Accueil > La bagarre sociale, « un acte de délinquance comme un autre… »

La bagarre sociale, « un acte de délinquance comme un autre… »

par Henri Lucien

Publie le mardi 7 février 2012 par Henri Lucien - Open-Publishing

Se retrouver dans un fichier créé pour les auteurs d’infractions sexuelles ? Non merci, répond Xavier Mathieu, poursuivi dans le cadre de la lutte syndicale. Son ADN, l’ancien porte-parole CGT des « Contis » veut bien le donner, mais par amour. Les juges, moins romantiques, le condamnent à 1 200 euros d’amende.

C’est grâce à « la solidarité ouvrière » que Xavier Mathieu, l’ancien porte-parole CGT des « Contis », pourra régler les 1 200 euros d’amende (plus 120 euros de frais) auxquels l’a condamné, vendredi, la cour d’appel d’Amiens, pour refus de prélèvement d’ADN. Presque autant que les 1 500 euros demandés à l’audience par le parquet, le représentant du ministère, début janvier.

En 2002, plus de 2 000 personnes étaient enregistrées au Fnaeg, le Fichier national automatisé des empreintes génétiques. Dix ans plus tard, elles sont plus d’1,7 million, dont plus d’un million de simples suspects. Chaque jour se créent mille nouvelles fiches.

Xavier Mathieu ne veut pas de ce privilège que lui vaut sa contribution à la mise à sac de la sous-préfecture de Compiègne, en 2009. Début janvier, ce tout frais grand-père a justifié ce refus de prélèvement par son « devoir d’être humain : j’ai un patrimoine génétique, transmis de génération en génération. Jamais je ne donnerai mon ADN autrement que par amour dans cette vie. »

Le jugement de vendredi « est une régression par rapport à d’autres arrêts en la matière, concernant des faucheurs d’OGM ou de Galano, un militant des Autoroutes du sud de la France, condamné à seulement 150 € d’amende avec sursis », commente Pascal Moussy, collaborateur de l’avocate de Xavier Mathieu. En première instance, le tribunal avait pourtant relaxé Xavier Mathieu, estimant le prélèvement biologique, dans son cas, « inadéquat, non-pertinent, inutile et excessif ».

« Les premiers juges avaient fait un effort de compréhension du contexte, Xavier Mathieu étant un militant du combat social, poursuit Pascal Moussy. Pour la cour d’appel, en revanche, se battre dans le cadre du combat social est un acte de délinquance comme un autre… »

La barbarie dévalorisée


Quand la défense parle de « contexte », le parquet invoque le « mobile ». Et pour lui, cela ne rentre pas en ligne de compte. Pas à son niveau en tout cas. « La question de mettre ou non une action syndicale dans cette loi relève du fait et non du droit », explique le substitut du procureur général.

Libre aux candidats à la présidentielle – par exemple Artaud, Joly, Mélenchon et Poutou, et une envoyée de Hollande, venus soutenir Xavier Mathieu début janvier – de retirer certaines infractions du fichage ADN, voire de supprimer le fichier. Aux politiques de reconnaître qu’une action syndicale et un viol ne sont pas tout à fait la même chose… Pour le moment, avec l’égalité de traitement devant le prélèvement d’ADN, « il n’y a pas d’échelle des sanctions », déplore le militant CGT Charles Hoareau, témoin pro-Mathieu. Un acte de barbarie, par exemple, n’en a plus le même poids…

Lui aussi, Charles Hoareau a été confronté au fichage de son ADN. Il fut même « l’un des premiers ou le premier syndicaliste en France » convoqué pour un tel motif. Il fut aussi l’un des premiers à le refuser… À quoi bon le ficher ? « Tout le monde savait où j’étais. » Et de glisser : « Le procureur m’avait dit que je ne serais pas convoqué. Je ne l’ai pas été. »

Face à une défense qui lui rappelle sa marge de manœuvre, le parquet d’Amiens affirme se plier à une obligation : au regard des textes, il ne peut pas faire autrement, dans ce cas, que de demander le prélèvement d’ADN. Il s’étonne de cette liberté qu’on lui prête… Et le tribunal avec lui.

« Pas une crapule »


Xavier Mathieu a au moins gagné une chose : il n’est « pas une crapule », reconnaît le parquet, même si si les dégradations auxquelles il a participé relèvent de la délinquance. En effet : Xavier Mathieu était simplement un travailleur révolté par la fermeture de son usine. Et à la sous-préfecture de Compiègne, le coup de colère des « Contis » n’avait rien d’un « saccage », selon l’avocate Marie-Laure Dufresne-Castets. Juste quelques ordinateurs détruits et des papiers qui volent.

« Toutes les plaintes ont été retirées sauf celle concernant le “saccage”, déplore Xavier Mathieu. L’État a oublié d’attaquer les dirigeants de Conti pour avoir saccagé 5 à 6 000 vies et ne pas avoir respecté le reclassement. J’aurais aimé voir devant cette cour passer les dirigeants de Continental. » Seuls 212 des 1 120 « Contis » ont retrouvé un CDI. Il faut aussi parler de l’alcool, des médicaments, des divorces, d’un suicide…

À l’issue de sa condamnation, l’ex-syndicaliste ironise : « Quand je vois aujourd’hui Wauquiez se gargariser sur les Lejaby, c’est dommage que notre boîte n’ait pas fermé au moment de la présidentielle… Et si c’est vrai [que l’atelier de lingerie est repris,] cela montre qu’ils peuvent, quand ils veulent… »

« Fichier fourre-tout »


À son procès en appel, Xavier Mathieu a quitté le terrain du droit pour « parler d’honneur, de dignité d’homme, de parole donnée, de mémoire ». De la mémoire, Matthieu Bonduelle en a aussi. Le président du Syndicat de la magistrature rappelle que l’histoire du fichage ADN est celle « d’un dévoiement ».

Elle débute en 1998, dans le sillage de l’affaire Guy Georges. Au départ, le texte vise les auteurs d’infractions sexuelles, puis il se développe « dans des proportions assez préoccupantes », jusqu’à devenir « fourre-tout », concernant « plus de 130 infractions, à l’exception de la plupart des infractions économiques et financières… L’exception s’est banalisée. D’outil d’investigation, d’instrument d’élucidation, le Fnaeg est devenu support d’une sanction qui ne dit pas son nom. » Les suspects y croupissent vingt-cinq ans, les condamnés quarante – une « double peine »

Ce n’est pas courant pour un magistrat de témoigner à la barre. Mais, s’explique Matthieu Bonduelle, le fichage ADN « questionne les magistrats que nous sommes et les automates que nous ne sommes pas ». Il le rappelle : le prétexte au fichage de Xavier Mathieu, ce sont des dégradations de biens – pour lesquelles il a d’ailleurs été condamné. « Il y a très peu d’expertises ADN pour les dégradations, note pourtant le magistrat. Je ne connais qu’un cas, pour le vol du scooter d’une personne importante... » En l’occurrence un fils de Nicolas Sarkozy, amputé de son deux-roues à Neuilly.

Le fameux segment D2S 1338


On lui avait retrouvé son Piaggio 50 cm3, d’ailleurs. C’est que le recours à l’ADN est plutôt fiable, scientifiquement. Pour diminuer le risque d’erreurs, l’analyse est même passée de 7 à 16 ou 18 segments d’ADN. « Mais en cherchant à se prémunir du risque d’erreur, on a augmenté les informations », alerte Catherine Bourgain, chercheuse en génétique humaine à l’Inserm. Une récente étude, menée par une Portugaise, le démontre : à partir de marqueurs prélevés pour le Fnaeg, un logiciel peut établir, dans 86 % des cas, si la personne est d’origine eurasienne, asiatique ou subsaharienne.

D’après d’autres chercheurs, italiens ceux-là, l’étude du segment D2S 1338 – inclus dans l’analyse du Fnaeg – peut révéler la présence d’un dysfonctionnement très rare des globules rouges. « “Non-codant” selon les biologistes des années 1950, ce segment est devenu “codant” » avec les progrès de la génétique. Résultat : « Le verrou de sécurité a sauté. » Catherine Bourgain ne s’oppose pas à l’usage de l’ADN, à la comparaison ou à l’expertise qu’il permettrait ponctuellement ; elle critique le fichage en règle, avec des informations nominatives.

Si on épluchait l’ADN du substitut, on y découvrirait à coup sûr le gène de l’optimisme. « Le verrou juridique existe et empêche que les recherches [dont la scientifique parle] puissent être faites dans le cadre du Fnaeg. » En gros, des tripatrouillages non-réglementés, autres que des comparaisons génétiques en vue d’une enquête, pourraient être taxés de manipulation génétique non-autorisée. Sur ce point, les partisans de Xavier Mathieu semblent avoir plutôt le gène de la méfiance…

L’optimisme est aussi statistique. « J’ai des cas en tête où le fichage au Fnaeg d’une personne – qu’on n’aurait pas soupçonnée par ailleurs – a permis d’élucider une affaire. Et un autre cas où une personne a été innocentée… » « Un cas, » comptabilise un peu plus tard, avec ironie, l’avocate de Xavier Mathieu.

L’ADN moins fort que TF1


« Faut-il ficher toute la population dès la naissance ? » En filigrane, c’est finalement la question qui se pose, selon Matthieu Bonduelle. Pas plus tard que la veille du délibéré, un courrier de lecteurs du Courrier picard va dans ce sens. Après tout, on est déjà fichés « par notre carte vitale, l’immatriculation de notre véhicule etc. » Ben oui, et à la cantine aussi…

Xavier Mathieu se fait historien : « On est en droit de se poser la question de ce genre de fichiers, qui existait entre 1940 et 1945, pour les Juifs, les homosexuels, les Tziganes. » Si on fiche les nouveaux-nés, « le taux d’élucidation grimpera un peu mais on ne sera plus en démocratie », imagine Mathieu Bonduelle. Alors que le droit ne manque déjà pas de ressources pour atteindre l’équilibre entre la recherche du coupable et le respect de la liberté.

Et aussi le respect de l’homme, sans doute. C’est de la philosophie, presque, une conception de la société et de l’humain qui est en jeu : ficher à tour de bras, c’est croire que le pécheur péchera à nouveau. Que nul n’est perfectible. Que le fauteur d’un jour l’est à vie. Qui a bu boira… « J’ai peut-être bu, je ne reboirai pas, rétorque Xavier Mathieu, au casier judiciaire vierge pendant quarante-six ans. Et je voudrais que quelqu’un puisse m’expliquer en quoi être fiché va servir à la justice. »

« Rien ne prédispose Xavier Mathieu à récidiver plus que d’autres dans cette salle », plaide Matthieu Bonduelle. Le risque de récidive ? Très faible, confirme Marie-Laure Dufresne-Castets. D’autant que son client a agi devant les caméras de télé : pas besoin d’ADN pour prouver sa participation aux dégradations de la sous-pref. Les images non-floutées de TF1 ont suffi… Son propre aveu aussi. Il s’interroge : si on avait retrouvé un de ses mégots ou un de ses cheveux sur place, cela aurait prouvé sa présence, pas sa participation…

« Ce n’est pas l’amende le pire, a conclu Xavier Mathieu, vendredi, mais d’être condamné à nouveau, d’être traîné comme un délinquant. » Il n’exclut pas un pourvoi en cassation voire un passage devant la Cour européenne des droits de l’homme. « Ces gens-là sont des vautours. Mais un vautour ne bouffe ses proies que quand elles sont mortes, et je ne suis pas encore mort. »

http://www.fakirpresse.info/La-bagarre-sociale-un-acte-de.html

Portfolio