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Faut-il encore une dette publique ?

par Damien Millet – Eric Toussaint [1]

Publie le mardi 3 avril 2012 par Damien Millet – Eric Toussaint [1] - Open-Publishing
2 commentaires

La réponse est positive. Un État doit pouvoir emprunter afin d’améliorer les conditions de vie des populations, par exemple en réalisant des travaux d’utilité publique et en investissant dans les énergies renouvelables. Certains de ces travaux peuvent être financés par le budget courant grâce à des choix politiques affirmés, mais des emprunts publics peuvent en rendre possibles d’autres de plus grande envergure, par exemple pour passer du « tout automobile » à un développement massif des transports collectifs, fermer définitivement les centrales nucléaires et leur substituer des énergies renouvelables, créer ou rouvrir des voies ferrées de proximité sur tout le territoire en commençant par le territoire urbain et semi-urbain, ou encore rénover, réhabiliter ou construire des bâtiments publics et des logements sociaux en réduisant leur consommation d’énergie et en leur adjoignant des commodités de qualité.

De toute façon, même si nous ne voulons absolument pas rester dans le cadre d’une économie capitaliste, la dynamique économique n’y est possible que s’il y a dans le même temps, du point de vue macroéconomique, l’anticipation, par la création monétaire, du surplus produit. Vendre des marchandises avec profit n’est donc possible que si davantage de monnaie circule après qu’avant le lancement de la production. Une économie capitaliste sans endettement n’a donc pas de sens [2]. Particulièrement en période de récession, la dépense publique seule en mesure de générer de la richesse collective supplémentaire doit se faire en recourant aux recettes fiscales supplémentaires prélevées sur les plus riches, en annulant les dettes illégitimes et en émettant des emprunts publics sous contrôle citoyen.

La revendication primordiale est la socialisation de tout le secteur des banques et des assurances, premier pas vers la sortie du modèle capitaliste. Dans cette attente, il faut définir de toute urgence une politique transparente d’emprunt public. La proposition que nous avançons est la suivante : 1. la destination de l’emprunt public doit garantir une amélioration des conditions de vie, rompant avec la logique de destruction environnementale ; 2. le recours à l’emprunt public doit contribuer à une volonté redistributive afin de réduire les inégalités. C’est pourquoi nous proposons que les institutions financières, les grandes entreprises privées et les ménages riches soient contraints par voie légale d’acheter, pour un montant proportionnel à leur patrimoine et à leurs revenus, des obligations d’État à 0 % d’intérêt et non indexées sur l’inflation, le reste de la population pourra acquérir de manière volontaire des obligations publiques qui garantiront un rendement réel positif (par exemple, 3%) supérieur à l’inflation. Ainsi si l’inflation annuelle s’élève à 3%, le taux d’intérêt effectivement payé par l’Etat pour l’année correspondante sera de 6%. Une telle mesure de discrimination positive (comparable à celles adoptées pour lutter contre l’oppression raciale aux États-Unis, les castes en Inde ou les inégalités hommes-femmes) permettra d’avancer vers davantage de justice fiscale et vers une répartition moins inégalitaire des richesses.

L’annulation des dettes illégitimes est une condition nécessaire mais insuffisante. D’autres mesures sont essentielles pour sortir de la crise par le haut en Europe. Ouvrons le débat.

[1} Damien Millet (professeur de mathématiques, porte-parole du CADTM France, www.cadtm.org) et Eric Toussaint (docteur en sciences politiques, président du CADTM Belgique, membre du Conseil scientifique d’ATTAC France) ont écrit AAA, Audit, Annulation, Autre politique, Seuil, 2012. Ils ont dirigé le livre collectif La Dette ou la Vie, Aden-CADTM, 2011, qui a reçu le Prix du livre politique à la Foire du livre politique de Liège en 2011.

[2] Jean-Marie Harribey, http://www.cadtm.org/De-la-creation-monetaire-et-des ; Attac, « Le mystère de la chambre forte », Le Piège de la dette publique, Comment s’en sortir ?, Les Liens qui libèrent, 2011, p. 161-188.

Messages

  • L’édito du Canard enchaîné à paraitre demain nous fait passer l’austérité,le "tour de vis" comme quelque chose d’inéluctable,comme faisant partie de "la dure réalité" contre laquelle on ne pourra rien quel que soit le candidat.

    Il est de bon ton de descendre Charlie Hebdo,mais je ne comprends pas pourquoi le Canard est archi respecté alors qu’il ne se démarque guère de l’idéologie dominante.

  • C’est exact, l’annulation des dettes illégitimes ne suffira pas à financer les grands chantiers, même si récupérer par exemple en France les 50 milliards de remboursement annuel des intérêts ouvrirait immédiatement des possibilités considérables notamment de création d’emplois (un million d’emplois publics qui permettraient de répondre aux besoins sociaux et génèreraient des ressources pour la sécurité sociale).

    Des investissements très coûteux pour le logement, la transition énergétique, les transports collectifs ne pourront pas être différés car il y a urgence sociale et écologique.

    A mon avis l’intérêt de leur contribution va au delà de la société capitaliste que nous subissons. Une société post-capitaliste dans laquelle subsistera la monnaie, pour un temps probablement long, devra aussi mobiliser l’épargne pour financer des investissements trop lourd pour être couverts par la parti "investissements" du budget courant.

    Logiquement, dans la perspective d’une rupture avec le capitalisme, les deux auteurs préconisent de combiner l’emprunt forcé levé sur les riches avec une politique raisonnable de rémunération de l’épargne populaire. Notons que l’emprunt forcé n’est pas une invention bolchévique, souvenez-vous de l’impôt sécheresse...
    Cela peut nous éclairer sur la notion de dette illégitime, vue non pas en fonction de la destination des crédits mais de l’origine des emprunts. On en revient aux "petits porteurs".

    Par ailleurs la socialisation de toutes les institutions financières (banques et assurances) est indiquée comme nécessaire pour réaliser un plan aussi ambitieux.

    Bon, on est loin des timides propositions du Front de Gauche avec son "pôle financier public" laissant une large place aux banques privées, son reéchelonnement avec diminution des remboursements de la dette, sans parler du productivisme et de l’attachement viscéral au nucléaire !