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L’ anticapitalisme est-il toujours de gauche ? (video)

par Anselm Jappe[*]

Publie le lundi 15 juillet 2013 par Anselm Jappe[*] - Open-Publishing
4 commentaires

Dans les années 1990 on a proclamé le triomphe désormais mondial et définitif de
l’économie de marché – au point que certains de ses apologistes ne croyaient même plus nécessaire d’utiliser des euphémismes, reprenant par défi le mot « capitalisme », depuis longtemps
honni, pour en faire l’éloge. Mais au bout d’une dizaine d’années, avec l’éclatement des bulles spéculatives et le début du mouvement altermondialiste, le vent s’est mis à tourner.

Depuis la crise de 2008, la critique du « capitalisme » s’est emparée à
nouveau des esprits et, parfois, des rues. Les « indignés » et « Occupy Wall Street
 » ont fait des émules dans le monde entier. Dans de nombreux pays, surtout aux
Etats-Unis et en Espagne, ils ont constitué les mouvements sociaux les plus importants depuis des décennies. Dans la gauche radicale, certains y voient déjà, en y additionnant les
révoltes  du « printemps arabe », les signes avant-coureurs de la prochaine révolution mondiale. Mais au-delà des protestations organisées,
c’est jusque dans les médias officiels et les discours de café du commerce qu’on ne cesse de se poser la question : faut-il « limiter » le capitalisme ? Celui-ci traverse
donc, c’est le moins que l’on puisse dire, une « crise de légitimité ».


Le nouvel esprit
anticapitaliste


Mais que reproche-t-on au capitalisme ? Comme chacun sait, ce nouvel
« esprit anticapitaliste » a principalement deux cibles : la financiarisation de l’économie et la rapacité d’une « élite » économique et politique totalement déconnecté
de l’immense majorité de la population. Sur un plan plus général, on pointe aussi les inégalités toujours croissantes des revenus et la détérioration des conditions de travail – mais en les
attribuant, tout comme les autres maux sociaux, à la finance et à la corruption.

On peut facilement objecter qu’il ne s’agit pas là d’une critique du capitalisme,
mais seulement de sa forme la plus extrême : le néolibéralisme. En effet, l’anticapitalisme actuel (au sens le plus large) demande d’abord le renforcement des pouvoirs publics, l’adoption de
politiques économiques keynésiennes (programme de relance au lieu de sauvetages des banques) et la sauvegarde de l’Etat-providence. Des marxistes traditionnels appelleraient cela une critique de
la « sphère de la circulation ». Ils font remarquer que la finance et le commerce, de même que les interventions de l’Etat, ne produisent pas de la valeur, mais se limitent à distribuer
et à faire circuler celle-ci.


Au-delà de la critique de la propriété
privée des moyens de production : la critique catégorielle 


Il faut s’attaquer, disent-ils, à la sphère de la production, où le profit nait de
l’exploitation des travailleurs, laquelle est rendue possible par la propriété privée des moyens de production. Or, les indignés ou les « occupants » tiennent rarement compte de
celle-ci. Mais même s’ils le faisaient, ce serait encore insuffisant : Marx a démontré – même si les marxistes l’ont vite oublié – que la propriété privée des moyens de production est
elle-même la conséquence du fait que dans le capitalisme – et seulement dans le capitalisme – l’activité sociale prend la forme de la marchandise et de la valeur, de l’argent et du travail
abstrait. Un véritable dépassement du capitalisme ne peut se concevoir sans se libérer de ces catégories.


Les mouvements sociaux dont il est question ici n’aiment pas les discussions
théoriques. A leurs yeux, celles-ci sapent l’unité et l’harmonie tant recherchées. Ce qui compte, c’est le « tous ensemble ». Dans les assemblées, par souci de démocratie, personne n’a
le droit de parler plus de deux minutes. Un mouvement comme « Occupy Wall Street », fort d’avoir l’appui ou la « compréhension » de Barack Obama et du « guide »
iranien Khamenei, de la présidente brésilienne Dilma Roussef, de l’ex-Premier ministre britannique Gordon Brown et du président vénézuélien Hugo Chavez, sans parler de certains banquiers comme
George Soros, de divers prix Nobel de l’économie et d’hommes politiques du parti républicain, un tel mouvement ne peut pas se perdre dans des arguties dogmatiques. Et les théoriciens de gauche
accourent pour leur donner raison : s’attaquer aux bourses et aux banques, disent-ils, constitue déjà un bon début.


Un anticapitalisme de droite
populiste


Vraiment ? Toute critique du capitalisme est-elle nécessairement de gauche et
prononcée au nom de l’émancipation sociale ? N’y a-t-il pas aussi un anticapitalisme populiste et de droite ? On se trompe en identifiant la « droite » exclusivement à la
droite libérale (du genre UMP), qui prône le tout-marché et l’individualisme forcené  dans le domaine économique. Depuis que la droite et la gauche
existent, c’est-à-dire depuis la Révolution française, il y a toujours eu des représentants de la droite pour dénoncer certains aspects de la société capitaliste. Mais cela s’est toujours fait de
manière partielle, et surtout dans le but de canaliser la rage des victimes du capitalisme contre certaines personnes et certains groupes sociaux auxquels on attribue la responsabilité de la
misère.


Ainsi, ces hommes de droite mettent les fondements du système à l’abri de toute
contestation. Ce fut avec des slogans anticapitalistes qu’Hitler arriva au pouvoir, au milieu de la plus grave crise du capitalisme du XXe siècle. On oublie souvent que l’acronyme
NSDAP signifiait « Parti national-socialiste des ouvriers allemands » et que les fascistes aimaient à faire des déclarations tonitruantes contre la « ploutocratie
occidentale », la « haute finance » et « Wall Street ».


Les explications offertes par l’extrême droite attirent une partie des victimes de
la crise, car elles paraissent évidentes à ces dernières. Elles se concentrent presque toujours sur le rôle de l’argent. Hier c’était la chasse aux « usuriers », aujourd’hui aux
« spéculateurs ». « Briser l’esclavage du taux d’intérêt » : voilà qui pourrait être un slogan du « mouvement des occupations ». En vérité, ce fut un des
principaux points programmatiques du Parti nazi à ses débuts.


Le travail sanctifié


Marx a démontré que l’argent est le représentant du côté « abstrait » et
quantitatif du travail, que l’argent est une marchandise et qu’il est normal dans le capitalisme que l’on paie, comme pour toute marchandise, un prix pour son usage (l’intérêt). Or, dans la
rhétorique anticapitaliste de droite (de toute façon toujours hypocrite et jamais mise en pratique lorsque la droite est au pouvoir), le travail et les travailleurs sont sanctifiés (d’ailleurs,
la droite compte aussi parmi les travailleurs les « capitalistes créateurs », ceux qui investissent leur capital dans la production réelle « au service de la communauté » et
créent des postes de travail). Le capital monétaire, en revanche, serait le domaine des « parasites » égoïstes qui exploitent les honnêtes travailleurs et les honnêtes capitalistes en
leur prêtant de l’argent – les nazis l’appelaient le « capital rapace ». Cette identification de tous les maux du capitalisme avec l’argent et les banques a une longue histoire et
entraînait presque inévitablement l’antisémitisme. Et même aujourd’hui, la description des spéculateurs fait appel implicitement, et parfois explicitement, à des stéréotypes antisémites. La haine
des « politiciens corrompus » ne manque pas de fondement – mais quand on l’absolutise, on prend le symptôme pour la cause et on attribue à la mauvaise volonté subjective de certains
acteurs ce qui est dû à des contraintes systémiques qui demeurent totalement ignorées. L’identification unilatérale du capitalisme avec « l’impérialisme américain » va dans le même sens
et réunit souvent des activistes de gauche et d’extrême droite.


Une gauche en difficulté pour se
démarquer


Dans les mouvements sociaux des années 1960 et 1970, cette confusion entre contenus
de gauche et de droite aurait été inimaginable. Aujourd’hui, il arrive de ramasser des tracts lors de manifestations où seulement le sigle de l’organisation atteste s’il émane d’un groupe de
gauche ou d’extrême droite. En effet, la gauche est en grande difficulté pour se démarquer de la droite pour ce qui touche la critique de la finance. Elle a mal assimilé Marx quand celui-ci
démontre que la finance est une simple conséquence de la logique marchande et du travail abstrait.


En suivant plutôt, souvent sans l’admettre, la critique de l’argent proposée par
Proudhon, la gauche a choisi, comme Lénine, le
«   capital financier » comme objet facile de ses attaques, au lieu de critiquer le travail
même. Si, aujourd’hui, on se contente d’attaquer les banques et les marchés financiers, on risque de ne pas faire un « premier pas » dans la bonne direction, mais d’aboutir à une
désignation des « coupables » et de conserver d’autant mieux un ordre socio-économique que peu de gens ont actuellement le courage de mettre vraiment en discussion.


Le nombre de groupes d’extrême droite se prétendant anticapitaliste est encore
petit en France. Mais la Grèce a montré qu’en temps de crise, de tels groupes peuvent accroître l’adhésion à leur programme par vingt, et en un rien de temps. Le risque est grand que leurs
arguments commencent à se répandre parmi les manifestants qui ont, certes, les meilleures intentions du monde, mais qui semblent incapables de voir jusqu’où peut mener la confusion entre critique
de la finance et critique du capitalisme.

 

Anselm Jappe

Paru dans le journal français «  La vie est à nous !/ Le Sarkophage
 », n°35, 16 mars-18 mai 2013 (l’article a été rédigé en 2012)

[*] Philosophe, auteur de la mouvance de la « Critique de la valeur » (Wertkritik), mouvance qui a connu un large écho à travers le monde avec son Manifeste contre le travail (groupe Krisis). A. Jappe a publié notamment Crédit à mort. La décomposition du capitalisme et ses critiques (Lignes, 2011), Les Aventures de la marchandise. Pour une nouvelle critique de la valeur (Denoël, 2003), ainsi que Guy Debord. Essai (Denoël, 2001).

Voir le Fichier : L’anticapitalisme est-il toujours de gauche

Séminaire - Anselm Jappe - Critique du néo-libéralisme ou critique de la société marchande ? from Fondation Copernic on Vimeo.

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Messages

  • même pas besoin de lire l’article, je sais c’est moche, mais ceux qui prétendent dépasser le clivage droite/gauche sont en général à mon sens plus que connotés... Les petits gris, genre Chouardisants, les disciples d’asselineau, ne disent pas autre chose... pour nous vendre le pire. No passaran. Et bellacio devient de plus en plus un repaire de rouges/bruns qui n’hésitent pas toujours à verser dans la xénophobie, le racisme, l’islamophobie ou l’antisémitisme.... je vous conspue !

    • Et bien lis le l’article. Moi ce n’est pas ce que j’y voie. et justement c’est plutôt une critique des mouvements qui tournent vers le rouge/brun. pour les ramener à quelque chose de plus réfléchi.

      Malheureusement c’est la société d’aujourd’hui, la majorité n’a pas finie sa réflexion, éperons que ça arrive vite et qu’ils comprennent qu’attaquer le capitalisme ne suffit pas il faut construire un monde de partage sinon cela conduit au fascisme.

    • L’imbécilité n’a pas de limite et ce commentaire du site de la pseudo "Gauche de Combat" (GdeC - 88.***.246.***) est une énième preuve...

      On peux avoir des divergences avec Anselm Jappe ou même ne partage rien du tout de ce que as écrit, mais a partir de cet article arriver a déclarer que bellaciao.org est un site "rouge brun", "xénophobe", "raciste", "islamophobe" et "antisémite" ressemble plus a un résultat d’un crise de démence aiguë ou mieux d’une provocation au niveau des égout fascisant...

      A propos de Chouard lire cet article que bellaciao.org partage a 100% ici : http://www.bellaciao.org/fr/spip.php?article135889

      Par conte c’est vrai que la position anticapitaliste n’est peux pas être la seule pour déterminer une position politique affectivement même les fascistes se proclame "anticapitalistes" comme le prouve cet affiche :

      On a ajoute la vidéo de Anselm Jappe du séminaire chez la Fondation Copernic dans l’article.

      Peut-être pour la pseudo "Gauche de Combat" même la Fondation Copernic est "rouge brun", "xénophobe", "raciste", "islamophobe" et "antisémite" ............

    • ce n’est peut-être pas de la démence mais de la paresse intellectuelle -