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Vive la précarisation des enseignants...

par Castor

Publie le mercredi 4 avril 2012 par Castor - Open-Publishing
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Témoignage enseignante précarisée

http://www.rue89.com/2012/03/19/jai-reve-que-jetais-une-enseignante-belge-230338

J’ai rêvé que j’étais une enseignante belge

J’ai lu, au hasard de mes pérégrinations « internesques » qu’en droit belge, une prime de « jubilé » de trois mois de salaire était payée au salarié au bout de vingt-cinq ans d’ancienneté et me suis prise à sombrer en des rêveries fantasques. Vingt ans d’enseignement… Jubilé… Prime… Discours, palmes, couronnes, cadeaux s’accumulent.

« A vous, éminente enseignante de lettres, qui avez contribué à l’éducation de nos enfants, durant ces longues années, qui avez récolté force éloges pour la passion avec laquelle vous avez exercé votre fonction, et qui contribuerez encore à ce que chacun d’entre eux se construise et trouve la meilleure place qui soit au sein de notre pays, nous remettons… »

Deux heures attribuées pour les desserts

Non, réveille-toi. Tu exerces en France. Tu enseignes depuis vingt ans. Tu es agent de droit public dans un lycée agricole privé. Tu as perdu neuf heures dans cet établissement, voilà deux ans. Pourquoi cette perte d’heures ? Ne cherche surtout pas à comprendre ce qui ne te regarde pas. Si on te dit que tu perds un demi-poste, tu perds et puis c’est tout.

Il te reste toujours des tonnes de solutions. Vivre avec un demi-salaire. Il n’y a aucune raison que tu ne puisses pas te débrouiller avec 800 euros par mois. Mange moins. Tu n’en seras que moins grasse. Tu ne veux pas maigrir. Eh bien, le Ministère te propose une solution qui te permettra de te payer un petit dessert le dimanche midi.

Exceptionnellement, rien que pour toi, la possibilité d’obtenir des heures supplémentaires, même si tu n’exerces plus qu’à mi-temps. Contrat : neuf heures et deux heures (généreusement attribuées pour les desserts).

Tu n’acceptes pas de perdre la moitié de ton emploi ? Pense donc à ceux qui n’ont rien… Comme tu es décidément trop têtue, alors, on t’assure que tu seras prioritaire sur tout poste vacant dans ta matière. Un demi-poste se libère à cent cinquante kilomètres. Tu peux postuler… Tu postules… ? ? ? Mais, c’est insensé. Tu ne peux pas faire ça. Enseigner sur deux établissements aussi éloignés l’un de l’autre. Tu auras cours à 8 h 15 du matin… Deux heures de trajet.

Tu es fatiguée, malade, déprimée ? Mais, tu ne tiens pas le choc, ma fille. Il fallait aller pointer direct à Pôle Emploi. T’inquiète. Tu restes prioritaire sur tout poste susceptible d’être vacant à la rentrée suivante. Et justement, un départ à la retraite à quarante kilomètres… Tu es prioritaire. Tu vois… que… Ah ! Dommage pour toi. Le poste n’a pas été déclaré à temps au Ministère. Tant pis…

Revenez en deuxième semaine. Bon, comme on est tout de même très sympathique avec toi, tu auras exceptionnellement le droit d’enseigner sur ces neuf heures, en complément de service, mais en contrat déterminé, de dix mois, comme quand tu étais étudiante et que tu faisais des remplacements pour te payer tes manuels. Ça te rappellera ta jeunesse.
D’un coup, la résiliation de ton mi-temps

Encore déprimée ? Tu es décidément bien susceptible. Il ne faut pas le prendre
mal. On a une bonne nouvelle pour le fameux jubilé. Une proposition de
résiliation de ton mi-temps de droit public pour la rentrée 2012. Baisse de
dotation globale horaire affectée à l’établissement. Décision prise en haut lieu.
Et puis tu restes prioritaire, si jamais un poste se libère dans ta matière…

Sans quoi… Circulez. Y’a rien à voir. Faites la queue, comme tout le monde. Une petite soupe populaire, ça ne te fera pas de mal, « enfeignante »…

Derrière l’ironie et la badinerie, se cache une révolte incommensurable. Derrière le traitement fait au corps enseignant comme à d’autres corporations se profilent des enjeux essentiels de société quant au devenir de nos jeunes à qui nous ne sommes plus en capacité de transmettre ce qui, de droit, leur revient.

Notre mission d’aide à des élèves en difficulté doit se poursuivre et dans des conditions qui soient à la hauteur de ce que nous avons nous-mêmes reçu, tout simplement. Les logiques comptables à l’œuvre ces dernières années aboutissent à une déstructuration des fondements de notre société, dont il serait déraisonnable de nier les dangers. Qui gagne, dans ce qu’il nous est donné de vivre ? Pas vous. Pas moi. Pas eux.

Je dédie ce texte à tous les jeunes qui ont eu le déplaisir de me côtoyer et qui m’ont fait vivre des moments de rage et de bonheur inoubliables et dont je suis si fière et, à tous les autres, quelque soit le type d’établissement qu’ils fréquentent. Pour eux, il ne faut pas accepter l’inacceptable.

Cette prof de 48 ans travaille en Normandie. Si « la situation » ne se règle pas, elle sera contrainte de faire des vacations dans l’Education nationale, « à la petite semaine », pour un salaire qui ne tiendra pas compte de son ancienneté.

Messages

  • Cette enseignants travaille pour un établissement privé. On l’oublie parfois, il s’agit d’une entreprise, certes largement subventionnée, puisque les salaires des enseignants sont pris en charge par l’Etat, mais bien d’une entreprise, avec ses logiques de rentabilité...qui se sont immiscées dans l’enseignement public, mais sans qu’on puisse licencier "économiquement" ou réduire de force le temps de travail. On lui impose en quelque sorte un temps partiel. Ce qui est en cause ici, c’est la logique de la toute puissance de l’entreprise privée sur la vie des salariés. Qui se combat par une collectivisation des moyens de production.