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Comment les Espagnols meurent à crédit pour leurs banques

par Nathalie Pédestarres

Publie le vendredi 15 mars 2013 par Nathalie Pédestarres - Open-Publishing
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Depuis 2008, plus de 362 000 foyers espagnols ont été victimes de saisies immobilières, entraînant dans plusieurs cas des suicides… Le gouvernement, en connivence avec les banques, refuse de modifier une loi sur les hypothèques obsolète et inhumaine. Celle-ci permet au créancier, les banques, de gagner sur tous les tableaux et de s’enrichir sur la misère. Les mouvements citoyens s’organisent pour freiner les expulsions et changer la loi.

Pendant que le chef du gouvernement espagnol, Mariano Rajoy, lisait son discours sur l’état de la Nation, le 20 février dernier, une femme s’immolait par le feu dans une succursale bancaire de Castelló (région de Valence). Brûlée à 50%, elle serait une victime de plus des cas des saisies immobilières qui se multiplient dans le pays : 362 776 saisies depuis 2008, d’après une étude de la Plateforme des victimes de crédits hypothécaires (PAH), une association citoyenne. L’issue est parfois fatale… Depuis l’été dernier, une quinzaine de personnes se sont défenestrées le jour où elles allaient être expulsées de leur domicile.

Pas un mot, pourtant, du chef du gouvernement sur ce sujet dans son discours. Sauf lorsque les députés de la gauche plurielle (minoritaires) ont insisté sur la nécessité de réformer la loi sur les hypothèques, l’une des plus drastiques et obsolètes – elle date de 1909 – d’Europe. En Espagne, toute personne se retrouvant en défaut de rembourser son crédit immobilier, perd non seulement sa maison mais est condamnée à rembourser le reste du prêt concédé par la banque, prêt qui ne fait qu’augmenter avec les taux d’intérêt variables et les pénalités pour retard de paiement.

Business et spéculation sur la misère

Petit exemple pratique pour bien comprendre le « jeu de bonneteau » des banques avec les crédits hypothécaires… Une famille souscrit un prêt immobilier pour acheter une maison, mais se retrouve en défaut de paiement quelques années plus tard. Si aucun accord de refinancement de la dette n’est atteint avec la banque, la propriété est saisie et mise en vente par adjudication judiciaire. La loi espagnole autorise les banques à participer à ces enchères et à racheter les propriétés à un minimum de 60% de leur valeur initiale si elles sont les seules à enchérir. Mais elles ont trouvé une parade pour contourner la loi à leur profit : elles ont créé leurs propres sociétés immobilières qui interviennent aussi dans les enchères comme « tiers » et qui peuvent donc racheter les propriétés à un pourcentage encore plus bas de leur valeur initiale. Tout reste donc dans le patrimoine de la banque ! Résumons : dans le « meilleur » des cas, la banque réussit non seulement à se faire rembourser le prêt majoré des pénalités de retard, mais elle dégagera aussi un bénéfice avec la revente de la propriété.


D’où un projet de loi citoyen – une initiative législative populaire (ILP) – lancé par les victimes de crédits hypothécaires, et soutenu par les députés de gauche. Ce projet demande l’arrêt des expulsions des logements principaux, l’instauration de loyers sociaux, et la possibilité pour les personnes endettées de rembourser leur dette sous le principe de la « dation en paiement », un principe qui permet de payer sa dette en l’échangeant contre un autre bien [1]. L’initiative a obtenu 1,4 million de signatures, soit largement de quoi pouvoir la soumettre au débat parlementaire.

Plainte de l’Équateur

Toujours selon la loi en vigueur sur les hypothèques, l’emprunteur insolvable peut aussi voir une partie de son salaire et ses autres biens immobiliers saisis pour éponger sa dette. Ce dernier aspect a attiré l’attention du président de l’Équateur, Rafael Correa, dont de nombreux concitoyens, victimes de saisies immobilières en Espagne, ont craint de devoir répondre de leurs dettes avec leur patrimoine en Équateur [2]. Il a introduit des amendements à la loi sur les hypothèques de son propre pays – qui était similaire à la législation espagnole – en prescrivant la dation en paiement et en limitant la responsabilité de l’emprunteur aux seuls biens hypothéqués en cas de saisie. Le Défenseur du Peuple équatorien – l’équivalent du défenseur des droits en France – a également déposé une plainte auprès de la Cour européenne des droits de l’homme pour dénoncer les abus de la législation espagnole en matière de saisies immobilières (mise à jour : la plainte a été jugée le 14 mars).


Malgré tout, le gouvernement espagnol refuse toujours de légiférer en faveur des mesures proposées par la Plateforme des victimes de crédits hypothécaires. Pour les économistes et magistrats proches de cette association citoyenne, il n’y a pas de doute : les crédits hypothécaires sont un négoce trop juteux... Le ministre de l’Économie espagnol, Luis de Guindos, ne s’en est pas caché : « En Espagne, les hypothèques se paient et je crois que c’est quelque chose qu’il faut encourager, parce que c’est l’un des points forts de notre pays. »

180 milliards pour les banques, austérité pour les citoyens

Pour Miguel Angel Pérez, ancien directeur de banque et aujourd’hui membre actif de la Plateforme, « le gouvernement n’a jamais voulu attenter aux privilèges de la banque. La banque est celle qui gouverne et elle n’est pas disposée à faire du social avec son bien ». Jorge Fonseca, professeur d’économie internationale à l’Université polytechnique de Madrid et membre d’Attac Espagne explique à son tour : « Les banques ne veulent pas octroyer la dation en paiement, et encore moins de façon rétroactive, car elle apparaîtrait comme une perte dans leur bilan comptable ».

A l’heure où l’Espagne a tant besoin des crédits européens, elles sont soucieuses de « montrer patte blanche », d’autant plus que la Banque centrale européenne (BCE) exige que les actifs toxiques soient provisionnés. Qu’à cela ne tienne ! Le gouvernement a créé une société de gestion d’actifs immobiliers pour racheter aux banques leurs actifs toxiques, qui se chiffreraient à 180 milliards d’euros, d’après les données du ministère de l’Économie espagnol ! Et ce, en partie avec… de l’argent public [3] ! Quelle que soit la donne, la banque gagne sur tous les tableaux.

Résistance citoyenne

Les victimes de saisies immobilières ne peuvent compter que sur des collectifs citoyens pour s’en sortir. Depuis 2008, la Plateforme des victimes de crédits hypothécaires a réussi à stopper 577 expulsions sur toute l’Espagne. Sous sa pression, le gouvernement a fini par accepter que le projet de loi citoyen soit soumis au débat parlementaire, même si le parti majoritaire (le Parti populaire) a déjà averti qu’il votera contre. « La loi sera modifiée tôt ou tard », affirme cependant Rafael Mayoral, l’un des avocats de la plateforme. « C’est une nécessité sociale imparable et pas moins de deux tribunaux internationaux [la Cour de justice de l’Union européenne et la Cour européenne des droits de l’homme] sont en train d’examiner la législation espagnole et pourraient bien forcer le gouvernement à la modifier pour violation des droits fondamentaux des personnes. »

La Plateforme compte sur le soutien direct d’avocats et de psychologues bénévoles pour aider les victimes des banques. Ses revendications sont partagées par une partie de plus en plus grande de la magistrature et par l’un des syndicats policiers espagnols, le SUP (depuis l’année dernière, au moins un policier et un pompier espagnols ont été mis à pied pour avoir refusé de participer à une expulsion). « Le gouvernement sait parfaitement que tant que la loi ne sera pas modifiée nous lui rendrons la vie impossible », conclut Vicente Pérez, l’un des porte-paroles de la Plateforme à Madrid. À bon entendeur…

Texte : Nathalie Pédestarres

Photos : PAH et © Serge Bonnet

Photos :
- Une victime de saisie immobilière craque devant le Tribunal de première instance de Madrid.
- Des victimes de saisies immobilières ont protesté pendant près de 
6 mois devant le bureau central de Bankia, à Madrid.

Notes

[1] Fin 2012, le gouvernement a émis deux décrets-lois qui prévoient de suspendre pendant deux ans les expulsions de « collectifs particulièrement vulnérables » (qui représenteraient seulement 4% de l’ensemble des victimes des saisies, selon la PAH) et qui fait de la dation en paiement une mesure à caractère volontaire, que la banque est libre ou non de négocier avec ses clients.

[2] En 2011, la banque Pichincha (Équateur) rachetait à Caja Madrid (aujourd’hui Bankia) les crédits de plus de 500 clients équatoriens établis en Espagne (pour une valeur totale de 5,5 millions d’euros), sans que ces derniers en soient informés au préalable. Ils ont alors craint de devoir répondre de leurs dettes en Espagne avec leurs biens en Équateur.

[3] Une pratique dénoncée par l’Association espagnole des usagers de banques, caisses d’épargne et assurances (ADICAE).

http://www.bastamag.net/article2969.html

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Messages

  • Depuis 2008, la Plateforme des victimes de crédits hypothécaires a réussi à stopper 577 expulsions sur toute l’Espagne. Sous sa pression, le gouvernement a fini par accepter que le projet de loi citoyen soit soumis au débat parlementaire,

    A noter l’extrordinaire mobilisation qui a mis RAJOY dans une telle situation que le 12(j’étais alors en Espagne) toute la journée les TV retransmettaient en direct avec un taux d’audience incroyable , l’intervention au Parlement deADA COLAU, unejeune femme extraordinaire q, porte parole de PAH

    note selon article de
    http://espagne.blog.lemonde.fr/2013/02/13/la-societe-civile-impose-aux-deputes-une-proposition-de-loi-contre-les-expulsions/

    13 février 2013
    La société civile impose aux députés une proposition de loi contre les expulsions

    Le Parti populaire a finalement accepté, mardi 12 février, de débattre au Parlement de l’Initiative législative populaire (ILP) portée par la plate-forme des victimes des hypothèques (PAH) et forte de 1,4 million de signatures. Jusqu’à la dernière minute, le parti conservateur, qui dispose de la majorité absolue, avait menacé de bloquer ce texte qui propose une série de "mesures d’urgence" pour freiner le drame des expulsions immobilières, dont le nombre a explosé avec la crise.

    Auquel des arguments brandis par la PAH le Parti populaire a-t-il été sensible ? Au nombre considérable de signatures recueillies ? "Nous demandons aux députés qu’ils ne méprisent pas les citoyens", a insisté la porte-parole de la PAH, Ada Colau. Aux menaces ? La plate-forme avait prévenu que tous les députés qui bloqueraient l’ILP seraient suivis par des membres de la PAH partout où ils iraient et seraient signalés publiquement "comme les responsables de la souffrance de la population". Aux pressions ? Toute la journée, les associations ont tenté de convaincre les députés du PP, l’unique parti opposé au texte, et des centaines de personnes ont manifesté à l’extérieur de l’Hémicycle. A moins que le PP n’ait craint que son refus ne provoque une explosion sociale, alors même que, dans la journée, la presse se faisait l’écho d’un nouveau suicide, celui d’un couple de retraités de Majorque sur lequel pesait un ordre d’expulsion.

    Une semaine plus tôt, Ada Colau avait défendu ses arguments en commission parlementaire. Elle n’avait épargné personne. Ni les banquiers, qualifiés de "criminels" pour avoir concédé des crédits "abusifs" à partir de prix "gonflés". Ni le parti socialiste qui a "bloqué", tout comme le PP, toutes les initiatives similaires portées par les partis minoritaires. "Nous ne sommes pas face à un drame social mais devant une arnaque généralisée", avait-elle déclaré, avant de revenir sur les responsabilités de chacun dans la création d’une bulle immobilière, qui a fini par éclater en 2008.

    Créée il y a quatre ans, la PAH est parvenu à paralyser plus de 500 expulsions immobilières depuis le début de la crise, en empêchant pacifiquement la police et les huissiers de procéder aux expulsions, en offrant les services d’avocats bénévoles aux familles, ou en négociant directement avec les banques et les tribunaux.

    Aujourd’hui, elle demande qu’une loi prenne le relais de la mobilisation de la société civile, offre un moratoire sur les expulsions durant la crise et généralise la "dation en paiement" pour les "créanciers de bonne foi". Cette mesure permettrait de remettre le logement à la banque en échange de l’effacement de la dette, puisque la loi espagnole exige de payer la différence entre le prix de rachat et la valeur initiale du prêt. Une différence qui peut atteindre plusieurs dizaines, voire centaines de milliers d’euros, étant donné la baisse de la valeur des biens immobiliers et le fait que la banque peut se les approprier pour 60% de celle-ci.

    Enfin, la PAH demande la création d’un parc de logements sociaux à partir des milliers de logements vides désormais aux mains des banques, en rappelant que l’Espagne a obtenu un prêt de 40 milliards d’euros de Bruxelles pour les sauver de la faillite.

    Le gouvernement a déjà approuvé un décret en novembre qui envisage toutes ces possibilités, mais uniquement dans les cas d’extrême pauvreté. L’ILP aura donc du mal à être votée en l’état, mais la PAH a célébré cette première victoire aux cris de "Oui, c’est possible !"

    A ceux qui doutent des formes nouvelles d’auto-organisation des Luttes, l’exemple de la démarche de la P.A.H devrait inciter à la réflexion

    Hier, la résistance espagnole conduisait le Tribulnal Européen a déclarer " ilegal, abusiva y usurera la Ley Hipotecaria Española""

    On comprend que cet article a un lien objectif avec ceux en ligne concernant Michel MADEC.

    Là ou le rapport de forces se construit, l’Injustice recule, le Capitalisme est au abois !

    Cordialement

    A.C