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Lutte des classes en Russie (4) : Solidarités dans le monde maritime

par Marie-Anne

Publie le lundi 9 juillet 2012 par Marie-Anne - Open-Publishing

Le 15 mai 2012, la Douma a adopté une loi fédérale "Sur la ratification de la Convention de 2006 sur le travail maritime », édictée par l’Organisation internationale du travail. Cette loi doit franchir de nouvelles étapes avant de pouvoir être mise en application. Le syndicat des gens de mer mène une bataille acharnée pour que tous les textes régissant le travail des marins soient réunis dans un même acte législatif. Si les dispositions légales qui permettent à la Russie d’être conforme à la convention se trouvent dispersés dans la fragmentation et les niveaux des législations nationales, la portée de la ratification de la convention en sera affaiblie.

Le syndicat des gens de mer de la Russie s’inscrit dans la négociation avec le pouvoir et est prêt à participer aux instances de concertation mises en place par le gouvernement fédéral. Ils ont nombre de sujets de discussions à mettre sur la table : les « Règlements sur la certification », qui vont porter préjudice aux droits de milliers personnes, la simplification du régime des visas pour les marins russes et leur famille dans l’Union européenne, le droit des syndicats de visiter librement les équipages des navires dans les ports et les ouvriers dans les chantiers navals.

Une convention collective, signée par le syndicat et la Compagnie maritime de l’Extême Nord, est applicable à tous les navires battant pavillon de la Fédération de Russie depuis le 1er juillet 2012. Elle s’est conclue après des mois de négociation avec les armateurs. Le principal acquis concerne les salaires, qui seront augmentés et indexés.

Le syndicat des marins intervient régulièrement pour les marins non payés, abandonnés par leur armateur , dans tous les ports du monde. Il a ainsi permis un certain nombre de rapatriements et la somme des salaires récupérés par les marins à l’aide du syndicat est loin d’être négligeable.

Le syndicat s’élève particulièrement contre le régime de la « coque nue » ; même lorsque le navire est exploité sous pavillon russe, il est plus difficile pour les marins de se faire payer et pour les syndicats de défendre leurs droits. Il est d’ailleurs fréquent que les véritables propriétaires soient russes, mais qu’ils interviennent par l’intermédiaire d’une société-écran. La vie à bord peut s’apparenter, dans les cas limites, à de l’esclavage, avec des salaires non payés, une fourniture d’eau et de nourriture insuffisante, de la maltaitance physique pour ceux qui osent se plaindre. Le syndicat des gens de mer s’est saisi d’une affaire ayant abouti à un décès ; il lutte pour que des poursuites soient engagées alors que le procureur se retranche derrière le fait que l’Etat russe ne peut intervenir si le bateau est étranger.

Pour assurer la protection de ses marins, le syndicat des gens de mer entre en relation avec leurs homologues dans tous les pays et leur demande d’intervenir. La tendance semble au renforcement de la coopération entre syndicats nationaux, pour une meilleure efficacité. Une réunion a eu lieu fin juin 2012 à Moscou entre le syndicat russe des gens de mer et l’Union des marins du Japon. Les deux syndicats se sont penchés sur le problème du versement des cotisations d’assurance maladie des marins russes par les armateurs japonais. Le syndicat nippon a promis d’intervenir et de vérifier que leurs armateurs nationaux s’acquitteront sans délai des contributions auxquelles ils sont soumis vis à vis des marins russes. Vis-à-vis des récalcitrants, ils veilleront à ce que leur soient refusé le « certificat vert » pour leurs bateaux, attestant que leurs équipages dépendent d’une convention collective et que celle-ci est respectée. D’autres méthodes de pression, comme le boycott, pourraient également être mise en œuvre.

La délégation japonaise était également intéressée pour échanger à propos des pavillons de complaisance. Elle a exprimé sa satisfaction de pouvoir prendre connaissance de la façon dont opère le syndicat russe et de pouvoir partager les expériences. Des idées ont germé et certaines vont se concrétiser à brève échéance : des représentants de la Fédération syndicale internationale du transport (ITF) et du syndicat des gens de mer russe seront impliqués dans la prochaine Semaine d’action syndicale dans les ports du Japon ; et réciproquement l’ITF et le syndicat japonais viendront partager leur expérience avec l’échelon régional du syndicat dans l’Est de la Russie.

Un travail à plus long terme est engagé entre les deux syndicats russes et japonais sur des dossiers de fond, comme par exemple les entreprises de main-d’œuvre et la question des propriétaires effectifs des navires.

Durant la semaine du 9 au 13 juillet 2012, les syndicats des gens de mer russes, nippons, coréens, taïwanais vont unir leurs efforts dans une opération de lutte contre les pavillons de complaisance. Ils se rendront sur les navires battant de tels pavillons pour vérifier les conditions de travail, le paiement régulier des salaires, la fourniture de vêtements marins et la présence d’équipements de sauvetage. Il a été en effet constaté une plus grande fréquence des accidents sur ce type de navires. Une centaine de morts de marins russes leur sont imputables ces dernières années. On peut constater qu’à l’heure actuelle, près de la moitié des navires à quai dans la région battent pavillon du Cambodge, de Saint-Vincent, du Belize, ou de la Mongolie.

Ils se sont également entendus pour apporter un soutien aux syndicats de marins de la côte ouest des Etats-Unis, du Canada, de l’Australie, de Nouvelle-Zélande, de Hong Kong, du Pakistan, de l’Inde, d’Indonésie, de Singapour et des Philippines.

Les dockers eux aussi mobilisés pour leurs conditions de travail et leurs salaires, se heurtent à la répression syndicale. Les 1er et 2 juin, des manifestations ont eu lieu dans les ports de l’Est, à Nakhodka et Vladivostok, en particulier contre le recours au travail précaire et aux agences de main-d’oeuvre, et pour faire prendre en compte les revendications des travailleurs dans la convention collective. Si dans les ports de l’Ouest les discussions sont « paisibles », il n’en va pas de même sur la côte orientale. À Vladivostok 1300 dockers ont manifesté contre le projet de réorganisation du port et l’absence de prise en compte de leur point de vue : ils craignent que ce projet n’aboutisse à des diminutions de salaire. A Nakhodka, 300 dockers ont manifesté pour obtenir 10% d’augmentation de salaire ; le lieu n’étant pas autorisé pour une manifestation, ils ont craint que leur action soit déclarée illégale et ont limité à une demi-heure la durée de leur manifestation, qui pourtant n’est pas restée sans effet : le 18 juin, l’employeur a signé un accord sur une augmentation salariale de 4%. Mais avec l’entreprise "East Port" JSC ("East Port" - la plus grande compagnie d’arrimage de l’Extrême-Orient), le dialogue social a échoué. La direction du port n’est pas disposé à renoncer aux contrats à terme (désormais en équipes de 30 employés permanents ont 10 temporaires), ni d’appliquer les dispositions de la convention collective relative à la dotation des fonds d’un montant de 1% du total des salaires pour la réalisation d’activités culturelles, sportives et récréatives. Alors que « East Port » va payer à ses actionnaires 24,2 millions de roubles... Le syndicat s’est plaint auprès du procureur, de son côté l’administration reproche au syndicat de paralyser le port. Les 19 et 22 juin une perquisition a lieu au siège du syndicat, avec saisie des ordinateurs, des documents comptables... aboutissant à la mise en cause du dirigeant syndical Leonid Tikhonov pour détournement de fonds. Le syndicat dénonce une manœuvre pour l’empêcher de défendre jusqu’au bout les intérêts des travailleurs, en tentant d’intimider les militants et de le discréditer auprès des travailleurs. Le monde syndical russe a affirmé son soutien et l’Internationale des travailleurs des transports (ITTF) a été interpellée.

Il est à noter que la solidarité dépasse le cadre strict des métiers : en mai 2011, des dockers se sont mis en grève pour soutenir un capitaine et un ingénieur opérant sur un sous-marin nucléaire, mis en cause suite à un accident ayant provoqué une vingtaine de morts. Ils sont accusés de négligences et passibles de la cour martiale. Les dockers soutiennent l’équipage qui craint que les deux hommes ne deviennent des boucs émissaires, alors que le drame est le résultat de la corruption et de la désorganisation du secteur militaire.

Voir :

Lutte de classe en Russie : la réalité de l’exploitation capitaliste (1)

Lutte des classes en Russie (2) : les travailleurs s’organisent

Lutte des classes en Russie (3) : dans l’agro-alimentaire