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La conquête du pouvoir des fascistes en Italie

par md

Publie le vendredi 17 octobre 2014 par md - Open-Publishing
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Mussolini et la Marche sur Rome

Il existe un mythe largement répandu. Mussolini et les fascistes italiens se seraient emparés du pouvoir en 1922 après que 100 000 chemises noires aient marché sur Rome. La réalité est bien différente.

Au cours de l’année 1922, les squadristi passent du saccage et de l’incendie des permanences socialistes locales à l’occupation par la force de villes entières sans que les autorités ne s’y opposent sérieusement (Fiume en mars, Bologne en mai, Ravenne en juillet, Trente début octobre). Les fascistes offrent l’avantage de nettoyer les villes qu’ils occupent en écrasant les grèves et en réduisant à néant la présence des rouges. Début octobre 1922, les chemises noires ont acquis un tel élan qu’il semble que Rome soit la prochaine à tomber. Le 24 octobre 1922, Mussolini donne l’ordre aux squadristi de converger vers Rome.

Le gouvernement italien est très mal préparé pour faire face à ce défi. Une crise politique profonde frappe l’Italie. Depuis 1919, la droite (1/3 des députés) gouverne sans disposer d’une majorité au Parlement. De plus, elle est traversée par des dissensions internes. Elle doit composer avec le centre (1/3 des députés) qui est représenté par le Parti populaire italien, un parti démocrate-chrétien. Le dernier tiers des députés est socialiste. Les socialistes sont divisés au sujet de la question réforme ou révolution. En 1921, la droite a formé une éphémère coalition avec Mussolini pour disposer d’une majorité parlementaire en se passant des députés du PPI et pour domestiquer les fascistes tout en profitant de leur dynamisme politique. En octobre 1922, le premier ministre est Luigi Facta, un homme de droite modéré. Son gouvernement a perdu la majorité en juillet 1922 et depuis, il se contente d’expédier les affaires courantes en attendant de nouvelles élections législatives.

Dans ce contexte de chaos politique, Facta n’en prit pas moins des mesures énergiques pour contrer la marche des chemises noires sur Rome. La police arrête les trains qui transportent 20 000 squadristi. Toutefois, environ 9 000 d’entre eux réussissent à échapper aux policiers et ils se présentent aux portes de Rome le 28 octobre. Ils sont mal armés, habillés de costumes improvisés, ils manquent d’eau et de nourriture et ils tournent en rond dans la ville sous une pluie battante. « Que ce soit dans l’Histoire ancienne ou contemporaine, il n’y eu pratiquement jamais de tentative pour s’emparer de Rome qui n’échouât aussi lamentablement dès son début » selon les mots de l’historien allemand Martin Broszat.

Facta demande au roi Victor Emmanuel III de signer la loi martiale pour réprimer les 9 000 fascistes présents dans les rue de la capitale. L’Italie est une monarchie parlementaire. Le roi posséde une partie du pouvoir exécutif et il nomme le chef du gouvernement. Le roi refuse de signer la loi martiale, il congédie Facta et il propose le poste de premier ministre au parvenu du jour, Mussolini. Celui-ci n’a pas participé à la Marche sur Rome. Il est resté à Milan pour observer la tournure des évènements. Le futur Duce arrive fièrement à Rome le 30 octobre 1922.

Victor Emmanuel III n’a pas signé la loi martiale car il a craint que les soldats et les policiers ne fraternisent avec les chemises noires. Ensuite, il a proposé le poste de premier minitsre à Mussolini dans l’espoir de mettre un terme à la crise politique. Ses choix sont appuyés par la droite conservatrice qui espére gouverner avec les fascistes tout en les contrôlant.

Finalement, les fascistes ne s’emparent pas du pouvoir en Italie. Ils ont été porté aux pouvoirs par les élites conservatrices. La Marche sur Rome est un gigantesque coup de bluff réussi au point qu’elle est restée « la prise du pouvoir par Mussolini » dans l’imaginiaire d’une grande partie de l’opinion publique.
Les complicités des conservateurs

Les fascistes italiens n’ont remporté que 35 sièges sur 535 lors de la seule élection parlementaire libre à laquelle ils ont participé, le 15 mai 1921. À l’inverse, Mussolini n’arrive pas au pouvoir par un coup d’État. Il ne s’empare pas du pouvoir par la force même s’il l’utilise avant d’être au pouvoir dans le but de destabiliser le régime politique existant puis une fois au pouvoir afin de transformer son gouvernement en dicature. Mussolini est invité à occuper le poste de chef du gouvernement par un chef d’État dans l’exercice de ses fonctions, le roi Victor Emmanuel III. Le chemin du pouvoir pour le fascisme est toujours passé par la coopération avec les élites conservatrices.

Une fois que les fascistes ont acquis trop d’importance pour être ignorés, les dirigeants conservateurs doivent décider s’il vaut mieux coopter le fascisme ou prendre les moyens de le marginaliser. En Italie, si quelques préfets ont tenté de réfréner les désordres fascistes, les dirigants nationaux ont préféré tenter de le transformer.

Les complicités conservatrices dans l’arrivée du fascisme au pouvoir en Italie sont de plusieurs ordres. En premier lieu, il y a la tolérance des violences fascistes contre la gauche. Les squadristi de Mussolini auraient été impuissants si la police et l’armée italiennes n’avaient pas fermé les yeux, quand elles ne leur apportaient pas carrément leur aide. Deuxième geste de complicité, le fait d’accorder de la respectabilité au fascisme en l’incluant dans une coalition électorale en mai 1921. Troisièmement, Mussolini reçut une importante assistance financière de la part de hauts fonctionnaires, de dirigeants militaires, de grands propriétaires terriens et de grands industriels.

Ces complicités s’expliquent aisément. Un mouvement fasciste fort offre de préciseuses ressources à une élite ne sachant plus à quel saint se vouer. Il dispose en particulier d’une quantité suffisante de partisans pour permettre aux conservateurs de constituer une majorité parlementaire capable de prendre des décisions vigoureuses, sans avoir besoin de faire appel au soutien inacceptable de la gauche. De plus, il offre des visages nouveaux et plus jeunes à une opinion publique lassée d’un establishment vieillissant. Les fascistes apportent une fontaine de jouvence aux conservateurs. Aussi, ils ont trouvé la formule magique pour détacher les ouvriers du marxisme. Depuis le temps que Marx avait affirmé que les travailleurs n’avaient pas de patrie, les conservateurs avaient été incapables de trouver un moyen de le refuter. Grâce aux fascistes, la nation allait être plus forte que la classe. Pour finir, les fascistes sont un moyen de mettre un terme au climat de désordre économique et social créée par la gauche dans les usines et dans les exploitations agricoles.

Nous avons déjà noté que les fascistes arrivent au pouvoir dans un contexte de crise politique intense. Ils arrivent au pouvoir dans un contexte général de crise post Première guerre mondiale en Italie. Dans cette situation, la gauche révolutionnaire est en croissance rapide. Il est essentiel de rappeler à quel point paraissait réelle, dans l’Italie de 1921-1922, la possibilité d’une révolution communiste. Le pays venait juste de connaître le biennio rosso (les « deux années rouges »), à la suite des élections de novembre 1919 qui avaient vu le PSI tripler son électorat d’avant guerre et obtenir près d’un tiers des sièges au Parlement. L’élection de maires socialistes dans de nombreuses communes s’est accompagnée de grèves et d’une occupation massive des usines et des terres agricoles. En arrière plan se profilait l’exemple de la Russie.

Dans ce contexte général de crise et de perspective d’une révolution communiste, les conservateurs et toute la bourgeoisie tremblent. Les fascistes deviennent un moindre mal pour résoudre la crise et pour éviter le pire. De plus, les conservateurs sont convaincus qu’ils contrôleront les fascistes. Ce blanc-bec de Mussolini, ex-socialiste devenu agitateur, n’aura pas la moindre idée de ce qu’il faudra faire une fois à son poste. Il sera incapable de gouverner sans le savoir faire des dirigeants conservateurs, expérimentés et cultivés.

La révolution fasciste après la prise du pouvoir

Une fois nommé premier ministre, Mussolini ne dispose en principe que de pouvoirs conférés par la constitution au chef de l’exécutif. Ses pouvoirs sont d’autant plus limités qu’il a à gouverner dans le cadre d’une coalition. Mais le chef fasciste ne va pas tarder à transformer cette situation en dictature déclarée. Achever sa mainmise sur le pouvoir, autrement dit transformer un poste quasi constitutionnel en autorité personnelle illimitée, telle est réellement sa « prise du pouvoir ».

La révolution qu’entame Mussolini après son accession au pouvoir est progressive. Pendant près de deux ans, il paraît réconcilié avec l’idée de gouverner comme un premier ministre légitime, dans une coalition où entrent des conservateurs, des libéraux et quelques Popolari.

Cependant, la base de son mouvement veut une « seconde révolution ». À chaque fois que Mussolini donne l’impression de trop se « normaliser », les squadristi ne manquent pas de lui envoyer un message. Ils manifestent à Turin les 18 et 21 décembre 1923 et assassinent 11 personnes. Si Mussolini essaye parfois de réfréner les ardeures belliqueuses de ses partisans, il lui arrive aussi de trouver leur pression utile pour faire passer des lois au Parlement ou pour faire pression sur les italiens lors des élections.

La période de « normalité » prit fin à la suite d’un incident impliquant les chemises noires. Cet incident est l’assassinat de Giacomo Matteoti, l’éloquent secrétaire de l’aile réformiste du PSI. Le 30 mai 1924, Matteoti présente au Parlement des preuves détaillées de corruption et d’actions illégales de la part des fascistes. Dix jours après, le leader socialiste est enlevé dans une rue de Rome. On retrouve son corps quelques semaines plus tard.

Cet assassinat scandalise la plupart des italiens et même certains conservateurs. À partir de là, une forte opposition, menée par le PSI, exige le départ de Mussoloni du poste de premier ministre. Ce dernier riposte en mettant en mouvement ses milices. Celles-ci terrorisent les membres de l’opposition et attaquent les locaux et les journaux des partis politiques qui demandent le départ de Mussolini. La « Révolution fasciste est en marche » et au cours des années 1926-1927, le Parlement, dominé par les fascistes depuis les élections truquées du 6 avril 1924, vote une série de lois pour le défense de l’Etat qui renforcent les pouvoirs de son administration, remplacent les maires élus par des fonctionnaires nommés, soumettent la presse et la radio à la censure, rétablissent la peine de mort, donnent aux syndicats fascistes le monopole de la représentation ouvrière et prononcent la dissolution de tous les partis, sauf le PNF. Au début de l’année 1927, l’Italie est devenu une dictature fasciste appuyée sur un parti unique. La majorité des conservateurs sont toujours là mais on ne leur demande plus que d’acquiescer et ils acquiescent.

Johan Paris

http://www.npa32.fr/spip/spip.php?article970

Messages

  • il est étonnant que pas un mot ne soit dit du Parti communiste d’Italie fondée à Livourne en janvier 1921.

    A en croire l’article seul le PSI se serait opposé à la montée du fascisme.
    Or le PSI ne pouvait s’opposer à la montée de mussolini. Son indécrottable réformisme, pacifisme et légalisme ne le préparait pas à constituer une opposition efficace contre un mouvement fasciste dont les actions illégales (violences assassinat..) étaient protégees ou minimisées par les forces légales de l’Etat. Les forces legales de l’Etat (police armées administration) étaient déjà contaminées par l’idéologie fasciste et la peur de la révolution.

    Reclamer une intervention de l’état bourgeois pour mettre fin aux crimes fascistes étaient donc un non sens et contribuaient de facon particulièrement tragique au renforcement de la confusion des esprits et désarmait le prolétariat italien.

    Le fascisme et à la démocratie bourgeoise devait être combattus également par les forces révolutionnaires. Au fascisme et la démocratie ne pouvait s’opposer que les mots d’odre de la révolution communiste , de la dictature du prolétariat et la mobilisation des ouvriers en arme.

    Pour lutter efficacement contre le fascisme il ne fallait faire aucune concession à la démocratie parlementaire qui est une autre forme de domination de la bourgeoisie.
    Le fascisme et la démocratie en tant que forme de domination bourgeoise se complètent ou se substituent l’une à l’autre suivant les circonstances historiques et
    l’intensité de la lutte de classe.

    Le fait que la bourgeoisie et une grande partie des forces de droites dans une période révolutionnaire ou de crise sociale de grande ampleur se rallient aux forces paramilitaires fascistes ne doit pas nous surprendre.

    Le fait que les forces armées de l’état : polices et militaires (bandes armées du capital pour reprendre engels) au mieux laissent les fascistes réprimer de manière violentes et sanglantes les ouvriers au pire les appuient cela ne doit pas nous surprendre.

    L’état aussi démocratique qu’il soit n’incarne pas un appareil "neutre" de Justice (avec un grand J) qui serait au dessus des intérêts de classe.
    Il est avant tout un instrument de pouvoir au service des intérêts capitaliste et de protection de l’ordre bourgeois et cela se verifient pleinement dans les époques où les masses laborieuses relèvent la tête et tentent de briser leur oppression.

    Le parti communiste d’italie en formation dans une période extremement difficile à tenter en vain de relever le défit fasciste. S’il n’a pu empêcher la victoire du fascisme au moins a-t-il sauver l’honneur révolutionnaire en
    1) proclamant haut et fort qu’à la violence fasciste il fallait opposer la violence révolutionnaire des ouvriers en arme,
    2)en montrant le rôle actif de l’état bourgeois (démocratie parlementaire) dans la montée du fascisme et
    3)en dénoncant la politique de flottement des socialistes, leur réformisme, leur pacifisme, leur légalisme et donc le fait que les réformistes sociaux démocrates représentent toujours un obstacle à la lutte contre le fascisme