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Merah manipulé par la DCRI ?

par PATRICIA TOURANCHEAU avec Jean-Manuel Escarnot

Publie le jeudi 14 juin 2012 par PATRICIA TOURANCHEAU avec Jean-Manuel Escarnot - Open-Publishing

Après la plainte déposée lundi, à Paris, par le père de Mohamed Merah pour « homicide volontaire » contre les policiers du Raid, son avocate algérienne Zahia Mokhtari a dit détenir deux vidéos de 20 minutes démontrant que le jeune homme a été « utilisé par les services français et ensuite liquidé ». Elle a promis de les remettre à la justice française. Sa collègue parisienne Isabelle Coutant-Peyre a intégré à la plainte quatre pages de retranscription de ces enregistrements, que le parquet de Paris attend toujours… La police et la justice émettent des « doutes sur la véracité et l’existence de ces vidéos ». Les avocates, elles, croient tenir « la preuve que Mohamed Merah était lié aux services de renseignements, qui l’ont utilisé comme un agent et l’ont envoyé en mission », selon Me Coutant-Peyre.

Que disent ces vidéos supposées ?

Les retranscriptions non datées et non authentifiées retracent des échanges téléphoniques entre Mohamed Merah et un certain « Zuhair », présenté comme « officier des services français ». Ils se seraient déroulés durant le siège de son appartement les 21 et 22 mars à Toulouse. Merah lui lance : « Va au diable sale traître, vous me tuez pour quel motif, j’ai rien fait, j’ai tué personne et c’est toi qui m’as mis dans cette galère […]. Vous avez monté le coup, je connais ta vraie identité et tu me trompes en t’appelant Zuhair, sale traître. »

Il accuse « Zuhair » de l’avoir manipulé : « Tu m’as envoyé en Irak, au Pakistan, en Syrie pour aider les musulmans, et après je découvre que tu es à la solde des services français. » L’interlocuteur répond : « Ce qui s’est passé, c’est arrivé. Maintenant, il faut que je te sauve la vie. » Le tueur répète « je suis innocent », il se filme à trois reprises « en pleurant » et en parlant : « J’ai découvert que Zuhair, mon meilleur ami, travaille dans les services français […] et m’a envoyé en Irak […], en Syrie […], au Kurdistan, en Algérie pour faire des contacts avec les moudjahidin. » Comme une mise en scène, « l’image s’assombrit », « on entend le Coran provenant du portable » qui « tombe de sa main ».

Quelle est leur crédibilité ?

Pour l’instant, personne n’a visionné ces vidéos, pas même Me Coutant-Peyre : « Je ne les ai pas vues, mais elles existent et Me Mokhtari se charge de les communiquer au parquet. » Sans pouvoir juger sur pièces, le parquet constate déjà « des incohérences factuelles majeures » avec la procédure judiciaire . Ainsi, « aucun iPhone, aucun téléphone d’aucune sorte n’a été découvert » dans l’appartement de Merah après l’assaut du Raid. Un patron de police ajoute que le tueur présumé « n’avait pas non plus d’ordinateur ou de caméra » chez lui : « Il est techniquement et matériellement impossible que Merah ait pu enregistrer de tels propos. Il communiquait avec le Raid au moyen d’un talkie-walkie. C’est bidon complet. »

Ou alors, suggère un autre policier, « Merah a réalisé avant sa mort un montage qu’il a envo yé à sa famille ». Un chef d’enquête souligne que « l’esprit des propos retranscrits est en totale contradiction avec tout ce que Mohamed Merah a pu exprimer. Il n’a jamais pleuré. Il n’y a jamais eu de Zuhair. Il n’a jamais dit "je suis innocent". Il a répété : "C’est moi qui les ai tués et je voulais en tuer plus encore" ». Et les armes des crimes ont été retrouvées sur ses indications. Les retranscriptions seront comparées au décryptage en cours des dialogues enregistrés par la police pendant les négociations.

Merah a-t-il été manipulé par les services ?

Mohamed Merah a été en contact avec un officier arabisant du Renseignement intérieur de Toulouse, qui l’avait convoqué et « débriefé » le 14 novembre 2011, à son retour du Pakistan, sur ce « voyage touristique » et sur son incursion en Afghanistan, fin 2010. Curieusement, Merah, qui avait été l’objet au premier semestre 2011 « de surveillances sur Internet, téléphoniques et physiques », n’ayant « pas démontré de radicalisation, ni de fréquentation de mosquée, ni d’activisme », selon la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), n’a pas été plus surveillé par la suite.

Pourtant, Merah avait été fiché fin 2006 par les Renseignements généraux (RG) pour « atteinte à la sûreté de l’Etat », à cause de ses liens avec le jihadiste Sabri Essid (fils du compagnon de sa mère). Il était « mis en attention » dans le fichier des personnes recherchées. Ses déplacements, en cas de contrôle, étaient signalés en vertu de cette fiche qui le présentait, selon le Point, comme « membre de la mouvance islamique radicale susceptible de voyager et de fournir assistance à des militants intégristes ».

Mais il n’a jamais été signalé aux frontières lors de ses voyages dans des pays arabes, en Israël, en Afghanistan, au Pakistan. Bernard Squarcini, alors chef de la DCRI, a démenti fin mars qu’il ait été un « indic ». Selon un policier, « il a pu être traité directement par la DCRI de Paris, par-dessus l’officier de Toulouse ». A l’inverse, un ponte parisien du renseignement nous assure que « Merah n’a jamais été une source de la DCRI, ni immatriculé comme indicateur ». Dans tous les cas, les services de renseignements ont failli en ne détectant pas sa dangerosité.

http://www.liberation.fr/societe/2012/06/13/merah-manipule-par-la-dcri_826159