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Série : Le contexte international des indignations mondiales (en 5 parties)

par Eric Toussaint

Publie le jeudi 29 décembre 2011 par Eric Toussaint - Open-Publishing

Première partie : Brève rétrospective des mouvements qui ont précédé le
printemps arabe, les Indigné-ées et Occupy Wall Street

Au cours de l’année 2011, le mouvement social et politique rebelle a
refait irruption dans les rues et sur les places publiques aux quatre
coins de la planète. Il a pris une nouvelle forme et de nouvelles
appellations : le printemps arabe, les indignés, le mouvement Occupy
Wall Street (OWS)… Les principales régions concernées sont l’Afrique du
Nordet le Moyen Orient (y compris Israël), l’Europe et l’Amérique du
Nord. Certes, tous les pays de ces régions n’ont pas été touchés par
cette vague de mobilisations et les nouvelles formes d’organisation,
mais tout le monde en a entendu parler. Dans les pays où il n’a pas pris
une forme massive, des minorités agissantes essaient de lui faire
prendre racine avec des résultats divers . Dans l’hémisphère Sud de la
planète, en 2011, seul le Chili a vécu un mouvement proche de celui des
Indignés .

Afin de résumer à grands traits l’action de ce qu’on a appelé le
mouvement altermondialiste sur le plan international au cours des deux
dernières décennies, on peut distinguer différentes phases en liaison
avec l’évolution de la situation mondiale.

Entre 1999 et 2005, face à un approfondissement de l’offensive
néolibérale dans les pays du Nord, ont lieu de grandes mobilisations
contre l’OMC (Seattle aux Etats-Unis en novembre 1999), contre la Banque
mondiale, le FMI et le G8 (Washington en avril 2000, Prague en septembre
2000, Gênes en juillet 2001). C’est dans ce cadre que naît le Forum
social mondial en janvier 2001 à Porto Alegre. Dans les années qui
suivent, on assiste à un processus d’extension vers plusieurs continents
(Amérique latine, Europe, Afrique, Asie du Sud, Amérique du Nord). Se
créent de nouveaux réseaux internationaux : Jubilé Sud (sur la
problématique de la dette), ATTAC (contre la dictature des marchés), la
Marche mondiale des femmes, Notre monde n’est pas à vendre... Se
renforcent aussi des réseaux plus anciens (nés dans la première moitié
des années 1990) : Via Campesina, CADTM (réseau Nord/Sud qui se focalise
au départ sur la dette, la Banque mondiale et le FMI)… Le mouvement
altermondialiste (ou antiglobalisation) prend forme pendant cette phase,
essentiellement dans le cadre du Forum social mondial.

Encadré : Les jalons vers la création du mouvement altermondialiste

Bien sûr, les mobilisations des années 1999-2000 ont été préparées par
d’autres actions parmi lesquelles :

 la mobilisation contre le G7 à Paris en juillet 1989 à l’occasion du
bicentenaire de la révolution française au cours de laquelle a été
adopté l’Appel de la Bastille pour l’annulation de la dette du tiers
monde (texte fondateur du CADTM, voir
http://www.cadtm.org/Appel-de-la-Bastille-pour-l ) ;
 la rébellion (néo) zapatiste qui a fait irruption le 1er janvier 1994
et a eu un impact international très important pendant plusieurs années
notamment lors de la rencontre internationale au Chiapas de 1996
intitulée de manière surréaliste « Rencontre intergalactique en défense
de l’humanité » (à laquelle de plusieurs mouvements internationaux dont
le CADTM ont participé).

C’est aussi en 1994 qu’eut lieu le 50e anniversaire de la fondation de
la Banque mondiale et du Fonds monétaire international (FMI).
L’événement fut commémoré par un énorme rassemblement de contestation à
Madrid. Cette manifestation a inspiré plus tard les Français qui, dans
la mobilisation contre le G-7 à Lyon en 1996, ont mis en place les
collectifs « Les autres voix de la planète ». L’initiative espagnole
réunissait des ONG, le CADTM Belgique et des mouvements comme « la
plateforme 0,7 % » où des jeunes luttaient pour que leur pays consacre
0,7 % du PIB à l’aide publique au développement, et aussi des syndicats,
des mouvements féministes, des mouvements écologistes (Ecologistas en
Accion). Déjà, à l’occasion de ce contre-sommet, s’alliaient toute une
série de mouvements qui, plus tard, allaient se retrouver à Seattle en
1999, puis à Porto Alegre en 2001, etc. En 1997, à Amsterdam, lors d’un
contre sommet face à l’Union européenne, les marches européennes contre
le chômage jouent un rôle de catalyseur.

Voir CADTM Les manifestes du possible, Syllepse-CADTM, Paris-Liège, 2004
http://www.cadtm.org/Les-Manifestes-du-possible

Fin de l’encadré

Après 20 ans de domination néolibérale en Amérique du Sud, dans
plusieurs pays, les luttes sont massives et plusieurs sont couronnées de
succès : guerre de l’eau en Bolivie en 2000, soulèvement indien en
Equateur qui renverse un président néolibéral (2000), rébellion qui
renverse le président néolibéral argentin (fin 2001) et ouvre une crise
prérévolutionnaire en décembre 2001 qui se poursuit en 2002, soulèvement
populaire au Venezuela en avril 2002 pour le retour de Hugo Chavez à la
présidence après son renversement par un putsch (11-13 avril 2002),
guerre du gaz en Bolivie en 2003 avec renversement du président
néolibéral pro-Washington, renversement du président néolibéral
pro-américain en Equateur en 2005… Dans la foulée de ces mobilisations,
des gouvernements qui rompent partiellement avec le néolibéralisme et
s’opposent à la domination des Etats-Unis entament des réformes
politiques et réinstaurent en partie le contrôle public sur les
ressources naturelles (Venezuela à partir de 1999, Bolivie en 2006,
Equateur en 2007) . Sous la pression populaire, le gouvernement
argentin, qui n’a pas une origine de gauche, applique des mesures
hétérodoxes qui tranchent avec le cours suivi par le gouvernement du PT
au Brésil ou du Front ample en Uruguay qui eux prolongent la politique
de leur prédécesseurs néolibéraux en y ajoutant une dose importante d’« 
assistancialisme » qui améliore la situation des couches les plus
pauvres et consolide leur base électorale. La zone de libre commerce
pour les Amériques voulue par Washington est abandonnée en 2005 grâce à
l’opposition d’une majorité de gouvernements d’Amérique du Sud et la
mobilisation sociale.

Entre temps, le 11 septembre 2001 débouche sur une nouvelle offensive
belliqueuse des Etats-Unis en Irak et en Afghanistan qui dégage une très
forte odeur de pétrole et de renforcement de son avantage militaire.
Cette offensive va également de pair avec une restriction des libertés
démocratiques notamment aux Etats-Unis et en Grande Bretagne. Le
prétexte tout trouvé est la lutte contre le terrorisme. Face à ce
durcissement impérial, le mouvement altermondialiste réussit la plus
grande marche antiguerre de l’histoire (12 à 13 millions de manifestants
défilent aux quatre coins de la planète en février 2003) mais ne
parvient pas à empêcher l’invasion de l’Irak un mois plus tard. Le
déclin du Forum social mondial commence en 2005. En cause, la
persistance du refus de son conseil international de faire évoluer un
forum de rencontre et d’échange vers un moyen démocratique et ouvert de
rassemblement pour l’action. A cela s’ajoute l’institutionnalisation du
processus, dominé par des ONG et des leaders de mouvements sociaux qui
s’alignent sur des gouvernements sociaux libéraux (le gouvernement Lula
au Brésil et Prodi en Italie, notamment).

A partir de 2004, à l’échelle internationale, il n’y plus de grandes
mobilisations contre le FMI, la Banque mondiale, le G8, l’OTAN, l’OMC,
contre les guerres impérialistes. Le mouvement altermondialiste est
manifestement en perte de vitesse même si les éditions du Forum social
mondial peuvent connaître un succès comme en 2009 à Belém (Brésil) et,
dans une moindre mesure, à Dakar en février 2011.

En 2005, par l’adoption antidémocratique du traité constitutionnel, les
classes dominantes européennes et les gouvernements en place renforcent
l’orientation capitaliste néolibérale de l’intégration européenne dans
le cadre de l’UE et de la zone euro qui s’étend progressivement à 17
pays. Les pays capitalistes les plus industrialisés ainsi que la Chine
et les pays exportateurs de matières premières ont une santé qui semble
bonne. Les classes dominantes poursuivent leur offensive en terme de
précarisation du travail, mais la consommation est soutenue notamment
par les achats à crédit et la bulle immobilière qui produisent une
fausse impression de richesse et de bien-être dans plusieurs pays
(Etats-Unis, Royaume-Uni, Espagne, Irlande, Grèce, plusieurs pays de
l’Europe centrale membres de l’Union européenne). Par ailleurs, les
effets perceptibles du changement climatique en cours commencent à
provoquer une prise de conscience critique à propos du capitalisme
productiviste.

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