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Les femmes au pouvoir au Nicaragua

par CEDRIC REICHENBACH

Publie le dimanche 22 janvier 2012 par CEDRIC REICHENBACH - Open-Publishing
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Sur les 62 sièges obtenus en novembre dernier par la première force politique du Nicaragua – le Front sandiniste de libération nationale (FSLN) –, plus de la moitié reviennent à des femmes. A partir du 10 janvier, 34 députées sandinistes, soit 53% du total des fauteuils gagnés par le FSLN, siègeront à l’Assemblée nationale : une révolution pour un pays où le machisme est une véritable calamité.

« Pour la première fois, nous disposons de la majorité au sein du Front sandiniste. Ce n’est pas seulement une victoire pour les femmes de notre pays, mais également pour l’ensemble des familles du Nicaragua qui peuvent enfin défendre pleinement leurs droits », déclare fièrement la députée Gladys Báez qui représentera à nouveau le département de León à l’Assemblée. Au sein du parlement, les députées réélues ne cachent pas leur satisfaction, à l’instar de cette ex-combattante du FSLN.

« La lutte des femmes pour obtenir l’espace politique qui leur revient ne date pas d’hier », souligne celle qui participa à la création en 1963 de la Fédération des femmes démocratiques nicaraguayennes, tandis que s’intensifiait la violence de la dictature du clan Somoza.

Libéraux sexistes

Arrêtée et torturée à de nombreuses reprises par la guardia avant la Révolution sandiniste (1979), Gladys Báez est aujourd’hui l’une des nombreuses Nicaraguayennes à occuper un poste important au sein des structures de l’Etat. Des femmes qui auraient pu se rapprocher de la majorité à l’Assemblée nationale (92 députés au total) si la principale force d’opposition – le Parti libéral Institutionnel (PLI) – avait donné plus d’espace à ses candidates : les hommes accaparent en effet 26 des 29 sièges libéraux.

Il faut dire qu’au Nicaragua libéraux et conservateurs n’ont pas exactement fait de l’égalité des sexes une priorité. Si l’on additionne les députées issues de l’ensemble des forces libérales (ALN, PLC, PLI) sur les vingt dernières années, on dénombre à peine une cinquantaine de femmes, titulaires et suppléantes confondues !

De son côté, le Front sandiniste compte 34 députées titulaires et 38 suppléantes, uniquement pour la période 2012-2017, ce qui place le Nicaragua au sommet du classement latino-américain – et même mondial – des pays avec la plus grande représentation parlementaire féminine. Un classement dominé par les pays nordiques (avec un taux moyen de 40%) selon un rapport publié cette année par le Bureau de l’Observateur permanent de l’Union interparlementaire auprès des Nations Unies. Suivent les Amériques avec une moyenne de 22% (Cuba, le Costa Rica et l’Argentine dépassant les 35%), puis l’Europe avec seulement 20%, une moyenne dans la fourchette mondiale.

Priorité sandiniste

« Les femmes font partie intégrante de l’histoire du Front sandiniste. Avant le triomphe de la Révolution (1979), à travers leur engagement dans la guérilla de résistance contre le dictateur Anastasio Somoza, durant les années 1980 au cours des campagnes d’alphabétisation et de vaccination, ou encore tout au long des étapes de production du café et du coton », affirme la députée Irís Montenegro. Elle rappelle que « beaucoup d’activités, habituellement réservées aux hommes, ont été rendues accessibles aux femmes par le biais du FSLN, lequel s’est toujours engagé pour l’égalité des sexes ».

De son côté, Raquel Dixon, députée pour la Région autonome de l’Atlantique nord (RAAN, côte Caraïbe), assure que « le grand nombre de femmes actuellement présentes au parlement s’explique, certes, par le travail des femmes elles-mêmes, mais également par la volonté du parti de les intégrer ».

Le rôle de la première dame

L’ensemble des femmes formant la nouvelle Assemblée nationale reconnaît aussi l’importance du travail réalisé par Rosario Murillo, la première dame du Nicaragua, dans ce processus de récupération du pouvoir politique. « Elle a joué un rôle moteur durant la dernière campagne électorale : sur les 220 candidats du FSLN, 137 étaient issues de nos rangs », insiste Irís Montenegro, tout récemment réélue. « C’est grâce à la compañera Rosario que je me retrouve aujourd’hui à l’Assemblée », explique Alyeris Areas, fraîchement élue au parlement. « Aux côtés du président Ortega, elle nous a permis de sortir de notre condition d’esclaves. Aujourd’hui, c’est nous qui allons faire les lois grâce à la majorité dont nous jouissons enfin. »

Si les députées admettent volontiers que le machisme ne disparaîtra pas du jour au lendemain – nombreuses sont les Nicaraguayennes qui ont elles-mêmes intériorisé certains mécanismes sexistes –, il n’empêche que le chemin parcouru par les femmes depuis 2007 reste saisissant.

Preuve en est que nombre de postes clés se trouvent entre les mains du « deuxième sexe ». C’est sous l’autorité du commissaire Aminta Granera, en charge depuis 2007 de la Police nationale, que le Nicaragua s’est imposé comme le pays le plus sûr d’Amérique centrale et l’un des moins dangereux d’Amérique latine. La coordination entre la police, les pompiers et les autorités pénitentiaires est l’œuvre d’Ana Isabel Morales Mazún, en charge du Ministère de l’intérieur, tandis que les Ministères de la santé, du travail, de l’éducation et de la défense sont tous dirigés par des femmes ! Et la liste n’est pas exhaustive : Alba Luz Ramos se trouve par exemple à la tête de la Cour Suprême de Justice, tandis que la maire de Managua n’est autre que Daysi Torres (lire ci-dessous).

Dans un pays où le machisme est une véritable plaie, nul doute que l’intérêt sandiniste pour les questions de genre et d’égalité des sexes continue de faire son effet sur l’électorat. Il n’est d’ailleurs pas exclu que ce soit la propre femme du président Ortega qui, dans cinq ans, se présentera à la succession de son mari aujourd’hui âgé de 66 ans.

Ce bond en avant des Nicaraguayennes est d’autant plus frappant que les députées sandinistes sont issues de tous les secteurs de la société. On y trouve des médecins, des avocates, des femmes cheffes d’entreprise, des maîtresses d’école, ou encore des syndicalistes, infirmières, éducatrices ou commerçantes travaillant dans les grands marchés populaires de la capitale (lire ci-dessous).

La « quasi-élection » en novembre d’une marchande ambulante travaillant à Managua illustre ce souci de compter avec l’ensemble de la société nicaraguayenne. Assumant la direction du secteur féminin de la « Centrale des travailleurs pour leur propre compte (CTCP) » – une organisation qui représente plus d’un million de travailleurs informels urbains et ruraux–, Flor Avellán a bien failli être élue députée suppléante au parlement à quelques voix près.

Un exemple pour la Suisse ?

Ce pays en pleine révolution semble aujourd’hui donner une leçon de démocratie aux gouvernements « mâles » du Nord, dont les principaux médias avaient durement et injustement critiqué le processus électoral nicaraguayen en novembre dernier. L’actuel parlement suisse compte moins de 20% de femmes aux Conseils des Etats et seulement 28,5% au Conseil national, soit 57 femmes sur 200 députés. Grâce à la percée sandiniste lors des dernières élections nationales, le Nicaragua est représenté par plus de 40% de femmes à l’Assemblée nationale, multipliant par trois le nombre de députées par rapport à la période 2007-2011. Lequel des deux pays fait-il réellement preuve d’une attitude progressiste ?

Une question qu’il faudrait adresser au correspondant du quotidien suisse la Neue Zürcher Zeitung (NZZ) pour l’Amérique centrale qui, après un bref passage à Managua avant les élections de novembre dernier, avait assimilé le processus révolutionnaire et démocratique en cours à une farce politique.


Une marchande au parlement

MANAGUA EN BINÔME FÉMININ

Le « Mayoreo » est un des marchés les plus populaires de Managua. On y trouve toute sorte d’aliments bon marché qui attirent de nombreux chalands chez les commerçants de ce quartier populaire de la capitale. Malgré la foule, deux minutes suffisent pour trouver la « compañera Alyeris ». Et pour cause, cette femme à l’esprit vif, installée dans une échoppe au coin d’une ruelle, est certainement l’une des personnes les plus influentes des lieux. Née à Rivas, Alyeris Areas a suivi très tôt sa mère dans les marchés de Managua. A 8 ans, c’est elle qui prend les commandes du magasin lorsque sa mère s’absente pour aller chercher les bananes et autres ananas qu’elle met en vente. Issue d’une famille pauvre, elle a combiné travail au marché et études secondaires, puis universitaires.

Dans les années 1960 elle s’engage dans les rangs sandinistes pour combattre la dictature d’Anastasio Somoza, époque pendant laquelle l’actuel président du Nicaragua (Daniel Ortega) est lui-même emprisonné. A la fin de la Révolution (1979-1990), la déroute électorale sandiniste ne lui fait pas renoncer à l’activité politique. Mère de six enfants, elle poursuit son engagement en faveur des marchands en tant que directrice de l’Association des commerçants du Mercado El Mayoreo, un poste qu’elle occupe depuis 1985.

Alyeris Areas siège à l’Assemblée nationale depuis 2012 pour une durée de cinq ans en tant que députée suppléante pour le Front sandiniste. Au Mayoreo, les marchands se réjouissent de compter une des leurs au parlement, tout comme le million de petits commerçants de la capitale. CR

Mariée, deux enfants, Reyna Rueda a débuté sa carrière politique dans les quartiers difficiles de la capitale à travers l’Association des enfants sandinistes, puis la Fédération des étudiants du secondaire et, finalement, au contact des jeunes femmes souffrant du sida ou en situation de maternité précoce. Formée initialement comme infirmière, elle a obtenu son diplôme de gestion d’entreprise en étudiant le soir. Il y a un peu plus de deux ans, après la disparition tragique du maire emblématique de Managua – le triple champion du monde de boxe Alexis Argüello, retrouvé mort à son domicile –, elle a été nommée vice-maire à la place de sa collègue Daysi Torres, laquelle est devenu maire. Egalement élue en novembre dernier sur la liste du Front sandiniste, Reyna Rueda siège désormais à l’Assemblée nationale de son pays. Depuis 2009, deux femmes se trouvent donc à la tête du centre économique et politique du pays où vivent et travaillent environ deux des cinq millions et demi d’habitants que compte le Nicaragua. Une première à Managua. CR

http://www.larevolucionvive.org.ve/spip.php?article1889&lang=es

Portfolio

Messages

  • Souhaitons que parmi elles il y ait plus de Louise Michel ou de Rosa Luxembourg que de Morano ou d’Hilary Clinton....

    • Tu doutes !!!??? On voit bien que tu connais mal les femmes nicaraguayennes et sandinistes. Des femmes qui ont osé s’affronter, les armes à la main, à la dictature somoziste et à la Contra soutenue par les USA. La Révolution Populaire Sandiniste, ses organisations de masse et les femmes elles-même ont pu faire évoluer les droits de l’égalité. Bien que tout n’est pas réglé, n’oublie pas que l’Amérique Centrale ce n’est pas l’Europe industrialisée (ou désindustrialisée). Le poids de l’Eglise et du machisme sont toujours présents et le pays et la société ne se changent pas en quelques années d’un coup de baguette magique.

      En tout cas, la place des femmes est solide, que ce soit au sein des organes de décision, dans les organisations, les institutions, les coopératives ou l’armée. Et cela c’est grâce aux combats qu’elle ont menées avec leurs camarades et compagnons.