Accueil > Mustapha, un dernier mercredi chez “Charlie”

Mustapha, un dernier mercredi chez “Charlie”

Publie le vendredi 9 janvier 2015 par Open-Publishing

Gohar était réveillé à présent ; il venait de rêver qu’il se noyait. Il se souleva sur un coude et regarda autour de lui, les yeux emplis d’incertitude, encore hébété par le sommeil. Il ne rêvait plus, mais la réalité était si proche de son rêve qu’il demeura un instant perplexe,fortement conscient d’un danger qui le menaçait.
(Albert Cossery, Mendiants et Orgueilleux)

D’ordinaire, Mustapha venait dans les locaux de Charlie le lundi, pour le bouclage. Ce mercredi, il y était aussi, à la table de la conférence de rédaction. Mauvais jour, bien mauvais jour, les armes lourdes se mirent à crier, plus de Mustapha, d’un coup devenu l’un des douze assassinés.

Marc, qui le connut au Livre de Paris,
Claude, qui travailla dix ans avec lui, notamment chez Viva Presse,
Marie-Do, actuellement à MetroNews, qui le rencontra aussi à Viva,
Sylvie et Claire, secrétaires de rédaction chez Viva,
Linette, une amie de longue date...

baignés d’un chagrin profond, les mots tournent et reviennent : tact, discret mais brillant, acuité, humour, l’amour de la langue, la poésie, la littérature, délicatesse, on pouvait compter sur lui. “Quand j’avais besoin d’un conseil sur la langue, dit Marie-Do, c’était toujours un interlocuteur subtil.” Autodidacte lettré né en Algérie (où il avait vécu à la dure) mais kabyle avant tout, Mustapha, qui se disait “athée soufi”, aimait parler par paraboles, raconte Marie-Do. Telle celle-ci : Deux hommes ont un différend, ils vont alors consulter un sage soufi pour les départager. Le premier expose son cas ; le sage lui dit : “Je te comprends, tu as raison.” Le second expose alors sa vision des choses ; “Oui, je te comprends, lui dit le sage, tu as raison.” Un témoin de la scène vient s’étonner face au sage : “Comment peux-tu dire à chacun qu’il a raison ? ce n’est pas possible...” “Tu as raison”, répond le sage.

“Face à cette ironie de l’histoire, dit Linette, il aurait peut-être trouvé une phrase de Baudelaire.” Mustapha Ourrad aimait aussi lire Albert Cossery, il avait 60 ans, deux enfants, une fille et un garçon.

http://correcteurs.blog.lemonde.fr/2015/01/09/mustapha-un-dernier-mercredi-chez-charlie/#xtor=RSS-32280322

Portfolio