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José Bové : "Si le traité est voté, il n’y a plus d’échappatoire"

Publie le jeudi 17 mars 2005 par Open-Publishing

Propos recueillis par Sylvia Zappi

Entretien avec José Bové, ancien porte-parole de la Confédération paysanne.

Les agriculteurs sont, depuis trente ans, les premiers bénéficiaires des aides financières européennes. Pourquoi entrez-vous en campagne, au nom de la confédération paysanne, pour le "non" au traité européen ?

L’Europe s’est construite d’abord avec la mise en place de la politique agricole commune (PAC) et les agriculteurs ont été les premiers à participer à cette construction. Il s’agissait d’organiser la souveraineté alimentaire comme facteur de paix. La situation s’est complètement inversée avec la réforme de la PAC.

On a modifié les règles d’attribution des aides aux agriculteurs en abandonnant la préférence communautaire et on est entré dans une logique de marché en appliquant les prix mondiaux. Cela va avoir des conséquences dramatiques chez les paysans. Depuis dix ans, 200 000 exploitations disparaissent chaque année dans l’Union européenne, c’est-à-dire une exploitation toutes les trois minutes. C’est l’ensemble de cette construction européenne agricole qui est en train d’être démantelée.

Mais en quoi le texte qui est débattu aujourd’hui accentue- t-il ce phénomène ?

On parle beaucoup de la directive Bolkestein, mais nous avons eu le même type de processus de déréglementation de la concurrence dans la filière fruits et légumes. On a assisté à une concentration de serres en Andalousie, dans le sud de l’Espagne, où les gros exploitants obtiennent des prix de vente dérisoires en employant des travailleurs clandestins et avec une législation sociale inférieure à la nôtre. C’est cette logique que les paysans rejettent en votant "non".

N’est-ce pas un discours déjà développé par d’autres ?

Peut-être, mais c’est important qu’il soit tenu aussi par des représentants des mouvements sociaux et qu’on trouve un équilibre, dans le courant antilibéral, entre politiques et syndicalistes ou associatifs.

De nombreux électeurs n’ont pas compris qu’à partir du moment où ce traité sera voté il n’y aura plus d’échappatoire, plus d’alternative politique, économique ou sociale possible. Je vous donne un exemple : si la Constitution française avait été construite sur les mêmes principes, l’alternance de 1981 n’aurait jamais été possible.

On voit à gauche une multiplication de réunions des partis politiques. N’est-ce pas le signe d’une certaine concurrence ?

Pour la Confédération paysanne, il est important de travailler avec tout le monde pour ne pas laisser le "non" aux antieuropéens et à l’extrême droite.

Notre objectif est de parvenir à construire un éventail qui aille de l’extrême gauche aux radicaux. Les comités locaux qui se sont multipliés - nous en comptons un millier sur le territoire - sont donc essentiels.

Ferez-vous campagne avec les socialistes Jean-Luc Mélenchon et Laurent Fabius ?

Je les ai vus début février pour débattre de la Constitution. L’enjeu est de faire gagner le "non" avec une stratégie commune.

Vous avez fait part, récemment, de votre indignation sur le traitement médiatique du référendum.

J’ai l’impression que l’on assiste à un hold-up électoral organisé par Chirac. La campagne officielle, telle qu’elle est organisée, avec des temps de parole attribués aux seuls partis politiques représentés à l’Assemblée nationale, va être complètement déséquilibrée.

Quant au débat organisé dans les médias, on est uniquement dans la propagande. Nous avons fait faire une petite étude : pour la période du 1er au 14 mars, à la télévision, si on compte les invités sur les plateaux, il y a eu 69 % du temps d’audience pour le "oui" contre 31 % pour le "non".

A la radio, en prenant en compte les commentaires et les propos des invités, la balance est de 80 % pour le "oui" et 20 % pour le "non".

Enfin, dans la presse écrite, avec les seuls commentaires et points de vue, on arrive à un sommet de 85 % en faveur du "oui" !

http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3224,36-401902,0.html