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"L’affaire Mohamed Merah" ou la mort de la présomption d’innocence en France.

par BOADICEE

Publie le jeudi 22 mars 2012 par BOADICEE - Open-Publishing
6 commentaires

« Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable... », DDHC article 9

Aurions-nous définitivement basculé du "Pays des Droits de l’Homme" au "Pays des Hommes de Droite" ?

Je ne rentrerai pas dans les multiples contradictions et incohérences dont regorgerait déjà (et sous toutes réserves) le dossier "Mohamed Merah".

Et je vais écrire les lignes qui suivent avec compassion pour les familles des victimes et la profonde affliction qu’ont créé les décès des adultes et des enfants.

Ces décès qui sont imputés à celui qui restera, à jamais (puisque les morts ne parlent pas), "le suspect n°1", M. Merah.

"Suspect" et non pas "présumé coupable" - contrairement à ce qu’ont dit certains à la tête de l’Etat...

S’il y a aujourd’hui une autre immense perdante dans tout cela, c’est bien la présomption d’innocence.

Au delà, et en outre, un viol de l’intégrité (de ce qui en restait ?) de toute une partie de notre système judiciaire et de notre système de droit pénal.

Nous vivons un drame politique, car au delà des morts humains, il y a, en plus, la mort définitive de certains idéaux de certains principes qui fondent une certaine forme de morale (hélas remplacés par d’autres...).

Dans son décès (certains diraient déjà "son exécution") Mohamed Merah emporte avec lui la crédibilité de nombreux médias et de plusieurs journalistes, l’intégrité d’une partie du système judiciaire, et ce qui restait d’autorité à la police.

Aussi, je serai brève. Je vais essayer.

J’ai acheté hier en sortant du Tribunal, au bouquiniste qui est souvent devant le métro, un livre formidable (pour 3 euros) exactement sur le sujet général qui nous occupe, celui de la manipulation de masse et du "viol des foules par la propagande politique".

Ce livre s’intitule "La Piste Rouge - Italia 1969 -1972".

C’est un recueil de textes de journalistes italiens traduits sur les "affaires" Feltrinelli, Pinelli, Valpreda dans le début des années 70.

Tous des "coupables idéaux", des salauds de terroristes anarchistes.

Condamnés (au moins par une partie de "l’opinion publique") avant d’avoir été jugés...

Sauf que, finalement, après des années de collusion du pouvoir politique/maffieux/milieu fasciste, après plusieurs "maladroits" passés par la fenêtre ou tombés dans la cage d’escalier avant leur audition ou avant leur procès, on découvrira que tout ceci, c’était du vent et que les responsables des attentats n’étaient pas ceux qu’on croyait.

On peut rajouter à cette liste l’affaire Impastato (qui a été présenté longtemps comme un kamikaze d’extrême gauche qui avait voulu se faire sauter avec le train. Et puis finalement des années plus tard l’enquête permis de découvrir que non, il avait été assommé par une bande et attaché autour des rails, inconscient, avec de la dynamite autour de lui et que c’étaient les fascistes qui l’avaient fait exploser sur les rails...)

Plus près de nous, il y a Tarnac, comme un coup de couteau. Tarnac qui n’est pas terminé, qui n’est pas fini.

Attention, je ne dis pas que Mohamed Merah est "forcément" une victime, ni que ses convictions politiques seraient comparables à celles de ces camarades, (a priori je n’avais pas de sympathie particulière pour lui s’il était bien ce qu’on dit).

Je tente (et je sais que c’est risqué dans une telle période) d’en appeler à la raison et au calme, au respect élémentaire de la présomption d’innocence.

Mohamed Merah était il "coupable" ? "Innocent" ? Je ne sais pas.

Et aujourd’hui, PERSONNE NE SAIT ET NE SAURA.

Je ne lis pas dans le marc de café ni dans les viscères de corbeau.

On n’en sait fichtre rien.

Il est mort sans procès, sans défense pénale, il est mort présumé innocent pour les assassinats ("suspect" ne signifie pas "coupable"), au moins jusqu’à preuve, peut être, un jour, de sa culpabilité.

La flagrance (laquelle d’ailleurs, en l’espèce ?) ne détruit pas la présomption d’innocence, et notre responsabilité première en tant qu’êtres humains, (en tant que congénères, car comme le rappelait Michel Foucault dans ses notes sur "l’affaire Pierre Rivière", c’est ce que nous sommes, y compris de ceux que l’on nomme "des monstres"), serait sans doute de ne pas nous comporter à l’égard de celui qui est "poursuivi par la clameur publique" comme des animaux, car l’histoire est pleine de surprises, les histoires judiciaires sont pleine de chausses-trappes et de rebondissements, et souvent, le temps révèle des choses que l’on pensait enterrées et cachées à jamais....

Aussi, à celles et ceux qui ont aboyé, la bave aux lèvres, avec la meute, que Mohamed Merah était un "criminel" ou un "coupable" : avant même que d’avoir outragé un suspect (et en empêchant ou en contribuant à empêcher la manifestation de la vérité par vos aboiements haineux, vous avez outragé aussi la mémoire des morts) : ils ont bafoué la présomption d’innocence.

Ils nous ont dit que la règle devrait être finalement : "Vous êtes coupable puisque la police le dit jusqu’à ce que vous soyez décrétés innocent".

Dire cela dans un pays où plus de 1,7 millions de personnes ont signé un certain "Pacte pour la Justice", extrêmement condamnable dans son fondement philosophique (sur lequel nous avons déjà été plusieurs à écrire), c’est grave.

Je n’y trouve aucune excuse.

D’aucune sorte.

Lorsque ces propos dangereux et inconsidérés d’une légèreté effroyable ont, en plus, été prononcés par des candidats à l’élection présidentielle, ils doivent entraîner une condamnation ferme de notre part.

A fortiori quand ces candidats se réclament de "la gauche" et prétendent représenter les intérêts du "peuple".

Nous sommes tous et toutes des victimes potentielles de la rumeur.

De l’aboiement, de la "clameur publique" des idées toutes faites, des certitudes de gens qui se croient plus malins et ou mieux informés que tout le monde, et des préjugés...

En théorie, l’Etat et la Justice (au sens le plus large possible) sont là pour protéger tout un chacun de cela, et la protection absolue, c’est la présomption d’innocence.

Cette présomption d’innocence, elle vaut pour tout le monde.

Elle implique aussi le droit de ne pas être réduit à ses "origines" (quelles qu’elles soient) et de ne pas être condamné sur le seul fondement d’opinions politiques plus ou moins revendiquées.

Ceux qui ont adopté une autre vision des choses proposent un retour en arrière de deux siècles et demis, au bas mot.

La présomption d’innocence, c’est bien l’inverse de tout ce qui a été écrit et dit sur cette triste et tragique affaire.

La présomption d’innocence signifie que vous êtes innocent jusqu’à la dernière minute, jusqu’au verdict, jusqu’à ce que votre culpabilité ait été suffisamment établie et que vous ayez été jugé coupable à l’issue d’une procédure à peu près réglementée et prévisible (et je rappelle que la preuve en matière pénale est un minimum réglementée, les aveux obtenus par la torture par exemple, on n’a plus le droit, de même que l’ordalie, normalement, c’est fini depuis plusieurs siècles...).

Si il n’y avait qu’un principe du droit pénal, un seul et unique auquel il faut, partout, toujours, être attaché comme à sa peau, qu’on soit homme de loi ou "simple citoyen", c’est celui là (j’aimerais ajouter l’habeas corpus aussi mais bon, on a dit "un" ) : la présomption d’innocence.

Les politiques, les journalistes...qui l’ont remis en cause aujourd’hui, directement ou de façon parfois détournée, déguisée, qui ont justifié la loi du talion, qui ont incité à réécrire la loi de Lynch, sont des gens qui doivent être considérés comme dangereux, dont il faut se méfier, et disons-le, à qui il ne faut pas faire confiance. Pour rien.

Réfléchir. Ne pas se laisser emporter par ses émotions.

Ce n’est pas comme si nous ne vivions pas dans un pays qui a connu Outreau.

Ce n’est pas comme si les "erreurs" judiciaires, ça n’existait pas.

La réalité est parfois très différente des présomptions qui semblaient jaillir des parcelles du dossier.

A moins de faire confiance aveuglément aux "médias" bien-sûr ... Mais là, c’est grave ( parce que, sans sombrer dans le "complotisme", je signale que depuis qu’ils nous ont dit que le nuage de Tchernobyl s’arrêtait à la frontière française, et qu’ils ont complaisamment rapporté les preuves des "armes de destruction massive" soit disant découvertes par les US et agitées par Colin Powell pour envahir l’Irak, ils n’ont pas changé...)

Donc, il ne faut pas fantasmer.

Il faut ouvrir les yeux et raisonner. Réfléchir.

D’autant qu’on ne peut pas empêcher cette petite musique de tourner : aujourd’hui, avoir "la gueule de l’emploi" pour faire un bon "présumé coupable de terrorisme", ça veut dire plutôt : 1/s’appeler Mohamed (ou Fatima), 2/venir d’un milieu pauvre et de "la cité", 3/s’être "converti au fanatisme" (sic) et de préférence 4/avoir un casier judiciaire. Si en plus 5/vous vous sentez en empathie avec les misères du peuple palestinien et que 6/vous dénoncez le traitement d’exception que la communauté internationale réserve à Israël au mépris de toutes les règles (donc, que vous êtes notoirement antisémite - CQFD-) alors là, vous tenez le bon bout pour obtenir le rôle.

Si 7/ vous avez fréquenté de près ou de loin un "groupuscule d’ultra-gauche", c’est sûr, le gagnant ce sera vous.

Fut un temps, les studios de propagande cherchaient surtout des candidats pour les rôles de pédophile. Dans les années 50/60 on aimait beaucoup attribuer ce genre de rôle ("présumé criminel salopard" de préférence aux homosexuels (si possible célibataires), ce qui était facilité par le fait que l’homosexualité était considérée par l’OMS comme une maladie mentale (jusqu’à récemment).

Dans les années 30, le rôle du criminel et du salopard était de préférence attribué aux personnes de confession israélite, ce qui était facilité par le fait qu’on pouvait les reconnaître à leur étoile jaune et qu’un mec (très sain d’esprit , selon beaucoup de gens et une partie des "peuples" à l’époque) avait prétendu mettre au point les preuves scientifiques de la "malfaisance congénitale" de cette "race" (comme on disait alors)...

Au Moyen-Âge, on brûlait les "sorcières" et les hérétiques". Une sorcière c’était une femme qui réfléchissait ou qui soignait des malades, un hérétique c’était quelqu’un qui disait "E pur si muove !"

"O Tempora O Mores" .

Les temps changent...

Mais pas les grosses ficelles de manipulation des masses.

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