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Marine Le Pen ne convainc pas encore les banquiers

par RP

Publie le lundi 22 juin 2015 par RP - Open-Publishing

Philippe Alcoy

C’est l’histoire d’un article contre le FN. Il n’a pas été écrit par un « gauchiste » ni par un groupe antifa. Il n’émane pas non plus d’un groupuscule fascisant qui trouverait la ligne du FN « trop molle ». C’est un article de Jean Peyrelevade, banquier chroniqueur pour le journal porte-parole du capital financier français, Les Echos. Dans un article publié le 17 juin, J. Peyrelevade nous explique pourquoi Marine Le Pen, dans l’état actuel de la situation politique et économique nationale et européenne, ne pourrait pas arriver au pouvoir en 2017.

En effet, son raisonnement est guidé par la considération selon laquelle « qui veut accéder à l’Élysée ne peut annoncer durant sa campagne électorale sa volonté de sortir de l’euro ». Ainsi, il nous invite à imaginer le scénario de la façon suivante : « Supposons que la candidate [du FN] soit, à l’issue du premier tour de l’élection présidentielle de 2017, retenue pour le second. Cette hypothèse est aujourd’hui plausible, voire probable. Supposons toujours que, de débat en meeting, d’émission télévisée en déclaration solennelle, elle explique, détaille, souligne ses intentions en matière monétaire. Supposons enfin que ses chances de victoire finale, mesurées à la sortie des urnes du premier tour, apparaissent comme sérieuses. Que se passerait-il alors, pendant les deux longues semaines qui séparent les deux tours ? Le désastre économique, annoncé comme une conséquence de l’abandon à venir de l’euro, commencerait en fait à se produire bien avant l’élection et se développerait de façon si violente entre les deux tours que les chances de victoire de l’héroïne du Front national en seraient ruinées ».

Il nous explique par la suite comment concrètement se produirait un tel chaos économique : « Les investisseurs étrangers seraient bien entendu les premiers à s’enfuir (…) Pourquoi prendraient-ils le triple risque d’une dévaluation de leurs avoirs, d’un contrôle des changes qui les immobiliserait (l’exemple de Chypre montre que l’hypothèse n’est pas théorique) et d’un défaut ultime de leurs contreparties françaises ? (…) la fuite des porteurs obligataires étrangers qui ont acheté les deux tiers de la dette publique (1.300 milliards d’euros) provoquerait une hausse massive des taux d’intérêt, l’insolvabilité de l’Etat français et aurait un effet récessif immédiat sur l’ensemble de l’activité économique ».

Pour éviter que des dirigeants de ce parti xénophobe qu’est le FN voient dans cette analyse une « confirmation » de leurs thèses contre les étrangers, J. Peyrelevade prévient : « les étrangers ne seraient pas seuls concernés. Quel que soit leur sens civique, maints citoyens français transféreraient leurs comptes à l’étranger (…) mieux vaut les déplacer que de les voir bloqués et leur valeur amputée (…) Le stock potentiellement concerné porte sur un montant de l’ordre de 700 à 800 milliards d’euros. On voit que son déplacement, même progressif, pourrait mettre en état de faillite l’ensemble du système bancaire ».

Tout cet argumentaire l’amène à une conclusion claire : « Mme Le Pen n’a aucune chance de parvenir au pouvoir tant qu’elle se déclarera ouvertement europhobe ».

Les contradictions du FN avec le grand capital français

Une approche aussi sincère est très rare dans la presse française. Ou peut-être que l’on pourrait dire que cet article est trop sincère en dépit de l’auteur lui-même et de ses intentions.

Cet article a le mérite de poser de façon très claire un des principaux différends du grand capital français avec le FN. En effet, même s’il n’y a aucun doute que le FN est un parti qui défend l’ordre capitaliste et l’État impérialiste français, certains des aspects de son programme sont en décalage avec les intérêts stratégiques actuels des capitalistes français. Plus clairement, ce qui dérange la bourgeoisie française n’est pas le caractère « extrême » du FN, ni même seulement son manque relatif d’expérience dans la gestion des institutions ou ses discours ouvertement racistes. Ce qui la dérange c’est avant tout son orientation europhobe. Effectivement, sans qu’il n’y ait de changements radicaux dans la situation politique et économique nationale et internationale, le mot d’ordre concernant la de sortie de l’euro reste l’un des principaux obstacles qui barre la route du FN vers le pouvoir.

C’est en ce sens que nous affirmons souvent que sans le soutien d’au moins un des secteurs fondamentaux du grand capital français, l’arrivée du FN au pouvoir est pratiquement impossible. Cela ne veut pas dire évidemment qu’il ne puisse pas remporter quelques mairies plus ou moins importantes et même quelques députés et élus régionaux, ni même que le poison qu’il instille ne soit pas le pire ennemi du camp des travailleurs. Mais pour remplir les ambitions présidentielles de Marine Le Pen, dans la situation actuelle le parti devrait effectuer un recadrage politique.

Sur ce point, à sa façon, le banquier Peyrelevade reste confiant quant à l’évolution de Marine Le Pen, tout en signalant une éventuelle contradiction importante pour le FN : « elle [Marine Le Pen] est pragmatique, elle renoncera probablement à l’idée de sortir de l’euro, au grand dam de ses satellites de tout bord. Ce qui mettrait cependant l’ensemble du Front national devant une redoutable contradiction. Car comment assumer d’être à la fois eurocompatible et ouvertement xénophobe ? ». Celle-ci serait en effet une contradiction interne du FN mais pas pour les capitalistes français qui savent très bien s’accommoder des partis « europhiles » et racistes à la fois…

Une fausse démocratie

L’auteur de l’article admet un élément peut-être plus intéressant encore. En exposant clairement les mécanismes par lesquels les banquiers et les grands capitalistes font peser leur pouvoir économique sur l’ensemble de la société quand un événement politique ne leur convient pas, il révèle d’une façon très nette le caractère ouvertement antidémocratique du capitalisme et de sa fausse démocratie. Ceux qui font et défont des gouvernements dans le cadre du système capitaliste en fin de comptes ce sont ne sont pas vraiment les électeurs mais les capitalistes eux-mêmes !

Dans ce cas particulier, le plaidoyer est contre le FN mais il pourrait être réemployé contre un parti réformiste de type Syriza (et ne parlons même pas d’un parti révolutionnaire) car comme il le dit : « les partis extrêmes sont tous, peu ou prou, installés dans une forme de délire ». Une belle façon de renvoyer dos à dos l’extrême-droite, la « gauche de la gauche » et l’extrême gauche.

D’ailleurs dans son article il nous explique qu’en Grèce ce sont ces mêmes procédés, mis en œuvre par les capitalistes, qui sont actuellement en action : « depuis le début de cette année, la politique prétendument « anti-austérité » de Syriza a entraîné le retrait d’un quart des dépôts et mis l’ensemble du système bancaire grec au bord de l’effondrement ».

Quoi qu’il en soit, de tout ce développement nous devrions tirer au moins une leçon très claire : sans toucher aux intérêts des capitalistes, sans leur enlever leur pouvoir économique et par là leur capacité de nuire, il est impossible de mener une politique véritablement en faveur des classes populaires, des exploités et des opprimés, une politique qui se situerait à l’exact opposé de la démagogie frontiste, y compris sur les questions européennes. En ce sens, tout en appelant Marine Le Pen à la raison, car on ne sait jamais si elle ne serait pas, un jour ou l’autre, un recours cohérent pour la bourgeoisie hexagonale, nous pourrions dire qu’à sa façon et malgré lui, le banquier Jean Peyrelevade nous a expliqué de manière très concrète que vouloir réformer le capitalisme dans le cadre de ses institutions, est une pure illusion.

19/06/15