Accueil > Communisme et démagogie

Communisme et démagogie

par dzeff

Publie le mercredi 20 mai 2015 par dzeff - Open-Publishing

Article anonyme (signé Taurus) parut dans le Bulletin communiste de Novembre 1925

L’auteur de cet article est un militant en vue de l’Internationale. Nous voilons sa personnalité, plutôt que de l’exposer à des représailles inutiles, – en attendant des temps meilleurs où les révolutionnaire pourront s’exprimer sans fard dans les journaux du communisme international.

Les Partis Communistes doivent-ils employer la démagogie pour leur propagande et dans leur action ?
Voilà une question qui mérite bien d’être étudiée, surtout si l’on considère que, récemment, les exercices acrobatiques de la démagogie ont obtenu un certain succès parmi nous.
La démagogie n’a rien de commun avec la dialectique du matérialisme historique. Celui-ci, méthode de raisonnement s’appuyant sur des données exactes, ne peut jamais décevoir ; si on l’emploie bien, il conduit à des conclusions irréfutables. La théorie du communisme est scientifique. Et la science n’a rien à voir avec la démagogie, car celle-ci provient de la dénaturation des faits et des problèmes. La démagogie peut bâtir un théorème sur une phrase, et de déduction en déduction, en arriver jusqu’à élever un château … en Espagne !
La démagogie croit qu’elle est d’essence marxiste ; elle l’est dans la mesure où un sophisme ressemble à la vérité.
La démagogie n’a aucune position doctrinale ; elle est même en dehors de toute doctrine, par une excitation superficielle elle enfante une sorte d’hystérie de l’idée. Le démagogue n’est pas entraîné par sa conviction. Lorsqu’il est vraiment sincère, et ce cas est très rare, sa psychologie est dominée par l’émotion. Il ne perçoit alors que certains côtés des questions, et non celle-ci dans leur ensemble. Un état émotif, en politique, est souvent un mauvais conseiller.
Il est possible, en effet, de toucher démagogiquement la foule. Un cri plus fort que les autres est très facile à distinguer. Mais si ce cri ne correspond pas à l’état véritable de la situation, la déception est inévitable. Ceux qui furent attirés se croient trompés, et ils tombent dans un profond scepticisme.
La masse arriérée, et dont la conscience de classe est encore mal développée, se laisse toucher le plus facilement par les procédés démagogiques, la petite bourgeoisie est passée maîtresse dans l’art d’employer cette méthode. Les partis radicaux ont vécu sur des programmes et par une propagande démagogiques. Cela est très compréhensible : la petite-bourgeoisie, classe intermédiaire placée entre deux forces opposées plus puissantes, cherche à attirer à elle la plus faible. Et l’instrument qu’elle emploie pour cette opération, c’est la démagogie.

Elle a ainsi réussi de nombreuses fois à détourner de leur chemin de larges couches de la classe ouvrière.
Les anarchistes, fraction d’idéologie petite-­bourgeoise égarée, ont été eux aussi d’excellents démagogues. Le terrorisme individuel est un des résultats de cette méthode.
Mais un Parti ouvrier qui a foi en sa doctrine et qui croit en son destin, ne peut et ne doit jamais influencer hystériquement la classe qu’il veut diriger. Notre classe, à nous, ne doit pas être trompée. Son éducation et sa conscience, leviers indispensables à son émancipation, se trouvent paralysées par l’emploi des procédés démagogiques. Quant à la bourgeoisie, notre démagogie ne peut ni la tromper, ni l’effrayer. Son long exercice du pouvoir lui permet de distinguer admirablement l’or de … l’oripeau.
L’agitation des démagogues peut donner, il est vrai, quelques résultats apparents, – mais à quel prix ! Mettez ceux-ci en face d’une action rigoureusement coordonnée qui exige une connaissance sérieuse des facteurs en présence. La comparaison est édifiante. Il n’y a rien de plus obstiné que les faits. Ni la rhétorique, ni les phrases grandiloquentes n’arrivent jamais à les masquer. Ils suivent leur cours, imperturbablement.
Les chefs d’un Parti, les leaders d’un mouvement social de grande envergure, doivent être des stratèges habiles, connaissant exactement non seulement les forces et les mouvements de l’ennemi, mais aussi leur propre puissance et les conditions du terrain où il s’agit de gagner la bataille. Le mérite des dirigeants est de savoir trouver la relation exacte des faits avec leurs conséquences.
L’Histoire nous raconte que les Grecs nommèrent Sophocle « stratège » en récompense de sa tragédie Antigone. Ceci se passait au temps des Grecs qui étaient les enfants de l’humanité. Aujourd’hui, ni les tragédiens … ni les comédiens ne seront de bons stratèges dans la lutte de classe, un peu plus grave et plus importante que les batailles de Marathon et de Salamine, entre Grecs et Perses.
Dans la révolution russe, Kérensky fut un grand démagogue, contrairement à Lénine et à Trotsky. De la part de ceux-ci, nulle illusion qui pût désenchanter les ouvriers. Ils ont toujours préféré tromper l’ennemi par une apparence inférieure à la réalité : voilà un art révolutionnaire qui n’a rien de démagogique !

Lénine, a exposé son opinion sur la démagogie, dans son livre : Que faire ? : « Et je ne me lasserai pas de répéter que les démagogues sont les pires ennemis de la classe ouvrière. En effet, ils éveillent les mauvais instincts des masses et il est impossible aux ouvriers arriérés de s’en rendre compte, surtout lorsqu’ils sont sincères. Ce sont les pires ennemis de l’ouvrier parce que dans cette période d’oscillations et de tâtonnements, il n’y a rien de plus facile que d’entrainer la foule, dont seules les épreuves les plus amères parviendront ensuite à dessiller les yeux. »
Trotsky aussi a donné son avis à ce sujet, dans le Cours Nouveau : « Mais on ne saurait confondre le sens révolutionnaire avec le flair démagogique. Ce dernier peut donner des nuées éphémères, parfois même sensationnelles. Mais c’est là un instinct politique d’un ordre inférieur. Il tend toujours vers la ligne de moindre résistance. Alors que le léninisme tend à poser et à résoudre les problèmes révolutionnaires fondamentaux, à surmonter les principaux obstacles, sa contrefaçon démagogique consiste à éluder les problèmes, à susciter un apaisement illusoire, à endormir la pensée critique. La démagogie est inconciliable avec l’esprit d’un parti prolétarien parce qu’elle est mensongère : donnant telle ou telle solution simplifiée des difficultés de l’heure présente, elle sape inévitablement l’avenir prochain, affaiblit la confiance du parti en soi-même. »
Les pensées de Lénine et de Trotsky étaient complètement en accord, comme on le voit, sur cette maladie : la démagogie.

Lorsqu’un de nos Partis est rongé par ce fléau – et les maladies se développent quand la faiblesse a envahi le corps – on peut se demander si c’est la démagogie qui a donné naissance à la crise ou si c’est la crise existante qui a enfanté le mal démagogique.
La force d’un parti vient du concours et de l’action consciente de la majorité de ses adhérents entrainée par une direction capable. Le bluff n’ajoute rien, ni à la valeur, ni au prestige. Le Parti doit être forgé dans la 1utte de chaque jour et dans l’examen approfondi des phénomènes politiques et sociaux. S’écarter de cette voie, c’est le désastre. « Aucun oiseau ne peut voler au-dessus de lui-même », dit un proverbe allemand …
Les essais démagogiques qu’on a fait parmi nous peuvent nous servir d’expérience douloureuse. La lutte contre les démagogues, « les pires ennemis de la classe ouvrière » (Lénine dixit), est un grand service que nous rendons au Communisme.

http://lumpen.fr/communisme-et-demagogie/

https://www.facebook.com/editionslumpen