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Irlande : La crise de la dette et le référendum sur le Traité fiscal

par Andy Storey

Publie le jeudi 14 juin 2012 par Andy Storey - Open-Publishing
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La catastrophe de la dette de l’Irlande trouve son origine dans l’augmentation massive de l’endettement des banques irlandaises au cours de la première décennie du siècle. Les six principales banques du pays obtinrent, en 2003, des prêts internationaux d’une valeur de 15 milliards d’euros, mais ce chiffre grimpa jusqu’à 100 milliards d’euros en 2007.

Les banques irlandaises, fortement exposées à la bulle spéculative immobilière, se sont retrouvées dans une position lamentable. Face à la situation délicate des banques, le gouvernement réagit alors par des mesures exceptionnelles : le 30 septembre 2008, tous les actifs des déposants et des détenteurs de « senior bondholders » (les créditeurs des banques irlandaises) furent garantis par l’Etat. Le coût du sauvetage des banques est, jusqu’à présent, de 68 milliards d’euros… et il continue d’augmenter.

La Banque Centrale Européenne (BCE) avait été parmi ceux qui ont insisté le plus sur la nécessité de ces mesures, dans le but de protéger les intérêts des institutions financières européennes qui ont prêté des sommes colossales à leurs homologues irlandaises. La caractéristique la plus importante de la crise irlandaise, qui est commune à toute l’Europe à la seule exception partielle de la Grèce, c’est que la crise de la dette a été provoquée par les pratiques créditrices des agents financiers privés, et non par les politiques fiscales et de dépenses publiques des gouvernements.

Quelle a été la réponse de l’Union européenne (UE) face à la crise ? Un Traité fiscal (le TSCG : Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, NdT) qui vise à contrôler les politiques fiscales et les dépenses publiques des gouvernements des états membres, sans prendre en même temps aucune mesure significative pour mieux réguler le secteur financier privé ou pour le faire payer ne serait-ce qu’une infime partie du coût de la crise.

Mon collègue de l’University College de Dublin (UCD), Ben Tonra, qui, malgré ses critiques sur le Traité fiscal a appelé à voter « Oui » lors du référendum irlandais (du 31 mai dernier, NdT), a écrit sur la « haine viscérale (…) devant le fait que les citoyens irlandais continuent à être sacrifiés par la BCE au nom de la stabilité bancaire de la zone euro », et il a averti « du danger que le « Oui » puisse être interprété comme un acte de résignation de l’Irlande envers le statu quo. Ce sera la tâche du gouvernement d’éviter qu’il en soit ainsi et de faire rapidement pression, avec force et publiquement, en faveur d’une solution de la crise bancaire et des dettes souveraines ».

On peut souhaiter qu’il en soit ainsi, mais l’histoire démontre que le gouvernement irlandais offrira ce vote à ses maîtres européens dans l’espoir révérencieux d’obtenir en échange la concession de quelques « faveurs » pour avoir été un enfant aussi sage… Autrement dit, il recevra seulement le mépris habituel et d’autres abus en échange.

Comme d’autres personnes l’ont affirmé, une victoire du « Non » aurait pourtant pu adresser le message que le peuple irlandais n’est plus disposé à être aussi coopératif et qu’il est en colère, ce qui aurait pu augmenter les possibilités d’avancer vers une solution juste du problème de la dette.

De fait, les tactiques utilisées par les partisans du « Oui » en Irlande ont bien peu aidé la cause d’une solution juste de la dette. C’est le cas, en particulier, de l’argument utilisé par plusieurs activistes du « Oui » (entre autres le Ministre des Finances) selon lequel, si le Traité avait été en vigueur dès le début des années 2000, on aurait pu éviter la crise de la dette... Mais cet argument élude le fait fondamental déjà mentionné : la crise n’a pas été causée (en première instance) par une politique fiscale imprudente, mais bien par une dette privée excessive (ultérieurement socialisée).

L’explication véridique de la crise (les citoyens irlandais doivent rendre responsable les spéculateurs pour leurs dettes de jeu) a été remplacée par un conte de fée invraisemblable qui prétend que nous nous sommes comportés de manière irresponsable et que nous devons aujourd’hui accepter la discipline du Traité afin qu’une telle conduite désordonnée ne puisse plus se répéter.

Il faut également attribuer le résultat du référendum à l’idée selon laquelle la victoire du « Oui » était la clé permettant d’ouvrir à l’Irlande la porte du nouveau Mécanisme Européen de Stabilité (MES), autrement dit, le fonds auquel il faudrait recourir en cas de nécessité d’un second prêt en dehors du marché (le premier prêt de ce genre, provenant de l’UE, du FMI et d’autres sources, fut contracté en 2010 quand le coût des prêts sur le marché était trop élevé). L’argument affirmant qu’une victoire du « Non » fermerait la porte au MES a été répété en boucle jusqu’à satiété, et de nombreuses personnes ont cru qu’il s’agissait d’un choix beaucoup trop risqué - bien que les fonds du MES ou de quelque autre source n’auraient pas été nécessaires si nous ne traînions pas la charge d’une dette illégitime…

Ainsi, la victoire du « Oui » s’explique, dans une certaine mesure, non pas par un vaste soutien populaire envers le contenu du Traité lui-même, mais bien par une campagne explicite de chantage en défaveur du « Non ». Comme l’a expliqué Paul Murphy, euro député du Socialist Party, « le « Oui » ne signifie en aucun cas un soutien au contenu de ce Traité, ni un aval aux politiques d’austérité. Les gens ont tout simplement peur ».

A court terme, les choses ne vont pourtant pas s’améliorer ni être moins alarmantes pour la majorité des irlandais. De fait, il est probable qu’elles empirent. Le titre d’une « information de dernière minute » d’un des journaux nationaux au lendemain du référendum était : « Mauvaises nouvelles, une fois de plus, alors que le vote est terminé ». L’article faisait référence au fait que des questions telles que l’introduction de nouveaux impôts – dont on n’a cyniquement pas parlé pendant la campagne – revenaient désormais en pleine actualité et avec encore plus de force.

Avec le corset des normes du Traité, nous sommes partis pour de nombreuses années d’austérité. Ceux qui ont supporté jusqu’à présent le poids des coupes budgétaires l’ont parfaitement compris : les quartiers ouvrier ont majoritairement voté « Non » au Traité, tandis que le « Oui » s’est imposé dans les districts des classes moyennes et hautes, au point qu’un ministre du gouvernement a admis que le vote reflétait une « division de classes ».

Il est impossible d’occulter le fait que le résultat du référendum est une déception. Cependant, 40% des votes en faveur du « Non » constitue, au vu des circonstances, un résultat très décent, et tout particulièrement parce que les trois principaux partis politiques (dont deux sont au gouvernement), tous les grands journaux, les groupes patronaux et les diverses élites de la société civile, tous furent unanimes dans leur défense du « Oui ». Et il est également important de prendre en considération que le facteur de la peur, déjà mentionné, a poussé de nombreuses personnes à voter « Oui » malgré leur opposition à la politique actuelle d’austérité. On ne peut pas non plus additionner les abstentionnistes à ceux qui soutiennent le régime actuel. En d’autres termes, tout l’appareil du système en Irlande n’a pu convaincre que 30% de l’ensemble de électorat afin de soutenir le Traité, et bon nombre d’entre eux l’ont fait en se pinçant le nez et avec le pistolet sur la tempe.

Le courage de ceux qui ont voté « Non », associé à l’inévitable colère et à la sensation de trahison que ressentent beaucoup de personnes qui ont voté « Oui » ou qui se sont abstenues, offrent une base solide pour développer un agenda alternatif sérieux et pour mobiliser contre la dette et le programme d’austérité au cours des prochaines années.

Andy Storey est professeur de sociologie et d’économie du développement à la Faculté de Sciences Politiques et de Relations Internationales de l’University College de Dublín (UCD).

Publié sur : http://www.sinpermiso.info/textos/index.php?id=5027

Traduction française par Ataulfo Riera pour le site www.cadtm.org

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