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Non à l’instrumentalisation des mendiants roms à des fins électoralistes

par Chachipe a.s.b.l.

Publie le jeudi 29 septembre 2011 par Chachipe a.s.b.l. - Open-Publishing

Luxembourg, le 27 septembre 2011 - Le 21 septembre 2011, à peine trois semaines avant les élections municipales, le conseil communal de la Ville de Luxembourg a choisi la « mendicité » comme thème de son traditionnel City Breakfast.

Luxembourg, centre-ville, septembre 2010

Selon les articles parus dans les médias , le bourgmestre libéral de la Ville, M. Paul Helminger, aurait souligné le caractère organisé de cette activité avec comme « preuve » le fait que les mendiants sont installés « dans des camps situés de l’autre côté de la frontière » faisant apparaître la structure hiérarchisée des « bandes » dont les chefs seraient installés « dans des caravanes tirées par des grosses Mercedes » alors que les « petites mains » trouveraient abri sous des tentes. Et de réclamer un supplément d’enquête et un durcissement de la loi. Ces propos auraient été soutenus et appuyés par le président de l’Union commerciale, M. Yves Piron, et l’échevin vert, M. François Bausch.

Sans les nommer mais alors que tout le monde comprend, le conseil communal s’en est ainsi pris aux Roms roumains qui viennent mendier au Luxembourg. Depuis leur arrivée, en 2007, les mendiants roms sont régulièrement la cible d’une campagne « d’information » de la police faisant appel à des préjugés classiques (mendiants professionnels, mendicité servant à couvrir des actes de délinquance, exploitation d’enfants) et invitant la population à les dénoncer, sous prétexte que la mendicité serait (toujours) interdite au Luxembourg.

Cette campagne va de pair avec une verbalisation massive des mendiants au moment même où l’interdiction de mendier a été levée : En 2008, le nombre de constats d’infractions pour des faits de vagabondage et de mendicité augmente de près de 80 pourcent, passant de 130 à 639. Un an plus tard, ce chiffre va plus que doubler pour atteindre le chiffre de 1636. De fait, le mouvement prend son origine en 2007 : En cette année, la police constate 130 infractions par rapport à 74 en 2006 et 85 en 2005. Elle coïncide avec l’entrée de la Roumanie et de la Bulgarie en Union européenne et l’extension de la liberté de circulation aux ressortissants de ces deux pays. Alors que les chiffres publiés par la police ne contiennent aucune information sur la nationalité des personnes verbalisées, on peut cependant supposer qu’il s’agit majoritairement de personnes d’origine étrangère, probablement roumaine, et issues de la communauté rom.

Le caractère politique de la campagne contre les mendiants roms ressort notamment des propos du bourgmestre de la Ville de Luxembourg publiés dans le Luxemburger Wort du 25 juin 2009. Interrogé sur le thème de la délinquance en ville, M. Helminger s’y félicite de la disparition des mendiants roumains du paysage urbain, après l’intervention vigoureuse de la police, sur demande du Ministre de la Justice de l’époque, M. Luc Frieden. Répondant à la question du conseiller communal, M. Claude Radoux, qui demande des mesures contre les mendiants, M. Helminger répond, un an plus tard, en affirmant que la police poursuivrait sa campagne d’information et maintiendrait ses contrôles en dépit de la levée de l’interdiction de la mendicité.

Lors de nos enquêtes de terrain nous avons pu constater que les mendiants roms sont exposés à l’arbitraire policier pouvant culminer dans l’abus. Ainsi, ils sont fréquemment contrôlés, arrêtés et emmenés dans les commissariats de police où ils restent pendant plusieurs heures. Plusieurs personnes nous ont rapporté avoir subi des actes de violence. La pratique des fouilles corporelles intégrales est documentée dans les bulletins de la police. Elle est contraire à l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme et a déjà donné lieu à plusieurs condamnations d’Etats membres du Conseil de l’Europe par la Cour des droits de l’Homme. Le produit de la quête des mendiants est toujours confisqué alors qu’il ne résulte pas d’une activité illégale.

Depuis l’an passé, la police semble avoir quelque peu modéré son ardeur : En effet, le nombre d’infractions constatées a chuté de façon tout aussi vertigineuse que l’avait été son ascension, passant de 1636 en 2009 à « seulement » 59 cas en 2010. Ainsi, le Luxembourg se met donc finalement à la norme. A titre de comparaison, en 1994, année où la mendicité simple a été dépénalisée en France, la police française constata moins de 2000 infractions pour motif de vagabondage et de mendicité, donnant lieu à un nombre infime de condamnations.

Nous comprenons, évidemment, que la vue des mendiants dérange et qu’elle dérange d’autant plus que la mendicité se pratique dans des endroits réservés au commerce et à la consommation. Ceci ne constitue pas pour autant une justification pour stigmatiser les mendiants et pour les chasser comme de vilains insectes. Avant d’évoquer les « camps de l’autre côté de la frontière », nos responsables politiques feraient bien de s’interroger sur la pratique centenaire consistant à refuser le droit de cité aux Roms. Concernant plus particulièrement les Roms roumains, ils devraient également s’interroger sur l’opportunité de maintenir le régime transitoire qui prive les ressortissants roumains et bulgares de l’accès au marché du travail luxembourgeois.

L’intervention indignée, mais hélas, peu efficace, de la vice-présidente de la Commission européenne, Mme Viviane Reding, a mis à la lumière l’acharnement politique et policier contre les Roms en France. Aujourd’hui encore, les Roms roumains et bulgares y vivent dans une situation d’extrême précarité et sous la menace permanente d’expulsion. Ceci est également le cas des Roms roumains installés à la frontière avec le Luxembourg.

De telles conditions de vie, non seulement, empêchent la scolarisation des enfants, mais favorisent également l’émergence de relations de dépendance qui peuvent aboutir dans des formes d’exploitation. La solution à cette situation ne réside pas dans une criminalisation des mendiants, - qui, s’il était avéré qu’ils sont effectivement victimes de la traite humaine, devraient pouvoir bénéficier des dispositions de la loi du 8 mai 2009 sur l’assistance, la protection et la sécurité des victimes de la traite des êtres humains protégeant les victimes - , mais dans une politique d’accueil et d’insertion à laquelle le Luxembourg se refuse. Elle réside aussi dans une amélioration de la situation des Roms dans leurs pays d’origine et dans un accès effectif aux droits qui leur est souvent refusé.

Chachipe a.s.b.l.

N.B. : L’article avec liens et annexes est également disponible sur notre site : http://romarights.wordpress.com/2011/09/27/chachipe-non-a-l-instrumentalisation-des-mendiants-roms-pr/