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Paul Balta : "Les services secrets français ont utilisé Mohamed Merah"

par Apache

Publie le mardi 17 avril 2012 par Apache - Open-Publishing

Dans cet entretien, l’ancien correspondant du journal Le Monde à Alger entre 1973 et 1978, et écrivain, Paul Balta a bien voulu s’exprimer à travers les colonnes du journal l’Expression. Nous avons abordé ses relations avec l’Algérie. Des relations qui remontent à la période de la guerre menée par l’Algérie pour son indépendance. Auteur d’une dizaine d’ouvrages, celui-ci exprime le plaisir sans faille à parler du pays qui l’a adopté 5 ans durant : 1973-1978. Nous avons également abordé d’autres sujets d’actualité. Ecoutons-le !

L’Expression : Avant tout, on veut connaître votre état de santé et si vous revenez souvent en Algérie depuis votre retour en France en 1978.
Paul Balta : J’ai eu une paraplégie, ces derniers temps. Depuis cette maladie, je reviens de moins en moins en Algérie. Avant, je revenais un peu moins souvent. J’aime ce pays. J’ai beaucoup d’admiration pour son architecture, son paysage et son climat. Mais aussi parce que j’ai le contact facile avec les Algériens. Tous ces liens affectifs se sont noués après mes 5 années passées, en Algérie. De 1973 à 1978, j’étais correspondant du journal
le Monde au Maghreb et mon bureau était implanté Alger. Durant cette période, je couvrais, donc, toute la zone du Maghreb dont l’Algérie, le Maroc, la Tunisie, le Lybie et la Mauritanie.

Comment définissez-vous vos rapports avec l’Algérie ?
Je suis né à Alexandrie, en Egypte. Mon père est français. Ma mère est égypto-libanaise. La France est mon pays. L’Egypte est mon deuxième pays. Les cinq années passées à Alger dans le cadre de l’exercice de mon travail en tant que journaliste m’ont permis le tissage d’excellentes relations avec l’Algérie. C’est pourquoi, je revendique l’Algérie comme ma 3e patrie.

Pendant la Guerre d’Algérie, vous étiez en France. Quelle était votre position par rapport au combat libérateur de l’Algérie mené contre le colonialisme ?
Personnellement, j’étais favorable à l’indépendance de l’Algérie. J’ai milité pour la Révolution algérienne à côté, entre autre, d’Henri Curiel. Curiel était dans le même réseau Porteurs de valises avec Jeanson. Henri Curiel est né en 1914 au Caire et assassiné à Paris le 4 mai 1978. J’étais très heureux de voir l’Algérie accéder à son indépendance.

Vous avez connu Boumediene avant de le rencontrer notamment à travers d’autres personnalités politiques. Pourriez-vous nous en dire davantage ?
En effet, j’ai rencontré Nasser en 1958. Il m’avait dit que De Gaulle allait donner l’indépendance à l’Algérie. Avez-vous des informations confidentielles à ce propos ? Des informations secrètes, non... « De Gaulle est un grand nationaliste », m’a-t-il répondu. « Il comprendra le sens du combat des nationalistes algériens. De Gaulle, grand patriote, il comprendra que l’intérêt de la France est de donner l’indépendance à l’Algérie pour rétablir ses relations politiques et économiques et avec l’ensemble du Monde arabe. J’ai appris par la suite auprès de Boumediene que la même analyse lui avait été faite par Nasser. En 1958, Boumediene était en Egypte.

Des pays issus de la Ligue arabe ont connu des révolutions. Pourquoi, selon vous l’Algérie est épargnée par ce phénomène contagieux ?
Les bouleversements connus par certains pays sont différents les uns des autres. Chacun de ces pays possède sa propre Histoire. En ce qui me concerne, les Révolutions arabes paraissent positives, à mes yeux. Dans le cas de l’Algérie, les choses sont différentes, et ce pour plusieurs raisons. L’Algérie a été traumatisée par la tragédie nationale provoquée par les islamistes. A l’opposé, on a eu la réaction du pouvoir pour cantonner les mouvements armés. Le régime algérien a été assez autoritaire. Il n’a pas riposté comme un régime de dictature.

Notre pays vit en ce moment au rythme de la campagne électorale pour des législatives. Pensez-vous que les islamistes risquent un jour de gouverner seuls en Algérie ?
Après tant d’années d’instabilité, il faut espérer que les élections du 10 mai seront démocratiques. Dans cette élection, les islamistes ne sortiront pas vainqueurs. Ils ne prendront pas le pouvoir en Algérie. A la fois parce qu’ils sont divisés et que le peuple algérien n’a pas oublié la tragédie nationale.

En observateur, quelle analyse faites-vous des révolutions arabes. Selon vous, qui sont les vrais auteurs de ces révolutions ?
A mon avis, les origines des révolutions dans les pays arabes sont multiples. En Tunisie, elle a émané du peuple. L’évolution de la situation au Maroc a été imposée, également, par sa population. Elle a induit le roi du Maroc à organiser des élections plurielles. Dans le cas du Yémen et du Bahrein, les choses sont plus complexes. En Syrie, l’auteur principal dans l’amorçage de la révolution a été le peuple. C’est vraiment les Syriens qui ont voulu mettre un terme au régime syrien. Ensuite, l’ONU et certaines grandes puissances ont intervenu pour faire pression sur les dirigeants syriens. Je ne crois pas à la prise de pouvoir en Syrie par les islamistes. Ces derniers ne présentent pas une menace pour ce pays.

Pourriez-vous être plus concis pour ce qui est du cas de la Libye voisine de notre pays ?
En Libye ! C’est encore plus alambiqué. Au départ, il y a eu vraiment une révolte populaire. Aussitôt, il y a eu l’intervention de l’Otan, sous la conduite de la France et des Etats-Unis d’Amérique. Personnellement, j’étais choqué de la façon par laquelle Maâmar Kadhafi a été tué. D’après certaines sources, la France et les Etats-Unis auraient conseillé à la rébellion de le tuer pour éviter qu’il soit traduit au Tribunal pénal international. Car, le chef libyen ne devrait pas révéler devant le monde entier toute l’aide qu’on lui a apporté durant son règne aux commandes de la Libye. Pour des intérêts économiques et militaires, le chef de la Révolution libyenne a été aidé pour se maintenir en place. En somme, les puissances étrangères ont exécuté Kadhafi pour qu’il emporte ses secrets avec lui. Des secrets qui concernent, évidemment, les puissances étrangères.

Il y a quelques semaines, un jeune musulman français a été abattu par les services spéciaux français. Quelle a été votre analyse sur cet évènement, alors que la France était en campagne présidentielle ?
Autour de l’affaire Merah, il y a eu beaucoup d’hypocrisie et des zones ombrageuses. Les services secrets français ont utilisé Mohamed Merah. Ils l’ont tué pour une seule raison : c’est pour rendre service à Sarkozy.

On vous laisse le soin de conclure.
Je suis en phase d’écriture. Mes mémoires englobent mon parcours de journaliste. Un chapitre est consacré à mes rencontres avec le président Houari Boumediene.

Par Mahmoud CHAAL, L’expression, - Mardi 17 Avril 2012