Accueil > La France rappelle la Shoah à sa mémoire

La France rappelle la Shoah à sa mémoire

Publie le jeudi 27 janvier 2005 par Open-Publishing
1 commentaire

L’homme est là, tête penchée en arrière, presqu’à l’équerre, qui cherche un nom gravé en haut du mur. « Celui de mon père, dit-il. J’ai trouvé celui de ma mère, il est ici, mais... Ha ! le voilà. » Norbert, né en 1884, mort en camp de concentration l’année 1942. Le monsieur baisse son regard, le relève, vérifie. « Bon... Bon. » Il tourne les talons et s’en va. Il a fait ce qu’il avait à faire. S’assurer, parfaitement, que l’on sait, à présent, que ses parents existent. Il a les yeux mouillés, peut-être est-ce le froid. Sa douleur est à lui, sa mémoire également et l’on devine qu’elles ne sont, ni l’une ni l’autre, entièrement partageables. On ne peut qu’apprendre son histoire et veiller à ne pas l’oublier. C’est l’objectif que s’est assigné le mémorial de la Shoah, que le président de la République a inauguré hier, à Paris.

Prévenir l’homme contre lui-même

Après trois années de travaux, le bâtiment ouvrira ses portes au public demain, jeudi 27 janvier, date du 60e anniversaire de la libération du camp d’Auschwitz. L’ancien mémorial du Martyr juif inconnu, jusqu’alors centre de recherche, se fait aujourd’hui musée. « Parce qu’il faut utiliser cette période pour prévenir l’homme contre lui-même », explique Éric de Rothschild, président de la structure. « Parce que jamais la chaîne des souvenirs ne doit se rompre », dira quant à lui Jacques Chirac.

Dans la cour, à l’entrée, une cheminée, de celles qui surplombaient les chambres à gaz, est plantée, énorme, noire et verdâtre. En dessous, mais il faut être à l’intérieur pour le voir, la crypte avec, en son centre, l’étoile de David éclairée d’une bougie. L’aile gauche de la cour est bordée par le mur des Noms des déportés juifs de France. Des pages de marbre blanc, interminables, où se déroule la liste, non exhaustive, de 76 000 noms, prénoms et dates de naissance. Quelques gerbes ont été déposées. « À Jean-Michel, notre grand-père... »

« Ce mur est une introduction au mémorial, explique Serge Klarsfeld, son concepteur. Ces noms, que des gens ont un jour voulu effacer, sont aujourd’hui des agents actifs de la mémoire. » Dans le hall du bâtiment, des photos sont projetées sur le mur. Celle d’Aziza, Marcelle et Gabrielle. Toutes trois, enfants cachées, ont survécu aux temps d’horreur. Ou celle de Bluma et Henri Tachen, assassinés à Auschwitz.

Des visages nous prennent à témoin

Monsieur Singer, responsable pédagogique du mémorial, accueille en moyenne 5 000 élèves par an. « Notre intervention vise à les sensibiliser, explique-t-il. La mémoire, elle, ne se transmet pas, c’est quelque chose d’absolument personnel. Elle ne peut être que prolongée. » Ceux qui la détiennent s’y appliquent.

L’exposition permanente lutte pareillement contre l’oubli. Des visages nous y prennent à témoin et racontent l’histoire des juifs de France de 1942 à 1945. L’exclusion d’une société par laquelle ils se croyaient protégés. Les rafles, juillet 1942. Les titres de journaux français. « La France va-t-elle subir la dictature judéo-américaine ? » L’image de René Bousquet, secrétaire général de la police française, aux côtés d’officiers allemands, au moment des grandes rafles de Marseille, en 1943. Une lettre manuscrite, adressée par le commissaire de police de Compiègne au préfet de l’Oise. « J’ai l’honneur de vous rendre compte que le 19 mars 1942, 178 juifs ont été transférés par les soins de 100 gendarmes français au camp de Drancy [...]. L’embarquement s’est effectué dans un ordre parfait, à 16 h 50. » Autre lettre manuscrite, celle de Clara à ses cousins : « 17 juillet 1942. Ce mot pour vous dire que nous avons été pris jeudi à 3 heures et demie et conduits au Vélodrome d’hiver. »

dans la chambre à gaz numéro 4

La suite, Jo Wajsplat l’a connue. À Auschwitz, un samedi après-midi, le 30 septembre 1944, il avait quinze ans, après avoir échappé à 5 sélections, il est entré dans la chambre à gaz numéro 4. Les SS les avaient d’abord alignés, lui et ses 500 camarades de blocs, nus, dans la cour. Ils les ont fait entrer. Jo se souvient des pleurs, de la suffocation et des cris. Puis une porte s’est ouverte. Il s’y est engouffré. « Mengele, le médecin-chef d’Auschwitz, n’avait pas pris la décision de cette sélection. » Vexé, et pour faire valoir son autorité, il a donc décidé de faire sortir quelques personnes. Cinquante-trois précisément. « C’est l’unique fois qu’une telle chose s’est produite. » Jo a conservé une brique de la chambre à gaz numéro 4. Il a aussi gardé son pyjama et du fil barbelé. Le 13 février, il retournera pour la 7e fois cette année à Auschwitz, accompagner un groupe de jeunes.

http://www.humanite.presse.fr/journ...

Messages

  • Une lettre de Pie XII à Mgr von Galen : "Merci de t’exprimer clairement et courageusement"
    Texte intégral

    Dans cette lettre à l’évêque de Münster, datée du 23 février 1943, Pie XII remercie et approuve Mgr von Galen pour ses actes de résistance au régime nazi. Jamais dans l’histoire moderne de l’Église, dit le Saint-Père, on a vu une telle “unité de destin entre la dignité humaine, la famille et l’Église”. Le pape avoue même sa “consolation” chaque fois qu’il apprend qu’un évêque allemand “s’exprime de manière claire et courageuse”. Le pape accusé aujourd’hui de complicité plus ou moins passive avec l’Allemagne nazie élèvera le plus célèbre opposant à Hitler à la dignité cardinalice le 8 septembre 1943.

    Document

    LETTRE DE PIE XII À L’ÉVÊQUE DE MÜNSTER
    (D’après la traduction proposée par le mensuel 30Giorni)

    Du Vatican, 24 février 1943

    À notre vénérable frère Clemens August von Galen, évêque de Münster

    Nous recevons avec joie et gratitude les vœux que toi, vénérable frère, tu as voulu nous présenter en ton nom et au nom des fidèles de ton diocèse pour l’anniversaire de notre élection et de notre couronnement. Ces vœux nous viennent assurément d’un pasteur chez lequel, grâce à la tradition catholique de sa famille et, plus encore, grâce à une compréhension pleine de foi de son ministère épiscopal, la conscience du lien avec le vicaire du Christ est particulièrement vive, et d’un troupeau qui s’est toujours distingué par sa fidélité à l’Église.

    Nous vous remercions surtout pour vos prières ; pour la prière que vous avez élevée pour nous à Dieu à l’occasion de l’anniversaire de notre consécration épiscopale, comme pour la prière par laquelle vous avez, dimanche, avec l’“Invocabit”, imploré la bénédiction de Dieu sur la cinquième année de notre pontificat.

    Nous pouvons seulement vous encourager à continuer à intercéder pour le successeur de Pierre, car il est difficile de dire ce qui domine, si ce sont les besoins et les dangers qui menacent et menaceront encore la Sainte Église ou les lourdes tâches et les espoirs du monde qui, dans un avenir proche et dans un autre plus lointain, se présenteront à elle. Il n’est pas nécessaire d’ajouter que, de notre côté, nous rappelons quotidiennement dans la prière et dans le saint sacrifice vos nombreuses, si nombreuses intentions : nous savons combien il y en a et quelle appréhension elles suscitent.

    Nous te remercions en outre pour les deux pièces jointes, la lettre pastorale du 22 mars 1942, dont il a été donné lecture, presque partout en même temps, en Allemagne de l’Ouest et en Bavière, et la lettre pastorale pour l’Avent, qui a été lue par vous en Allemagne de l’Ouest et à Berlin. Les deux appels reçoivent notre pleine approbation parce qu’ils défendent avec un grand courage les droits de l’Église, de la famille et des individus.

    L’unité de destin qui lie la dignité humaine, la famille et l’Église s’est rarement manifestée, et peut-être jamais comme aujourd’hui, de façon aussi tangible dans l’histoire moderne de l’Église. C’est pour nous une consolation chaque fois que nous apprenons qu’un évêque allemand ou l’épiscopat allemand s’est exprimé de façon claire et courageuse. Une réflexion clairvoyante vous persuadera du fait qu’avec vos interventions résolues et courageuses en faveur de la vérité et du droit et contre l’injustice, vous ne nuisez pas à la réputation de votre peuple à l’étranger, mais qu’au contraire vous la servez, même si d’autres, méconnaissant de façon déplorable l’état des faits, vous accusaient, ne fût-ce que pour un instant, du contraire. Toi, vénérable frère, tu es d’ailleurs le dernier auquel nous avons expressément besoin de dire cela.

    Les deux lettres pastorales que tu as voulu nous envoyer ont en quelque sorte préparé chez vous le terrain à notre Message de Noël du 24 décembre 1942. Nous apprenons avec satisfaction que tu as établi que le contenu du Message serait traité dans les conférences des doyens. Cela renforce le lien spirituel entre nous et votre clergé, entre vous et le vaste monde catholique. Nos paroles ont eu dans toute la terre un profond écho parmi les belligérants et parmi les rares pays qui ne sont pas encore directement touchés par la guerre.

    Il n’y avait pas sous nos messages, surtout sous les messages de Noël à partir de 1939, l’idée que l’on pouvait, à travers eux, influencer dans une mesure déterminante les événements belliqueux en eux-mêmes. Nous avons seulement, en tant que vicaire du Christ, accompli notre devoir, celui d’aplanir la route au droit naturel et à la loi du Christ face à des réglementations internes et entre les États qui sont soumises aujourd’hui à des réorganisations importantes, et celui de protéger les fidèles contre le danger d’une pensée non chrétienne et d’un nationalisme exaspéré, et, enfin, si cela plaisait à Dieu et s’Il nous donnait sa bénédiction pour ce faire, de préparer et d’indiquer dans une perspective d’éclaircissement et de conciliation la solution des tâches énormes et difficiles qui, en conscience, devront être affrontées avec la fin de la guerre.

    Les préoccupations, causes de tant de peine, que tu énumères pour ton diocèse – prêtres envoyés en exil ou enfermés dans des camps de concentration à cause de leur foi (notre bénédiction particulière va aux paroisses et aux familles de ceux qui, parmi eux y ont péri), l’expropriation du Collège épiscopal de Gaesdonck, qui est de tant de mérite pour la formation des prêtres et des laïcs catholiques, et la pénurie des prêtres en raison de la disparition des classes aptes à la guerre et du rappel des jeunes prêtres dans l’armée –, toutes ces préoccupations concernent les besoins généraux de l’Église catholique en Allemagne et nous les partageons avec vous, les évêques, très vivement et du fond du cœur.

    La pénurie de prêtres est en passe de devenir un état d’urgence pour l’Église en Europe ; de plus, elle aura des répercussions fatales jusque dans les lieux de mission. L’Église acceptera le manque de prêtres comme un mal mineur et peu à peu elle surmontera ce problème avec l’aide de Dieu si, du moins, le clergé qui est resté, spécialement le clergé jeune qui, du front, rentrera dans sa patrie, se montre prêt, soutenu par une force surnaturelle, fidèle à l’Église, uni en son sein, lié à son évêque et au Pape par une confiance sincère, avec mansuétude, esprit de service et ferveur spirituelle, à assumer, les yeux ouverts, deux tâches sacerdotales urgentes : l’annonce et la défense persuasive de la foi catholique et de l’entière vision catholique du monde jusqu’à ses dernières conséquences pour les individus et pour la communauté, et le renouvellement, soit la création renouvelée, de formes de vie chrétienne.

    Les mots ne suffisent pas pour exprimer notre souhait que le clergé soit conscient et à la hauteur de ses responsabilités, spécialement en ce qui concerne l’accomplissement fidèle et consciencieux de l’office pastoral de la prédication et de l’administration du sacrement de la confession. Ce qui, au milieu de nos appréhensions, nous donne force et nous réconforte, ce sont les nouvelles comme celles que tu nous donnes dans ton écrit sur la visite des sanctuaires mariaux dans ton diocèse, l’année passée. Tant que les indices de la vie religieuse seront aussi élevés, nous et vous, malgré les tempêtes des années passées et l’obscurité de l’avenir, nous ne devons pas avoir peur. Nous croyons aussi que nous ne devons pas douter du fait que, selon la volonté de Dieu, dans ces jours sombres, le salut, la bénédiction et la paix arriveront au monde à travers, justement, la prière à la Mère de Dieu.

    Ton désir, vénérable frère, de venir encore une fois à Rome chez le Saint Père n’est pas moins fort que notre désir de pouvoir te saluer, toi et les autres évêques allemands chez nous, et de discuter avec vous des aspirations de l’Église catholique en Allemagne. Beaucoup de temps a déjà passé depuis le jour où nous avons vu ici les évêques allemands. Malgré cela, nous respectons et approuvons ton projet de différer pour le moment la “visitatio ad liminum apostolorum” ; nous espérons seulement que les événements pourront vous ouvrir au plus vite la route qui mène à Rome.

    Dis aux fidèles de ton diocèse que nous prions, que nous offrons des sacrifices et que nous travaillons pour une paix qui crée pour tous les peuples, sans exception, une situation supportable ; qu’il y a peu de choses qui nous tiennent à cœur comme “la liberté et la gloire” de l’Église catholique et de la vie religieuse tout entière dans votre patrie ; que nous remercions Dieu pour la fermeté dans la foi des catholiques allemands que nous exhortons paternellement à rester fidèles au Christ avec vigueur et courage, patience et ferme confiance dans la Divine Providence.

    En gage de Son assistance invincible et de Sa grâce qui l’emporte sur tout, nous te donnons de tout notre cœur à toi, vénérable frère, à ton clergé et à tes fidèles, en particulier à ceux qui se trouvent au front et aux jeunes, la bénédiction apostolique désirée.

    Pie pp. XII