Accueil > En Palestine, l’impact de la colonisation israélienne sur l’environnement

En Palestine, l’impact de la colonisation israélienne sur l’environnement

Publie le dimanche 24 avril 2005 par Open-Publishing

de Marie Jo (AFPS et IWPS, International Women for Peace Service)

En Palestine, l’impact de la colonisation israélienne sur l’environnement est évident et dramatique et s’affiche, tous les jours un peu plus.

Installer une population, en quelque lieu que ce soit, c’est lui fournir des terrains constructibles et des voies d’accès pour les atteindre, c’est aussi lui apporter l’eau dont elle a besoin et évacuer ses déchets et ses eaux usées... En Palestine, l’impact de la colonisation israélienne sur l’environnement est évident et dramatique et s’affiche, tous les jours un peu plus. C’est au hasard des chemins parcourus, en Cisjordanie, que les témoignages rapportés ici ont été recueillis. La bande de Gaza est devenue inaccessible à qui n’a pas d’autorisation formelle, très difficile à obtenir, et ne sera donc pas abordée, faute d’éléments concrets à verser au dossier.

Les colonies, en Cisjordanie, sautent aux yeux. Comme l’avaient compris nos ancêtres, au Moyen Age, il vaut mieux s’installer sur les crêtes si l’on veut dominer. Et, la région étant constituée de multiples collines, il suffit de lever les yeux pour découvrir ce que nous pourrions, chez nous, appeler des lotissements : groupes de maisons aux toits en pente, recouverts de tuiles rouges, en désaccord complet avec l’unité architecturale traditionnelle des maisons à terrasse des villages palestiniens. On ne voit pas toujours les routes y accédant, cachées par quelques replis de terrain, mais elles existent, spécifiques à la colonie et d’usage exclusif pour les Israéliens.

Parfois, villages de quelques centaines d’habitants, voire moins, les colonies peuvent être, aussi, des agglomérations de plusieurs dizaines de milliers de colons, telle Ariel, dans le District de Salfit, au Nord Ouest de Ramallah.

La ville approche les 25 000 habitants auxquels elle offre tous les services que l’on peut souhaiter : écoles et université, centres commerciaux, piscine et club du 3ème age, parcs luxuriants et avenues ombragées. C’est dans cette colonie que sont planifiés quelques 5 000 logements supplémentaires dont la construction est imminente.

Autour de Jérusalem Est, bien sûr, l’allure est différente. Là, il s’agit de banlieues élégantes d’une grande ville. Les immeubles, recouverts de cette superbe pierre blanche du pays, sont élevés, les appartements agréables se comptent par milliers. La ceinture Est de Jérusalem est presque achevée et les projets actuels d’extension de Ma’ale Adumim (15 000 logements à construire) participent à cette avancée inexorable de l’emprise israélienne sur les terres palestiniennes.

Lorsqu’on regarde une carte montrant l’implantation des colonies, en Cisjordanie, qu’on rajoute le maillage des routes d’accès, tortueuses dans ce paysage montagneux et qu’on n’oublie pas le Mur, qui aggrave l’agression environnementale de l’Occupation israélienne, on réalise que le territoire est complètement « mité » et que les terres palestiniennes disparaissent comme peau de chagrin !
S’implanter

Ce sont des centaines de milliers d’hectares de terres qui ont été confisquées : terres agricoles, pâturages, zones boisées, réserves naturelles...Les arbres arrachés se comptent par centaines de milliers, parmi lesquels les oliviers, à la base de l’économie rurale de la région. Entre Septembre 1993 (Accord d’Oslo) et Octobre 2000 (début de la 2ème Intifada), les chiffres de 77 350 arbres fruitiers déracinés et de 262 000 hectares confisqués sont avancés [1]. Le Mur et les zones de sécurité de part et d’autre complètent ces remodelages du terrain, créant des balafres supplémentaires : en Décembre 2002, soit 6 mois après le début de la construction du Mur, PENGON [2] évoquait déjà les chiffres de 3 000 hectares de terres concernées et de 83 000 arbres arrachés !

Cela signifie des ressources qui disparaissent pour les villages palestiniens mais aussi des incidences écologiques graves : déforestation, c’est-à-dire érosion majorée et perturbations dans la dynamique des eaux pluviales : en février dernier, il a beaucoup plu en Cisjordanie et un village palestinien a connu, pour la 1ère fois, une inondation ! Incidence également pour la faune sauvage qui voit ses espaces naturels se réduire alors que le Mur entrave sa mobilité.

Fournir l’eau

Le Proche- Orient est une zone sensible en matière de ressources hydriques. La situation géopolitique de toute la région est indissociable de cette considération.

Un rapide rappel géographique est nécessaire à la compréhension de cette question d’importance majeure. Pays chaud, toute la région peut être fertile s’il y a de l’eau. La propagande sioniste l’exprime bien lorsqu’elle parle de faire « fleurir le désert ». La Cisjordanie a une colonne vertébrale Nord Sud, appelée la « Montagne Aquifère ». En effet, c’est ce massif montagneux, culminant vers 1200m. qui reçoit les pluies hivernales et les stocke dans 2 nappes phréatiques, l’occidentale parallèle, en gros, à la Ligne verte et l’orientale, le long de la vallée du Jourdain, mais saumâtre.

Au fil des siècles, les populations locales ont su profiter de cette nappe phréatique occidentale, canalisant les sources naturelles et creusant des centaines de puits que les générations de paysans ont entretenus avec soin. Dés l’été 67, après la guerre des 6 jours et l’occupation de la Cisjordanie, l’emprise de l’eau par les Israéliens a été immédiate. L’enjeu était de taille : Israël avait déjà des ressources en eau surexploitées dans ses frontières de 48 si bien que, dés les années 80, la moitié de l’eau consommée en Israël venait de sources arabes, hors frontières d’Israël. Et la situation n’a fait que s’amplifier.

Dans un article du Jérusalem Post, édition Internationale du 18 Août 1990, le Ministère israélien de l’Agriculture publie un article : « ...renoncer au contrôle sur la Cisjordanie aurait un effet néfaste immédiat et considérable sur le réseau hydrographique israélien....abandonner l’eau palestinienne représente un danger mortel... cela mettrait réellement en péril l’existence d’Israël... ». Il faut « un contrôle israélien complet et continu des réseaux hydrographiques et d’égouts ainsi que des infrastructures qui en découlent (alimentation électrique et réseau routier, essentiels au fonctionnement, à l’entretien et à l’accès... ) Actuellement, 85 % de la nappe phréatique occidentale de Cisjordanie est à utilisation israélienne exclusive.

Les moyens utilisés par Israël sont de 2 sortes. Tout d’abord, pompages à gros débit de la nappe pour alimenter en eau les colonies, la vallée du Jourdain et Israël. Parallèlement, pour les Palestiniens : des interdits (permis de creuser de nouveaux puits ou d’approfondir l’existant quasiment impossibles à obtenir, pompages limités à des diamètres de tuyaux insuffisants), des destructions (nombreux puits, centaines de kilomètres de réseaux d’irrigation par la construction des colonies, des routes de contournement et du Mur), des empêchements pour accéder à ce qui reste (par le Mur bien sûr, mais aussi du fait des zones militaires fermées, des espaces déclarés réserves naturelles, des routes interdites ...)

Israël veut-elle la paix ? Rien n’est moins sûr en terme d’accès à l’eau !

Les Palestiniens croisés au hasard des déplacements en Cisjordanie racontent tous la même chose. Salfit, ville de 7 000 habitants, avait une jolie vallée avec 20 sources qui faisaient le bonheur des familles, le vendredi, lieu de pique-nique et de baignade, il y a 30 ans. Les sources ne coulent plus ! A Marda, village voisin de 2000 habitants, les calibres des tuyaux d’adduction d’eau sont trop justes, des maisons ainsi que l’école n’ont pas d’eau. A Daba, près de Qalquilya, le Mur a mis le village du mauvais côté et les puits sont devenus inaccessibles : c’est par camion citerne que l’eau arrive, tous les 2 jours, si la porte de la clôture est ouverte, bien sûr. Nombreux sont les villages palestiniens qui, n’ayant plus d’eau en été, doivent s’en remettre à une livraison par camion, ce qui coûte très cher pour cette population exsangue.

A partir des années 70, Israël a pris en main la distribution de l’eau potable dans les villes et villages palestiniens. Il y eut adduction d’eau courante dans les maisons mais avec la contre partie de ne dépendre que du distributeur israélien Mékorot, bénéficiant du monopole. Ceci a entraîné des coûts jugés excessifs par les Palestiniens et, par ailleurs, l’absence d’entretien sérieux des réseaux par Mékorot est à l’origine de la situation actuelle où les pertes en charge sont estimées, à certains endroits, à 60% de l’eau distribuée. Ce système met, également, les villages palestiniens à la merci des choix du fournisseur quant aux priorités en cas de pénurie et ce sont les colonies qui, bien sûr, bénéficient d’une permanence d’alimentation alors que les Palestiniens ont à faire face aux coupures réitérées, entre mai et novembre.

L’Organisation Mondiale de la Santé estime que les besoins journaliers en eau sont de 100 litres par habitant. En Cisjordanie, la moyenne est de 84 litres pour les Palestiniens alors que les colons consomment 280 litres, comme en France, pays beaucoup plus tempéré.
Gérer la pollution

La Cisjordanie et Jérusalem Est abritent près de 450 000 colons, à l’heure actuelle, et ce sont eaux usées et déchets solides qu’il s’agit de prendre en compte.

Deux chiffres de 1997 montraient qu’il y avait égalité entre les 300 000 colons de l’époque de Jérusalem Est et de Cisjordanie et les 1 Million 870 000 Palestiniens (soit 6 fois plus) quant à la production d’eaux usées (30 Millions de m3, de part et d’autre) et de déchets solides (225 000 tonnes par an, pour chaque population).

Les eaux usées :

Dans le District de Salfit, région où se sont installés 60% des colons de Cisjordanie, la visite de 3 lieux naturels apporte une vision cauchemardesque de la question.

Au fond de la vallée de Salfit, l’ancien lieu de détente des habitants, coule un ruisseau dont les eaux grises et mousseuses dégagent une odeur nauséabonde sous le soleil timide d’un mois de février. La rivière charrie les déjections de la colonie d’Ariel, à 4 km de là.

Allant cueillir les olives avec les paysans du village d’Azzawiya, qu’elle ne fut pas notre surprise de tomber sur un énorme tuyau rouillé dont les crevasses laissaient échapper une mousse blanche.

A quelques dizaines de mètres plus loin, nous pouvions, par l’odeur, affirmer la nature de l’écoulement que nous entendions : l’oliveraie était devenue le terrain d’épandage de la colonie d’El Kana, implantée sur la crête bordant la vallée.

Quant à la visite de la vallée de Wadi Qana, à quelques kilomètres de là, elle dépasse tout ce que l’on peut imaginer. Cette très belle vallée a la malchance d’être circonscrite par des crêtes totalement colonisées par les Israéliens : Immanuel, Yaqir, Nevi Menachem, Karmei Shomron, Nov Qana, Ginot Shomron. Toutes sont apparues dans les années 80. Certes, lorsque vous pénétrez dans la vallée, vous tombez sur un grand panneau annonçant l’installation d’une station d’épuration. Celle-ci, fonctionnelle en 87, devait se révéler, dés le début, insuffisante et n’est plus dans la course depuis de nombreuses années maintenant. Une rivière traverse Wadi Qana et en octobre dernier, après un été sans pluie, l’eau était couleur pétrole et ne s’est pas éclaircie tout au long des 2 ou 3 km que nous avons parcourus vers l’aval. Cette vallée était le lieu de vie de 350 Palestiniens qui durent l’abandonner en 1986. Il y avait 16 sources, il n’en reste plus qu’une non polluée. Il reste quelques cultures et une orangeraie, l’irrigation dépend de l’eau charriée par la rivière !

Les déchets solides :

Eux aussi, témoignent du mépris du colonisateur pour les autochtones. Le petit village de Marda est au fond d’une vallée longée, au Sud, par une crête sur laquelle s’étale la colonie d’Ariel. Lorsque vous arrivez au village, si votre regard s’élève vers la colline qui fait le fond du paysage, vous êtes surpris du monticule de terre qui dégouline vers les Palestiniens. C’est en allant cueillir les olives, au ras de la clôture d’Ariel, en haut de la colline, que vous comprenez que ce monticule n’est autre que la décharge à ciel ouvert de la colonie. Les camions font la noria et déposent, tous les jours, leur récolte d’ordures qui fument au-dessus de la tête des villageois impuissants.

Actuellement, avril 2005, une lutte inégale est engagée pour éviter la transformation d’une ancienne carrière, entre Naplouse et Kedumin, en décharge pouvant recevoir 10 000 tonnes de déchets par mois. Des manifestations de protestation sont organisées par les Palestiniens aidés des pacifistes israéliens et internationaux.

Pollutions liquides et solides sont d’origines variées :

Elles sont domestiques, certes, issues de toutes les colonies mais également agricoles, le fumier de certains élevages étant parfois répandu sur les terres palestiniennes.

Il y a aussi les nombreuses industries installées en Cisjordanie, et notamment parmi les plus polluantes : plastiques, pesticides, cuirs et tannage, aluminium, amiante, ciment, piles...Des composés très toxiques ont été identifiés : chrome, zinc, cadmium, acides...On suspecte certaines entreprises de choisir la Cisjordanie pour échapper à la législation sur la protection de l’environnement appliquée en Israël ! Bien entendu, aucune information n’est fournie aux populations.

L’environnement est en souffrance en Cisjordanie, meurtri par l’occupation et la colonisation. Il souffre également du fait de la population palestinienne. Les blocages des routes, les destructions de sites, les confiscations aboutissent, notamment par l’accumulation des déchets solides, à transformer le pays en décharge généralisée. A Marda, c’est un élu municipal qui nous expliquait que l’Armée leur avait interdit l’accès à leur déchetterie et les conséquences sont visibles partout : détritus, carcasses en tout genre, le long des routes, dans le cimetière, dans les champs. A Tulkarem et à Jénine, les employés municipaux ont des difficultés d’accès aux stations de traitement des eaux usées. Ailleurs, ce sont les camions citerne d’évacuation des eaux sanitaires qui ne peuvent pas circuler.

Bénéficier d’un pays propre sous entend : avoir les moyens financiers pour, techniquement, gérer la pollution engendrée par l’activité humaine et la liberté d’organiser et de mettre en œuvre la gestion de tous ces déchets. Cela suppose aussi une liberté d’esprit suffisante pour s’ouvrir à ces questions environnementales et éduquer sa population.

La Palestine est un pays occupé et en guerre, son économie est effondrée et sa population en situation de survie. Dans de telles conditions, l’environnement ne peut pas être pris en compte et sa dégradation n’est qu’une souffrance supplémentaire pour les Palestiniens, profondément amoureux de leur pays.

[1] ARIJ,Applied Research Institute of Jerusalem

[2] plateforme des Ongs environnementales palestiniennes

http://www.france-palestine.org/article1483.html