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ET LES RATS RIENT SOUS CAPE

Publie le lundi 14 mars 2005 par Open-Publishing

de Franca Maï

Que savons-nous de la mort ?

Rien. Des bribes d’incertitude et des projections allégoriques gaies ou tristes suivant l’imagination, le lieu, le temps, l’humeur, les croyances ou le néant. La mort est infigurable. Elle nous échappe puisqu’elle court après nous.

Le vrai tombeau des morts, c’est le coeur des vivants Jean Cocteau

Par contre, le commerce prospère conçu autour de la mort est palpable et possède son mode d’emploi, ses lois et ses coûts.

Et les rats rient sous cape...

Il faut bien comprendre que les rites funéraires ne sont qu’accessoirement destinés aux morts, puisque ceux-ci, ne sont plus de ce monde. La cérémonie est destinée aux vivants, à ceux qui y assistent. C’est la famille ou les proches qui en sont les metteurs en scène, qui décident de son ampleur et de son panache -eu égard à la situation de fortune du défunt ou à leur propre porte-monnaie - et qui en paieront les frais. Pendant ce temps-là, le mort se décompose déjà encerclé par les vers avides qui n’attendent que le signal du festin. Les vivants paradent encore dans la représentation et l’exhibition de leurs appréhensions profondes, accentuant la différence des classes. Pourtant les morts sont tous égaux dans leurs trous de terre ou à l’intérieur des flammes happantes. Les petits tas d’os ont la même finalité quels que soient le marbre railleur, le bois vermoulu ou l’urne éclatante qui les abritent.

En France, l’inhumation - ou la crémation - doit être accomplie dans les six jours ouvrables après un décès (dimanches et jours fériés non compris). Une dérogation peut être accordée par le préfet du département du lieu de l’inhumation ou de la crémation.

Quand on épluche des oignons, il faut en même temps penser à quelqu’un qu’on aime bien et qui est mort, sans quoi ce sont des larmes perdues... Cavanna

Le certificat de décès :

C’est la première pièce administrative dont on doit se soucier. Si le décès s’est produit à domicile, c’est le médecin appelé pour le constater qui le délivre. S’il est survenu dans un hôpital, une clinique, un établissement de soins ou une maison de retraite, le certificat de décès est établi par le médecin du service.

Certains documents doivent être réunis pour bien préparer les démarches administratives obligatoires après un décès.

Il s’agit de rassembler les pièces relatives :

 aux comptes bancaires (banques, CCP, épargne)
 à l’employeur, l’Assedic , ou l’établissement scolaire
 aux différentes caisses (caisse primaire d’assurance maladie et/ou d’assurance vieillesse, caisses de retraites complémentaires, caisse d’allocations familiales, mutuelle complémentaire de santé - pour le transfert des droits)
 aux assurances (automobile, locative, responsabilité civile...)
 à la succession(notaire)
 aux organismes de crédit
 aux services ou abonnements souscrits (électricité, gaz, eau, téléphone, télévision)
 aux impôts (y compris la carte grise pour transfert).

C’est seulement après toutes ces formalités et ces usages contraignants que l’on vous autorise à pleurer tranquillement les êtres chers. Avant, c’est la course infernale, le tour de manège administratif quelquefois kafkaïen, pour nier la douleur qui rogne vos entrailles.

Et les rats rient sous cape.

Nous faisons de notre vie de la mort d’autrui Léonard de Vinci

Le culte des disparus est un trait révélateur de la mentalité des peuples.

Au Mexique, par exemple, où j’ai vécu une année, il y a quelques lustres, les cimetières m’ont fascinée. Des petites croix en bois de toutes les couleurs se dressaient facétieuses et rendaient les lieux avenants. Toutes ces lucioles attiraient l’oeil, transformant la faucheuse en une danse bariolée. Le jour des morts, les familles préparaient les victuailles préférées du défunt et s’ébrouaient parmi les tombes en parlant de lui au son de la musique et des rires au bord des larmes des enfants. Du coup, on pouvait facilement « voir » le mort revivre en chair et en os, le temps d’un saut dans les souvenirs heureux. Puisque à l’usure du temps qui passe, seuls les bons moments restent épinglés dans la boîte crânienne.

Aux Antilles, toutes les tâches sont réparties entre les voisins, la tradition voulant que la famille en soit exemptée. Les petites mains du coin s’occupent de l’habillement du mort, tandis que d’autres rangent la maison, couvrent les miroirs de draps blancs et parent le lit des plus beaux attributs. Une planche est posée sur le matelas afin de maintenir le corps bien droit. Ceux qui ont peur des morts enjambent la dépouille.

Au Japon, pays des trusts industriels tentaculaires et des dix plus grosses banques du monde, les vivants enterrent leurs morts de façon artisanale. Par décrets, les Japonais doivent pratiquer l’incinération. L’exiguité des terres au Japon imposant évidemment cette obligation. Après l’incinération, au crématorium, les cendres et les os sont mis dans une urne funéraire prévue à cet effet. Après un délai de 49 jours qui suivent le jour du décès et pendant lesquels les intimes peuvent venir se recueillir devant l’urne, celle-ci est enterrée dans un cimetière. La dépense moyenne pour un mort s’établit aux environs de 100 000 francs français. Mourir au Japon est un luxe.

Et les rats rient sous cape...

L’homme est un animal qui a la faculté de penser quelquefois à la mort Jules Renard

En France, il est possible de son vivant de réserver une place dans un cimetière, en achetant une concession.
Vous pouvez ainsi vous amuser à apprivoiser votre trouille du vide, visiter votre future demeure, la caresser du bout des doigts en espérant sa clémence et son hospitalité confortables.
Chaque commune doit avoir, en principe, un cimetière dans lequel peuvent être enterrées les personnes décédées ou domiciliées sur le territoire de la commune (celles qui y détiennent une résidence secondaire peuvent l’être à condition d’obtenir une autorisation du maire) ainsi que les personnes possédant déjà une concession de famille quels que soient leur domicile ou le lieu de leur décès. C’est le maire qui est chargé de la délivrance des concessions.

Un titre de propriété est établi en trois exemplaires : un pour le concessionnaire, un pour le receveur municipal, un pour les archives de la commune.

Une grande variété de concessions :

Les concessions peuvent être temporaires (au maximum quinze ans), trentenaires, cinquantenaires, voire perpétuelles (cas de plus en plus rare). Les communes ne sont pas obligées de proposer toutes les formules.

Les concessions peuvent en outre être individuelles (destinées au seul concessionnaire) ou collectives (destinées aux seules personnes désignées sur l’acte de concession, qu’elles soient ou non de la famille), voire de famille. Il s’agit d’un point important à ne pas négliger, car une concession sans dénomination particulière inscrite sur l’acte est une concession de famille.

Combien coûte une concession funéraire ?

Le prix d’une concession est fixé par le conseil municipal et peut varier, de ce fait, selon la commune et la durée de la concession. Par exemple, le prix d’une concession trentenaire peut varier de 150 euros dans une ville de province (par exemple à Lens) à 1 200 € pour un cimetière de la région parisienne (par exemple à Saint-Ouen ou à Bagneux).

Une concession perpétuelle peut coûter de 1 500 euros en province (par exemple à Lille) et jusqu’à plus de 10 000 euros à Paris (par exemple au cimetière du Montparnasse). Il arrive même que dans certaines villes très peuplées il ne soit plus possible d’acheter une concession de son vivant. En revanche, au décès d’un parent, la famille peut acheter une concession familiale, dans laquelle d’autres personnes pourront être enterrées.

Elle peut être léguée :

Une concession funéraire ne peut jamais être vendue, puisque l’acquéreur n’achète pas un terrain mais un droit temporaire d’usage. Au décès du concessionnaire, elle est transmise à ses héritiers en indivision. Mais le concessionnaire peut la céder gratuitement ou l’échanger contre un autre emplacement.
Source : http://www.dossierfamilial.com


Et les rats rient sous cape...

Ding, Dang, Dong...

Il y a les petits malins qui vous vendent des cercueils dont on profite de son vivant.

Un croque-mort du Montana a eu l’idée mercantile de construire des cercueils convertibles où il insère des étagères et autres compartiments qui décorent à merveille vos salons. Toujours avec cette idée sous-jacente de s’habituer à sa mort, d’apprendre à l’aimer, de la mater.
Sweetearthcaskets.com

Rejouer la partition de Sarah Bernard, pour s’accrocher aux fantômes !

Mais si les vivants assistent le moribond durant ses derniers spasmes et l’accompagnent jusqu’à sa dernière demeure, personne ne lui fait escorte lors de son rendez-vous réel avec la faucheuse. Le pas est solitaire. La nudité glaçante. Un face-à-face redoutable. La vérité.

J’ai écrit la nouvelle « Noyau rouge pelé » dans le vertige létal d’une expérience propre liée à l’inconscient, traduisant l’intuition de « l’instant mortel » chez le mourant.

Je nique la mort car lorsque je mourrai, elle mourra avec moi ! ... Présentement, je profite de chaque respiration de la vie -intensément- car je sais que je ne suis pas immortelle.

Et les rats rient sous cape...

La lumière n’est jamais celle que l’on croit. Les nuages sont-ils trop en panique ou faut-il attendre encore quelques secondes avant que le soleil rouge ne darde de ses rayons, le sable mouillé ?... Mais les pieds se sont déjà enfoncés dans les algues gluantes et le corps se penche en avant pour se coller à la barrière de galets.

Elle respire, mal, oppressée. Elle a une migraine terrible. Elle aurait du avaler ses cachets.

La dernière fois qu’elle a vu sa mère nue, elle se souvient du léger recul. Découvrir la chair offerte, le pubis d’un noir corbeau affaissé et les graisses nouvelles, n’est jamais évident, mais maintenant elle est attendrie. Elle sait à quoi elle ressemblera plus tard.

Nonobstant, le vent souffle et elle se demande si la table ronde transmettra d’autres lettres d’alphabet pour l’éclairer.

« Noyau rouge pelé »

Ils sont cinq. Trois hommes et deux femmes. Concentrés. Un abat-jour se balance au-dessus de leurs têtes. Des lucioles rouges et vertes. Il est étonnant de discerner les veines de leurs mains gonfler et tout ce sang affluer au fur et à mesure de l’haleine qui se consume. Ils chuchotent.

« Vous épilez-vous avec les dents ? »

Les poils pubiens l’ont toujours traumatisée. Cette forêt broussailleuse porteuse de vertige. Elle se préfère dans un dépouillement nubile.

« Parlez, Mara, mais parlez..., on n’entend pas votre voix... »

Que dire... Sinon que lorsqu’elle voit les gens, dans la rue, dans le métro, dans la ville ou ailleurs, elle a la sensation d’un temps suspendu où aucun air ne passe. Oui, comme si l’accès de l’invisible lui était accessible et que les vivants qui passent devant ses rétines, étaient déjà morts. Ils parlent, mais pour elle, ils ont déjà passé la frontière. Leurs sourires édentés ou leurs rires joyeux n’étant qu’une apparence, pour tromper l’ennui ou pour la tromper, simplement. Elle ne leur ressemblera pas. Ils peuvent faire claquer leurs péronés, éponger leur hypophyse, se desquamer en lambeaux, elle ne tombera pas dans leur piège.

« Mais, vous aimez rire, Mara, vous appréciez l’astre giboyeux ?
Amenez-moi du vin et quelques pilules du bonheur et je me vautrerai sur la table, mes pieds fouleront la table en bois en une cadence infernale, je pourrai même vous montrer mes seins et caresser mon corps, là où le plaisir frissonne et humidifie le bois vermoulu de cette table.

Elle pense fort, mais ne décoche pas un mot. Elle garde ses réflexions dans un coin de son cerveau, parquées derrière un fil de fer barbelé.

« La table est muette. Elle ne veut plus rien nous livrer »

« La séance est terminée, mes amis... Il y a un élément réfractaire qui jette un voile de brouillard... Nous retenterons la semaine prochaine, même endroit, même heure »

Amenez-moi la machine à brouiller les mensonges, servez-moi un verre de whisky, non, laissez la bouteille... Je vais la boire, cul sec et vous verrez je saurai être drôle, je saurai m’étaler sans aucune gêne, danser le corps en transes, écartez mes cuisses blanches, je saurai vous accepter dans votre pitoyable course vers le néant.

Les voix se sont tues.

Putain de portable... Elle sait lire sur les bouches. Depuis toute petite, elle savait détecter les songes qui mentent. Ce cordon ombilical qui reliait son homme à la vie tout court n’était qu’une dépendance, en sursis. S’il n’avait tenu qu’à elle, elle aurait fracassé le téléphone ambulant, de deux pierres blanches et l’aurait laissé aux milliers de crabes qui envahissent, toujours à la même heure, la plage désertique.

Plus aucun contact avec rien. Juste le courage d’affronter de face, sans ciller des yeux. L’apothéose de la quête absolue.

« Noyau rouge pelé »

Elle pense à une cerise. Mais c’était une réponse à la question collective

« Comment va Pedro ? »

Ca ne colle pas. Pedro n’aime pas les fruits rouges. Il ne mange que des bananes. Elle ne comprend pas le message, les autres non plus, à vrai dire... Il suffit de regarder leurs mines de déterrés pour comprendre leur profond désarroi. Mais ils sont déjà redescendus, occupés à retourner au bercail, bien au chaud dans leur demeure.

La semaine prochaine... Une invitation lointaine, pour elle. Elle ne sait même pas si elle aura le courage de se mêler une nouvelle fois à eux.

Le vent s’est levé. Des briques vont tomber et les arbres indomptés vont faire semblant de courber l’échine pour plaire aux voyageurs jamais repus.

Elle sent la force s’échapper de sa viande. Vieillir est la malédiction suprême. On ne croit plus en rien. On sait déjà.

Non, ce n’est pas du whisky en réalité, je souhaiterais une liqueur sucrée qui réveille mes papilles et cartonne mon sang en un speed étincelant. Quelques grammes de coke. Mélangez-moi le tout. Je m’en fous. Je me fous de tout. Croyez-moi, je ne suis plus la même après. Je montrerai la cambrure de mes reins et vous deviendrez fous. Comme les autres... Tous les autres.

« Traumatisée »

C’est la mère qui parle.

« Je l’avais sculptée, parfaite... Quelle hérésie... »

Comment dire... Vous êtes sur la ligne blanche. Il neige. De gros flocons salissent le pare-brise et la chaussée est glissante. C’est une trois voies. Vous roulez au milieu. La voiture d’en face également. Vous savez que vous ne vous rabattrez pas sur le côté, pourquoi faire cet effort ?...

« Je suis hermétique à toute douleur »

La tôle percute et le sang qui fuit de vos oreilles charme le volant et la banquette. Quelle sérénité, soudain.

Pourquoi la mère ne s’approche-t-elle pas pour m’embrasser, juste un baiser tendre et des caresses comme lorsque j’étais petite. Des massages sur les fesses en susurrant une berceuse à l’oreille. Je n’ai besoin que de cela. C’est simple.

Pedro n’est pas là. Il n’est jamais là. Il est pendu à son portable ou il est chez sa femme ou alors il se fait sucer la tige, car sucer ne compte pas. Il me l’a dit. Un trou n’est qu’un trou. La mise en bière également est une fosse où se nicher. C’est un trou gigantesque pour âmes cassées.

Donnez-moi cet élixir qui fait briller les esprits et transpirer les peaux. Je saurai mordre vos lèvres ourlées jusqu’à l’extase. Donnez-moi de la colle, je snifferai vos entrailles, vos excréments et je quitterai cette table d’opération pour danser le tango de la perdition. Des poches d’oxygène, s’il vous plaît... Vite....

« Je sombre, vous m’entendez, je sombre.... »

Noyau rouge pelé une nouvelle de Franca Maï avec l’aimable autorisation du Cherche-Midi