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LE REFUS DE CHOISIR EN DEMOCRATIE REPRESENTATIVE.

par PhiPhilo

Publie le jeudi 17 avril 2014 par PhiPhilo - Open-Publishing
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L’élection1 d’un ou de plusieurs représentants est indiscutablement l’un des piliers de nos institutions, de celles que nous avons coutume d’englober sous le terme générique de "démocratie représentative". Et, au sein de ces institutions, celles qui ont pour fonction de déterminer et de conduire des politiques supra-nationales, nationales ou infra-nationales apparaissent, à tort ou à raison, comme particulièrement importantes, de sorte que les élections qui les légitiment sont censées être des moments paroxystiques de la citoyenneté. C’est pourquoi le droit civique consistant à élire son ou ses représentants a, en principe, valeur constitutionnelle : "la Loi est l’expression de la volonté générale. Tous les Citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs Représentants, à sa formation"(Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, art.6) ; "toute personne a le droit de prendre part à la direction des affaires publiques de son pays, soit directement, soit par l’intermédiaire de représentants librement choisis"(Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948, art.21). Il va de soi que, à peu de choses près, ce genre de formulation se retrouve, aujourd’hui, dans quasiment tous les systèmes juridiques positifs2 qui, de ce fait, s’autorisent tous, peu ou prou, à se qualifier de démocratiques, ce qui tend à faire des adjectifs "démocratique" et "représentatif" des synonymes et de l’expression "démocratie représentative" un pléonasme. Du coup, si nous nous trouvons dans la situation que décrit Luc Ferry lorsqu’il dit que "de fait, nous ne sommes tout simplement plus capables ne serait-ce que d’imaginer un régime légitime autre que la démocratie. [...] [Fukuyama]3 suggère que les principes de légitimité auraient tous été plus ou moins explorés au fil de l’histoire, jusqu’à ce que le plus conforme aux exigences fondamentales de l’humanité s’impose à nous4"(Ferry, l’Anticonformiste), alors le refus de choisir son ou ses représentants, autrement dit le refus de participer, en tant que citoyen, à la forme politique la "plus conforme aux exigences fondamentales de l’humanité", ce qu’on a coutume d’appeler l’abstention, devient proprement absurde. Nous essaierons de montrer, en interrogeant la nature de la relation de représentation politique, que ladite abstention est, tout au contraire, un phénomène parfaitement intelligible mais qui a une signification très différente selon que la représentation est considérée comme une relation sémantique (d’un signe vers un objet extérieur) ou bien sémiotique (d’un signe vers un système interne de signes).

Avant d’examiner en détails la nature de cette relation de représentation politique, tordons le cou au mythe de la soi-disant synonymie des expressions "système politique représentatif" et "système politique démocratique". Disons d’abord que si de nombreux penseurs se sont penchés sur l’essence de la démocratie, aucun n’a jamais confondu démocratie et représentationnalité : pour Aristote ou Tocqueville, démocratie est synonyme d’égalité (ou d’égalisation) des conditions, pour Spinoza, Arendt ou Lefort, de liberté, pour Ricoeur, de diversité, pour Montesquieu ou Popper, d’existence de contre-pouvoirs, pour Robespierre, de vertu, quand ce n’est pas comme chez Marx, Manin, Castoriadis, Ellul, Rancière ou Chomsky, de mensonge ou d’illusion sur sa propre réalité (oligarchique). Pour aucun elle n’est synonyme de "représentation". Dans tous les cas, le caractère représentationnel de certaines institutions a toujours été conçu comme un moyen, entre autres, de réaliser cette essence et certainement pas comme l’essence elle-même. Si, maintenant, on passe de l’essence à l’existence, on peut dans doute dire de la démocratie ce que Paul Valéry disait de l’histoire en général, à savoir qu’elle fournit des exemples de tout et de n’importe quoi, de sorte que la meilleure description du fait démocratique a sans doute été (prophétiquement) donnée par l’analogie platonicienne selon laquelle "la Cité démocratique est comme un vêtement bigarré [himation poïkilon] qui offre toute une variété de couleurs [...] c’est un bazar à constitution [pantopôlion politéïôn]"(Platon, République, VIII, 557 c-d). Auquel cas, ne pouvant définir la démocratie par une finalité propre, on va effectivement être tenté de le faire par le moyen supposé commun à toutes les formes de démocraties. Or, comme le dit Max Weber, l’État, qu’il se prétende démocratique ou non, "ne se laisse définir que par le moyen qui lui est propre, [...] la violence physique légitime […], revendique avec succès pour son propre compte le monopole de la violence physique légitime"(Weber, le Savant et le Politique, ii), voulant dire par là que la tendance inhérente à l’État, à tout État, consiste à se doter d’une puissance suffisante pour persévérer en son être et non pas de représenter quoi que ce soit ou qui que ce soit, et ce, bien que le caractère "légitime" de sa domination soit un élément important de sa puissance5. Si, enfin, on s’essaie à une voie moyenne en définissant la démocratie de manière purement nominale à partir des "éléments de langage", comme on dit aujourd’hui, qu’elle se plaît à user pour parler d’elle-même, on pourra dire par exemple, à l’instar du président Abraham Lincoln à la fin du XIX° siècle, que la démocratie est le gouvernement du peuple par le peuple pour le peuple. Belle formule qui est reprise telle quelle par la Constitution de la V° République Française de 1958 qui, après avoir rappelé dans son premier article que "la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale", proclame au cinquième alinéa de l’art.2 que "son principe [celui de la République] est : gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple". Cet artifice conceptuel permet, en apparence, d’établir un lien de nécessité entre démocratie et représentationnalité. En effet, si le peuple est le souverain, ne faut-il pas qu’il élise des représentants pour s’administrer lui-même ? La réponse semble évidente : "la souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum"(Constitution de 1958 , art.3). Sauf que, aux yeux de celui que l’on considère, à tort6, comme le théoricien de la démocratie moderne,

"la souveraineté7 ne peut être représentée par la même raison qu’elle ne peut être aliénée [...] : elle est la même ou elle est autre, il n’y a point de milieu. Les députés du peuple ne sont donc ni ne peuvent être ses représentants, ils ne sont que ses commissaires, ils ne peuvent rien conclure définitivement"(Rousseau, du Contrat Social, III, 15).

Donc, la souveraineté étant nécessairement, une et indivisible, il est parfaitement contradictoire de la vouloir "représenter". Au point que le parlementarisme britannique sur lequel tant de philosophes des Lumières se sont extasiés n’est qu’une mascarade :

"le peuple anglais pense être libre. Il se trompe fort, il ne l’est que durant l’élection des membres du Parlement. Sitôt qu’ils sont élus, il est esclave, il n’est rien. Dans les courts moments de sa liberté, l’usage qu’il en fait mérite bien qu’il la perde [...]. Quoi qu’il en soit, à l’instant qu’un peuple se donne des représentants, il n’est plus libre ; il n’est plus"(op. cit.).

Bref, nous dit Rousseau, la puissance souveraine n’est souveraine que jusqu’au moment ... où elle choisit son ou ses représentant(s). Toutefois, Rousseau distingue la notion de représentation de celle de délégation ("les députés du peuple ne sont donc ni ne peuvent être ses représentants, ils ne sont que ses commissaires") :

"la loi n’étant que la déclaration de la volonté générale, il est clair que dans la puissance législative, le peuple ne peut être représenté. Mais il peut et il doit l’être dans la puissance exécutive, qui n’est que la force appliquée à la loi"(op. cit.).

En d’autres termes, pour Rousseau, l’idée d’administration directe du peuple par lui-même n’a pas plus de sens que celle de représentation de la puissance souveraine. Et cela s’explique parce que la puissance souveraine est, pour lui, la puissance législative. Tandis qu’il appartient nécessairement à la puissance exécutive, "qui n’est que la force appliquée à la loi" et non le fondement de la loi, d’être déléguée. Du coup, la fonction de délégation, contrairement à celle de représentation, est, non seulement compatible avec l’idée de souveraineté populaire8, mais lui est même consubstantielle. Car, des délégués (des commissaires) ne sont d’abord que des porte-paroles précaires et révocables inconditionnellement par la puissance souveraine, comme le montrent les exemples historiques des pratiques révolutionnaires, que ce fût en France (1789, 1793, 1871), en Russie (1917) ou en Espagne (1936) qui instituèrent des fonctions de délégation exécutive effectivement assorties d’un mandat impératif. Toutefois, la pratique institutionnelle de nos "démocraties représentatives" est nettement orientée vers la promotion du mandat représentatif et l’exclusion du mandat impératif. Et si, par exemple en France, "tout mandat impératif est nul"(Constitution de 1958 , art.27), ce n’est certainement pas parce que ce type de mandat suppose une "démocratie directe" supposée irréalisable dans nos États modernes (alors que Rousseau explique qu’elle est nécessairement irréalisable). C’est plutôt parce que, comme le souligne Bernard Manin,

"l’absence de mandats impératifs ou de promesses légalement contraignantes et le fait que les élus ne sont pas révocables à tout moment donnent aux représentants une certaine indépendance vis-à-vis de leurs électeurs. Cette indépendance marque l’écart entre le régime représentatif et le gouvernement indirect par le peuple"(Manin, Principes du Gouvernement Représentatif).

L’exclusion du mandat impératif au profit du mandat représentatif est clairement destinée à "donne[r] aux représentants une certaine indépendance vis-à-vis de leurs électeurs" et à rien d’autre. À quoi les défenseurs de l’idée de démocratie représentative ont coutume de rétorquer que l’aspect proprement démocratique de la représentation ne réside pas dans le caractère impératif du mandat mais plutôt dans la procédure du choix d’un représentant, en l’occurrence, celle du vote à bulletin secret9. Là encore, "si l’on fait attention que l’élection des chefs est une fonction de gouvernement et non de la souveraineté, on verra pourquoi la voie du sort est plus dans la nature de la démocratie"(Rousseau, du Contrat Social, IV, 3), nous dit Rousseau en se référant à l’exemple de la démocratie athénienne qui distribuait les responsabilités administratives par tirage au sort entre les citoyens. Par où l’on voit, d’une part que la démocratie athénienne est bien un régime indirect (par ses fonctions exécutives) quoique non représentatif (car délégatif), d’autre part que l’élection aléatoire (par tirage au sort) y est alors parfaitement égalitaire, ce qui la fait apparaître, sinon comme démocratique dans l’absolu, du moins comme la plus démocratique des formes d’élection. A contrario, effectuée au moyen d’un vote à bulletin secret,

"l’élection apparaît comme une procédure inégalitaire et non démocratique, car, contrairement au sort, elle ne donne pas à n’importe qui le souhaitant une chance égale d’accéder aux fonctions publiques10. L’élection est même une procédure aristocratique ou oligarchique en ce qu’elle réserve les charges à des individus éminents que leurs concitoyens jugent supérieurs aux autres"(Manin, Principes du Gouvernement Représentatif).

Ce qui, évidemment, contribue à renforcer les soupçons sur la sincérité du régime "le plus conforme aux exigences fondamentales de l’humanité" cher à Luc Ferry. Bref, et pour résumer cette discussion, ou bien la notion de représentation politique ne fait pas partie des missions fondamentales d’un régime démocratique, ou bien, si elle en fait partie, ce n’est que de manière rhétorique afin de dissimuler sa véritable nature. Contrairement à celle de délégation, la notion de représentation politique en régime démocratique apparaît alors beaucoup plus comme un problème que comme une évidence.

Aussi, le modèle de relation auquel on est spontanément tenté d’assimiler le problème de la représentation politique est-il celui du problème sémantique de la référence consistant à se demander comment un signe quelconque peut atteindre un objet extérieur désigné par ce signe, en l’occurrence, de quelle manière un représenté peut être relié à son représentant. La manière la plus simple et la plus naturelle d’envisager la fonction sémantique d’un signe est de le considérer comme un nom de l’objet dénoté par ce signe : "le nom dénote l’objet. L’objet est sa dénotation"(Wittgenstein, Tractatus, 3.203). De cette manière, le ou les élu(s) fonctionneraient en quelque sorte comme le nom, individuel ou collectif, de l’ensemble d’un corps électoral donné ou, ce qui revient au même, on pourrait dire que ce corps électoral vote pour choisir le nom qui le représentera le mieux un peu comme un artiste se choisirait un nom de scène, ou comme un internaute choisirait son pseudo, en l’occurrence celui correspondant le plus, de son point de vue, à sa personnalité11. C’est en ce sens qu’Alain Badiou a pu écrire par exemple, au lendemain de l’élection présidentielle française de mai 2007 qui a vu l’élection de Nicolas Sarkozy, un opuscule intitulé de quoi Sarkozy est-il le Nom ?12. Se demander, en effet, de quoi Sarkozy est le nom, c’est d’une part considérer que la personne publique élue est, tout entière, un signe, et, d’autre part, se demander, quel est l’objet extérieur à quoi réfère ce signe, autrement dit, quel objet extérieur il dénote. Comme le dit Frege, "je compare la lune elle-même à la dénotation [der Bedeutung], c’est l’objet [der Gegenstand] de l’observation dont dépend l’image réelle [das reelle Bild] produite dans la lunette par l’objectif"(Frege, Sens et Dénotation), voulant dire par là que la dénotation d’un signe (d’un nom) doit avoir une réalité objective pour qu’on puisse prétendre, à bon droit, le représenter au moyen de ce signe. De fait, l’opinion a tendance, aujourd’hui, à voir les Présidents de la République en général comme des noms de leurs nations respectives : pour être élu Président de la République, Untel doit, en effet, être capable d’incarner la réalité objective de sa Nation. Or, comme l’objectivité d’une telle incarnation n’a pas vocation a être évaluée autrement que par la mesure quantitative, exhaustive ou extrapolée13, des opinions du corps électoral de cette Nation, la représentativité d’Untel, en tant que Président de la République, consistera à être présumé capable (avant élection) puis, à être effectivement capable (après élection) de prendre des décisions qui déterminent des opinions favorables au sein du corps électoral de ladite Nation. Il est banal de dire que c’est en pensant à la personnalité du Général de Gaulle que l’article 5 de la Constitution de 1958 a été rédigé en ces termes :

"le Président de la République veille au respect de la Constitution. Il assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’État. Il est le garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire et du respect des traités".

Le Président de la République Française est, sans ambiguïté, considéré comme le signe de la Nation souveraine en ce qu’elle a d’essentiel, à savoir : sa Constitution et son identité. En prenant l’exemple de la Cinquième République française comme paradigme de la représentationnalité politique14, mutatis mutandis, il va de soi que l’on peut tenir la même analyse envers toutes les fonctions électives, qu’elles soient nationales, supra-nationales ou infra-nationales, qu’elles soient politiques, économiques, associatives, etc.. Dans tous les cas, on pourra dire que le représentant élu est le signe qui dénote l’essence objective de l’entité collective qui l’a souverainement élu, que l’élection procède d’un tirage au sort, d’un suffrage ou d’une hérédité, que le suffrage soit réputé universel ou non. Pour autant, dans le cadre de notre modèle sémantique, une telle lecture référentielle de la relation de représentation politique en termes de dénotation, pour naturelle qu’elle soit, n’est pas la seule possible, d’autant qu’elle pose, notamment dans le cas d’une représentation collective, le problème de savoir qui est le représentant : est-ce le collectif tout entier ou bien chacun des individus qui le compose ? Il est alors plus simple d’admettre que le collectif, l’assemblée, est un exemple ou un échantillon de la réalité qu’elle est censée représenter plutôt que le nom de cette réalité. C’est le cas, en France, lorsqu’on qualifie l’Assemblée Nationale de "représentation nationale". En effet,

"la notion fondamentale est celle de référence ou de symbolisation, la relation entre un symbole et tout ce qu’il représente [stands for], [...] au nombre desquelles il faut compter (1) la dénotation , c’est-à-dire la référence au moyen d’un mot ou d’une autre étiquette à une chose à laquelle elle s’applique, comme dans l’attribution d’un nom ou d’un prédicat, et (2) l’ exemplification, c’est-à-dire la référence, au moyen d’un cas [instance] comme un échantillon [sample], à une étiquette qui le dénote. “Étiquette“ doit être entendu en un sens tout à fait général, de manière à comprendre les images aussi bien que les mots ; et dans de nombreux contextes “étiquette de” peut aussi bien être entendu au sens de “propriété de”"(Goodman et Elgin, la Représentation Re-présentée).

Si donc on peut considérer le Président de la République française15 comme un signe qui dénote, à la manière d’un nom ou d’une étiquette, l’entièreté d’une réalité objective extérieure à lui, en l’occurrence la Nation française, l’Assemblée Nationale, par exemple, tout en étant elle-même désignable par une étiquette qui le dénote (l’étiquette "Assemblée Nationale"), peut être vue comme un échantillon, un exemple, un modèle réduit qui sélectionne intentionnellement des propriétés pertinentes de ladite réalité16. Auquel cas, nous disent Goodman et Elgin, l’étiquette "Assemblée Nationale" apposée sur ladite assemblée, désigne le faisceau de propriétés considéré comme représentatif de l’objet Nation française, et non cet objet dans son entièreté abstraite. Ce qui, par contraste avec la référence par dénotation, a l’air de faire apparaître la référence par exemplification comme plus concrète. Ce qui est trompeur, car

"savoir exactement quelles propriétés du symbole on exemplifie dépend du système particulier de symbolisation adoptée. L’échantillon du tailleur ne fonctionne pas normalement comme échantillon d’un échantillon de tailleur ; il exemplifie normalement certaines propriétés d’un matériau, mais non la propriété d’exemplifier de telles propriétés"(Goodman, Langages de l’Art, II, 3).

Le nuancier que me présente le tailleur n’est pas un nuancier dans l’absolu. Il exemplifiera, par exemple, des étoffes mais pas des coloris, ou bien des coloris mais pas des étoffes, et s’il veut exemplifier les deux, il faudra présenter deux nuanciers, sous peine d’ambiguïté. De sorte que je ne comprendrai ce que veut me montrer le tailleur que si et seulement si je sais quel est le "système particulier de symbolisation adoptée" : exemplification du coloris ou bien de l’étoffe. Il en va de même pour l’Assemblée Nationale quand on dit qu’elle représente la Nation française. Pour que cette relation de représentation sémantique soit claire, il faudrait préciser quelle(s) propriété(s) de la Nation française elle exemplifie : propriétés politiques, sociologiques, géographiques, culturelles, confessionnelles, ethniques, ... ? Toutes ces possibilités sont ou ont été expérimentées dans de nombreux États dans le monde. En France, on sait que ce sont essentiellement des propriétés partisanes pour l’Assemblée Nationale ("les partis et groupements politiques concourent à l’expression du suffrage", Constitution de 1958, art. 4) et géographiques pour le Sénat ("le Sénat [...] assure la représentation des collectivités territoriales de la République", Constitution de 1958, art. 24). Mais de telles formulations restent extrêmement vagues et laissent la porte ouverte à une multitude d’interprétations : quelles propriétés partisanes (programme, corpus théorique, rôle historique, notabilités, etc) ? quelles propriétés géographiques (disparité ou parité régionale17, urbanité ou ruralité18, et.) ? D’où la fascination permanente qu’exerce le mythe d’un système électoral parfait qui exemplifierait toutes les propriétés de la réalité qu’ils sont censés représenter, un système idéal toujours réputé proportionnel mais dont les applications sont toujours décevantes en ce qu’elles privilégient nécessairement certaines propriétés au détriment d’autres pourtant tenues pour fondamentales par leurs défenseurs. De sorte que, loin d’être plus lisibles que les désignations uninominales (d’une personne), les désignations plurinominales (d’une assemblée) le sont, en fait, souvent moins si on en juge par le taux d’abstention tendanciellement plus élevé à l’occasion de celles-ci que dans le cas de celles-là19. En tout cas, qu’il s’agisse d’une relation de dénotation de la totalité abstraite d’une collectivité humaine ou bien d’une relation d’exemplification de certaines propriétés de la même collectivité, si l’on tient la relation de représentation pour une relation sémantique de référence entre un signe et un objet extérieur, le comportement abstentionniste n’a rien d’absurde. D’une part, en effet, comme le souligne Goodman,

"de ce que P est une image de ou représente une licorne, nous ne pouvons pas inférer qu’il y a quelque chose dont P est une image ou que P représente [...]. Nous pouvons éviter la confusion à condition de parler [...] d’une image-représentant-une-licorne [a unicorne-representing-picture]"(Goodman, Langages de l’Art).

Dit d’une autre manière, il existe, paradoxalement, des représentations ... de rien du tout20 ! C’est le cas, tout particulièrement, pour la relation d’exemplification qui peut tout à fait désigner un faisceau de propriétés dont chacune existe séparément, mais dont la conjonction n’existe qu’en imagination. C’est le cas pour le signe "licorne" qui représente une configuration inexistante en réalité. Il en va probablement de même lorsqu’on prétend représenter les "classes moyennes" ou les "français de souche", expressions qui désignent commodément, pas forcément des conjonctions de propriétés fantasmées, mais plutôt des conjonctions fantasmées de propriétés. Goodman suggère de pallier la difficulté sémantique en écrivant non pas, par exemple, "candidat représentant les classes moyennes", mais "candidat-représentant-les-classes-moyennes" pour bien montrer qu’une telle expression est une formule toute faite qui ne prétend pas avoir un correspondant dans la réalité. Suggestion qui, on s’en doute, n’a guère de chances d’être retenue en politique. Mais il y a pire. Car, d’autre part, ainsi que le dit Wittgenstein,

"comprendre une proposition, c’est savoir ce qui a lieu quand elle est vraie, mais on peut comprendre une phrase sans savoir si elle est vraie"(Wittgenstein, Tractatus, 4.024)

voulant dire par là que certains signes, certaines combinaisons de signes restent néanmoins compréhensibles, même en faisant abstraction de leur correspondance effective avec une réalité extérieure, pourvu simplement que cette combinaison soit possible. Tel serait, en l’occurrence, le statut de l’image-représentant-une-licorne ou du candidat-représentant-les-classes-moyennes, lesquelles désignent des conjonctions de propriétés qui, sans être réelle, sont néanmoins possibles. Mais que dire du candidat-du-changement-dans-la-continuité ou du candidat-du-libéralisme-social dont la formulation, tenant de l’oxymore, sinon de la contradiction, aurait à peu près le même statut sémantique que l’image-d’un-carré-rond ? L’électeur est alors dans la position d’un enfant à qui l’on demanderait de décrire quelque chose dont il n’a pas la moindre idée de l’existence possible avec, à peu près, toujours les mêmes mots, et qui, s’étant, à maintes reprises, rendu compte que son choix aboutissait à une expression dénuée de sens, finirait par se décourager et par refuser d’écrire. L’abstention ou le refus de vote21 s’interprète alors simplement comme une généralisation inductive de la part de l’électeur des expériences passées où son choix a, précisément, abouti à une expression dénuée de sens. Or, si on peut toujours reprocher à quelqu’un de n’avoir pas fait l’effort suffisant pour approfondir le sens d’un texte qu’il ne comprend pas, en revanche refuser d’écrire ce qui, pour lui, n’a pas de sens, semble une attitude d’une rationalité irréprochable.

Cette lecture sémantique de la relation de représentation en termes de signe (le représentant) et de référent (le représenté) pose, à mon avis, deux problèmes. D’une part, elle est beaucoup trop rationnelle, comme le montre l’analyse de l’abstention qui lui est liée et qui présuppose que chaque abstentionniste décide, en toute conscience, de s’abstenir au motif qu’il ne comprend pas l’activité qu’on veut lui faire pratiquer. D’autre part, elle est essentiellement négative en ce que c’est par défaut, en l’occurrence, par défaut de sens, que l’électeur s’abstiendrait. Or, sans exclure complètement une telle possibilité, nous devons cependant nous demander s’il n’existerait pas une analyse du refus de choisir, non pas en termes de rationalité individuelle, mais en termes de structures collectives, lesquelles loin de constituer un obstacle au vote, seraient au contraire des facteurs positifs d’abstention. Nous allons donc, à présent, procéder à une analyse sémiotique de la nature de la relation de représentation politique. Sémiotique au sens où

"la sémiotique désigne le mode de signifiance qui est propre au signe linguistique et qui le constitue comme unité. [...] Avec le sémantique, nous entrons dans le mode spécifique de signifiance qui est engendré par le discours [...]. Le sémiotique (le signe) doit être reconnu ; le sémantique (le discours) doit être compris"(Benvéniste, Problèmes de Linguistique Générale).

Le changement de paradigme nous obligera donc à nous pencher, non plus sur le problème de la correspondance externe du système de la représentation politique, mais sur celui de sa cohérence interne.

Je voudrais commencer par essayer de remonter aux origines historiques du problème de la représentation politique afin de bien montrer ce dont il va être question ici. Rousseau fait d’ailleurs remarquer lui-même que cette notion est une formulation nouvelle pour un problème déjà ancien lorsqu’il dit que

"l’idée des représentants est moderne : elle nous vient du gouvernement féodal, de cet inique et absurde gouvernement dans lequel l’espèce humaine est dégradée, et où le nom d’homme est en déshonneur"(Rousseau, du Contrat Social, III, 15).

Plus précisément, Marie-José Mondzain fait remonter à la constitution du christianisme en religion d’État après la conversion de Constantin22 le souci politique de représentationnalité. En effet, nous dit-elle,

"dans une société chrétienne, il ne peut y avoir de légitimité politique sans constitution d’une doctrine articulant sans défaillance l’adhésion doctrinale au dispositif institutionnel qui légitime le pouvoir temporel. Croire et obéir sont les deux versants d’un même montage symbolique, qui met en oeuvre l’équivalence du faire croire et du gouverner"(Mondzain, Image, Icône, Économie, I, i).

C’est-à-dire que, dans une société où le christianisme est la religion officielle, l’obéissance qui est due par tout sujet au souverain (relation verticale d’allégeance du vassal au suzerain qui, comme le souligne Rousseau, est le fondement de la féodalité) peut et doit se justifier et se renforcer au moyen de la croyance de la part des sujets en la double nature, tout à la fois temporelle et spirituelle, du souverain23. De là l’origine de la dualité, qui nous est si familière, de la légalité (temporelle, humaine) et de la légitimité (spirituelle, divine) et, probablement aussi, de tout dualisme24. Marie-José Mondzain adopte donc la conception marxienne de la politique comme superstructure destinée à refléter en les perpétuant et, si possible, en les renforçant, les rapports de force qui se jouent au sein de l’économie, autrement dit de l’infrastructure sociale25 : "d’une façon générale, l’oïkonomia classique implique l’organisation fonctionnelle d’un ordre en vue d’un profit"(Mondzain, Image, Icône, Économie, II, i). D’où une nouvelle dualité entre, d’une par les profits matériels indiscutables qu’il y a, pour quiconque, à être situé le plus haut possible sur une échelle de commandement et, d’autre part, les profits symboliques que l’on retire à croire soi-même et à faire croire à ceux qui sont situés plus bas sur l’échelle, que les positions respectives des uns et des autres sont légitimes :

"le champ sémantique [de l’économie] est donc, dès le départ, dans la langue grecque, aussi bien lié aux biens matériels qu’aux biens symboliques auquel s’ajoute l’idée de service"(Mondzain, Image, Icône, Économie, II, i).

On comprend, dès lors, que l’un des enjeux majeurs d’une conception de la politique adossée au christianisme en tant que religion d’État, va justement consister à promouvoir une économie des biens symboliques qui légitime l’administration de l’économie des biens matériels constitutive de toute politique afin que, comme le disent Marx et Engels, ladite politique paraisse "descendre du ciel vers la terre". Il s’agit donc de faire en sorte que la politique soit, d’une manière ou d’une autre, la "représentation" de la puissance souveraine, en l’occurrence, de la puissance divine. Et cet enjeu est rendu possible par le christianisme d’après le premier Concile de Nicée qui proclame que le Christ est bien Dieu fait homme, de sorte que rien ne s’oppose, désormais, à une "représentation" humaine du divin, ce qui est proprement impensable dans les deux autres monothéismes26. L’enjeu de la représentation politique apparaît donc, d’emblée, comme idéologique au sens où, "dans toute idéologie, les hommes et leurs conditions apparaissent sens dessus dessous"(Marx-Engels, l’Idéologie Allemande). Concrètement,

"grâce à l’économie, c’est l’Église elle-même qui va être identifiée au corps du Christ, dont on doit pouvoir produire la visibilité afin que le royaume terrestre puisse se constituer à l’image du royaume céleste, dont il incarnera ici-bas la manifestation providentielle"(Mondzain, Image, Icône, Économie, I, i)

Et, grâce à la politique, c’est le Roi ou l’Empereur qui va être identifié à la divinité du Christ, donc qui va être considéré comme Son "représentant". Mais si la fonction figurative de la représentation, celle qui consiste à "gérer Son image", comme on dit aujourd’hui, à travers la production et la dispensation des fameuses icônes, va susciter un certain nombre de polémiques entre les iconophiles et les iconoclastes27, en tout cas jusqu’au second Concile de Nicée en 787 qui les autorisera définitivement, en revanche, sa fonction substitutive consistant, pour le chef politique, à s’autoriser à prendre des décisions en Son nom va, en quelque sorte, entrer dans les moeurs de la chrétienté, notamment sous la forme de la monarchie de droit divin qui perdurera jusqu’à la fin du XIX° siècle dans la Sainte Russie et qui va être théorisée, notamment par Bossuet :

"toute puissance vient de Dieu. [...] Les princes agissent donc comme ministres28 de Dieu, et ses lieutenants sur la terre. C’est par eux qu’il exerce son empire. [… ] C’est pour cela […] que le trône royal n’est pas le trône d’un homme, mais le trône de Dieu même. […] Il gouverne donc tous les peuples, et leur donne à tous leurs rois. [...] Il paraît de tout cela que la personne des rois est sacrée, et qu’attenter sur eux c’est un sacrilège. Dieu les fait oindre par les prophètes d’une onction sacrée, comme il fait oindre les pontifes et ses autels. Mais même sans l’application extérieure de cette onction, ils sont sacrés par leur charge, comme étant les représentants de la majesté divine, députés par la providence à l’exécution de ses desseins. […] Le titre de Christ est donné aux rois ; et on les voit partout appelés les Christs, ou les oints du Seigneur"(Bossuet, Politique tirée des propres Paroles de l’Écriture Sainte, III, ii, 1-2).

Voilà qui est dit : les Rois sont "les représentants de la majesté divine, députés par la providence à l’exécution de ses desseins". Il est donc on ne peut plus évident que la naissance du problème de la représentation politique, à la fois comme figuration de (fonction symbolique) et comme substitution à (fonction matérielle) la puissance souveraine n’a strictement rien à voir avec l’émergence de l’idée de démocratie au sens moderne de ce terme. L’absolutisme monarchique est même une conséquence naturelle du problème de la représentation politique tel qu’il a été posé :

"observez les commandements qui sortent de la bouche du roi, et gardez le serment que vous lui avez prêté. Ne songez pas à échapper de devant sa face, et ne demeurez pas dans de mauvaises œuvres, parce qu’il en fera tout ce qu’il voudra ; la parole du roi est puissante, et personne ne lui peut dire, pourquoi faites-vous ainsi ? Qui obéit n’aura point de mal. Sans cette autorité absolue, il ne peut ni faire le bien, ni réprimer le mal : il faut que sa puissance soit telle que personne ne puisse espérer de lui échapper, et enfin, la seule défense des particuliers contre la puissance publique, doit être leur innocence"(Bossuet, Politique tirée des propres Paroles de l’Écriture Sainte, IV, i, 1).

Raison pour laquelle, au fond, l’objection de Rousseau selon laquelle la souveraineté est irreprésentable ne tient pas. Elle ne tient pas parce que la représentation politique est, d’emblée, posée comme une tâche essentiellement ambiguë et jamais achevée, oscillant sans cesse entre son aspect symbolique et son aspect matériel :

"être l’image, c’est tendre vers le modèle, c’est être vers lui, ainsi que Saint Thomas le rappelle clairement [Somme Théologique, I, ix, a, 4] : ’’la relation, par sa raison essentielle, est non pas quelque chose mais vers quelque chose’’"(Mondzain, Image, Icône, Économie, II, i).

De sorte que le représenté n’est jamais fondé à exiger de son représentant un bilan : tout au plus peut-il lui demander de sauvegarder les apparences (symboliques) et de lui présenter un programme ou de lui faire des promesses. La représentationnalité n’est pas un droit opposable.

Marie-José Mondzain insiste sur le rôle joué, dès les origines du problème de la représentation politique, par l’administration des biens symboliques comme fonction régalienne fondamentale. Pour le Roi chrétien, ces biens symboliques

"seront la croix, l’eucharistie, la vie vertueuse et le bon gouvernement. La croix parce qu’elle respecte l’invisibilité divine en renonçant à la ressemblance ; l’eucharistie parce que, étant de même substance que Dieu, elle est pure similitude, sans ressemblance relative ; la vie vertueuse et le bon gouvernement, parce qu’ils sont des engagements actifs qui visent à rejoindre leur modèle, sans prétendre s’identifier à sa forme ou à son essence"(Mondzain, Image, Icône, Économie, II, i).

De tels biens symboliques, nous dit l’auteur, s’ils contribuent à "représenter" la puissance souveraine, ne contribuent pas, pour autant, à faire "ressembler" le représentant au représenté. Ce qui se comprend très bien s’agissant d’une divinité, par essence transcendante et ineffable. Mais pourquoi ne serait-ce pas le cas lorsque la puissance souveraine est une communauté humaine immanente et connaissable ? Par exemple, pour reprendre l’exemple du scrutin d’assemblée proportionnel, pourquoi la représentation issue du vote ne serait-elle pas d’autant plus satisfaisante pour une communauté humaine donnée qu’un plus grand nombre de propriétés de ladite communauté seraient exemplifiées ? Ou bien, dans le cas de l’élection d’un chef, n’est-ce pas lorsque l’élu partage le plus grand nombre de caractéristiques avec ses électeurs que ceux-ci se sentent le mieux représentés ? En fait, la ressemblance, en quelque sens et de quelque degré qu’on la conçoive, n’est ni suffisante, ni même nécessaire à la relation de représentation. D’abord, et d’une manière tout à fait générale, elle n’en est, en effet, nullement une condition suffisante :

"le point de vue le plus naïf sur la représentation pourrait probablement être présenté de la manière suivante : ’’A représente B si et seulement si A ressemble à B de manière appréciable’’ ou ’’A représente B dans la mesure où A ressemble à B’’ [...]. On pourrait difficilement condenser plus d’erreurs dans une formule aussi brève. Certaines de ces fautes sont assez évidentes. Un objet ressemble à lui-même au plus haut degré mais se représente rarement lui-même. La ressemblance, à la différence de la représentation, est réflexive. Toujours à la différence de la représentation, la ressemblance est, de plus, symétrique : B ressemble autant à A que A ne ressemble à B, mais si un tableau peut représenter le duc de Wellington, le duc ne représente pas le tableau. En outre, dans de nombreux cas, de deux objets très ressemblants d’une paire, aucun ne représente l’autre [...]. À l’évidence, la ressemblance n’est à aucun degré une condition suffisante pour la représentation"(Goodman, Langages de l’Art, I, 1).

Une autre manière de dire la même chose consisterait à objecter que ce n’est pas parce que A ressemble à B qu’il le représente, mais, tout au contraire, parce que A représente B qu’on finit par trouver des propriétés communes à A et à B. D’ailleurs, la ressemblance n’est même pas une condition nécessaire à la représentationnalité. Appliquée à la relation de représentation politique, cette remarque permet de comprendre, notamment, l’échec à peu près systématique de toutes les stratégies populistes de conquête du pouvoir consistant, pour un candidat ou un groupe de candidat, à s’évertuer à "faire peuple"29. Quel sens cela aurait-il de prétendre que c’est parce que le Général de Gaulle ressemblait aux Français sous la IV° République qu’il a été choisi par eux ? Quel sens cela aurait-il de dire que c’est parce que les électeurs sont, dans leur majorité, des capitalistes libéraux et cyniques qu’ils élisent, un peu partout en Europe et dans le monde, des représentants capitalistes libéraux et cyniques qui leur imposent des politiques qui les font immanquablement descendre dans la rue dès qu’elles commencent à être appliquées ? Plus que la ressemblance avec une soi-disant réalité extérieure, c’est la répétition qui fait le signe en tant que signe :

"les signes n’existent que pour autant qu’ils sont reconnus, c’est à dire pour autant qu’ils se répètent ; le signe est suiviste, grégaire ; en chaque signe dort ce monstre : un stéréotype [...]. Servilité et pouvoir se confondent inéluctablement"(Barthes, Leçon Inaugurale au Collège de France, 7 janv. 1977).

Du coup, Barthes n’a sans doute pas tort de déclarer, par hyperbole, que

"la langue, comme performance de tout langage, n’est ni réactionnaire, ni progressiste ; elle est tout simplement : fasciste ; car le fascisme, ce n’est pas d’empêcher de dire, c’est d’obliger à dire. Dès qu’elle est proférée, fût-ce dans l’intimité la plus profonde du sujet, la langue entre au service d’un pouvoir"(op. cit.).

Car, effectivement, la répétition systématique, par mass media interposés, d’une certaine vulgate, d’un certain catéchisme fait de slogans, de mots d’ordre bien pensants, mais aussi de l’image lissée et policée de certaines personnalités préoccupées de leur élection ou de leur réélection, voilà qui, comme le remarque Roland Barthes, contribue certainement à ce que les destinataires de ces signes finissent par les reconnaître comme tels, au double sens de leur familiarité et de leur légitimité. De sorte que pouvoir politique et faculté de produire des signes pertinents ont, manifestement, partie liée :

"dès lors que j’énonce, ces deux rubriques se rejoignent en moi, je suis à la fois maître et esclave : je ne me contente pas de répéter ce qui a été dit, de me loger confortablement dans la servitude des signes : je dis, j’affirme, j’assène ce que je répète. Dans la langue, donc, servilité et pouvoir se confondent inéluctablement"(op. cit.).

On en revient irrésistiblement à la conception théologique de la représentation politique, laquelle consiste, comme l’a souligné Marie-José Mondzain, dans l’art d’administrer des signes, c’est-à-dire, tout à la fois, de les produire et de les distribuer. Ce qui veut dire que ce n’est pas parce que certains ont le pouvoir politique qu’ils auraient, comme par surcroît, le pouvoir symbolique : l’un et l’autre sont les deux aspects indissolubles de la même fonction représentative. Dire que A représente B en ce sens, c’est dire que A possède sur B le pouvoir de prendre des décisions à sa place et le pouvoir de lui faire croire que ces décisions sont légitimes en ce qu’elles se conforment à un système de symboles auquel B a été préalablement conditionné par répétition et auquel il finit par consentir. Bourdieu ne dit pas autre chose :

"le capital politique est une forme de capital symbolique, crédit fondé sur la croyance et la reconnaissance ou, plus précisément, sur les innombrables opérations de crédit par lesquelles les agents confèrent à une personne (ou à un objet) les pouvoirs mêmes qu’ils lui reconnaissent. C’est l’ambiguïté de la fides [...] puissance objective qui peut être objectivée dans des choses (et en particulier dans tout ce qui fait la symbolique du pouvoir, trônes, sceptres et couronnes), elle est le produit d’actes subjectifs de reconnaissance et, en tant que crédit et crédibilité, n’existe que dans et par la représentation, dans et par la confiance, la croyance, l’obéissance. Le pouvoir symbolique est un pouvoir que celui qui le subit donne à celui qui l’exerce, un crédit dont il le crédite, une fides, une auctoritas, qu’il lui confie en plaçant en lui sa confiance. C’est un pouvoir qui existe parce que celui qui le subit croit qu’il existe"(Bourdieu, la Représentation Politique, in Actes de la Recherche en Sciences Sociales, fév.-mars 1981).

Barthes met donc en évidence deux caractères corrélatifs de certains systèmes de signes30 : la vacuité du signifié et la théâtralité du signifiant31. Pour Barthes et les structuralistes, ces deux caractères sont indissociables en ce qu’ils se retrouvent, notamment, dans l’oeuvre littéraire32. Tout d’abord, le signifié est vide. Autrement dit, il n’y a pas de signifié. Rien n’est, à proprement parler, signifié par le signe :

"le référent n’a pas de ’’réalité’’ : qu’on imagine le désordre provoqué par la plus sage des narrations, si ses descriptions étaient prises au mot, converties en programme d’exécution et tout simplement exécutées. [...] Ce qu’on appelle ’’réel’’ (dans la théorie du texte réaliste) n’est jamais qu’un code de représentation (de signification) : ce n’est jamais un code d’exécution"(Barthes, S/Z).

En vertu de quoi, l’existence d’une réalité à laquelle le représentant politique, en particulier, est censé faire référence, n’est qu’une pure et simple illusion. Car, effectivement, on imagine le désordre que provoqueraient certaines "promesses"33 ou certains "programmes" si leurs formulations "étaient prises au mot, converties en programme d’exécution et tout simplement exécutées"34. Certes, Barthes ne parle pas ici de politique mais de ... littérature. Mais si, justement, la politique, en tout cas celle qui, dans les démocraties représentatives, s’accomplit dans la préparation des élections, dans le déroulement des élections et dans le commentaire des élections, n’était rien d’autre qu’une forme particulièrement vulgaire et abâtardie de littérature ou de religion ? On pourrait alors, tout à loisir, considérer le résultat des élections comme un récit au sens où

"la fonction du récit [qui] n’est pas de ’’représenter’’, elle est de constituer un spectacle qui nous reste encore très énigmatique [...]. Ce qui se passe dans le récit n’est, du point de vue référentiel (réel), à la lettre : rien ; ’’ce qui arrive’’, c’est le langage tout seul, l’aventure du langage, dont la venue ne cesse d’être fêtée"(Barthes, Introduction à l’Analyse Structurale du Récit, in Communications, 1966, n°8).

Ce qui nous ramène, encore une fois, aux origines théologico-religieuses du problème de la représentation politique dont Marie-José Mondzain nous dit bien qu’il n’a rien à voir avec un droit opposable. Car ce qui importe, au fond, dans toute représentation de ce genre, c’est bien la forme et non pas le contenu,

"la forme [qui] a une réalité non objective, bien proche de l’avertissement qu’adressait Mondrian de ’’ne plus s’occuper de la forme en tant que forme’’. L’indifférence pour la réalité empirique est aussi grande que celle qui s’exerce à l’égard d’une beauté idéale ou fictive"(Mondzain, Image, Icône, Économie, II, i).

Concrètement, représenter la puissance souveraine, c’est administrer un certain nombre de symboles auxquels ladite puissance est rattachée (fonction symbolique) et se prévaloir de ladite puissance pour acter en son nom (fonction matérielle). C’est pourquoi la théâtralité du signifiant, le côté spectaculaire de la "représentation" est le corrélat nécessaire de la vacuité du signifié. Non pas tellement, d’ailleurs, au sens de Machiavel lorsqu’il dit que "les moyens qu[e le représentant] emploiera seront toujours approuvés du commun des hommes [...]. Il n’est pas nécessaire d’avoir beaucoup de qualités, mais plutôt de paraître les avoir ; il s’agit, grâce à la ruse, de tromper l’esprit des hommes"(Machiavel, le Prince, xviii). Car, quand on voit avec quelle aisance certaines personnalités politiques jugées et condamnées pour des actes de corruption notoire sont élues ou réélues par un corps électoral qui, à l’évidence, n’ignore rien de leurs "qualités"35, on peut se demander si, comme le dit Machiavel, "il s’agit, grâce à la ruse, de tromper l’esprit des hommes" ou s’il ne s’agit pas plutôt d’inhiber en eux toute forme de réaction autre que la simple jouissance du spectacle. En d’autres termes, si la relation entre le représenté et le représentant n’est pas, avant tout, de l’ordre du spectacle au sens que Guy Debord a donné à ce terme : "le spectacle n’est pas un ensemble d’images, mais un rapport social entre des personnes"(Debord, la Société du Spectacle, §4). Et ce rapport social est, précisément, celui de la passivité :

"il ne peut y avoir de révolte hors de l’activité, et dans le spectacle, toute activité est niée. [...] Dans le système du spectacle, s’accroissent les conditions d’isolement des foules solitaires"(Debord, la Société du Spectacle, §§27-28).

Passivité et isolement soigneusement orchestrées par les media dont le rôle est celui que Paul Nizan qualifiait de "chiens de garde de l’ordre bourgeois". Car,

"étant les productions de la démocratie bourgeoise, [les chiens de garde] édifient avec reconnaissance tous les mythes qu’elle demande. [Ils servent] à détourner les exploités de la contemplation périlleuse pour les exploiteurs, de leur dégradation, de leur abaissement"(Nizan, les Chiens de Garde, iv).

On objectera que, comme l’a montré Marie-José Mondzain, les pouvoirs politiques, quels qu’ils fussent, n’ont pas attendu l’avènement du capitalisme pour s’assurer la docilité de la populace au moyen d’une gestion appropriée des symboles36. Certes, mais, dans la société capitaliste, la théâtralité du signifiant politique dépourvu de signifié est facilitée par un double facteur inhérent à la nature même de la société bourgeoise : la consommation et la communication. D’une part, en effet, les spectateurs sont conditionnés à consommer du spectacle en ce que celui-ci accompagne systématiquement la consommation de n’importe quelle marchandise : "le spectacle est le moment où la marchandise est parvenue à l’occupation totale de la vie sociale"(Debord, la Société du Spectacle, §42). Ce qui importe, dans ce genre de spectacle, c’est que le plus grand nombre possible de spectateurs prennent suffisamment de plaisir à la consommation des images, quelles qu’elles soient, pour assurer le maximum de recettes publicitaires à la chaîne qui les diffuse37. D’autre part, et pour cette raison, ce sont souvent les mêmes sociétés de communication qui conçoivent et distribuent à la fois les images publicitaires destinées à faire connaître et à vendre l’offre commerciale et les images de propagande destinées à promouvoir "l’offre politique", comme ils disent. C’est pourquoi

"l’abondance des micros, des caméras, des journalistes, des photographes est, à la manière du skeptron homérique, la manifestation visible de l’audience accordée à l’orateur, de son crédit, de l’importance sociale de ses actes et de ses paroles. La photographie qui, en enregistrant, éternise, a pour effet, ici comme ailleurs, de solenniser les actes exemplaires du rituel politique. Il s’ensuit que l’intervention de cet instrument de perception et d’objectivation désigne les situations (inaugurations, pose de la première pierre, défilés, etc.) où les hommes politiques sont en représentation, agissent pour être vus agissant, donnent la représentation du bon représentant" (Bourdieu, la Représentation Politique, in Actes de la Recherche en Sciences Sociales, fév.-mars 1981).

On voit bien, dès lors, en quel sens il convient d’entendre, désormais, l’expression "représentation politique". Et en quel sens on peut, effectivement dire que ce genre de "représentation" est une sorte de représentation artistique, voire de représentation religieuse dégénérées38.

Le problème est que, dans ces conditions d’orchestration de la représentation politique, on a plus de mal à rendre l’abstention intelligible en considérant cette relation comme sémiotique plutôt que sémantique, puisque, il n’est plus question ni d’objet extérieur (le référent) ni de mobile (la rationalité) pour refuser de choisir, risque qui semble, de plus, désamorcé en amont par les prouesses des techniques de communication et de manipulation des foules. Aussi, pour terminer, je me contenterai d’émettre quatre hypothèses, que je présenterai par ordre croissant de plausibilité, pour tenter de rendre compte de ce que les abstentionnistes ne s’abstiennent peut-être pas par défaut mais parce qu’ils sont, à leur insu, déterminés à s’abstenir. Première hypothèse : l’emballement du système. Il se pourrait, en effet, que les efforts de dépolitisation des masses soient à ce point irrationnels et désordonnés, que le bruit est à ce point assourdissant qu’il brouille systématiquement le message, ce qui, soit finit par ennuyer les spectateurs, soit, au contraire, les captive au point qu’ils se contentent de jouir d’un spectacle qui n’est qu’une série télévisée parmi d’autres, et qu’ils en oublient d’aller voter. L’argument de l’ennui ne tient pas parce que, d’une part il faudrait le corréler avec un phénomène de même importance à l’égard, par exemple, de tous les autres messages publicitaires, ce qui est loin d’être prouvé, et d’autre part parce que les mesures d’audience manifestent une attractivité toujours croissante du spectacle politique télévisé dans un contexte pourtant extrêmement concurrentiel. L’argument de la démobilisation induite n’a pas plus de valeur dans la mesure où l’on doit à présent apporter un correctif important à l’idée selon laquelle, dans une lecture sémiotique, le signe politique serait dépourvu de signifié. Car, en réalité, les campagnes de sensibilisation "citoyennes" s’évertuent à donner à ce signe un et un seul signifié : l’acte d’aller mettre un bulletin dans l’urne le jour du vote, ce bulletin fût-il blanc ou nul ! Deuxième hypothèse : le mobile mimétique. Cette hypothèse apporte, elle aussi, un correctif à notre analyse sémiotique en réintroduisant un mobile extérieur à la simple jouissance du spectacle à laquelle le marketing politique semblait condamner le destinataire du signe. Car, de même que "celui qui subit passivement son sort, [...] sera donc poussé vers la consommation de marchandises [...] par le besoin d’imitation qu’éprouve le consommateur [...] comme compensation d’un sentiment torturant d’être en marge de l’existence"(Debord, la Société du Spectacle, §219), de même une forme de révolte pourrait se manifester chez certains contre ce qu’ils percevraient tout de même comme une incohérence du système. On assisterait alors à une

"forme d’abstention active, qui s’enracine dans la révolte contre une double impuissance, impuissance vis-à-vis de la politique et de toutes les actions purement sérielles qu’elle propose, impuissance devant les appareils politiques"(Bourdieu, la Représentation Politique, in Actes de la Recherche en Sciences Sociales, fév.-mars 1981).

Sans exclure totalement le syndrome "élection, piège à cons", il manque, néanmoins, à la plausibilité de cette hypothèse, un modèle positif de comportement civique à imiter et qui serait réellement anti-politique39, là où, au contraire, le seul modèle politique de citoyenneté qui, objectivement, possède suffisamment de visibilité pour être imité, c’est le modèle grégariste du bon citoyen qui, dit-on, accomplit son "devoir électoral40", rejetant systématiquement l’abstentionniste dans le camp de l’apolitisme irresponsable41. Troisième hypothèse : l’intérêt des électeurs comme objet. Là encore, nouvel accroc à la règle sémiotique de la non-référentialité ou, si l’on préfère, de la vacuité du signifié. En effet,

"l’objet lui-même n’est pas quelque chose de tout fait, mais résulte d’une manière d’aborder le monde. Fabriquer une image contribue généralement à la fabrication de ce qui est à représenter par l’image"(Goodman, Langages de l’Art, I, 7).

C’est-à-dire que la pratique constante d’un signifiant finit, nolens volens, par faire exister ce dont elle parle. En l’occurrence,

"la concordance entre le signifiant et le signifié, entre le représentant et le représenté, résulte sans doute moins de la recherche consciente de l’ajustement à la demande de la clientèle ou de la contrainte mécanique exercée par des pressions externes que de l’homologie entre la structure du théâtre politique et la structure du monde représenté, entre la lutte des classes et la forme sublimée de cette lutte qui se joue dans le champ politique. C’est cette homologie qui fait que, en poursuivant la satisfaction des intérêts spécifiques que leur impose la concurrence à l’intérieur du champ, les professionnels donnent satisfaction par surcroît aux intérêts de leurs mandants et que les luttes des représentants peuvent être décrites comme une mimèsis politique des luttes des groupes ou des classes dont ils se font les champions"(Bourdieu, la Représentation Politique, in Actes de la Recherche en Sciences Sociales, fév.-mars 1981).

Bref, même si ce n’est pas en se fixant la défense des intérêts de ses mandants comme objet extérieur (comme référent) que le candidat A défendra le mieux ses propres intérêts de représentant, en l’occurrence, être élu pour exercer le pouvoir, pour autant, A va bien devoir faire croire à ses électeurs putatifs qu’il défend mieux leurs intérêts que les candidats B, C, etc. Du coup, que ces intérêts soient réels (de véritables intérêts de classe) ou purement fantasmés ("intérêts" des familles, des nationaux, des classes moyennes, des riverains, etc.), il sera d’autant plus démobilisateur pour l’électorat que celui-ci se rend compte, par expérience, que, une fois élu, le candidat est incapable de tenir ses promesses. Il s’ensuivrait la tentation de s’abstenir de voter. Le problème de cette hypothèse, c’est que, d’une part, elle réintroduit, dans la démarche de l’électeur, cette rationalité sémantique (en termes d’objet extérieur non ou mal représenté) que nous avons exclue de notre point de vue sémiotique, et, d’autre part, elle ne rend pas compte du phénomène dit de "l’abstention différentielle" qui fait que, dans les mêmes circonstances, certaines propriétés objectives de l’électorat (situation sociale, familiale ou géographique, convictions politiques ou religieuses, etc.) sont, statistiquement, corrélées à des taux déterminés d’abstention. D’où, quatrième et dernière hypothèse : l’abstention est normale et non pathologique. C’est l’hypothèse que je trouve, pour ma part, la plus plausible car, de nature totalement statistique, elle fait abstraction de toute rationalité des acteurs mais intervenir que des structures déterminantes. Déjà, Émile Durkheim avait montré que l’on peut traiter le suicide comme un phénomène statistique qui est déterminé par un certains nombres de facteurs sociaux qui, en un sens, font partie du fonctionnement normal de la société. Le suicide résulte alors d’un équilibre entre les tendances intégratives et les tendances répressives d’une société donnée. Raison pour laquelle il serait vain de prétendre l’éradiquer : "chaque société est prédisposée à fournir un contingent déterminé de morts volontaires" (Durkheim, le Suicide). De même, dans les années soixante, Milton Friedman a inventé le concept de natural rate of unemployment, de "taux de chômage naturel"42. Celui-ci, comme son nom l’indique, est "naturel" en ce que, sans l’intervention de quiconque, il est l’effet d’un équilibre entre, d’une part, la tendance au plein emploi génératrice d’inflation, et, d’autre part, la tendance au chômage de masse génératrice de déflation. Le NRU serait alors le taux de chômage qui, dans des circonstances données et en économie capitaliste, serait l’indicateur d’un optimum. S’agissant de l’environnement politique démocratique, il n’est pas exclu qu’il puisse exister aussi un natural rate of abstention qui indiquerait un équilibre entre, d’une part la tendance du système à générer une participation électorale massive "à la soviétique", donc génératrice de soupçon sur sa sincérité, et, d’autre part, les risques permanents de désintérêt massif pour les élections qui menacent de discréditer les institutions représentatives. Quelle pourrait être la valeur de ce "NRA" ? Comme pour le NRU, cela dépendrait probablement des circonstances, pourvu qu’il joue, comme lui, un double rôle : rôle apparent de fléau à combattre et rôle réel de régulateur de la vie politique. Le premier rôle serait de donner à la démocratie représentative, historiquement triomphante (dit-on) et désormais dépourvue de modèle alternatif (dit-on aussi), une sorte d’ennemi de l’intérieur grâce auquel ses zélateurs patentés sont d’autant plus justifiés à en célébrer la gloire et les vertus dans de coûteuses campagnes d’"information civique" (voire dans des efforts de réforme du système électoral) que l’on y constate, effectivement, une augmentation tendancielle du taux d’abstention. Le second rôle consisterait à hiérarchiser statistiquement l’importance et la valeur des différents scrutins électoraux : en France, par exemple, cela permet de dire que c’est l’élection du Président de la République qui a le plus d’importance et l’élection du Parlement Européen qui en a le moins. Nous faisons donc l’hypothèse que, à l’instar du chômage pour Friedman ou du suicide pour Durkheim, loin de procéder d’un dysfonctionnement temporaire du système, loin d’en être un symptôme de crise, le comportement abstentionniste en démocratie représentative est un signe induit par le système sémiotique de la représentation politique, intégré et reconnu par lui comme indicateur pertinent.

PhiPhilo.

1Du latin eligere, "choisir", "trier", "sélectionner".

2"Positifs" ne s’oppose pas ici à "négatifs" au sens d’"exécrables", mais à "coutumiers" qui sont des systèmes dans lesquels l’écriture des normes n’est pas primordiale.

3Référence à l’essai paru en 1992 du politologue américain Francis Fukuyama et intitulé the End of History and the Last Man.

4Ce qui n’est pas forcément une bonne nouvelle : "ce régime leur paraît le meilleur des mondes possible. Ils ont une peine infinie à penser qu’il puisse exister d’autres mondes, et leur contentement n’est point le résultat d’une comparaison et d’un choix. C’est ici l’achèvement de l’histoire des hommes"(Nizan, les Chiens de Garde, iv).

5Cf. la Loi doit-elle donner la Priorité à l’Egalité ou à la Liberté ? et l’Etat supprime-t-il ou utilise-t-il la Violence ?

6À tort parce qu’on se contente, en général, de ne lire du Contrat Social que les deux premiers livres où il n’est question que des grands principes justifiant le recours à un "contrat social" (la liberté dans le livre premier et la volonté générale dans le second) et que ces grands principes nous apparaissent compatibles avec la notion de démocratie. Or, ce que dit Rousseau des modalités de réalisation dudit "contrat social", et qui fait l’objet des livres trois et quatre, ne manque pas non plus d’intérêt. Par exemple lorsqu’il souligne que "à prendre le terme dans la rigueur de l’acception, il n’a jamais existé de véritable démocratie, et il n’en existera jamais [...]. S’il existait un peuple de dieux, il se gouvernerait démocratiquement. Un gouvernement si parfait ne convient pas à des hommes"(Rousseau, du Contrat Social, iii, 4).

7Rousseau fait consister la souveraineté dans la volonté générale, mais, mutatis mutandis, son propos reste valable en quoi qu’on la fasse consister. Toujours est-il que "la volonté générale, qui ne regarde qu’à l’intérêt commun, ne doit pas être confondue avec la volonté de tous qui n’est qu’une somme de volontés particulières"(Rousseau, du Contrat Social, II, 3). D’où l’on peut inférer que, si la volonté générale ne se représente pas, a fortiori la somme des volontés particulières qui, pour les libéraux, est le fondement du contrat social.

8À noter que la restriction de la délégation au seul domaine exécutif est compatible aussi avec l’idée que les libéraux se font de la démocratie comme "une société d’hommes instituée dans la seule vue de la conservation de leurs [droits naturels] (la vie, la liberté, la santé du corps, la propriété des biens extérieurs tels l’argent, les terres, les maisons, les meubles, etc.). C’est pour cette seule raison que le magistrat est armé de la force réunie de tous ses sujets, afin de punir ceux qui violent les droits naturels des autres"(Locke, Lettre sur la Tolérance), justifiant ainsi leur préférence pour un État minimal doté, conformément à la pratique inaugurée par les États-Unis d’Amérique, d’un régime présidentiel plutôt que parlementaire.

9"Le suffrage [...] est toujours universel, égal et secret"(Constitution de 1958 , art.3 alinéa 3).

10Cet argument de la rupture d’égalité inhérente au choix non aléatoire ne me semble pas décisif contre le caractère démocratique de l’élection par suffrage. Car, comme l’a montré Rousseau (du Contrat Social, II, 11) et comme le proclame l’art.6 de la Déclaration de 1789 ("tous les Citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents"), l’égalité doit pouvoir être compatible avec un certain degré de différenciation donc, le cas échéant, résultat d’un choix. D’Aristote à Durkheim en passant par Marx, tout le monde est d’accord sur ce point. Aussi l’inégalité anti-démocratique que Manin dénonce dans le système électoral me paraît moins résider dans la probabilité différentielle d’accès des citoyens aux fonctions publiques que dans le fait que les uns (les candidats) savent ce que les autres (les électeurs) ignorent. En effet, ce type de système électoral est, de fait, corrélé avec la naïveté et l’ignorance des électeurs sur le degré de compétence et de désintéressement de ceux qu’ils ont à élire. Lesquels sont, la plupart du temps, suffisamment malins, ambitieux et pervers pour exploiter à leur profit la crédulité de leurs électeurs. Nous nous trouvons donc dans une situation platonico-machiavellienne, dans laquelle il importe moins d’être vertueux que de le paraître. Or, dans une situation idéale (disons spinozo-rousseauïenne) où chaque candidat incarnerait une solution (ou série de solutions) alternative(s) aux problèmes qui se posent réellement à la Cité plutôt que des ambitions personnelles, et où les électeurs pourraient choisir en toute connaissance de cause et non plus en fonction de la plus ou moins grande efficacité des stratégies de communication des candidats, une telle inégalité de connaissance et de moralité serait abolie. On en revient à une des convictions les plus fondamentales de tous les révolutionnaires, quels qu’ils fussent : pas de réelle démocratie sans un (très) haut niveau d’éducation.

11J’ai, par ailleurs, évoqué un certain nombre de problèmes éthiques liés au choix du nom (à propos de l’adoption d’un pseudonyme sur les forums philosophiques virtuels du web) lors même qu’il m’a semblé contradictoire de choisir son propre nom. Je ne reviendrai pas sur ces problèmes qui découlent tous de ce que l’exception (le fait de choisir un nom, par exemple pour un artiste) devient la règle (cf. Forum Philosophique et Internet).

12Dans lequel il répond, à la fin du chapitre vi : "au vu de ces critères, nous dirons sans hésiter que Sarkozy relève du transcendantal pétainiste"(op. cit.). Loin de contester la pertinence de la conclusion, j’en regrette toutefois la forme : il aurait été préférable de dire "que Sarkozy est le nom du transcendantal pétainiste" et non pas "que Sarkozy relève du ...", ce qui est beaucoup moins précis.

13Sous diverses modalités : élections, mais aussi sondages d’opinions, manifestations de rue, etc.

14Ce qu’on n’est certainement pas obligé de faire. Encore une fois (cf. note 8), la pratique de l’institution présidentielle aux États-Unis et dans les démocraties à régime présidentiel semble faire du Président un délégué plutôt qu’un représentant. La Constitution des États-Unis, par exemple, distingue nettement la fonction de représentant dévolue, dans son premier article, au pouvoir législatif, de la fonction de président des États-Unis d’Amérique, laquelle est décrite, dans le deuxième article, de manière purement fonctionnelle et procédurale ("Le pouvoir exécutif sera conféré à un président des États-Unis d’Amérique. Il restera en fonction pendant une période de quatre ans et sera, ainsi que le vice-président choisi pour la même durée, élu comme suit : chaque État nommera [...] un nombre d’électeurs égal au nombre total de sénateurs et de représentants auquel il a droit au Congrès") sans aucune déclaration sur "l’esprit" de la fonction. On objectera sans doute que les motivations de l’électeur américain moyen, qu’il vote pour élire un Président ou qu’il s’abstienne de le faire, ne sont probablement pas très différentes de celles de l’électeur français, de sorte que la distinction entre délégation et représentation reste assez théorique, ne fût-ce qu’en raison de l’importance des pouvoirs régaliens qui ressortissent au Président des États-Unis. Et même s’il existe effectivement des pratiques institutionnelles qui, par contraste avec le Président de la V° République française ou le Président des États-Unis, en font un délégué plutôt qu’un représentant (tels sont, notamment, les monarques constitutionnels ou bien le Président de la République en Italie ou lors de la IV° République en France) le chef de l’état n’est jamais complètement dépourvu de pouvoirs autonomes attachés à sa fonction ("autonome" voulant dire ici : dont il n’a à rendre compte à aucune institution politique ni juridique).

15Mais aussi, d’une manière générale, tout "chef", tout leader, quel qu’il soit, pourvu qu’il soit clairement identifiable et assimilable à sa fonction : un président, un secrétaire général, un directeur, mais aussi un roi, un empereur, un pape, etc. quel que soit son mode d’élection. Il faut et il suffit en l’occurrence qu’il exerce, sur ceux qu’il représente, un pouvoir autonome et légitime.

16Le partitif fait ici toute la différence entre la relation de dénotation et celle d’exemplification. La dénotation met en relation le(s) signe(s) avec une réalité extérieure, fût-elle assimilée à ses propriétés essentielles, celles qu’elle ne peut pas ne pas avoir (telles sont la Constitution et l’identité étatique dont le Président de la République française est censé être le "gardien"). Tandis que la relation d’exemplification met en relation le(s) signe(s) avec certaines propriétés d’une réalité extérieure.

17Comme aux États-Unis où sont élus deux sénateurs par État, quelle que soit sa taille.

18Comme en France où le système électoral favorise, de facto, la représentation des petites communes.

19D’où le subterfuge consistant à instaurer, pour désigner une assemblée représentative, un scrutin uninominal afin, dit-on de "personnaliser" l’élection.

20Le fait que Goodman fasse une telle remarque dans un ouvrage consacré à l’art n’est évidemment pas un hasard. Cf. Philosophie Analytique, Littérature et Sémantique.

21Mon propos porte donc, non seulement sur l’"abstention" proprement dite, mais aussi sur le vote dit "blanc" et le vote réputé (intentionnellement) "nul" bien que le décompte officiel s’évertue, en général, à les distinguer.

22Rappelons que Constantin est issu d’une tradition païenne syncrétique qui identifie le soleil à Dieu (sol invictus) et que sa conversion au christianisme en 312 est probablement dictée par l’intérêt politique évident qu’il y a à conjoindre pouvoir temporel et pouvoir spirituel, ce qui sera grandement facilité par le premier concile de Nicée réuni et présidé par Constantin lui-même en 325 et qui aboutira à la reconnaissance explicite de la double nature, indéfectiblement humaine et divine, du Christ.

23C’est aussi la thèse d’Ernst Kantorowicz dans son célèbre ouvrage the King’s two Bodies. A Study on Medieval Political Theology paru en 1957.

24Cf. quelle peut bien être l’Origine de la Distinction que nous faisons entre l’Ame et le Corps ?

25"L’ensemble de ces rapports de production constitue la structure économique de la société, la base réelle sur quoi s’élève une superstructure juridique et politique à laquelle correspondent des formes de conscience sociales déterminées"(Marx, Critique de l’Économie Politique).

26Rappelons que la "représentation" de Dieu est expressément prohibée, car assimilée à de l’idolâtrie (cf. Monothéisme et Condamnation de l’Idolâtrie), par le deuxième des Dix Commandements. Au point qu’il est même interdit de "nommer" Dieu (les Juifs, comme les Musulmans utilisent des périphrases pour éviter de le désigner par un nom). À noter que, dans les théocraties se réclamant de l’Islam, par exemple, le chef politique n’est pas le "représentant" de Dieu (non plus que son délégué) mais son serviteur (cabdu-llâh).

27"L’empereur Constantin V (741-775), porte-parole de l’iconoclasme d’État, dénonce l’icône en présentant les objections suivantes, lors du premier iconoclasme : 1) si l’icône est semblable au modèle, elle doit être de même essence et de même nature que lui, or l’icône est matérielle et le modèle est spirituel, donc elle est impossible ; 2) si l’icône prétend ne ressembler qu’à la forme physique et sensible du modèle, elle le divise nécessairement en séparant sa forme sensible de son essence invisible, l’icône est donc impie puisqu’elle divise l’indivisible ; 3) si l’icône trace la figure du divin, elle enferme dans son tracé l’infini, ce qui est impossible, donc elle n’enferme que du rien ou du faux, ce qui l’oblige à renoncer à toute homonymie ; 4) si l’icône n’est vénérée que dans ce qu’elle montre, elle est de ce fait vénérée dans sa matière, elle est donc une idole et les iconophiles sont des idolâtres"(Mondzain, Image, Icône, Économie, II, i).

28Le terme de "ministre" est, étymologiquement, ambigu, minister signifiant en latin à la fois "serviteur", "obligé" et "agent", "intermédiaire", "substitut".

29En général, les efforts que font les éligibles ou les élus pour partager les façons de s’habiller, les tics de langage, les goûts musicaux, les passions sportives, etc. de ce qu’ils croient être ceux de leur électeur "moyen" s’apparentent rapidement à du snobisme et, à ce titre, sont promptement tournés en dérision. Par ailleurs, j’ai essayé de montrer, dans l’Enjeu Ethique de la Littérature à quel point, passé un certain âge, l’obsession de vouloir "ressembler" à un profil idéal est une attitude régressive.

30Malheureusement, Barthes et, dans son sillage, tous les structuralistes, généralisent cette analyse à tous les systèmes de signes. Notamment lorsqu’il dit que "si l’on appelle liberté, non seulement la puissance de se soustraire au pouvoir, mais aussi et surtout celle de ne soumettre personne, il ne peut donc y avoir de liberté que hors du langage. Malheureusement, le langage humain est sans extérieur : c’est un huis clos"(Barthes, Leçon Inaugurale au Collège de France, 7 janv. 1977). Car, d’une part, s’il ne peut y avoir de liberté que hors du langage, dans la mesure où on ne voit pas très bien ce que serait une humanité sans langage, il ne peut définitivement pas exister de liberté humaine, ce qui contredit les tentatives historiques que les hommes ont faites en ce sens (ne fût-ce que la sienne pour tenter de nous ouvrir les yeux sur le phénomène qu’il évoque) et, donc, l’essence même de l’histoire ; d’autre part, si le langage humain est un "huis clos" auto-référentiel, si aucune forme langage n’a la moindre chance d’atteindre une réalité extérieure à lui, alors, cette fois-ci, c’est la référentialité à la fois du langage empirique ordinaire et du langage scientifique qui, par nature, sont des illusions. Nier à la fois l’histoire, l’empirie et la science : tel est le prix (exorbitant) à payer pour une telle généralisation et qui découle de "la soif de généralité, ou encore l’attitude dédaigneuse à l’égard du cas particulier"(Wittgenstein, le Cahier Bleu, 19).

31Nous reprenons ici la distinction saussurienne bien connue, qui est, d’ailleurs, pleinement assumée par Barthes et les structuralistes : "nous appelons "signe" la combinaison du concept et de l’image acoustique : mais dans l’usage courant ce terme désigne généralement l’image acoustique seule, par exemple un mot (arbor, etc.). On oublie que si arbor est appelé "signe", ce n’est qu’en tant qu’il porte le concept "arbre", de telle sorte que l’idée de la partie sensorielle implique celle du total. L’ambiguïté disparaîtrait si l’on désignait les trois notions ici en présence par des noms qui s’appellent les uns les autres tout en s’opposant. Nous proposons de conserver le mot "signe" pour désigner le total, et de remplacer "concept" et "image acoustique" respectivement par "signifié" et "signifiant"""(de Saussure, Cours de Linguistique Générale, I, i, 1).

32Là encore, nous ne pouvons les suivre dans cette généralisation à toutes les oeuvres littéraires. Cf. la polémique au sujet de la référentialité du texte littéraire dans Philosophie Analytique, Littérature et Sémantique.

33Ou, comme le disait Henri Queuille (que Jacques Chirac et Charles Pasqua aimaient bien citer), "les promesses n’engagent que ceux qui y croient".

34Rappelons-nous les polémiques engendrées par la promesse sarkozyenne d’un "droit au logement opposable". Pour ne rien dire de l’art.5 du Préambule de la Constitution de 1946 : "chacun a le devoir de travailler et le droit d’obtenir un emploi" ou de l’art.35 de la Constitution de 1793 : "quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs".

35À commencer, par celle de l’ambition au sens de Weber : "lorsqu’on dit d’une question qu’elle est politique, il faut entendre par là que les intérêts de la répartition, de la conservation ou du transfert du pouvoir sont déterminants [...]. Tout homme qui fait de la politique aspire au pouvoir"(Weber, le Savant et le Politique, ii).

36Rappelons-nous, entre autres, l’allégorie de la caverne dans la République de Platon, l’obsession du pain et des jeux dans la Satire X de Juvénal ou les murs transformés en écrans de télévision dans Farenheit 451 de Bradbury.

37N’était-ce pas le patron de TF1 qui déclarait que la finalité de sa chaîne est de "vendre à Coca-Cola du temps de cerveau disponible" ?

38Dégénérées parce que, contrairement à la représentation politique, ni la représentation artistique ni la représentation religieuse ne peuvent se réduire au seul spectacle. Pour Aristote, par exemple, la littérature (cf. l’Enjeu Ethique de la Littérature) peut tout à fait se passer de spectacle : "la tragédie, même sans mouvement, remplit sa fonction propre de même que l’épopée ; car, rien qu’à la lecture, on peut bien voir quelle en est la qualité. Par conséquent, si elle l’emporte sur les autres points, il n’est certes pas nécessaire qu’elle possède cet accessoire. Ajoutons qu’elle a toutes les ressources qui appartiennent à l’épopée (puisqu’elle dispose du mètre), et en outre, ce qui n’est pas de mince importance, la musique et le spectacle, au moyen duquel les jouissances sont aussi vives que possible"(Aristote, Poétique, 1462a). Le spectacle assure donc ("ce qui n’est pas de mince importance") une "jouissance" qui n’ajoute rien, cependant, au contenu ni à la fonction du texte littéraire. De même, s’il est vrai, comme le dit Durkheim (cf. Quine, Durheim et la "Perception" de Dieu), que "la raison d’être des conceptions religieuses, c’est avant tout de fournir un système de notions ou de croyances qui permette à l’individu de se représenter la société dont il fait partie, et les rapports obscurs qui l’unissent à elle. S’il en est ainsi, on peut prévoir que les pratiques du culte ne sauraient se réduire à n’être qu’un ensemble de gestes sans portée et sans efficacité ; car l’objet du culte est d’attacher l’individu a son dieu, c’est-à-dire à la société dont le Dieu n’est que l’expression figurée"(Durkheim, Cours sur les Origines de la Vie Religieuse), alors le spectacle est important, certes, mais à condition qu’il soit la mise en scène d’un contenu. Dans les deux cas, l’absence de signifié du signe politique est une preuve de dégénérescence.

39Réellement, et non pas, évidemment, par apolitisme passif ou, pire, en votant pour des candidats ou des programmes prétendument "anti-système" comme le font ceux que Philippe Muray a joliment qualifiés de "mutins de Panurge".

40Un peu comme le bon père de famille est censé accomplir son "devoir conjugal".

41À cet égard, il est intéressant de remarquer que ce sont des démocraties du Maghreb que, récemment et à plusieurs reprises, se sont clairement élevés des mots d’ordre de boycottage des élections ! Et que ce soient dans les démocraties de l’Europe bien pensante que de tels mots d’ordre aient trouvé l’écho médiatique le plus favorable ne manque pas de sel !

42Cf. en quoi les Sciences Humaines et Sociales se distinguent-elles des Sciences de la Nature ?

Messages

  • On dirait une dissertation de terminale ayant pour sujet : analysez et commentez l’expression suivante :

    « Élections, piège à cons. — (Slogan de mai 1968 en France, d’après une expression de Jean-Paul Sartre) »

  • Que de blablabla !
    Je préfère Jean Salem dans "élections...piège à cons"
    En boycottant les prochaines élections européennes, pour la première fois depuis longtemps, je vais "voter" véritablement UTILE.
    Depuis des décennies, mon vote du 1er tour est confisqué pour un 2ième tour et un candidat qui ne m’offre comme choix que de voter pour lui ou un autre apparemment pire que lui.
    En 2008 on a fait pire, on a confisqué mon NON du referendum de 2005 pour le trahir. Ceux qui ont fait cela ont fait une trahison. C’est une forfaiture, c’est un crime d’état !!!
    Oui, je l’affirme, en boycottant les prochaines élections européennes, je vais enfin "Voter libre".
    Et que l’on ne me sorte pas l’argument de favoriser le FN. Ce sont ceux qui confisquent le vote du peuple qui favorisent le FN.

    • On peut mener une critique assez diverse au sein du paradigme de la démocratie dite "représentative" que d’autres nomment "délégataire" en passant dans un autre paradigme. Ces derniers a des degrés variables intègrent le tirage au sort (TAS) comme mécanisme de subversion. Le souci de démocratisation devrait activer la critique sur les deux paradigmes de la démocratie.

      Il y a aussi à intégrer plus aisément aujourd’hui qu’il y a 30 ans dans la critique le poids de la "gouvernance" et celui de l’oligarchie. Plus il est important et moins la démocratie est vive et réelle.

      L’idée de démocratie socialiste ou de sa variante altermondialiste d’ "alterdémocratie" permet d’activer un pouvoir décisionnel du peuple dans les grands choix de production, ce qui importe à une perspective écosocialiste privilégiant la valeur d’usage et les productions énergiquement économes.