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Batasuna écrit à Chirac

Publie le mercredi 2 mars 2005 par Open-Publishing

Lettre ouverte au Président de la République française

M. Jacques Chirac.

M. le Président de la République, au vu de l’actualité de ces dernières semaines, et suite à une proposition de paix pour le Pays Basque que nous avons rendue publique en novembre dernier, nous tenons à vous adresser le courrier suivant. Il nous apparaît en effet indispensable que l’État français prenne la mesure des opportunités de construction d’un processus de paix en Pays Basque et s’inscrive lui-même dans une dynamique permettant de contribuer à l’enclenchement d’un tel processus.

Le Pays Basque : un Pays et une identité non reconnus.

Dans son récit d’un voyage dans les Pyrénées, Victor Hugo affirmait : « un Basque n’est ni Espagnol, ni Français, il est Basque. Au siècle suivant, une autre grande personnalité de l’histoire de France qui a posé les bases de la pensée politique de laquelle vous vous réclamez, le Général de Gaulle lui-même, décorant les combattants basques (gudaris) du bataillon Gernika pour leur contribution au combat contre les nazis affirmait : « Nous n’oublierons jamais ce que les Basques ont fait pour la France »

Malheureusement, ces paroles sont toujours restées lettre morte, notamment en ce qui concerne notre langue et notre identité. Suite à des décennies de brimades, la langue basque, une des plus veilles langues d’Europe est aujourd’hui en voie imminente de disparition. Un ancien ministre de la République, M. Jacques Lang reconnaissait à juste titre il y a quelques années, la nécessité d’une réparation historique de la République envers les langues dites « régionales » Bien loin d’une telle politique de réparation historique, l’État français est arche-bouté sur un principe sacralisé par l’article 2 de la Constitution stipulant : « La langue de la République est le français » Le Parlement vient de refuser une modification de cet article visant à permettre une certaine prise en compte des langues minoritaires. Même décision au Sénat il y a quelques jours, avec au passage la confirmation du refus de signer la Charte européenne des langues minoritaires. La France est un des rares membres de l’Union a ne pas avoir ratifié cette Charte. Outre ces dispositifs juridiques, le non-respect systématique des promesses formulées par les représentants de l’État tend à renforcer le sentiment de mépris de la France à l’égard de notre identité. En décembre dernier encore, près de 3.000 personnes ont défilé dans les rues de Bayonne pour réclamer l’obtention des moyens promis en faveur de l’enseignement en langue basque.

En termes politiques, la position de la France vis-à-vis du Pays Basque se caractérise par un refus de toute reconnaissance du Pays Basque. Refus d’abord d’octroyer tout cadre institutionnel propre aux trois provinces du Labourd, de la Basse-Navarre et de la Soule, et ce alors que votre prédécesseur, F. Mitterrand avait fait de la création d’un département Pays Basque un des points du programme qui lui a permis d’être élu en 1981. Là encore, combien de mobilisations les unes les plus massives que les autres n’ont-elles pas eu lieu ces dernières années ? Il est patent qu’une majorité des habitants du Pays Basque serait favorable à la création d’une institution propre au Labourd, à la Soule et à la Basse-Navarre. L’idée de mettre en place une démarche de consultation de la population sur ce thème fait d’ailleurs son chemin.

Cette attitude de refus de toute reconnaissance du Pays Basque, de quelque niveau qu’elle soit, est radicale et poussée jusqu’à son extrême. Ainsi, des revendications qui dans d’autres endroits qu’au Pays Basque ne susciteraient sûrement aucune crispation de la part des services de l’État sont confrontés à un refus catégorique. Il en est ainsi de la demande de la création d’une Chambre d’Agriculture en Pays Basque. Face à ce refus et après 10 ans de mobilisation, le syndicat ELB a été amené à créer de son propre chef une structure visant à palier à l’absence d’une Chambre d’Agriculture en Pays Basque. Seule et unique réaction de la Préfecture : une lettre de menace évoquant d’éventuelles sanctions contre les promoteurs de cette structure.

Sortir du conflit en Pays Basque : répression vs. solution

Aujourd’hui encore un conflit persiste en Pays Basque. Il s’agit d’un des derniers conflits au sien de l’Union européenne ; si ce n’est du dernier si on fait l’hypothèse que le processus de paix en Irlande du Nord aille jusqu’à son terme.

L’engagement de l’Etat français a été constant durant les 25 dernières années du conflit en Pays Basque. Nous avons tous en mémoire par exemple des militants d’Iparretarrak comme Didier Lafitte exécuté par la Police française ou Popo Larre dont on a fait disparaître jusqu’à la dépouille. Nous avons aussi en mémoire les 27 morts du GAL durant les années 80. L’activité de ces escadrons para-policiers a causé plus de morts en « métropole » que l’OAS en son temps... Les preuves de la collaboration des autorités policières et judiciaires françaises avec les tueurs du GAL ne manquent pas. Certaines des fiches signalétiques des futures victimes découvertes lors d’arrestations de barbouzes émanaient directement de la sous-préfecture de Bayonne...

L’engagement de l’Etat français dans ce conflit a été constant et reste encore aujourd’hui de mise. Il faut rappeler par exemple à ce titre, qu’une des dernières victimes du conflit est la militante de l’ETA, Oihane Errazkin, retrouvée pendue dans sa cellule de Fleury-Mérogis en juillet dernier.

L’activité répressive de l’Etat français à l’encontre des militants basques ne s’est jamais relâchée. Il y a aujourd’hui144prisonniers politiques basques détenus dans les prisons de la République. Le Collectif des prisonniers politiques basques est de loin le collectif de prisonniers le plus important dans l’Etat français. Ces derniers quatre mois, le solde des opérations des services de police française s’élève à plus d’une trentaine d’arrestations.Sous couvert de “lutte contre le terrorisme”, la palette des individus visés est large. On y trouve notamment, un porte-parole de l’association de défense des prisonniers politiques basques (une association qui ne fait l’objet d’aucune mesure d’interdiction dans l’Etat français), des militants recherchés par la justice espagnole pour le seul délit d’une militance politique publique, des jeunes connus pour leur engagement au niveau local... Même les milieux ecclésiastiques ne sont pas épargnés. Malgré les protestations de l’évêque de Bayonne, un moine dominicain, le Père M. Etchandy, personnalité reconnue du monde culturel basque, a récemment été arrêté puis relâché après deux jours de garde à vue et perquisition de son monastère.

Cette politique répressive mène le Pays Basque à une impasse. C’est que nous montrent 25 ans d’histoire en Pays Basque. Mais c’est aussi ce que nous enseigne l’analyse des dynamiques des conflits à travers le monde. Une autre voie est aujourd’hui possible pour le Pays Basque, celle menant à un scénario de Paix. Elle exige de la part de chacun de savoir faire preuve de maturité politique et d’un peu d’audace.

Une voie de résolution politique du conflit en Pays Basque est nécessaire.

La proposition de paix rendue publique par Batasuna met en avant la nécessité d’une recherche d’un accord et d’une résolution du conflit par le biais d’une procédure démocratique de consultation de la population du Pays Basque.

Notre projet politique de défense de la souveraineté du Pays Basque n’est pas un projet « ethniciste » Il s’appuie ni plus ni moins que sur la constatation faite en son temps par des grands esprits de la République comme Victor Hugo : « Il existe en Pays Basque une même communauté d’histoire, de culture et de devenir. Il existe en Pays Basque une nation » Nous sommes conscients de la pluralité du Pays Basque. Cette pluralité s’exprime au niveau des territoires qui le composent. Elle s’exprime également au niveau de ses composantes sociales au travers d’une diversité des cultures, des identités nationales, des projets politiques. Nous ne recherchons pas à former un « front nationaliste » Bien au contraire, nous recherchons un accord entre toutes les composantes de cette société. Un accord qui donne à chaque projet politique (dont le nôtre) des possibilités identiques d’expression et de concrétisation. Un accord qui soit garant du respect des droits fondamentaux de l’ensemble des personnes travaillant et habitant au Pays Basque.

Ainsi, quand nous nous référons à une procédure démocratique de consultation de la population du Pays Basque, il est clair pour nous que les modalités d’une telle procédure devront faire l’objet d’un consensus entre tous les partis politiques du Pays Basque ; consensus concernant les délais, les mécanismes concrets de mise en œuvre, les conditions garantissant le respect des droits de chacun.

Au delà de la seule société du Pays Basque, pour qu’une dynamique globale de résolution du conflit puisse être enclenchée, un autre niveau de discussion doit être activité. Il s’agit d’une discussion entre l’ETA et les gouvernements espagnols et français. Une discussion concernant les thèmes suivants : la question de la démilitarisation, la libération des prisonniers politiques, la prise en compte de toutes les victimes du conflit.

L’Etat français doit être parti prenante d’un scénario de paix en Pays Basque.

Dans la mesure où l’Etat français est un des acteurs du conflit en Pays Basque, un réel processus de résolution définitive de ce conflit n’est pas envisageable sans sa participation. Vous nous permettrez à ce titre M. le Président, de vous suggérer une initiative : de demander au gouvernement de la République française de rentrer en contact avec l’organisation ETA.

Pour le reste, nous ne pouvons que vous réclamer le respect de la volonté des habitants du Pays Basque. A ce titre, le déroulement d’une procédure de consultation de la population du Pays Basque concernant le statut institutionnel et politique des provinces du Labourd, de la Basse-Navarre, de la Soule, constituerait un moyen de laisser s’exprimer démocratiquement la pluralité de la société basque.

Il nous faut souligner que des procédures de consultation relatives aux statuts institutionnels et politiques ont déjà été mises en œuvre par le gouvernement de la République française dans des endroits où se posent également des problèmes de reconnaissance d’identités nationales. De telles consultations ont ainsi été organisées courant de l’année 2003 en Corse, en Guadeloupe en Martinique. Par ailleurs, les accords de Matignon de 1988 concernant la Nouvelle Calédonie prévoient également une procédure référendaire auprès des kanaks en leur offrant l’opportunité de se prononcer vis-à-vis du statut politique de l’Ile.

M. le Président, une réelle opportunité de construire la paix en Pays Basque existe aujourd’hui. Batasuna réitère son entière disposition à contribuer à ce qu’un processus de paix puisse s’enclencher et aller de l’avant. Nous espérons de même que l’Etat français saura faire preuve de responsabilité et contribuera à ce qu’une page nouvelle puisse s’écrire en Pays Basque.