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Commune Carlos Escarra, comme le vent dans la nuit : un an de présidence Maduro

par Jean-Marc del Percio

Publie le mardi 22 avril 2014 par Jean-Marc del Percio - Open-Publishing
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Ce 19 avril 2014, Nicolas Maduro vient d’accomplir sa première année de Président de la République. Mauvais perdants, Le Monde ou le Figaro (France) mettent en ligne des performances tournées dans des quartiers huppés par quelques dizaines de militants de droite avec des légendes telles que ¨les vénézuéliens protestent pieds nus contre Maduro¨ ou ¨les vénézuéliens se dénudent contre Nicolas Maduro¨. La réalité est que 95 % des vénézuéliens sur 99 % du territoire vaquent à leur travail, profitent du Festival International de Théâtre de Caracas ou de leurs vacances à la plage ou à la montagne ; que les partis de la droite traditionnelle ont fini par s’asseoir à la table de dialogue proposée par Maduro sous l´égide des chanceliers de l’UNASUR et ont accepté de collaborer aux plans de sécurité et de développement économique. Malgré sa stratégie de violence anti-électorale, malgré l’appui des États-Unis et du paramilitarisme colombien, malgré l’aval sans précédent des médias internationaux, l’extrême-droite n’a récolté que la désapprobation de la grande majorité, comme l’indiquent les sondages privés, et est resté confinée à quelques quartiers riches. Il est, par contre, une critique précieuse, que les grands médias ne relaient jamais, celle de citoyen(ne)s qui tentent d’édifier contre toutes sortes d’obstacles, la démocratie participative au Venezuela.

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Nicolas Maduro en conseil des Ministres

T.D., Caracas le 20 avril 2014

La critique populaire, levier du changement.

Le président Maduro a rappelé les huit lignes d’action urgentes qui commencent par le Plan de Paix et de Sociabilité, déployé avec l’appui des mouvements sociaux et de jeunesse. Deuxième ligne, maintenir l’offensive économique, notamment en vérifiant sur le terrain l’application de la Loi des Prix Justes pour protéger la hausse de 59 % du salaire en faveur des travailleurs. Troisième ligne, l’accélération de la Grande Mission Logement Venezuela et de la Mission Quartier Nouveau, Quartier Tricolore, dont Nicolas Maduro a récemment critiqué la lenteur. Quatrième ligne : approfondir tous les mécanismes du gouvernement de rue, en tant que dialogue permanent des ministres avec la population exprimant ses besoins et ses critiques. La cinquième ligne recueille l’insatisfaction généralisée (pointée par le président lui-même) de la population envers un système d’hôpitaux publics mal géré au point que, malgré le financement d’État, les patients en sont réduits à acheter eux-mêmes le matériel chirurgical. En sixième lieu vient le Plan d’Eau et l’accélération de la Mission Arbre qui sémera 3 millions 500 mille espèces pour remplacer les 5000 arbres coupés par les groupuscules d’extrême-droite pour leurs barrages. Septième ligne, l’impulsion du pouvoir populaire à travers la construction des communes et, last but not least, la huitième ligne qui vise le renforcement des services publics.

Cette nouvelle offensive débutera ce mardi 22 avril et a été résumée par Maduro en ces termes : ¨aucune bataille ne se gagne sans le peuple. Il n’y a pas de bataille en révolution qui se remporte sans la participation du peuple. C’est inimaginable". Les ressources existent, le programme existe (le ¨Plan Patria¨ sorti des urnes), le volontarisme de Maduro aussi. Tout va se jouer dans la capacité du gouvernement à s’appuyer sur la critique populaire pour cerner les mille et un problèmes concrets, quotidiens de la gestion de l’État, les multiples manquements, désorganisations, mafias qui asphyxient encore bon nombre de services publics, pour établir les causes précises, sanctionner et limoger les responsables.

Faisant le bilan de sa première année de travail, Nicolas Maduro a rappelé que le taux du chômage pour février (7 ,2 %) est le plus bas de l’Amérique latine et a insisté sur le fait que durant les années 1990, plus de 60% de la main d’oeuvre vénézuélienne se cantonnait au secteur dit informel, ou relevait du sous-emploi. À ce jour, grâce à la révolution bolivarienne, 61% des travailleurs du pays bénéficient d’emplois de qualité.

Le président a relevé que selon les statistiques, 39% de la population laborieuse active exerce encore une activité professionnelle dite informelle. Cependant, contrairement à la situation précaire qui la caractérisait 16 ans auparavant, celle-ci jouit de nouveaux droits sociaux comme la pension, l’éducation, la santé (gratuite) et l’alimentation (accès gratuit aux aliments de base/de première nécessité).024_ma_81082_1381621991

Nicolas Maduro a rappelé que 2013 fut l’année de la guerre économique mais que durant la même période, les revenus des ménages auront bénéficié d’une hausse, passant de 6 mille 252 à 8 mille 514 bolivares : « Nous avons eu à subir une inflation de 56% durant cette période de la guerre économique. J’ai cependant veillé à ce que l’emploi et les salaires n’en subissent pas les contrecoups. Et ce, dans tous les domaines où cela a été possible. Les augmentations générales que nous avons pu accorder cette année ont atteint les 59%, c’est-à-dire, 3 points au-dessus de l’inflation. Je craignais que les acquis sociaux accusent un léger tassement. Cependant, la pauvreté généralisée a reculé de 19,6%. Tous les efforts fournis en valent donc la peine. Poursuivre dans cette voie, tout en luttant, cela en vaut la peine. Parce que la construction du socialisme ne peut être menée à bien qu’en luttant  ».

L’étape économique concerne la ¨conversion des municipalités et des états en producteurs de biens fondamentaux¨, dans le cadre du renforcement de la productivité nationale et de la solution de l’approvisionnement. Le président vénézuélien a expliqué qu’« il est tout bonnement impensable d’imaginer une quelconque forme de socialisme sans les communes  », raison pour laquelle la démocratie communale est la pierre d’angle du projet de transformation politique que la Révolution entend mener à son terme. Maduro insiste sur l’importance de cette donnée essentielle : le niveau de conscience auquel le peuple a accédé depuis quelques années déjà. A ce jour, pas moins de 600 « communes » ont été enregistrées sur l’ensemble du territoire national. Le Plan Patria prévoit pour la période 2013-2019, un accroissement notable – à la fin de cette année, on devrait en compter 900 dans tout le pays, semblable à la Commune Carlos Escarra…

Commune Carlos Escarra, comme le vent dans la nuit

ISOLIS-COMUNA-CARLOS-ESCARRÁAu moment où Isolis a terminé sa tâche consistant à placer en cercle les chaises du local, la tombée de la nuit s’annonce, accompagnée des premières rafales de vent. Les étoiles se sont peu à peu substituées au soleil. On observe peu de voitures dans les rues, tandis que la chaleur ne laisse aucun répit. Les forêts, les cours d’eau et les oiseaux de la montagne toute proche sont là, qui occultent la présence de quelques villages, et un peu plus loin, de la Mer des Caraïbes.

La tranquillité qui préside à la préparation de l’assemblée communale locale, contraste d’avec la situation qui était celle de ce secteur, un mois auparavant. Il est inutile de s’interroger longuement : ici, les locaux du supermarché ont été saccagés ; le kiosque maculé de peinture et laissant apparaître des traces de fumée noire ; l’arepera socialiste (chaîne publique d’alimentation rapide, qui vend la galette de maïs à un prix largement inférieur à celui des areperas commerciales) a subi le même sort, dont le toit qui a été arraché aura été transformé en barricades par des militants d’extrême-droite.

Ces événements se déroulèrent entre les 21 et 24 février derniers. « Le saccage n’était pas encore terminé, que les habitations des leaders chavistes du quartier ont été attaquées », nous explique Isolis. Ce furent des nuits d’émeutes – voies de circulation coupées, usage de cocktails molotov, et recours à une bonbonne de gaz avec laquelle on a voulu faire exploser la arepera ; des nuits, qui auront conféré aux actes de violence de la droite, toute leur force et leur radicalité.

Toutefois personne n’a reculé. Alors que les dernières clameurs de l’émeute s’étaient tues, la « commune » Carlos Escarra a renoué avec ses activités sur la place principale du quartier El Limon, dans la ville de Maracay, Etat d’Aragua. C’est en ce lieu, que se réunissent -comme tous les lundis- Isolis Rivas et les autres communard(e)s. Le silence venu, les débats de l’assemblée débutent. Cette fois-ci, les échanges porteront sur le renouvellement des porte-parole des conseils communaux ; sur les actions de la mission Mercal (marché d’aliments, programme de distribution de nourriture subventionnée, créé aux Venezuela en 2003) ; la construction de nouveaux lieux d’habitation ; les activités culturelles ; les leçons à tirer de la participation à la Conférence pour la Paix qui s’est déroulée la veille à Caracas en présence de l’opposition. De nombreux thèmes sont abordés, d’autres réétudiés.

mujeres-en-la-asamblea-comuna-carlos-escarráParties constitutives de la « commune », 14 conseils communaux en tout, participent à ces réunions. Sept ans auparavant, lorsque cette expérience prit corps, leur nombre s’élevait à 4, tout disposés à faire cause commune. Ils se fixèrent un but : susciter la naissance de nouveaux conseils communaux. Pour ce faire, ils entrèrent en relation avec les diverses communautés et associations du quartier. En somme, la naissance de la « commune » a relevé du désir, de la recherche obstinée. Isolis apprit cette vérité : « les "communes" ne se décrètent pas, leur fondation découle d’un besoin émanant du peuple ». Une recherche obstinée ? Assurément. Comme l’a déclaré l’écrivain argentin Roberto Arlt : « le futur est nôtre, du fait de la toute-puissance du travail ». C’est ainsi que se fit « Carlos Escarra », avec du travail, de la volonté. Tel était le défi à relever. « Tout ce que nous avons acquis en matière de santé, résulte de la lutte populaire  », déclare Isolis qui passe en revue les avancées obtenues dans ce domaine : une salle de rééducation, un centre de haute technologie, un service d’odontologie et de médecine générale. S’octroyer l’espace qui verra l’édification du permier centre de santé, fut la première étape. « La communauté entra en lutte. Chaque jour, 200 personnes se retrouvaient, et toutes les nuits des tours de garde étaient assurés. Nous avons en quelque sorte autonomisé cet espace, prenant ainsi, notre vie en main  ». A l’heure actuelle, Isolis s’en occupe. Chaque matin à 7h30, les portes s’ouvrent désormais sur une réalité tangible, conquise de haute lutte. En le faisant, l’on aperçoit un peu d’une colline, un bout de ciel, et une médecin cubaine

Cette lutte n’a pas uniquement concerné le domaine de la santé. En effet, lorsque ces actions collectives débutèrent, le maire appartenait à l’opposition anti-gouvernementale et fit de la résistance. Cette situation de confrontation n’a pas cessé. Des 4 maires chavistes qui lui ont succédé, tous, comme l’explique Isolis, « ont trahi la révolution ». La dernière personne a avoir exercé cette charge n’a pas dérogé à la règle : « elle menait une politique générale contraire au décisions des citoyens, elle rejetait les projets que nous lui présentions, elle s’entourait de personne liées à l’opposition, et elle ne reconnaissait aucune légitimité aux conseils communaux. Elle a de plus trempé dans des affaires de corruption  ».

¨Peu de personnes issues des institutions ont cru en nous.¨

Puis sont apparus différents acteurs du chavisme. Isolis raconte : « Peu de personnes issues des institutions ont cru en nous. Ils n’acceptaient pas vraiment ce que nous faisions au niveau des « communes » ». Ils ne nous appuyaient en rien. Néanmoins, nous avons pris la décision de ne pas nous heurter à eux. Et parce que nous avons été constants dans nos actions, nous nous sommes peu à peu imposés  ».

Il y a quelques minutes, l’assemblée a mis fin à ses travaux. La rue retourne à son silence, et la place à sa solitude.
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Lorsque Isolis parle des institutions, elle ne réfère pas seulement à la mairie, mais aussi à celui que l’on connaissait sous l’appellation de Ministère du Pouvoir Populaire pour les Communes et la Protection Sociale - aujourd’hui, pour les Communes et les Mouvements Sociaux  ». « On nous ignorait. On n’avait pas voix au chapitre.  » Cette situation a bien changé : « aujourd’hui, ils nous respectent, et nous écoutent  ». Peu à peu le rapport de sujétion qui présidait aux relations entre la « commune » et l’institution publique de tutelle, a fait place à une situation équilibrée, d’égal à égal. Ce nouvel état de fait, correspond bien selon Isolis, au projet bolivarien. A son esprit.

Cependant, au niveau de la mairie, les choses n’ont changé en rien. Notamment depuis les dernières élections municipales du 8 décembre dernier, qui ont vu le chavisme s’imposer au niveau national, avec un avantage de 700 000 voix. En effet, un maire issu de la liste Voluntad Popular (extrême-droite) a été élu. Les conséquences se sont rapidement traduites dans les faits : l’appui logistique et politique du maire aux récents épisodes de violence. Il a en particulier favorisé l’arrivée de personnes étrangères au quartier, qui ont participé aux actes de violence et de saccage.

¨On peut être chaviste, disciplinés comme le sont les militants du Psuv. Mais nous ne sommes pas des imbéciles, on ne supporte plus les trahisons.¨

« Nous avons requis l’intervention de la coordination régionale du Psuv (Partido Socialista Unido de Venezuela), sans succès. Après 4 années de mauvaise gestion révolutionnaire, nous avons perdu les élections municipales, et un maire de droite s’est imposé.  » Isolis s’arrête un instant dans la nuit calme, conclut : « On peut être chaviste, disciplinés comme le sont les militants du Psuv. Mais nous ne sommes cependant pas des imbéciles, on ne supporte plus les trahisons  ».

La journée de la « commune » commence tôt. Suivant le chemin qu’ils ont décidé de tracer de conserve, ces hommes et ces femmes ont peu à peu pris conscience de la nécessité de lutter, afin de fortifier cette auto-organisation populaire. Ils ont eu à relever plusieurs défis, comme celui de participer aux discussions internes au sein même du Psuv. Ils ont obtenu que les deux conseillers représentant le parti au niveau du quartier soient issus des conseils communaux de « Carlos Escarra ». Il en est toujours ainsi, à ce jour.

Brullerby Suarez est l’un de ceux-ci. « Les structures du Psuv opposent une certaine résistance au transfert des pouvoirs en direction du "pouvoir populaire". C’est pourquoi nous avons décidé de rejoindre les rangs du parti, d’y impulser des politiques publiques adéquates, de contribuer à sa transformation.  » Le même type de stratégie aura été appliqué aux Unités de Bataille Hugo Chavez. Tous leurs dirigeants étant par ailleurs des porte-parole des conseils communaux.blullerby

Pour quelles raisons ces dispositions ont-elles été prises ? En premier lieu parce qu’il s’agit de ne pas laisser le parti entre les mains de ceux qui manifestent une certaine réticence envers les « communes ». Brullerby : « La "commune", c’est le gouvernement de tous. Et nous souhaitons être à l’origine de politiques qui nous conviennent. Parce que dans le cas contraire, c’est nous qui en subissons les conséquences. Nous pouvons en transformer le contenu  ».

Les tâches qui incombent aux conseillers relèvent d’un apprentissage dont bénéficient les intéressés, mais plus largement, la « commune » dont ils sont issus : de cette assemblée se réunissant chaque lundi, émergent les divers points retenus qui seront présentés à l’échelon municipal (mairie). « L’assemblée concocte les propositions d’ordonnances à prendre, en discute la teneur. Désormais, le pouvoir populaire exerce au sein même du Psuv, un contrôle et un suivi effectifs des diverses requêtes et prescriptions ». Quant au conseiller communal qui s’exprime ainsi, il passe le plus clair de son temps auprès de ses concitoyens du quartier qu’il représente. En tout état de cause, l’ensemble des ordonnances dont les conseillers communaux soutiennent la prise en compte, correspond à un objectif majeur : consolider le pouvoir populaire. Il en est ainsi d’une proposition en cours – stratégique- qui vise notamment à ce que les organes émanant de ce pouvoir populaire, puissent être partie prenante des décisions que le conseil local de planification publique est amené à prendre. Il s’agit dans un premier temps de procéder au désenclavement des sphères décisionnelles relevant de l’espace public, de l’Etat, et amorcer ainsi, le transfert du pouvoir, au profit des « communautés » organisées.

Incontestablement, l’Etat communal apparaît en toile de fond des propos de Brullerby. « Nous sommes de fervents partisans du nouvel Etat. C’est pourquoi nous souhaitons que dans le domaine de l’économie, les moyens de production soient transferés entre les mains du peuple organisé  ».

A cette heure de la journée, les travailleurs de la fabrique communale de parpaings « El Torreon » profitent de leur temps de pause, tandis que ces derniers sèchent au soleil, en longues files. Quant aux travailleuses de la arepera, elles vendent des casse-croûte, des jus de fruits, des galettes de maïs, et proposent quelques menus créoles.las-mujeres-que-venden-arepa-en-la-comuna-carlos-escarrá

La première et la seconde constituent à elles deux, les Empresas de Propiedad Social (entreprises de propriété sociale de la « commune »). 7 personnes travaillent dans la briqueterie dont il est question ici. Sa production est destinée à la commune -en vue de la construction d’habitations- mais d’autres conseils communaux de Maracay qui peuvent en disposer. 9 communards assurent le bon fonctionnement de la arepera. Leur rémunération dépend du niveau de production atteint. En tout état de cause, le revenu des ventes couvre les dépenses afférant à la maintenance du parc des machines, et l’excédent s’élevant à 6%, est reversé à la « communauté ».

L’une des décisions notables qui a été prise -après accord entre les entreprises concernées et la « commune »- est celle-ci : ne pas augmenter les prix, suivant en cela l’inflation. Ce sera la réponse apportée à la guerre économique dont la droite est responsable. Prenons un exemple. Un parpaing estvendu 9 bolivares, alors que sur le marché traditionnel son prix s’élève à 18 bolivares.

« La marge bénéficiaire n’est pas importante. Toutefois, la recherche d’un enrichissement en ayant recours à la spéculation n’est pas la philosophie de ces espaces de travail. Elle consiste plutôt à vendre des produits socialement utiles. (Sont concernés, la production elle-même, mais aussi le parc des machines)  ». C’est en ces termes que José Carrillo, le porte-parole de la briqueterie, s’exprime. Outre les deux entreprises dont il est question ici, il faut signaler l’existence de la Base Agroproductive Socialiste de La Limonera. Cet espace de production est dédié au maraîchage (notamment les légumes) et aux plantes aromatiques. Cette expérience -c’est la Mission AgroVenezuela qui en est à l’origine- se distingue cependant de la briqueterie et de la arepera : ce n’est pas l’autosubsistance qui se situe au cœur de l’expérience. En effet, une fois par semaine, chaque travailleur/paysan, reçoit une dotation incitative offerte par l’Etat. A moyen terme, se passer de ce dispositif est l’objectif qu’il s’agit d’atteindre. Et ce, afin que la base agroproductive puisse fonctionner telle une entreprise relevant du secteur de la propriété sociale.

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« De nombreuses personnes sont dépourvues d’une vision claire de ce qu’est le pouvoir citoyen »

Le travailleur agricole Angel Rivero, qui est par ailleurs membre du comité de l’agriculture urbaine au sein du conseil communal dont il dépend, analyse à son tour la situation : « la disparition de la culture du travail de la terre (semailles, coutumes et pratiques vernaculaires) est à l’origine des difficultés auxquelles nous sommes confrontés. Tout cela relève d’un héritage très discutable. Celui du capitalisme qui aura tout à la fois misé sur la manne pétrolière, et laissé la paysannerie sombrer en déshérence  ». Angel insiste également sur la nécessité d’atteindre la souveraineté alimentaire - « Hugo Chavez insistait sur ce point » dit-il. Chaque communauté chaviste s’est d’ores et déjà fixé ce but. Angel – accompagné de 5 autres journaliers – se rend chaque jour sur son lieu de travail. Ils y côtoient des brigadistes de l’Université Centrale du Venezuela, mais aussi de l’Université Bolivarienne du Venezuela. Très tôt le matin, avant que la chaleur ne soit trop intense, et que le soleil ne brûle par trop les sols. Il aura appris à s’occuper avec beaucoup d’attention des 34 parterres que compte la base agroproductive ; du potager (conuco, terme indigène). Il aura également appris à sarcler les betteraves et les légumes. A les irriguer, afin de donner vie à cette terre, qui n’attend que l’intervention de l’homme et de la femme pour leur apporter son aide à la production d’aliments dont a besoin la communauté à laquelle ils appartiennent ; mais aussi pour leur permettre de conquérir l’indispensable indépendance économique.

« Ces avancées obtenues de haute lutte, nous ne les abandonnerons pas à la droite  », affirme Isolis, alors qu’au jour, se substitue peu à peu la nuit. Sur la place, les uns et les autres installent le matériel nécessaire à la projection d’un film documentaire. Les animateurs de l’espace culturel de la « commune » en sont les initiateurs. Cette séance est ouverte à tous. Pour le moment, la rue est encore silencieuse.

Mariale Caraballo et son compagnon, le nommé Dr F, sont les figures de proue de l’espace culturel « communal ». Ils travaillent notamment avec les jeunes gens du quartier, et organisent de nombreuses manifestations d’art urbain, tels que les tags, le skate, le hip-hop. Par ailleurs, Mariale et Dr F, sont chaque lundi partie prenante des assemblées du collectif auquel ils sont rattachés : Jalea 283. Ils s’emploient à concrétiser un projet qui leur tient à cœur : ouvrir des ateliers de production audio-visuelle relevant de leur « commune ». Cet espace serait composé d’un studio d’enregistrement, d’une radio et d’un téléviseur. « Ce sera un lieu dédié à la formation culturelle ».noche-de-pantallas-comuna-carlos-escarrá

Chaque jour qui passe, ce projet communal est dénigré par une droite qui ne manque pas de s’y opposer violemment. Depuis 3 ans à peu près, les tenants de cette droite ont adopté une nouvelle stratégie : noyauter les conseils communaux. C’est la raison pour laquelle des 18 qui sont actifs dans le quartier, 4 d’entre eux se sont détachés/séparés de la « commune ».

Selon Dr F, le début de réussite de cette entreprise d’infiltration résulte de ce qui suit : « De nombreuses personnes sont dépourvues d’une vision claire de ce qu’est le pouvoir citoyen  ». Ce n’est pas tout. L’origine sociale -la classe moyenne supérieure- de ceux qui s’activent au sein de ces espaces communautaires est à prendre en considération. C’est la raison pour laquelle l’obligation de multiplier la création d’espaces communaux pourvus des instances de formation afférentes, relève de la nécessité absolue. C’est également, la raison d’être de ces séances de cinéma de rue ; c’est aussi ce qui motive la création du futur espace culturel.

Cela dit, non seulement la droite s’est attelée à détacher certains conseils communaux du « communalisme » chaviste, mais encore ses représentants ont décidé d’investir les organes de décision de la commune « Carlos Escarra ». Au sein même du conseil « communal » dont elle dépend, Isolis est confontée à cet état de fait. Sur les 110 personnes qui participent d’une manière active à ses activités, 94 sont chavistes, et 16 se situent dans l’opposition. « Leur stratégie est l’entrisme, ils cherchent á faire des adeptes en milieu populaire. C’est pourquoi ils participent aux discussions, et cherchent à se faire élire en tant que porte-parole. Ils suscitent aussi l’émergence de clivages, de lignes de rupture au sein du conseil. Néanmoins, malgré leurs efforts, ils n’ont pas réussi à fléchir la résolution de la majorité des membres du conseil "communal"  ». Isolis poursuit sa démonstration et affirme que « nous ne nous opposons pas à leur présence. Cependant pour nous, les conseils communaux préfigurent le futur Etat Communal. Et ceux qui ne sont pas d’accord avec cela, n’ont qu’à partir. Nous ne cèderons pas ces espaces à la droite  » répète-t-elle.

Isolis sait que le chemin à tracer nécessite de gros efforts, que les confrontations sont inéluctables. (Au troisième jour des guarimbas, (barrages montés par l’extrême-droite) les communards ont résisté sans faire appel à la violence physique). Ce chemin à tracer exige des hommes et des femmes -« entrés en révolution » comme dit Ismelda Martinez- d’être à la peine, encore et encore. Cette dernière est en charge du kiosque communal. Chaque jour, elle en assure l’ouverture. On y trouve des affiches de Hugo Chavez, de Simon Bolivar, mais aussi du café, et des journaux.

Pour finir, Isolis résume ce que les uns et les autres sont tenus de faire : «  nous ne pouvons recourir à la critique sans agir, sans apporter notre tribut aux tâches organisationnelles. Faire la révolution, c’est participer à un changement radical. Et pour cela, nous nous devons de participer, pour transformer  ».

Tels sont les divers enseignements qu’ils ont tiré de leur « commune ». Ils se sont en quelque sorte formés. Ils n’ont pas toujours été d’accord sur tout. Ils ont discuté du parti, des élections. Ils se sont interrogés sur la manière nouvelle de se penser en tant qu’individus. Ils ont contribué à armer et ré-armer politiquement le collectif dont ils sont partie prenante. C’est ainsi, que jour après jour, les contours du pays tel qu’il devrait être, apparaissent. C’est également ainsi qu’ils en organisent la trame. Ils agissent silencieusement, mais à l’unisson. Ils savent qu’ils devront continuer à faire face aux coups de l’adversaire.

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Source (espagnol) : http://www.mpcomunas.gob.ve/comuna-carlos-escarra-como-el-viento-en-la-noche/ Texte : Marco Ferrugi. Photos : Gustavo Lagarde

Traduction : Jean-Marc del Percio

Url de cet article : http://venezuelainfos.wordpress.com/2014/04/20/commune-carlos-escarra-comme-le-vent-dans-la-nuit-un-an-de-presidence-maduro/

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Messages

  • "l’extrême-droite n’a récolté que la désapprobation de la grande majorité,". L’extrême-droite vénézuélienne et les gents oranges soutenus par les occidentaux, ne cherchaient pas plus que cela. Ils ont obtenus ce qu’ils voulaient : participer aux décisions gouvernementales, sans avoir été élus par la majorité.
    C’est comme si en France on avait créé une telle commission ad ’hoc avec des représentants des Manifs pour Tous ou des Bonnets Rouges, au lendemain de leurs manifestations alors qu’aucun de ces partis ou mouvements n’ont été élus et représentent les intérêts du prolétariat et du peuple (ce que prétend être Maduro et son gouvernement). C’est un coup d’état permanent qui porte ses fruits.
    Le grand perdant risque d’être le peuple vénézuélien qui va se voir sans doute imposer des choix économiques et sociaux qui ne froissent pas les intérêts de la bourgeoisie vénézuélienne. Bourgeoisie qui menace de repartir dans la rue encore plus violemment avec les escadrons estudiantins fascistes en tête (ça ne vous rappelle pas le Chili à la veille du coup d’état ?).
    Il aurait fallu que Maduro lève en masse le peuple armé pour en finir avec ces bourgeois en les obligeant à rentrer chez eux. Mais est-ce bien ce qu’il souhaite ?