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Les procès italiens de Battisti remis en cause

Publie le vendredi 18 mars 2005 par Open-Publishing

Des documents prouveraient que l’ex-activiste en fuite n’avait pas désigné d’avocat.

Par Dominique SIMONNOT

Une vraie bande de détectives. Juste avant Noël, l’auteure de polars Fred Vargas et deux avocats, Mes Elisabeth Maisondieu-Camus et Eric Turcon, passent à la loupe le dossier de Cesare Battisti. L’ex-activiste des années de plomb en Italie, lui-même écrivain, est en fuite, Jean-Pierre Raffarin ayant signé le décret permettant de l’extrader vers son pays. Demain, le Conseil d’Etat se penche sur son recours.

A force d’examiner l’énorme tas de papiers qui constituent les innombrables procédures de l’affaire, les avocats et l’écrivaine reconvertis en limiers sursautent devant une bizarrerie. Battisti, selon la justice italienne et le ministère français de la Justice, aurait été représenté par un avocat dûment choisi, tout au long de ses procès en Italie, pour quatre assassinats commis au nom des Prolétaires armés pour le communisme (PAC). Or les signatures au bas des pages nommant cet avocat « ont semblé étranges, comme si elles avaient été écrites le même jour, au même moment, d’un seul trait », raconte Fred Vargas. Au même moment, dans leur bureau, Elisabeth Maisondieu-Camus et Eric Turcon se font la même réflexion. Ils s’appellent et réfléchissent. Pour eux, ils tiennent la preuve que Cesare Battisti, évadé d’une prison italienne en 1981, n’a jamais désigné d’avocat. Pas plus qu’il n’a été tenu au courant des échéances des procès le concernant, en Italie, de 1982 à 1990, où il a été jugé et condamné à perpétuité en son absence, par contumace.

Feuilles en blanc. La petite troupe file chez un expert graphologue. Ses conclusions vont exactement dans leur sens. Les courriers par lesquels Battisti semble avoir désigné Me Giuseppe Pelazza sont plus que « suspects ». L’écriture sur les enveloppes n’est pas la sienne, une date manuscrite portée sur un document, le « 10 mai 1982 », paraît avoir été écrite par une autre main, « comme rajoutée ». Les signatures, au bas des lettres, ont été « sans aucun doute » tracées, en même temps, d’un même jet. Pour ses défenseurs, Battisti avait donc, avant de fuir, laissé des feuilles en blanc, signées de sa main. Et, croyant bien faire, quelqu’un a désigné ­ par des faux ­ Me Giuseppe Pelazza. Ce même avocat, qui, d’ailleurs, a témoigné en juin dernier, devant la chambre de l’instruction de Paris, n’avoir jamais eu aucun contact avec Battisti de 1982 à 1991.

Gifle. Or ce n’est pas un simple détail. Car l’Italie, contrairement à la France et à la plupart des pays européens, ne rejugeait pas ses « contumax », rendant définitive et sans espoir de recours la condamnation prononcée. Pour Battisti, c’est la perpétuité. Mais, en novembre, rebondissement avec la condamnation de l’Italie par la Cour européenne pour cette anomalie judiciaire. Une gifle tant pour le gouvernement italien que pour le garde des Sceaux français. L’un et l’autre ayant assuré, durant la procédure d’extradition de Battisti en France : « La loi italienne sur la contumace est conforme au droit européen et a même été validée par la Cour européenne. »

En urgence, le 20 février, un décret-loi est donc publié par l’Italie. Désormais, les tribunaux italiens ne pourront refuser un nouveau procès que s’ils démontrent que l’accusé « avait connaissance des poursuites engagées contre lui », « avait renoncé de manière claire à son droit à comparaître à l’audience » et « avait pu préparer librement sa défense avec l’avocat de son choix ».

Un décret-loi taillé sur mesure pour Battisti. Car les gouvernements italien et français soutiennent mordicus qu’il avait un avocat lors de ses procès italiens, qu’il était au courant des poursuites et qu’il avait ainsi pu préparer sa défense. Aujourd’hui, si les conseillers d’Etat suivent les émules du commissaire Adamsberg, le héros de Fred Vargas, alors l’extradition de Battisti sera annulée, et il sortira de la cache qui l’abrite depuis la mi-août. Sinon, il ne lui restera que la Cour européenne.

http://www.liberation.fr/page.php?Article=281684