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Lettre ouverte de Youri Bandajevski (le prisonnier de Tchernobyl)

Publie le mardi 19 avril 2005 par Open-Publishing

Rappel : Qui est le Pr. Bandazhevsky recteur de l’Institut de médecine de Gomel avait été arrêté en juillet 1999 sur une accusation de soi-disant pots de vin qu’il aurait reçus pour favoriser l’inscription d’étudiants à l’institut qu’il dirigeait. Les chefs d’accusation sont fallacieux et ressemblent aux machinations de l’époque soviétique qu’on croyait révolue. En réalité il semble bien que les poursuites du gouvernement de M. Loukachenko contre Yuri Bandazhevsky sont liées à ses activités scientifiques qui mettent en évidence les graves conséquences sanitaires de la catastrophe de Tchernobyl dont les effets sont toujours visibles aujourd’hui et vont en croissant. De plus, il a publié un rapport critiquant radicalement la façon dont certains scientifiques et le Ministre de la santé du Belarus ont utilisé les fonds alloués aux études médicales sur les conséquences de Tchernobyl. C’est probablement la cause principale de son arrestation.
Démis de ses fonctions il a été maintenu en prison dans des conditions très sévères (isolement, maladie) pendant plus de 5 mois et libéré fin décembre 1999 (en attente de son procès) grâce à une rapide réaction internationale. Il a été déclaré comme "prisonnier de conscience potentiel " par Amnesty International. Il a été d’abord astreint à rester à Minsk puis en Belarus (il n’a pas pu venir à Paris recevoir le prix que lui a décerné l’association internationale des médecins pour la prévention des guerres nucléaires). Grâce au Pr. Nesterenko qui dirige l’institut indépendant BELRAD il a pu continuer ses travaux et rédiger des monographies extrêmement importantes sur l’effet sur l’organisme de la contamination interne par le césium 137 chez les enfants, en particulier sur le système cardiovasculaire. Son procès qui a débuté en février 2001 au tribunal militaire de Gomel a montré les faiblesses de l’accusation, mais le 18 juin 2001 le Pr. Yuri Bandazhevsky a été condamné à 8 ans de réclusion (travaux pénibles, isolement, pas de livres, 3 visites par an de la famille).
Le verdict est un coup terrible, non seulement pour lui et sa famille, mais pour tous ceux qui veulent connaître les conséquences réelles de la catastrophe de Tchernobyl sur la santé des enfants vivant au Bélarus dans les zones contaminées par les radionucléides. N’oublions pas qu’un accident nucléaire grave est possible partout et aussi chez nous !
Entre autres pathologies, le Pr. Bandazhevsky a montré qu’une charge corporelle en césium 137, même relativement faible avec les critères habituels utilisés en radioprotection, pouvait conduire à des dysfonctionnements importants du système cardiovasculaire des enfants et pour certains enfants il s’agit d’une pathologie irréversible, comme s’ils étaient atteints d’un vieillissement prématuré.
C’est parce que le Pr. Bandazhevsky est " gênant " pour les autorités de radioprotection non seulement du Bélarus mais aussi pour les autres pays nucléarisés qu’il est ainsi attaqué et qu’il risque sa santé et sa vie. Le Pr. Bandazhevsky après avoir purgé trois ans de prison, a été envoyé dans une colonie de relégation en mai 2004. Son état de santé s’est fortement dégradé. Il a dû être opéré plusieurs fois pendant l’hiver. Le 31 janvier, la liberté conditionnelle, à laquelle il avait en principe droit, lui a été refusée.

Le 21 mars 2005

Lettre ouverte de Youri Bandajevski

Chers collègues, amis et adversaires !

Près de six ans se sont écoulés depuis le jour de mon arrestation (le 13 juillet 1999).
Accusé d’un crime de corruption que je n’ai pas commis, je me suis efforcé pendant toutes ces années de tenir bon dans des conditions de pressions psychologiques particulièrement pénibles sans parler des difficultés d’ordre physique et matériel. Les preuves de ma culpabilité sont si peu “ convaincantes ” que pendant tout ce temps les autorités ont redoublé d’efforts pour obtenir de moi un aveu, bien que l’article de la loi sur la corruption passive prévoie une preuve factuelle, c’est à dire que l’accusé doit être pris sur le fait par la police.

Si ma culpabilité est prouvée, qu’ont-ils besoin d’un aveu ? Mais justement, ceux qui se jouent de moi n’ont aucune preuve. Ils ne peuvent pas en avoir pour la bonne raison que je n’ai jamais commis les crimes dont on m’accuse. Cependant ils continuent à m’isoler du monde en espérant que je finirai bien par faiblir au physique comme au moral et par cesser de leur résister.

Dans cette situation il est extrêmement important de comprendre la cause de mon arrestation. Avec le temps, elle m’apparaît de plus en plus nette et précise. J’oserais exprimer ici mes considérations à ce sujet.

J’ai été arrêté subitement mais mon arrestation avait été minutieusement préparée de longue date. Les preuves en sont nombreuses. Dès mon premier appel officiel au Gouvernement de la République du Belarus en 1993, au sujet de l’état de santé des enfants que nous avons examinés et de l’accumulation de radiocésium dans leur organisme, j’ai senti un désaveu brutal de mon activité. Jusqu’à recevoir des menaces physiques. Toutefois j’ai continué à travailler, et au cours des années qui suivirent, j’ai régulièrement publié les résultats de mes recherches dans des revues scientifiques. Je voudrais souligner que nombre de revues, aussi bien biélorusses qu’étrangères, refusaient de publier mes articles consacrés à l’impact des éléments radioactifs incorporés sur l’organisme humain et animal. C’est pour cette raison que je décidai d’éditer des monographies. Entre 1990 et 1999 je publiai 8 livres, consacrés à l’action du radiocésium incorporé sur l’état des organes et des systèmes vitaux de l’organisme. Plusieurs de ces livres ont été publiés en anglais et remis à mes collègues étrangers. Comme l’Etat ne finançait pas ce genre de recherches, je devais compter sur l’aide de mes collègues d’autres établissements scientifiques et médicaux du pays. Les conclusions de ce travail basé sur les résultats d’examens cliniques, d’analyses de laboratoire et d’études de pathologie morphologique, ainsi que de bon nombre d’expériences effectuées avec des animaux de laboratoire, montrent que les “ faibles doses ”, comme on les appelle, de radionucléides de césium 137 incorporés sont extrêmement dangereuses pour l’organisme. Ces recherches ont reçu l’approbation d’éminents scientifiques du Bélarus et de Russie lors des soutenances de thèses qui furent nombreuses sur ce sujet parmi les collaborateurs de l’Institut de médecine de Gomel que j’avais fondé en 1990 et dont j’étais doyen jusqu’en 1999.

Considérant en toute candeur que les résultats des recherches consacrées à l’action des éléments radioactifs sur l’organisme humain devaient être portées à la connaissance du public, je m’efforçais de les rendre le plus largement connus à travers la presse, la radio et la télévision. Mon objectif n’était pas du tout de semer la panique, comme les médias présentent aujourd’hui la chose, mais de montrer aux habitants des régions contaminées par les retombées de Tchernobyl comment il fallait vivre dans les conditions de risque radiologique en respectant certaines mesures de sécurité personnelles et sociales. Ayant compris le pourquoi et le comment de la lésion des cellules des organes vitaux par le césium 137, nous proposions des méthodes réelles et efficaces pour se protéger de l’action néfaste du radionucléide. Je suppose désormais que mon activité dans ce sens n’arrangeait pas ceux qui avaient intérêt à nier les effets à courts et à longs termes de l’accident de Tchernobyl, en lien sans doute avec la politique nucléaire telle qu’elle est poursuivie au plan international. Je ne soupçonnais pas, à l’époque, la somme d’efforts développée par l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) pour préserver son activité à son niveau actuel ou même lui permettre de se développer davantage, en étouffant dans l’œuf les moindres tentatives de lui faire ombrage.

Les événements qui se sont déroulés après mon emprisonnement, et se déroulent encore, ne cessent de m’en convaincre. Dans leurs efforts pour me détruire, et détruire avant tout ma façon de voir, mes adversaires finissent petit à petit par se trahir. En particulier des représentants de l’ancien Institut de médecine radiologique, aujourd’hui liquidé, font tout pour discréditer les résultats de mes recherches scientifiques sans même en comprendre le sens. Ils vont jusqu’à affirmer que les données de mes mesures radiométriques ont été inventées car l’Institut de médecine de Gomel ne disposait pas d’appareils radiométriques. En effet, de 1992 à 1999 l’Institut de médecine de Gomel ne possédait pas de scanner pour le rayonnement humain (SRH) mais il pouvait disposer du SRH de l’Usine des moteurs de lancement de Gomel dans le cadre des activités de l’Académie biélorusse du Génie dont j’étais membre. Grâce à l’étroite coopération des deux instituts, nous avons pu examiner un très grand nombre d’enfants et d’adultes vivant dans divers territoires de la Biélorussie. Nos résultats étaient aussitôt publiés et rendus publics. Pourquoi, si personne ne doutait de leur fiabilité à l’époque, ces questions surgissent-elles aujourd’hui, après tant d’années ? C’était pourtant facile de les contester, s’ils étaient faux, ou de les confirmer. Il suffisait de refaire les mesures. Le fait est que personne ne doutait alors de la fiabilité des mesures, certains affirmaient seulement que les concentrations de radionucléides incorporés découverts par nos mesures étaient inoffensifs pour l’organisme. Aujourd’hui c’est l’inverse : on tente de nier les concentrations d’éléments radioactifs dans l’organisme des adultes et des enfants que nous avions découvertes entre 1992 et 1999, ainsi que leur présence dans les organes des personnes décédées, tout en admettant la présence d’altérations pathologiques ; leur argument est que je ne suis pas radiologiste mais anatomopathologiste et que je ne peux donc pas savoir. Il est en effet impossible de contester les images photographiques des altérations pathologiques observées dans les tissus des habitants de la région de Gomel morts à l’hôpital. D’autant plus qu’elles ont été publiées dans mon livre “ Pathologie de l’irradiation radioactive incorporée ”, paru en 1999, à quelques mois de mon arrestation. Or mes adversaires se refusent à faire le rapport entre ces illustrations incontestables et les effets du radiocésium. Ils font complètement abstraction des résultats d’un très grand nombre d’expériences effectuées avec des animaux de laboratoire que nous soumettions à l’action de diverses doses de radiocésium incorporé. Ces résultats sont tout à fait comparables à nos observations lors des autopsies et de l’examen des enfants et des adultes par des méthodes fonctionnelles et de laboratoire.

Juste après avoir calomnié et exclu de la vie sociale son doyen, on a arrêté tout le programme scientifique de l’Institut de Gomel qui portait sur les effets sanitaires des éléments radioactifs dispersés dans la biosphère après Tchernobyl et sur la manière dont, incorporés, ils agissaient sur l’organisme humain. Tentant ainsi d’annihiler 10 ans de recherche.

Mais en voulant cacher la vérité sur les conséquences sanitaires de la catastrophe de Tchernobyl, mes adversaires portent atteinte non seulement à la population de la République du Belarus et des autres pays de l’espace post-soviétique mais à tous les hommes de la Terre. Il y avait là une occasion unique en son genre d’obtenir une connaissance objective sur la façon dont les éléments radioactifs à vie longue incorporés agissent sur l’organisme humain et les autres représentants de la biosphère et d’élaborer des mesures efficaces de radioprotection. Elle est en train de disparaître.

Les derniers événements nous montrent pourtant à quel point cette information est importante pour l’humanité. Au siècle du terrorisme, avec nombre de centrales atomiques imparfaites créant des problèmes aussi bien pour leur entretien que pour leur exploitation et face à la course aux armements nucléaires qui se poursuit toujours dans le monde, l’AIEA est incapable de réaliser un contrôle efficace sur le développement de l’énergie atomique.

J’appelle donc tous ceux qui sont capables de raisonner de manière sensée à débattre de la situation présente et je propose d’établir un moratoire sur l’expansion et l’utilisation de l’énergie atomique tant à des fins militaires qu’à des fins civiles. Il faut comprendre que si l’ONU, les dirigeants de tous les pays sans exception et toutes les ONG ne s’entendent pas pour appliquer des mesures efficaces pour protéger les hommes des risques de l’atome, tout ce qui vit sur Terre risque un jour de périr. Il est indispensable d’entreprendre tous les efforts possibles pour préserver la vie sur la planète Terre au lieu de la détruire.

Professeur Y. Bandajevski

Projet de création d’un laboratoire CRIIRAD - Bandajevsky

Lyon le 1 avril 2005 : La CRIIRAD va créer un laboratoire de recherche biomédicale à Minsk “CRIIRAD - Bandajevsky” afin de poursuivre les travaux du spécialiste de médecine nucléaire Iouri Bandajevski condamné à huit ans de réclusion au Bélarus pour avoir notamment critiqué la gestion de l’après Tchernobyl.
L’épouse du Pr Iouri Bandajevski, Galina Bandajevskaïa, devrait être nommée directrice de ce laboratoire privé, a indiqué Roland Desbordes, en marge d’un colloque international sur la prévention des risques nucléaires, à Charbonnières (Rhône). Laboratoire privé créé après l’accident de la centrale ukrainienne de Tchernobyl le 26 avril 1986, la Commission de Recherche et d’Information Indépendantes sur la Radioactivité (CRIIRAD) a organisé ce colloque qui se tient au siège du conseil régional Rhône-Alpes, vendredi et samedi. "Nous souhaitons faire connaître et publier les travaux du Pr Bandajevski", actuellement assigné à résidence, qui devrait rejoindre le laboratoire "dès qu’il sera libre", a ajouté M. Desbordes, précisant qu’il n’avait pas encore demandé les autorisations aux autorités biélorusses. Lors du colloque de vendredi, Mme Bandajevskaïa a présenté les travaux de son époux sur les relations entre les problèmes cardiaques et le taux de contamination en césium 137 des enfants vivant encore en zone contaminée, près de Gomel, dans le sud du Bélarus, non loin de Tchernobyl.

Voir :

 Le site web du professeur Yuri Bandajevsky

 Le site web du Comité Bandajevsky

 19ème anniversaire de la catastrophe de Tchernobyl

Source : www.dissident-media.org/infonucleaire