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Le témoignage insolite de la solitude en prison

Publie le vendredi 20 janvier 2012 par Open-Publishing

Cinquième forum des solitudes
Du 6 décembre 2011
Organisé par Madame Maudy PIOT,
Présidente de FDFA

Le témoignage insolite de la solitude en prison

Ce n’était pas prévu mais puisque Madame Roselyne BACHELOT vient d évoquer Virginia WOOLF, et sa célèbre Chambre à soi, je me permets de compléter mon allocution par cette entrée en matière : En effet, aussi curieux que cela puisse paraître, la cellule carcérale a été contre toute attente ma chambre à moi – pardon pour la paraphrase et surtout l’imperfection notoire de ces derniers mots mis ensemble en italiques mais je les trouve si jolis à prononcer ! Au risque de me répéter, je dirais que : on ne lit bien certaines œuvres qu’en prison. Les plus grandes œuvres littéraires.

Recluse dans les quelques mètres carrés d une cellule, allongée sur un matelas en mousse, la position du corps, occupant si peu d’espace dans notre si grand monde, devient posture mentale, voire morale. La détenue rejoint le hors-monde dans lequel toutE écrivainE digne de ce nom s’est refugiéE pour travailler. Ces deux-là partagent alors le même ailleurs. La lecture devient ainsi production ; le livre, cahier d’écriture ; l’espace fantasmatique s’ouvre, de vastes horizons se dessinent en même temps qu’est réduit le champ d’activités possibles. La réceptivité atteint ainsi un degré maximal dû à une concentration qu’aucune distraction extérieure ne vient troubler.

L’incarcération offre cette épreuve ; cette chance. Pour celles qui en acceptent les contraintes sans tricherie ni dérivatif, l’expérience enrichit existentiellement par cet accès à une solitude salvatrice : celles qui est retrouvailles avec soi-même. La prison ouvre des portes mentales donnant accès à des espaces intérieurs entiers jusqu’alors verrouillés (La Prison ruinée, pages 19/20). . J’ai été condamnée en appel, en juin 2008, à dix-huit mois de prison - dont dix avec sursis - pour "appels téléphoniques malveillants réitérés" suite à l’abandon thérapeutique brutal et restant encore à ce jour inexpliqué, ceci en pleine période transférentielle de la cure entreprise a avec un psychanalyste, également expert psychiatre national auprès des tribunaux.

Autrement dit-il : il s’agit d’une jeune femme qui se rend chez un psychanalyste pour aller mieux. Elle possède un casier judiciaire vierge, et selon la formule consacrée : elle est inconnue des services de police. Quinze ans plus tard, elle a tout perdu, y compris et surtout la perception d’un monde habitable. Entre-temps, elle a connu la prison, la cavale, la séquestration, les agressions, et subi toutes les humiliations. La prison ferme ou molle a été un déshonneur, une insulte, une folie. La prison a été surtout l’occasion de survivre à un sentiment et à une réalité qui n’est ni l’ennui ni l’abattement mais qui est très souvent perçu et vécu comme douloureuse : la solitude.

Par quelle plasticité notre cerveau réussit-il à mobiliser ses ressources intérieures, à s’adapter, à s’organiser et à créer ses propres défenses ? Cela restait pour moi un mystère avant d’en parler avec Maudy Piot qui en un seul entretien réussit à m’éclairer au sujet de la venue mes petites armées dépêchées par mes propres ministères de l’intérieur et de la défense qui m’aidèrent ainsi non pas seulement à vaincre la solitude carcérale, mais aussi et surtout à m’en faire une alliée.

Quarante ans avant ma détention, j’étais une petite fille malade de ce qu’on appelle aujourd’hui : les maladies orphelines, autrement dit : les maladies rares. La mienne, génétique, s’appelle : la maladie périodiques ou maladie méditerranéenne. Vouée à une mort précoce je vivais dans l’entre-temps qui sépare le mourant du mourir dans la solitude de l’alitement prolongé, pourtant toutes sortes de choses affluaient à mon esprit dans l’attente d’une expression adéquate, jusqu’à ce moment précis où je parvins à métaboliser mes émotions et j’écrivis mon premier poème.

Ce fut un très court poème de rien du tout et que j’ai encore aujourd’hui en tête : dans les couleurs de l’arc en ciel, la mer est bleue, le ciel est bleu, tes yeux sont bleus mais tout à coup tout s’obscurcit, la mer, le ciel et toi aussi, ainsi, puisant dans ressources intérieures, je réussis à détourner à mon profit, par un acte de créativité ce qui mine, enferme, fige : la solitude...

Instrumentalisée par mon travail de sape, la solitude fut vécue non comme isolement mais comme échappée libératrice ; non comme perte de soi-même mais au contraire retrouvailles avec nos propres fondamentaux, non comme expérience douloureuse mais réconciliation avec soi-même, la solitude non comme décrochage d’un vivre ensemble mais au contraire comme un ancrage solide de singularité qui seul permets la véritable rencontre avec le monde. Arme que j’ai appris à forger dès mon enfance et qui s’est muée en force invincible, la solitude a été bien plus que cela : une chance.

Écrouée en 2008, le sentiment de solitude ne me brisa pas, je le connaissais que trop bien depuis mon enfance, je m’en servis comme une autodéfense, comme quand j’avais 6 ans peut-être.

Je me mise alors à écrire un petit livre de 40 pages : La Prison ruinée qui fut ensuite édité chez Indigène éditions, très connues pour leur Indignez- vous de Stéphane HESSEL.

La Prison ruinée est déjà en rupture de stock : 5000 exemplaires en ont été vendus.

Quant au médecin aux pratiques délétères il a été interdit d’exercer par délibéré-du Conseil de l’Ordre des médecins du 6 mai 2011...

Depuis l’enfance j’ai su que la solution au mal, quel qu’il soit, est toujours poétique, la solitude peut être utile et même nécessaire : rendez-vous en compte par vous même : tous les livres présents dans vos bibliothèques sont nés dans la solitude et briseront la vôtre...

Brigitte BRAMI