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Toulouse : les zones d’ombre de l’enquête (Médiapart)

Publie le mercredi 28 mars 2012 par Open-Publishing
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L’affaire de Toulouse, dont la théâtralisation (notamment sur les chaînes télé d’information en continu) glorifie de façon plus ou moins subliminale un succès personnel de Nicolas Sarkozy et de son fidèle Claude Guéant, pose plusieurs questions de fond sur le fonctionnement de notre police et de notre justice.

L’arrivée sur place du président de la République, ce mercredi, après l’envoi du ministre de l’intérieur (rejoignant le patron de la DCPJ, celui de la DCRI, et le procureur de Paris, déjà présents), est une illustration parmi d’autres de la toute-puissance affichée d’un exécutif qui tient la justice pour quantité négligeable. De ce point de vue, les interviews de Claude Guéant depuis Toulouse, révélant au passage plusieurs éléments de l’enquête, ont contrasté singulièrement avec la conférence de presse extrêmement prudente, à Paris, mardi en fin de journée, du procureur François Molins, alors que le suspect était déjà identifié.
C. Guéant sur BFMTVC. Guéant sur BFMTV

Au-delà de cette orchestration de l’efficacité policière du pouvoir sarkozyste, classique depuis sa nomination place Beauvau voici dix ans, plusieurs spécialistes de la police et du renseignement s’interrogent sur un point précis : le temps qu’il a fallu pour identifier et retrouver le suspect depuis le 11 mars, date du premier assassinat de la série, celui d’un parachutiste à Toulouse.

Si l’on en croit les déclarations faites par le ministre de l’intérieur Claude Guéant, tôt mercredi matin à Toulouse, le jeune suspect des tueries de ces derniers jours, Mohamed Merah, 24 ans, aurait déjà « à son actif une petite dizaine d’actes de délinquance, dont certains étaient marqués de violences », et « sa radicalisation » se serait « faite au sein d’un groupe d’idéologie salafiste ».

Toujours selon Claude Guéant, ce suspect aurait dit « avoir voulu venger les enfants palestiniens et s’en prendre à l’armée française ». Enfin, et surtout, celui-ci était « dans le collimateur de la DCRI », la direction centrale du renseignement intérieur, parce qu’il « a effectué des séjours en Afghanistan et au Pakistan par le passé ».

Une identification tardive du suspect

Sollicité mercredi par Mediapart, un haut responsable policier explique qu’il a « fallu vérifier 576 adresses IP avant de retrouver la bonne », celle de la mère du suspect. Le militaire assassiné le 11 mars à Toulouse avait en effet rendez-vous avec celui qu’il pensait être un acheteur pour sa moto, mise en vente sur internet. Selon ce même haut responsable policier, le suspect était « un solitaire, un atypique, et il n’avait pas pris les filières normales pour se rendre au Pakistan et en Afghanistan ». Il aurait, par ailleurs, projeté « d’assassiner un autre militaire ce matin » (NDLR : mercredi), avant que le RAID n’intervienne.

Lors d’une autre conférence de presse, mercredi après-midi à Toulouse, le procureur de Paris (saisi lundi 19 mars, après la tuerie dans l’école juive de Toulouse, en vertu de la législation antiterroriste) a fourni d’autres détails.

L’identification de Mohamed Merah n’a pu se faire, selon François Molins, qu’après un travail « colossal », la vérification de « pistes multiples » au début des tueries (vengeance privée, anciens militaires, néo-nazis, islamistes, anti-militaristes), et l’épluchage de « 7 millions de connexions téléphoniques », « 700 connexions internet », sans oublier « 200 auditions » et « 1000 procès-verbaux ».

Selon le procureur, les policiers n’ont obtenu que samedi 17 mars les 576 adresses IP en rapport avec la petite annonce. Cela paraît un délai anormalement long à plusieurs spécialistes, selon qui les policiers peuvent obtenir ces adresses IP en quelques heures seulement.

Une fois obtenues, ces adresses IP auraient été immédiatement criblées, selon le procureur. L’une d’elles correspondait à la mère de deux garçons, qui porte un autre nom. L’un de ses deux fils, Abdelkader, « avait été impliqué mais pas poursuivi dans une affaire de filière de djihadistes en Irak », et l’autre Mohamed, « un délinquant de droit commun », connu pour des « faits de violence et des troubles du comportement », et qui présenterait un « profil d’auto-radicalisation salafiste atypique ».

Mohamed Merah se serait rendu deux fois en Afghanistan « par ses propres moyens, sans passer par des facilitateurs », en 2010 et en 2011. Il aurait été arrêté lors d’un contrôle routier et remis à l’armée américaine puis renvoyé en France lors de son premier séjour. Il ne serait « rattaché à aucune organisation », a précisé le procureur.

Ce n’est que lundi après-midi que cette adresse IP aurait été identifiée, le suspect et sa famille étant alors mis sur écoutes lundi soir. Selon François Molins, les deux frères n‘étaient alors pas localisés. Et ce n’est que mardi après-midi que Mohamed Merah aurait été formellement identifié, après un renseignement obtenu auprès d’un concessionnaire Yamaha auquel lui ou son frère aurait demandé comment retirer le « tracker », un dispositif antivol de géolocalisation, de son scooter, engin qu’il aurait volé quelques jours plus tôt, puis repeint.

« Mohamed Merah n’a été localisé que mardi après-midi, et son frère en fin d’après-midi », selon le procureur. « La décision de les interpeller, ainsi que leur mère et que la sœur de son frère, a été prise mardi à 23 h 30. »
F. MolinsF. Molins

Selon le procureur Molins, lors des discussions avec les policiers du Raid, Mohamed Merah aurait expliqué avoir « été formé par Al-Qaïda dans la zone pakistano-afghane », tout en précisant ne pas avoir « l’âme d’un martyr ou d’un suicidaire ». Il aurait revendiqué les trois tueries de Toulouse et de Montauban, en les justifiant à la fois par la situation en Palestine, les opérations extérieures de l’armée française, et les discussions en France sur la dissimulation du visage par le voile, toujours selon François Molins.

Le procureur de Paris a précisé que Mohamed Merah « envisageait d’autres assassinats » : un militaire ce mercredi matin, et deux policiers les jours suivants. Il n’aurait exprimé « aucun regret », et se serait « vanté d’avoir mis la France à genoux », toujours selon le magistrat.

Une voiture de location remplie d’armes, un scooter Yamaha et une caméra ont été retrouvés, mais d’autres véhicules de location sont encore recherchés, ainsi que les différents points de chute du suspect, qui « n’habitait pas toujours au même endroit », a ajouté le procureur de Paris.

Que fait la DCRI ?

Un spécialiste des questions de police et de renseignement, sollicité par Mediapart, s’interroge. « Alors que la DCRI bénéficie de tous les moyens budgétaires et humains, à la différence de la police nationale, et que l’on nous vante depuis des années son travail de prévention, il faut bien constater que quelque chose semble ne pas avoir fonctionné. Si tous les Français qui se sont rendus en Afghanistan et au Pakistan figurent dans les fichiers de la DCRI, et que les islamistes les plus radicaux sont surveillés, alors il faut qu’on nous explique comment ils le sont. Sont-ils sur écoutes ? Leurs faits et gestes sont-ils suivis ? Ceux de leur entourage aussi ? », demande ce spécialiste.

« Dans le cas qui nous intéresse, le suspect n’avait pas l’air suivi de près, malgré son profil. La DCRI ne serait-elle qu’un vaste fichier ? En se rendant à Toulouse, son directeur (NDLR : Bernard Squarcini) semble en tout cas compter sur cette affaire pour se re-légitimer, après sa mise en examen dans l’affaire des fadettes de journalistes », remarque cet expert, qui souhaite rester anonyme.

Depuis les attentats de 1986, qui ont donné naissance à la législation antiterroriste actuelle, renforcée en 2005, les policiers (et magistrats) français se targuent d’une efficacité qui serait reconnue et louée par leurs homologues étrangers. Ils assurent notamment que les arrestations préventives effectuées grâce à la notion pénale de participation à une entreprise terroriste ont évité de nombreux attentats. Ces méthodes font cependant fi de la présomption d’innocence, comme l’a montré le fiasco de l’affaire Chalabi, imputable à l’ex-juge Bruguière.

Le renseignement antiterroriste a encore été renforcé après les attentats sanglants de 1995, la mort de Kaled Kelkal ayant montré de façon dramatique que de jeunes moudjahidines autoproclamés pouvaient surgir, ici ou là, dans des quartiers populaires.
Bernard SquarciniBernard Squarcini

Les services de renseignements français (RG et DST, puis DCRI après leur fusion en 1998) travaillent sur les différentes formes que peut revêtir l’islamisme radical. Un travail de terrain, se voulant préventif, et qui est effectué quotidiennement auprès des mosquées, des mouvements religieux, des associations, des foyers de travailleurs, ou des petits délinquants.

Les attentats de 2001 ont eu pour conséquence de renforcer ce travail de renseignement et de surveillance, avec une donnée importante : ce que les policiers appellent « la nébuleuse Al-Qaida » n’a pas de hiérarchie formelle ou de structures identifiables. Chacun est libre de se reconnaître dans son combat, et d’en revendiquer l’appartenance. La question palestinienne ou la guerre d’Irak, notamment, peuvent déclencher des processus d’identification. Un passage en prison peut également être un facteur d’endoctrinement, comme ce fut le cas pour Kelkal. Quant aux guerres de Bosnie, de Tchétchénie ou d’Afghanistan, elles ont permis à quelques-uns de ces jeunes « djihadistes », parfois convertis de fraîche date à l’islam, d’acquérir une formation militaire, et parfois de combattre.

Ces dernières années, quelques cellules autonomes se revendiquant plus ou moins d’Al-Qaida sont apparues en France, comme le « gang de Roubaix » en 1996 ou le « groupe des Buttes-Chaumont », de façon épisodique.

Toulouse  : les zones d’ombre de l’enquête, Michel Deléan, Médiapart, 21 mars 2012

Messages

  • La « Fusion des RG et de la DST » en DCRI (en réalité, la dissolution des RG peu obéissants dans la DST), et le renommage de celle-ci n’a pas été effectuée en 1998. Il faudrait le dire à Mediapart !

    Elle a été effectuée après les émeutes de 2005 parce que les RG avaient donné tord à Sarkozy sur l’origine des émeutes. Sarko prétendant qu’il s’agissait d’émeutes de type plus ou moins raciales et organisées par des petits voyous de banlieues, et les RG disant exactement le contraire : les voyous de banlieues ne voulant surtout pas attirer l’attention des flics vers leurs banlieues, car alors, ils ne peuvent plus faire leurs trafics.

    Les RG avaient conclu de leur enquête que la cause profonde des émeutes de 2005 était la grande pauvreté et que les Blancs y avaient participé autant que les Noirs ou les "Arabes" !

    Le patrons des RG avait peu après été limogé ; puis, encore un peu plus tard, les RG eux-mêmes furent dissouds au sein de la DST, et celle-ci renommée DCRI en plaçant à sa tête un homme de confiance de Sarko.

  • Le titre :

     Toulouse : les zones d’ombre de l’enquête (Médiapart)

    porte à confusion.
    Il aurait été plus judicieux d’écrire :

     Médiapart : Toulouse, les zones d’ombre de l’enquête.
    Enfin, les articles de Médiapart faisant ressortir les incohérences ou les interrogations sont à lire.

  • faut comprendre, la police est débordée avec les ""vraies affaires de terrorisme" comme celle impliquant les épiciers de Tarnac.