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Il y a 20 ans, Brahim Bouarram est tué lors de la manif du FN du Premier Mai à Paris

par La Horde

Publie le samedi 2 mai 2015 par La Horde - Open-Publishing

Brahim Bouarram

Brahim Bouarram

Il y a 20 ans, le premier mai 1995, un Marocain d’une trentaine d’années, Brahim Bouarram, est jeté dans la Seine par des skinheads d’extrême droite : Brahim ne sait pas nager et se noie. Les skins dont l’un, Mickaël Fréminet, principal accusé lors du procès, n’a pas 20 ans, sont venus de Reims dans des cars affrétés par le Front national pour sa grande manifestation du Premier Mai. Un rassemblement aura lieu demain comme chaque année pour honorer la mémoire de la victime de ce meurtre raciste. Pour mieux comprendre ce qui n’est pas qu’un simple fait divers, voici un rappel de ce qu’était le FN en ce milieu d’année 1995, quel était son discours et quelles relations il entretenait alors avec l’extrême droite radicale, et les skins en particulier[1].

L’élection présidentielle des 23 avril et 7 mai 1995 a mis fin au double septennat du socialiste François Mitterrand et la gauche est désormais minoritaire (à peine plus de 40% avec les écologistes au premier tour, 47% au second). La droite « républicaine » bénéficie d’une majorité nette, mais relative : 44% au premier tour, ou 48% en prenant en prenant en compte les voix du souverainiste Philippe de Villiers.

300px-Présidentielles_2002_aLe FN, quant à lui, de plus en plus extérieur à la droite, fidélise son électorat à son plus haut niveau historique : plus de 4,5 millions de voix, 15% des suffrages exprimés. Quelques mois plus tard, il emportera, à la majorité relative, les mairies de plusieurs villes importantes, devient ou reste la première force politique dans plus de 100 villes, gagnant un poids que seul son isolement politique empêche de traduire en ancrage institutionnel.

La xénophobie politique se banalise et le caractère raciste du FN ne suffit plus à écarter, dans des couches importantes de la population, l’éventualité de voter pour lui. Le rejet des immigrés, des Arabes en particulier, est crûment exprimé lors d’entretiens avec des électeurs lepénistes publiés dans la presse. De par son ancienneté et sa puissance, le parti en Jean-Marie Le Pen capte en effet à son profit des sentiments xénophobes de masse, et se caractérise par des positions classiquement « fascistes » : auto-définition en opposition à la droite comme à la gauche (lui qui se décrivait comme la « vraie droite » se dit désormais « ni de droite ni de gauche »), liaison des thèmes sociaux et anti-libéraux avec le ressentiment xénophobe.

Le Front national organise la plus grande partie des militants d’extrême droite et dispose du quasi monopole de sa représentation électorale. Il confirme son implantation, étendant ses zones de force du Sud-Est aux banlieues des grandes villes, aux zones frontalières de la Belgique et de l’Allemagne, aux anciennes régions industrielles de Lorraine ou de la Loire.

Le Front national est ainsi devenu le premier parti ouvrier de France. Sa base sociale ressemblait en 1984 à celle de la droite ; elle est de plus en plus semblable à celle qui soutenait la gauche. La sur-représentation de la petite bourgeoisie s’est atténuée. Désormais, 27% des ouvriers et des chômeurs votent FN, ainsi que 33% des personnes qui ont le sentiment d’appartenir au groupe des « défavorisés››. Si le FN avait lors de sa percée posé surtout des problèmes à la droite, il donne dorénavant surtout des soucis à la gauche.

17-FN-1995Il ne manque plus au FN que les cadres et les relais sociaux aptes à mettre en œuvre cette orientation pour tenter, si la situation s’y prête, de lancer une dynamique politique de la même nature que celle qui propulsa les fascismes. Le thème principal du FN reste « la lutte contre l’immigration-invasion » bien que les textes politiques officiels prétendent n’être ni racistes ni antisémites : le FN veut pourtant « organiser » le retour de trois millions d’immigrés sur sept ans. Le propos se veut « modéré » : des gens qui souhaitent devenir français et qui donnent des preuves de cette volonté séjourneraient en France[2] ; mais une deuxième catégorie serait constituée par des étrangers, voire des Français récemment naturalisés[3] qui ne voudraient ni ne pourraient s’intégrer. Et l’on comprend que l’essentiel des immigrés du Maghreb, surtout d’Algérie, et d’Afrique noire, seraient dans ce cas…

FNJ_avionD’autre part, le FN soutient ou propose des mesures qui font obstacle à l’intégration : refus d’inscription d’enfants dans les écoles, coupes dans les crédits aux établissements d’enseignement public dans les « ghettos ethniques ». Les slogans et les affiches (« Quand nous arriverons, ils partiront », « Mettez les voiles ») insistent sur l’expulsion et non sur |’intégration. La sensibilité catholique traditionaliste du FN, partant du postulat que la France est un pays catholique, sous-entend que l’obstacle à l’intégration est d’ordre religieux, tandis que les courants néo-païens, restreignant le communauté populaire à ceux et celles qui possèdent « la plus longue mémoire », restent très proche d’un raisonnement racial.

Manifestation du 9 mai 1994, regroupant le GUD et d'autres groupuscules nationalistes, dont les JNR d'Ayoub.

Manifestation du 9 mai 1994, regroupant le GUD et d’autres groupuscules nationalistes, dont les JNR d’Ayoub.

Hors du FN et de ses cercles satellites, il n’existe aucun groupe important. Le GUD, qui est à la fois dans le Front National de la Jeunesse (FNJ) et conserve une activité autonome, sert de lien entre le FNJ, les néonazis et des groupes de skins, dont les Jeunesses Nationalistes Révolutionnaires (JNR) de Serge Ayoub. Les groupes de skinheads font beaucoup parler d’eux, bien que leur audience n’ait pas significativement augmenté et se limite à quelques centaines de personnes regroupées autour de bulletins le plus souvent éphémères et de groupes musicaux qui diffusent des cassettes et organisent de rares concerts devant un public limité.

Les rapports des skins avec le FN ont été mis en lumière dans toute leur ambiguïté avec l’assassinat de Brahim Bouarram. Les assassins sont bien venus à Paris dans les cars du FN, mais le service d’ordre frontiste, le DPS, comme à chaque Premier Mai, a tenté de maintenir les skinheads à l’écart de son propre défilé, en fin de cortège. La DPS a ensuite donné des renseignements à la police, qui ont aiguillé l’enquête vers les assassins. Pourtant, une partie de la base du FN a réprouvé l’attitude de la DPS, allant jusqu’à s’étonner, dans une lettre publiée par National-Hebdo, l’hebdomadaire officieux du Front, que le service d’ordre du FN protège des participants au défilé à la couleur de peau trop brune contre les skins…

De plus, au cours du procès, en 1998, l’un des accusés, David Halbin, racontera comment Alain Menguin, secrétaire départemental FN de la Marne, est venu chez lui lui demander de témoigner contre son copain Fréminet mais aussi de se débarrasser de sa carte du FN et de tout document pouvant le relier au parti de Jean-Marie Le Pen. Christophe Calame, un des quatre autres accusés, raconte que le FN local lui a demandé la même chose, la veille de son arrestation. Enfin, ils expliquent avoir participé à plusieurs reprises au service d’ordre du FN : un responsable frontiste de Reims aurait même confié à Halbin un fusil à pompe chargé de balles en caoutchouc.

plaque_BrahimBernard Courcelle, responsable national du DPS, avait pendant une semaine après le meurtre retenu des informations qui aurait permis d’arrêter les skins, pour tenter de livrer à la police un scénario dans lequel le FN n’était lié en rien aux assassins de Brahim : la réalité l’a rattrapé lors du procès, mais le FN n’a évidemment jamais formulé ni la moindre excuse ni le moindre regret… Comme d’ailleurs dans le cas du meurtre d’Ibrahim Ali, tué quelques mois plus tôt à Marseille par des colleurs d’affiches du Front national.

La Horde

  1. Nous reprenons ici pour l’essentiel le bilan publié dans son Rapport 1996 par le Crida, un centre de recherche et d’information antiraciste auquel nous participions à l’époque.
  2. Le FN, soulignant le cas des harkis ou des Antillais l’ayant rejoint, laisse entendre qu’il ne ferait pas obstacle par principe à l’intégration de personnes de race noire, ou d’Arabes musulmans
  3. « il conviendra donc de réexaminer les conditions d’oçtroi de la nationalité française aux 2 500 000 étrangers et immigrés naturalisés depuis 1974. » Le Contrat pour la France avec les Français, Le Pen Président, avril 1995, p.28

http://lahorde.samizdat.net/2015/04/30/il-y-a-20-ans-brahim-bouarram-est-tue-lors-de-la-manif-du-fn-du-premier-mai-a-paris/

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