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Ghaza et le Cauchemar international

par Rachid Hammouche

Publie le samedi 9 août 2014 par Rachid Hammouche - Open-Publishing
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David Ben Gourion (1er Premier ministre d’Israël en 1948) a dit en 1950 : « Ghaza est pour moi un cauchemar. Je rêve de me réveiller un jour et d’apprendre que Ghaza a totalement sombré avec ses habitants dans la Méditerrané ». Son rêve ne s’est pas réalisé 64 ans après, mais Ghaza est devenue un cauchemar permanent pour les Ghazaouis surtout, tous les Palestiniens ensuite, puis les Arabes, les Nations unies, les USA, l’Europe, et enfin tous ceux qui aspirent à une paix juste et définitive dans la région.

L’ONU, les USA, l’Union européenne, la Ligue arabe ont tous une responsabilité à des degrés divers dans cette tragédie séculaire. Cet embourbement est, en effet, la conséquence de la chute de l’Empire ottoman après la Première guerre mondiale (1914-1918), puis le comportement colonialiste et pro-sioniste de la Grande-Bretagne au Moyen-Orient jusqu’en 1947, ensuite la désunion permanente des pays arabes, et enfin l’incapacité de l’ONU à rédiger, voter et surtout imposer l’application des résolutions en conformité avec les principes de sa propre Charte (1945).

Canaan, l’ancien nom de la Palestine est un petit territoire (26 000 kilomètres carrés) à l’extrémité orientale de la mer Méditerranée. Elle a été habitée sans interruption depuis des dizaines de milliers d’années. Au cours de sa longue histoire, ce pays, son étendue, sa population et ses occupants ont beaucoup bougé. Ghaza a de tout temps joué un rôle important dans le mouvement de l’histoire de ce pays. Les légions romaines en 61 avant l’ère chrétienne, les musulmans du calife Omar en 635, les croisés chrétiens en 1099, les musulmans du Kurde Salaheddine El Ayoubi en 1187, les Mamelouks à la fin du XIIIe siècle, et enfin les Turcs de l’Empire ottoman du XVe au XXe siècles, tous ont choisi Ghaza comme porte d’entrée avant d’occuper Jaffa ou Jérusalem. Par contre, la pénétration sioniste s’est faite au XXe siècle après la déclaration de lord Balfour (1917) avec l’aide de la puissance coloniale britannique à laquelle était confiée la tutelle de la Palestine en 1922 par la Société des Nations (SDN) et toute l’Europe et les USA, après la Deuxième guerre mondiale (1945). Yasser Arafat y est né.

Dès 1919, David Ben Gourion, dirigeant du Yishouv (la communauté des juifs en Palestine) et également le futur Premier ministre d’Israël, a indiqué : « Tout le monde ne voit pas qu’il n’y a aucune solution à cette question... Nous, en tant que nation, voulons que ce pays soit à nous, les Arabes comme nation veulent que ce pays soit à eux. » Jusqu’aux accords d’Oslo de 1993, les dirigeants juifs, notamment les sionistes et les dirigeants arabes ont travaillé dans cet esprit. Il en est résulté des guerres, des escarmouches et des révoltes de tous genres (1936, 1947-48-49, 1956, 1967, 1973, 1982, 1987, 2000, 2005, 2008, 2012, 2014) toutes perdues par les Arabes de la région. Pour le moment, Israël est devenu une puissante base militaire régionale, sans frontière définie, la Palestine reste un peuple sans Etat et sous domination coloniale.

La bande de Ghaza couvre 365 km² au sud d’Israël avec une population de 1,5 million d’habitants, soit l’une des plus fortes densités au km2 au monde. Cette population répartie entre l’ancienne ville de Ghaza et des camps de réfugiés comme Khan Younès, Rafah, Djabalia ou Beït Hanoun est constituée essentiellement de réfugiés (78%) venus de tous les territoires palestiniens depuis la « Nakba » de 1948 (création de l’Etat d’Israël). Ghaza a toujours été l’âme de la Palestine libre.

De fait, les Ghazaouis sont des Amazighs. Elle est depuis 2006 en rupture avec la Cisjordanie et l’Autorité nationale palestinienne.Aucun conflit au monde n’a autant fait appel au droit international que le conflit judéo-arabe et ses conséquences sur tout le Moyen-Orient. La Charte de l’ONU, les Conventions de Genève, la Déclaration universelle des droits de l’homme, les conventions sur le droit des femmes, des enfants, des minorités nationales et ethniques, aux droits sociaux etc., ont toutes été sollicitées par les 1650 résolutions adoptées soit par l’Assemblée générale ou le Conseil de sécurité de l’ONU, soit par les organismes, dont la Cour internationale de justice (CIJ), sous tutelle de l’ONU depuis 1947 pour l’ensemble du Moyen-Orient.

Pour le seul conflit Israël/Palestine (1948-2014), sur 175 résolutions votées par le Conseil de sécurité, 97 sont contre Israël, et sur 690 résolutions de l’Assemblée générale 429 sont contre Israël, 65 résolutions du Conseil de sécurité n’ont jamais été appliquées par Israël et 30 autres ont été bloquées par le veto des USA (voir site Bladi.net 1/2/2008). Il est impossible de les énumérer toutes. Cependant, certaines sont cardinales dans le conflit et sont devenues des références depuis 1947 car elles se réfèrent aux principes fondamentaux du droit international.
2.1- Résolution 181 de l’Assemblée générale (29/11/1947) : elle touche au droit fondamental de l’intangibilité de territoire, des frontières et de souveraineté. La commission spéciale des Nations unies sur la Palestine a recommandé que la Palestine soit scindée en un Etat arabe et un Etat juif.

Le 29 novembre 1947, l’Assemblée générale de l’ONU a adopté ce plan avec l’appui des USA et de l’Union soviétique en particulier. La résolution divisait le pays en deux parties approximativement égales (45%) dans un arrangement compliqué avec des frontières en zigzag. L’intention était d’établir une Union économique entre les deux Etats et des frontières ouvertes. La bande de Ghaza a été soumise à la souveraineté égyptienne. Jérusalem et ses environs devaient être internationalisés. La résolution portait en elle toutes les raisons de son rejet par tous. Les sionistes ne s’imaginaient pas avoir un Etat juif comprenant 40% d’Arabes. La Ligue arabe (22/3/1945) ne voulait pas d’un Etat avec des juifs non autochtones, importés d’Europe pour promouvoir l’Eretz Israël (le grand Israël).

L’ONU ne pouvait pas imposer l’internationalisation de Jérusalem. Sans doute, beaucoup de facteurs ont contribué à la décision du président des USA, Harry Truman, de soutenir la partition, y compris des considérations de politique intérieure et un lobbying sioniste intense. Pourtant, en 1922, les USA favorisaient l’indépendance d’une Palestine unie et multiconfessionnelle. Harry Truman a écrit dans son journal intime : « Je pense que la chose à faire est ce que j’ai fait, et de faire ce que je crois juste et d’envoyer tout le monde au diable. » En ce qui concerne les Arabes, chaque pays avait son propre objectif.

Le roi Abdallah 1er de Jordanie, (grand-père du roi actuel) avait conclu un accord informel et secret avec Israël, négocié avec Golda Meir (alors ministre des Affaires étrangère d’Israël), lui permettant d’annexer les territoires palestiniens de la Cisjordanie. La Syrie voulait annexer la partie Nord de la Palestine, la Galilée), secteurs juif et arabe compris. L’Egypte avait gardé la bande de Ghaza. Cela a empêché de ce fait la formation d’un Etat palestinien. D’ailleurs, personne n’en veut encore. Le 14 mai 1948, David Ben Gourion (président de l’Yishouv) a proclamé unilatéralement l’Etat d’Israël en violation de la résolution 181 de l’ONU.

Les Anglais se sont retirés de Palestine

Les Arabes et les Palestiniens entrés en guerre ont perdu leur avantage initial parce qu’ils ne se sont pas organisés ni unis. Quand le combat s’est terminé en 1949, Israël occupait des territoires au-delà des frontières fixées par le plan de l’ONU, soit un total de 78% du territoire au lieu de 45%. Jérusalem est divisée entre la Jordanie et Israël par des barrières de barbelés et des zones de no man’s land. La Jordanie occupait le reste du secteur assigné à l’Etat arabe et l’Egypte occupait la bande de Ghaza.

En conséquence, les frontières ainsi établies par la commission d’armistice (1949) n’ont jamais reçu de reconnaissance internationale de jure (légale) à ce jour. Ce qui viole les principes et la Charte de l’ONU en matière de territoires, de frontières et de souverainetés malgré les résolutions 181 (1947), 32/5 (1977), ES/ 7/2 (1960) de l’Assemblée générale et 242 (1967), 338 (1973, 592 (1986) du Conseil de sécurité,
2.2- La résolution 194 (11/12/1948) de l’AG de l’ONU : elle traite du problème des réfugiés et de leurs droits humains. Après la guerre 1948-49, environ 726 000 Arabes ont fui ou été expulsés hors d’Israël. Ils devenaient des réfugiés dans les pays voisins (526 000) et à Ghaza (environ 200 000) alors sous contrôle égyptien. La résolution de l’ AG 194 (1948) a réclamé la cessation des hostilités et le retour des réfugiés. Le problème des réfugiés n’a jamais été réglé depuis en violation du droit international sur les réfugiés de guerre.

Malgré toutes les résolutions subséquentes de l’ONU (Assemblée générale 9, Conseil de sécurité 5, Conventions de Genève 12, Conseil économique et social 1), le problème du retour des réfugiés palestiniens affronte toujours le veto israélien.
3- Le rôle des différentes puissances : il est clair à travers ce qui précède que le conflit judéo-arabe et Israël/Palestine n’est régional que par sa géographie. De par sa position stratégique aux plans cultuel, économique, militaire et donc politique il a mobilisé toutes les puissances mondiales et régionales, chacun y défendant ses intérêts vitaux. Ghaza qui a été à travers son histoire la porte d’entrée de ces puissances pour la maîtrise de la région a vu depuis 1991 les portes se refermer sur elle. Elle est devenue une prison à ciel ouvert des autorités sionistes et la révélatrice de l’hypocrisie et de la traitrise des autorités arabes de la région.

3.1- L’ONU (25/6/1945) et ses organismes ont dit le droit international par les centaines de résolutions adoptées. Il leur manquait et leur manque toujours le pouvoir et la force de les appliquer sur le terrain. Israël, les USA et d’autres puissances l’en ont empêché. Pourtant, comme la SDN après la Première Guerre mondiale, l’ONU est le produit de la victoire sur le fascisme et ses horreurs de la Deuxième guerre mondiale. C’est la volonté d’affirmer l’existence d’une communauté internationale et d’une régulation des relations entre les Etats. L’ONU se voulait garante des droits de tous, Etats, minorités ou individus face à l’arbitraire et à l’unilatéralisme de quiconque remplacerait le droit par la force. Mais la police internationale chargée de faire respecter ce droit n’a jamais existé.

En fait, les résolutions adoptées de 1947 à ce jour étaient plus un compromis entre les intérêts des grandes et moyennes puissances que la mise en œuvre du droit. L’implosion de l’ex-URSS, la dislocation de son Empire (1991) vont mettre fin à l’ordre international issu de la victoire conjointe sur le fascisme. L’unilatéralisme rampant des USA a dépouillé l’ONU de sa prérogative de régulateur des relations entre les Etats. D’ailleurs, les 30 vetos des USA à l’ONU sur la question de la Palestine ont été pris après la chute du Mur de Berlin. C’est ainsi que dès le début des années 1990, l’exclusion de l’ONU des processus politiques internationaux est mise en œuvre au Moyen-Orient et surtout autour de la question palestinienne.

3.2- USA et Israël : la doctrine sioniste a pour objectif clair et constant d’établir un Etat juif sur toutes les terres de Palestine par tous les moyens y compris ceux de leurs ennemis d’hier, les fascistes et les antisémites. Rejetés par les chrétiens orthodoxes de l’Europe de Est, non acceptés par les chrétiens catholiques de l’Ouest, ils ont trouvé de puissants alliés chez les protestants de Grande-Bretagne et d’Amérique. Les USA qui ont développé une puissante industrie militaro-industrielle grâce aux deux guerres mondiales ont besoin de plus en plus d’énergie pour assurer leur force dominatrice.

Avec les sionistes, ils ont installé une immense base militaire dénommée Israël, à côté de l’immense baril de pétrole qu’est le Moyen-Orient (500 milliards de barils environ). Les Israéliens disent : « Peu importe ce que disent les Nations unies et toute autre nation tant qu’on a le soutien des USA, ce qui compte c’est ce que fait Israël. » Les USA disent : « Peu importe ce que fait Israël dans la région pourvu qu’il ne fasse pas exploser mon baril de pétrole. » C’est là l’équation infernale. C’est l’unilatéralisme par essence et par l’essence. L’Etat d’Israël a décrété la non-pertinence des Résolutions de l’ONU et des Conventions de Genève en ce qui concerne les territoires palestiniens et surtout l’indocile
Ghaza : occupation, transfert de populations, expulsions, destruction des maisons pour des raisons autres que militaires, colonisation, violation flagrante de la IVe Convention de Genève.

Pour les USA, la question palestinienne a été un véritable laboratoire dans la mise en œuvre de la marginalisation de l’ONU. Ils s’inspirent souvent dans les moindres détails de l’expérience d’Israël en Palestine, comme leur retrait de l’Unesco pour avoir condamné Israël. L’unilatéralisme du couple USA-Israël a conduit à la dérégulation du droit international en Palestine en général et à Ghaza en particulier.
3.3- La Ligue arabe (22/3/1945) : créée quelques mois avant l’ONU, la Ligue arabe s’est opposée au Plan de partage proposé par les Britanniques avant qu’il ne soit adopté par les Nations unies. Elle s’est opposée à la résolution 181 (1948) et a déclaré la guerre à Israël.

Au sommet de Khartoum (1967), elle s’est opposée à la résolution 242 (1967) avec un triple non (à la paix avec Israël, à la reconnaissance d’Israël, à toute négociation avec Israël). Elle s’est encore opposée à la résolution 338 (1973). La Ligue arabe n’a accepté que la résolution 194 (1948) relative aux réfugiés. L’Egypte, la Jordanie, le Liban et la Syrie rêvent du jour où les réfugiés palestiniens quitteront leur pays. Il a fallu attendre le sommet de Beyrouth de 2002 pour proposer un plan reconnaissant entre autres Israël.

En réalité, la reconnaissance de facto s’est faite dès 1950 par la Jordanie, et de jure par l’Egypte dès 1979 (traité de Paix) et ensuite la Jordanie (traité de paix de 1994), le Maroc et le Qatar reçoivent les hauts dirigeants israéliens en grande pompe. Les divergences idéologiques et politiques entre les pays arabes ont fait de la Ligue une coquille vide qui fait résonner le verbiage de leurs dirigeants. La majorité des pays arabes a ainsi participé à la marginalisation de l’ONU. L’ex-président égyptien Annouar Essadat disait en 1978 : « 99% de la solution du problème palestinien se trouve entre les mains des USA. » Pro-unilatéraliste avant les USA eux-mêmes.

3.4- L’Union européenne (1992) : la politique palestinienne de l’Europe se résume à l’attitude de la Grande-Bretagne et de la France. Cette dernière n’a pas pardonné à la Grande-Bretagne et aux USA de l’avoir exclue de la Palestine en 1922. Après la guerre de 1967, le Général De Gaulle qualifiait Israël de « puissance arrogante et sûre d’elle-même ». Depuis, la France a tenté de développer une attitude moins sectaire que celles des USA et de la Grande-Bretagne, mais ses propres sionistes (Bernard Henry Levy, Glucksman, Finkielkraut, etc.) lui ont brouillé les pistes. Israël considère cette attitude hostile à son égard.

La Grande-Bretagne se trouve à son tour marginalisée par le couple USA-Israël, notamment depuis la dissolution du Pacte militaire de Baghdad (1959) et la découverte de grandes réserves de pétrole en mer du Nord. Le philosophe britannique John Bertrand Russell, alors président du Tribunal international contre les crimes de guerre commis par les USA au Vietnam a déclaré le 31/02/1970 (2 jours avant sa mort) : « La tragédie du peuple de Palestine est que leur territoire a été ‘‘donné’’ par une puissance étrangère (Grande-Bretagne) à un autre peuple pour la création d’un Etat… Nous sommes fréquemment requis de sympathiser avec Israël à cause des souffrances des juifs en Europe sous les nazis….

Ce que fait Israël aujourd’hui ne peut qu’être condamné et invoquer les horreurs du passé pour justifier celles d’aujourd’hui est une grosse hypocrisie. » L’Union européenne se contente, comme les dirigeants arabes soumis, de réparer les dégâts matériels et financiers occasionnés par Israël en Palestine en général et à Ghaza en particulier. D’octobre 2001 à ce jour, quelque 3000 roquettes sont tombées dans le désert du Néguev en Israël, elles n’ont fait que 22 morts israéliens. Pour cela, Israël a tué des milliers de Ghazaouis, détruit des milliers d’infrastructures, supprimé les voyages depuis Ghaza et les entrées de marchandises. Les livraisons de mazout à Ghaza sont régulièrement coupées. A la suite des coupures fréquentes de mazout, la centrale qui fournit 40% de l’électricité de Ghaza s’arrête, entraînant la condamnation internationale d’Israël (une de plus).

Le vice-ministre de la Défense d’Israël a confirmé le 29 février 2008 : « Plus les roquettes Qassam s’intensifient et portent loin, plus grand est l’holocauste que s’attireront les Palestiniens parce que nous aurons recours à toute notre puissance pour nous défendre. » Ce à quoi Richard Falk, professeur émérite de droit international à l’Université de Princeton (USA) répond le 6 mars 2008 : « Israël est en train de commettre un holocauste à Ghaza. Tout autre pays aurait été mis au ban des nations. » Donc, la Shoah (holocauste en hébreu) pour Ghaza n’est plus une menace mais une action en cours.

Israël a même refusé à Jimmy Carter (ex-président des USA, prix Nobel de la Paix et maître d’œuvre du traité de Paix égypto-israélien (1979) de se rendre à Ghaza le 18 avril 2008. Il vient d’interdire le 10 juillet 2014 aux ONG de se rendre à Ghaza et au président des USA, Barak Obama, toute intervention contre sa dernière agression contre Ghaza. Cette fois encore, « l’Autorité palestinienne » va réunir la Ligue arabe, celle-ci va saisir l’ONU ; cette dernière va déplorer et « le cauchemar continue ».

Rachid Hammouche

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