la vois de deux côtés alors que souvent on ne la voit que d’un seul côté. Premier côté, ce sont les collectifs qui se constituent dans le travail et dans les entreprises. Là, on a des collectifs qui existent et qui subsistent, ce sont les métiers : le métier c’est d’abord un milieu social. Qu’est-ce qu’on constate aujourd’hui : soyons lucide, c’est que les métiers s’affaiblissent. Ça fait quand même six ans que je travaille à la SNCF, et je suis bien obligé de dire… s’il existe vraiment une entreprise où foisonnent les métiers, c’est bien la SNCF. Il n’empêche, les métiers s’affaiblissent. La question qui se pose, et qui est posée aux conducteurs, aux contrôleurs, à tous les gens de métier à la SNCF, c’est est-ce qu’ils peuvent continuer à fonctionner comme ils fonctionnent ? Le fait est que, et je ne crois pas qu’on puisse me contredire, que ces métiers fonctionnent de façon non pas du tout corporatiste, mais fermée sur eux-mêmes, ce qui est d’ailleurs une façon de se défendre. Je ne critique pas le fait que les métiers soient fermés, par exemple ils ont des secrets, et avoir des secrets sur la manière de travailler est une manière de se défendre, de se préserver. De ce point de vue-là, je comprends qu’ils restent fermés, n’empêche que ça pose quand même un très gros problème qui est que la production du service de voyageurs, ou de voyage pour les voyageurs, ce qu’on appelle aujourd’hui à la SNCF à mon avis de façon tout à fait juste " l’accompagnement d’un parcours voyageur ", ne se fait pas uniquement par un métier mais un ensemble de métiers qui doivent coopérer entre eux pour réussir les parcours voyageurs. Depuis les vendeurs, les gens d’accueil, les contrôleurs, les conducteurs etc. Dans l’idéal, il faudrait que tous ces métiers soient solidaires de la qualité des parcours voyageurs. Le service rendu à travers des parcours voyageurs réussis.

Or, que constate-t-on aujourd’hui ? Il faut être un peu dur, un peu méchant, les métiers à la SNCF ne se causent pas beaucoup. Je veux dire qu’on est à une époque de coopération entre les métiers, d’ouverture entre les métiers. Il est tout à fait légitime que les métiers perdurent, chaque métier a incontestablement ses spécificités, mais il faut en même temps que les métiers dialoguent et coopèrent entre eux. De ce point de vue, j’apporte le concept de " communauté d’action " : c’est-à-dire que je pense que ce qui unifie l’ensemble des métiers, ça va être par exemple la réussite des parcours voyageurs, donc d’une action et c’est une action qui solidarise l’ensemble des métiers. Pour que les métiers coopèrent, il faut qu’ils aient des objectifs communs, qu’ils soient solidaires de la même réalisation, du même effet. Donc je pense, qu’on le veuille ou non, qu’il va y avoir de plus en plus des chaînes de service, des chaînes de métiers avec une solidarité sur les effets qu’on produit en commun. Le commun s’impose, le commun inter-métier et pas seulement le commun interne à un métier. Du coup, je pense que la notion de collectif reste tout à fait valable pour le métier mais qu’elle s’élargit autour de ce que j’appelle ces communautés d’action qui ont finalement un objectif commun qui est la réussite du service pour les destinataires. C’est une première évolution à mon avis des collectifs qui est pour moi un peu la condition de la perdurance des métiers. Je le pense véritablement.

Deuxième aspect des collectifs : du côté des destinataires n’y a-t-il pas des collectifs aussi ? On voit quand même progressivement apparaître des embryons de collectifs. On peut porter tous les jugements qu’on veut, on voit apparaître des associations d’usagers. Ça n’est pas une idée totalement aberrante, si on dit associations d’usagers et non pas de consommateurs. Les associations de consommateurs sont un tout autre problème. Ils vont se battre sur des problèmes de consommateurs justement. Mais si on a des associations d’usagers qui évaluent le service qui leur a été rendu sur la durée, pas pour des petites réclamations bêtes et méchantes mais qui ont vraiment le souci d’évaluer le service vu du point de vue des usagers, c’est un autre collectif et un collectif qui a tout à fait, à mon avis, droit à la parole. Il faut que ces différents collectifs, les communautés dans les entreprises, et les communautés d’usagers en dehors, là aussi puissent dialoguer. Une entreprise ne peut pas auto-évaluer ce qu’elle réalise. Il faut toujours qu’il y ait un acteur externe pour évaluer ce qu’elle fait sinon elle s’enferme dans son propre point de vue.

Ce qui m’amène à la question écologique : je l’ai dit, association d’usagers ouvre la question écologique puisque beaucoup d’associations portent sur le domaine écologique. Je vais dire ma position là-dessus qui est disons un petit peu carrée. Première chose à dire sur la nature : l’écologie ça vient de oikos en grec et ça veut dire " manière d’habiter la terre, la nature ". C’est ça l’écologie.

Première chose, je ne suis pas d’accord avec les phrases qui sont dans le texte : la nature en soi n’est pas du tout à protéger, elle n’est pas du tout en danger. Ne vous faites pas de souci pour la nature !. Elle peut se modifier. Si vous avez une terre complètement rasée par une bombe ou une catastrophe nucléaire, ça sera toujours la nature, mais la nature transformée. Mais la nature est tellement plus puissante que l’action humaine que… enfin bon, c’est pas son problème ! D’ailleurs, elle n’a pas de problème ; elle se transforme, elle évolue.

Donc moi ça me fait toujours un peu rire quand on dit " faut protéger la nature ". Non ! Soyons franc, ce n’est pas la nature qu’on veut protéger. Ce qu’on veut protéger c’est nous, dans notre rapport à la nature qu’on veut protéger. On aime les petites fleurs, donc on veut protéger les petites fleurs… La nature ça n’est pas uniquement des petites fleurs, c’est des forces, c’est l’extension de l’univers. Et toute la vie sur terre est dirigée par ces forces de la nature. Donc la nature c’est d’abord ça. Je dirais prudence, la nature elle n’a pas besoin de nous pour être protégée. Ce qu’on veut protéger c’est la nature qu’on connaît, à laquelle on est habituée et qui nous est favorable. Voilà pourquoi j’ai du mal avec cette histoire de protection de la nature.

Deuxième chose : les humains. Qu’est-ce qu’on est, nous, l’espèce humaine ? Nous sommes certes des êtres sociaux, je ne serais pas un sociologue si je ne disais pas que les humains sont des êtres sociaux.

J’ai lu Marx quand même. Mais j’ajoute immédiatement, les humains sont des êtres de nature. Ça, j’y tiens absolument, et ça n’est pas du tout un point de vue naturaliste. Ce sont des êtres de nature tout simplement par leur corps, par leur psychisme, par leur sens, par leurs sensations. Notre corps vient de la nature. C’est une telle évidence que nous sommes des êtres de nature, que nous sommes tout simplement des produits de la nature. Nous sommes à la fois des êtres sociaux et des êtres de la nature. Ce que l’écologie met en lumière c’est probablement qu’on a oublié qu’on était des êtres de nature en particulier à travers notre corps et qu’on le découvre à travers la détérioration.

Alors qu’est-ce qui se dégrade ? Ce qui se dégrade ce sont tout simplement les conditions propices à la vie humaine en tant que nous sommes des êtres de nature, et les conditions propices à la vie humaine sont dans une échelle très étroite : de température, de degré d’oxygène dans l’air etc. Et elles peuvent se dégrader et l’humanité peut disparaître assez facilement au final. Faut quand même voir sur le long terme que l’échelle de possibilité de vie pour les hommes sur terre est étroite. Quand on est conscient de ça, on se dit que la question écologique c’est la question de la perdurance de la vie humaine sur terre dans son rapport à la nature.

La question n’est donc pas celle de la nature en soi, c’est le rapport à une nature qui nous est propice. Faut dire les choses comme elles sont. Et pour moi, si je reprends les grands phénomènes que sont les gaz à effet de serre, la détérioration de la qualité de l’eau, la détérioration de la qualité de l’air, l’urbanisation galopante, etc., les télescopages des temps dans la vie moderne qui fait qu’on n’a plus le temps pour rien faire bien, et bien que voit-on ? On voit que le corps et le psychisme sont aujourd’hui attaqués et sous pression de la dégradation de ces conditions écologiques. Je pense personnellement que l’indicateur principal pour la question écologique est d’ailleurs la santé.

J’aurais bien vu écrit dans ce texte " une politique globale de la santé ". Parce que la question de la santé fait intervenir le travail, c’est évident, mais elle fait complètement intervenir aussi cette dégradation des conditions écologiques. Je ne suis pas médecin, je ne peux pas vous dire beaucoup de choses sur le fait que notre santé commence à être atteinte, mais ça me semble évident en ce qui concerne le psychisme.

La vie moderne, et c’est un aspect de l’écologie dont on ne parle pas tellement finalement, nous met sous des contraintes d’espace et de temps qui sont de plus en plus fortes, de plus en plus resserrées et qui agressent le psychisme. Notre psychisme est sans arrêt sous pression. Je ne suis encore une fois pas médecin, je ne saurais pas décrire les effets, mais je sais que personnellement je prends des antidépresseurs.

Enfin, nous sommes un peu tous dans une situation où notre psychisme commence à se dégrader. On sent bien qu’on a du mal à renouveler la qualité de notre propre psychisme. Sans parler du corps. Le corps lui aussi est attaqué. Je dirais donc politique globale du travail/question des services/développement humain durable et politique globale de la santé et non pas politique de santé d’un individu. C’est la santé des populations. La question écologique porte pour moi sur la santé des populations. On retrouve d’ailleurs un vieux thème du XIXè qui revient à l’ordre du jour, mais sous une autre facette. =

Messages

  • ZARIFIAN est une "pointure".C’est lui qui m’a fait les cours éco,lors du stage supérieur de la CGT.Il ne connait rien à la chasse aux sangliers,mais a réussi à nous
    bousculer les neurones à un niveau qui a fait que nous avons terminé ce stage moins couillon qu’en arrivant.

    Et un cheminot chasseur de sangliers,c’est pas facile à bousculer.

    Au-delà de ses nombreux bouquins,il y a ses contributions,notamment celle du 5 mai
    2010 : " La crise économique mondiale:Le pire est à venir ".Un texte simple,en plein
    dans l’actualité que je vous invite à lire.

    Pour la petite histoire,ZARIFIAN a été coopté par Martine AUBRY dans le cadre de l’élaboration de la loi sur les 35h.Il a dénoncé immédiatement l’arnaque qui consistait à ne pas inscrire dans la loi la partie " contenu et intensité du travail "pour
    ne pas s’attirer les foudres du MEDEF.

    LR