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Ce qui vient après l’arrière-cour

par Raúl Zibechi

Publie le lundi 23 avril 2012 par Raúl Zibechi - Open-Publishing

Après le récent VIè Sommet des Amériques peu de doutes subsistent que la région latinoaméricaine a changé. Celle-ci a cessé d’être l’ arrière-cour d’un empire décadent qui a très peu à offrir sauf des bases militaires et des flottes menaçantes. Le double échec étasunien de Barack Obama à Carthage et d’Hilary Clinton la semaine suivante à Brasilia, montre le manque de propositions constructives pour la région.

Comme l’a signalé Dilma Rousseff, les pays de la région réclament des « relations entre égaux », ce qui a été interprétée par plusieurs analystes comme une « rébellion contre les États-Unis ». La conséquence principale du sommet est la constatation de l’isolement des États-Unis et l inexistence de politiques capables d’attirer l’ensemble de la région comme ce fut jusqu’au milieu des années 90. Je trouve cinq raisons à la détérioration des relations de Washington avec tout le continent, qui anticipent ce scenario nouveau en formation.

La première est le double échec de la guerre contre la drogue et de l’embargo à Cuba. Après la chute de l’Union Soviétique, Washington dut fabriquer un ennemi pour continuer à forcer la militarisation des relations internationales. Le trafic de drogues illégales a rempli cette fonction pendant un temps, malgré qu’il n’a jamais été crédible parce qu’il n’a pas inclu la réduction de la consommation dans les pays du nord, qui sont les grands consommateurs de drogues illégales.

Maintenant la guerre contre la drogue a perdu la bataille de sa légitimité. L’Institut International d’Études Stratégiques vient de lancer une étude dans laquelle affirme qu’elle n’a pas seulement échoué à combattre la consommation et le trafic, mais la guerre contre la drogue « a créé une menace importante contre la sécurité internationale » (La Jornada, le 17 avril). N’était-ce pas comme par hasard l’objectif cherché ?

La deuxième est la fin de l’époque de l’OEA et la consolidation de l’Unasur (Union de Nations Sudaméricaines) et de la Celac (Communauté des États Latinoaméricains et Caribéens), qui excluent les États-Unis et le Canada et s’adaptent à la nouvelle réalité globale. En suivant la tendance déjà marquée par l’Unasur dès 2009, la Celac devient rapidement l’organisme capable de résoudre les problèmes de la région et de tracer la direction de sa souveraineté face des puissances extra continentales. On peut discuter si c’est le type d’intégration dont les peuples latinoaméricains ont besoin, mais il n’y a pas de doute que, quel que soit le chemin qu’ils choisissent, ils excluent les anciens propriétaires de l’arrière-cour.

En troisième lieu, les États-Unis ne sont déjà plus le principal associé commercial des principaux pays de la région, en particulier de l’Amérique du Sud, et son marché décroissant interne n’a plus l’attrait d’antan, ni se montre dans des conditions de capter les exportations latinoaméricaines. La tendance est que la Chine et l’ensemble de l’Asie substituent le rôle qu’ont eu les États-Unis depuis le début de XXe siècle jusqu’à la crise de 2008 comme allié commercial et politique, décisif.

Jusqu’à 2005, les États-Unis achetaient 1.5 million de barils de pétrole par jour au Venezuela, le chiffre est tombé en 2011 à moins d’un million. Au contraire, les exportations vénézuéliennes en Chine, qui étaient presque inexistantes en 2005, ont grimpé à presque un demi million de barils par jour en 2011 (Geab No. 60, décembre 2011). La tendance est qu’un marché se substitue à un autre.

En quatrième lieu, les États-Unis et l’Union Européenne sont entrain en perte de vitesse en tant qu’investisseurs principaux en Amérique Latine. La Chine est le principal investisseur au Venezuela, la première réserve mondiale de pétrole, la troisième de bauxite, la quatrième réserve d’or, la sixième position en gaz naturel et la dixième réserve en fer au monde. La Chine dispose aussi de forts investissements en Argentine et au Brésil, les deux plus grandes économies sudaméricaines.

Le deuxième groupement pétrolier chinois, Sinopec, était intéressé pour acheter la part de Repsol dans YPF pour 15 milliards de dollars avant l’étatisation décidée par le gouvernement de Cristina Fernández ( Financial Times , le 18 avril 2012). Maintenant il peut étendre ses investissements en Argentine, où il est responsable de 6 % de l’offre de brut et de 1.7 % du gaz.

La région a aussi des capacités endogènes d’investissement. Le meilleur exemple est l’annonce de l’investissement de 16 milliards de dollars par trois entreprises brésiliennes (Petrobras, Odebrecht et Braskem) au Pérou, pour extraire du gaz dans le Camisea, pour construire un gazoduc de plus de mille kilomètres vers le sud et un pôle pétrochimique dans la ville portuaire d’Ilo, le premier de la côte du Pacifique.

En cinquième lieu, les États-Unis ne sont déjà plus l’unique allié militaire de la région. La Venezuela maintient une solide alliance avec la Russie, le Brésil a des accords de coopération avec l’Inde dans l’aéronautique et avec la Chine dans l’industrie spatiale. Mais le plus remarquable est l’intégration progressive des industries militaires de la région, ou bien le tandem des pays sudaméricains avec la croissante industrie militaire brésilienne.

Le cas le plus remarquable est l’alliance stratégique entre le Brésil et l’Argentine, qui se traduit dans le développement conjoint de blindés, d’un avion cargo militaire qui substituera les Hercules [Us], le développement de missiles « air-air » sur lequel le Brésil travaille avec l’Afrique du Sud, et des avions sans équipage pour surveillance de frontières. Les deux pays façonnent une masse critique capable d’entraîner les autres pour mettre debout une industrie militaire régionale autonome de celle du nord.

L’imminente victoire du socialiste François Hollande dans les élections présidentielles françaises « activera une série de changements stratégiques » qui accéléreront les transitions géopolitiques courantes, comme l’estime le Laboratoire Européen d’Anticipation Politique (Geab No. 54, du 17 avril 2012). L’un des virages principaux sera la formation d’une alliance stratégique Europe-BRICS. D’une certaine façon, cette alliance a déjà commencé avec l’accord militaire la France-Brésil de 2009 pour construire des sous-marins et des avions chasse Rafale. L’autonomisation de la région peut compter avec des alliés inespérés.

La Jornada. Mexique, le 20 avril 2012.

Traduit de l’espagnol pour El Correo par : Estelle et Carlos Debiasi

http://www.elcorreo.eu.org/Ce-qui-vient-apres-l-arriere-cour-Raul-Zibechi