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Grèce : les objectifs de réforme du système financier se heurtent à la TINA.

par Nemo3637

Publie le samedi 25 juillet 2015 par Nemo3637 - Open-Publishing

Une récente interview du président du Conseil européen Donald Tusk, publiée en France dans le quotidien Le Monde du 18 juillet, a presque fait scandale. En effet l’oligarque passait en revue avec le regard d’un gestionnaire capitaliste responsable, les problèmes, les enjeux, les risques issus de la crise grecque. Il finissait par évoquer « une atmosphère très similaire à celle de l’après 1968 ». Ces propos ont été jugé dérangeants au point que le journal s’est peu après autocensuré et a republié ensuite le même article avec des modifications.

Nul doute qu’un certain désarroi s’installe en Europe après un traitement de la question de la dette grecque qui s’est retrouvé finalement sans solution. Les discussions, controverses et affrontements, non seulement à la table des négociations entre gouvernants, mais aussi à travers médias interposés, ont vu se dégager deux conceptions économiques opposées. L’une s’arqueboutant sur les textes et les traités, établissait qu’on ne pouvait annuler ni même restructurer la dette grecque sans de « graves conséquences ». L’autre, faisant un constat objectif des capacités de la Grèce, démontrait qu’une restructuration de ladite dette était inéluctable. Aujourd’hui, après nombre de ralliements et surtout l’intervention avérée des Etats-Unis, il apparait que c’est bien vers cette solution que l’on se dirige.

Cependant pour la Grèce et son peuple cela ne change rien. Elle est condamnée à des mesures drastiques qui aboutissent, à une baisse des revenus de la population, du fait des « réformes » imposées, sans espoir d’un quelconque nouveau démarrage de son économie.

Mais un inventaire de cette économie grecque, de son fonctionnement, avant et après 2008 serait toujours utile. On s’apercevrait que cette économie, d’un point de vue capitaliste, n’a jamais vraiment existé. Les biens étant entre les mains d’armateurs richissimes qui savaient – qui savent toujours ! – mettre leur magot à l’abri à l’étranger. Tout le monde sait aujourd’hui ce qui était tu hier, que, par exemple, le clergé possède une grande partie de la propriété foncière, sans être imposé, tout comme les précédents armateurs .Un tel système était connu des spéculateurs et banquiers européens qui aidèrent la Grèce à se maquiller pour adhérer à la zone euro au début des années 2000 (1). Pendant longtemps personne n’y trouva à redire, même pas la gauche grecque. Et quand la crise de la dette leur apparut d’une gravité indéniable avec sa cascade d’emprunts, la solution, pour tous les oligarques, était évidente : le peuple paiera. Comme d’hab.

L’injustice et l’irrationnel atteignaient leur comble. Et c’est là que tentèrent d’intervenir les réformateurs. Qui plus est, par les élections, ils prenaient le pouvoir à Athènes. On allait voir ce qu’on allait voir. Nombre de penseurs, pas seulement issus de la gauche radicale européenne, s’enflammèrent. La raison ne tonnait-elle pas en son cratère ? Le nouveau ministre de l’économie grecque, auteur d’ouvrages sur la nature du système financier, du capitalisme lui-même (2), allait expliquer avec raison à tous ces gouvernants, ces conservateurs bourgeois, ce qu’on devait faire. Las ! ils n’avaient aucune intention d’écouter la partition de ce motard gauchiste, partition qu’ils connaissaient depuis longtemps par ailleurs et dont ils avaient une sainte horreur. Ils voyaient avant tout en lui le danger politique : si la Grèce du gouvernement Tsipras apparaissait en mesure de remporter le moindre succès dans les négociations, c’en était fini du prétendu consensus européen établi par les gouvernants des autres pays, car les peuples, bien sûr, prendraient la parole sinon plus. Et l’on retrouve ici Monsieur Donald Tusk et ses fantasmes pas si infondés que ça.

La démocratie qu’ « ils » n’avaient jamais respectée, apparaissait comme une intruse obscène. Depuis quand devait-on consulter le Peuple quand il fallait prendre les décisions les plus importantes ? Il fallait rester entre gens du même monde.

Néanmoins qu’elles sont les perspectives des réformateurs ? Cela passe de l’annulation de la dette des états à la relance par la consommation, par un pouvoir d’achat retrouvé, par un rejet de l’euro. Faute de perspectives politiques claires, d’alliances internationales et d’élaboration de nouveaux rapports de force accompagnant de tels projets on sombre vite dans le cauchemar. L’annulation de la dette publique qui signifie la banqueroute, a bien sûr des conséquences incalculables dans une société où tout réel développement économique est compromis du fait de l’impossible valorisation du capital. C’est là le nœud du problème : comme le développement de la Chine aujourd’hui et celui de l’Afrique demain, tout rebond, dans le cadre de la société capitaliste, ne peut plus être que précaire.

Le pouvoir d’achat retrouvé ne peut se réaliser que de façon provisoire. Il faudrait faire fonctionner la planche à billets, encore plus que ce qui se fait aujourd’hui sans aucune perspective de développement économique (3). Et donc accroitre encore plus la fameuse dette publique… que dans notre rêve, nous venions d’annuler ! Et m…

Le rejet de l’euro, cheval de bataille économique de l’extrème-droite, aboutit certes au retour de monnaies nationales – mamie sera contente - qui, sauf le mark, ne vaudront pas tripette…Avec pour conséquence également à une baisse réelle et drastique des salaires et des revenus (« sinon, on n’est pas concurrent… »). Ce n’est pas par hasard si cette solution séduit un certains nombre de capitalistes. La Grèce aurait pu être ici un laboratoire. Sauf que, dans un environnement fragile, d’autres enjeux géostratégiques devaient être pris en compte. Finalement la Grèce dans l’euro, dans l’Union Européenne surtout, on va s’y faire, nous dit l’exécutif allemand… sous la pression amicale de l’Oncle Sam.

Ce n’est pas une philae aristotélicienne qui anime un quelconque instant nos décideurs financiers. Ils sont prêts à tout pour que cela continue dans la même ligne, même à faire sauter la planète. Ce qui se produit d’ailleurs en ce moment avec le dérèglement climatique.

Ce débat « économique » où certains se trompent toujours en pensant , l’œil bovin, dans des débats courtois et bourgeois, que c’est la froide raison qui peut l’emporter, est toujours empreint d’un cynisme sous jacent, d’intérêts inavoués, de l’intérêt de la Finance surtout qui ne lâche rien. There is no alternative disait déjà la Mère Tapedur.

Ce n’est pas parce que leurs options sont « mauvaises » que les réformateurs n’ont pas été choisis mais parce que leurs idées, à l’intérieur du système tel qu’il est, apparaissent irréalistes. Soixante-huitardes, dirait Monsieur Tusk. Il est devenu impossible de faire une politique économique basée sur le crédit car aucun retour sur investissement n’est prévisible à moyen terme. Certes les décideurs paraissent ignares et bornasses. Mais c’est le système lui-même, même géré autrement, qui est sans issue. Les élites ont suivi la même décadence.

C’est finalement en partie ce que veut nous dire Monsieur Donald Tusk qui reste de la vieille école, celle qui va s’écrouler sur lui dans peu de temps.
Et plus personne parmi nos élites pensantes – à quelques exceptions anti diluviennes maoïstes près - n’ose remettre en cause le capitalisme. Même le philosophe Michel Onfray évoque la seule perspective bonnasse d’un capitalisme…libertaire.

(1) « Hank Paulson, président de Goldman Sachs aida la Grèce à emprunter des milliards d’euros en secret. Grace à son ingénierie comptable, il l’aida à contourner les règles européennes, celles qui limitent le niveau de la dette publique. Tout cela dans le but de la faire entrer dans l’euro tout en spéculant contre elle.

Wim Duisenberg alors président de la BCE, lauréat du « Prix de la vision pour l’Europe », donna son accord à l’entrée de la Grèce dans l’euro « sans voir » que ses comptes étaient maquillés.

Dominique Strauss-Kahn, alors directeur du FMI, fit octroyer un prêt de 110 milliards à la Grèce pendant que la BCE se mettait à racheter des titres de cette même dette pour éviter que leur prix s’effondre. Il fit donc passer la dette grecque, des comptes des banques françaises et allemandes à…ceux des états. »
Je ne fais ici, pour résumer une situation connue, que me référer à un extrait du merveilleux article de Roberto Boulant publié dernièrement sur le blog de Jorion : « Grèce : un détective pose quelques questions troublantes »

(2) Le Minotaure planétaire : l’ogre américain, la désunion européenne et le chaos mondial, publié aux éditions du Cercle (2014 et 2015). Après une brillante analyse sur la perspective du capitalisme, la financiarisation, et la déshumanisation qu’il entraine, Varoufakis conclut étrangement en souhaitant que "les Etats-Unis reprennent la direction des opérations" afin de construire un monde nouveau sur le socle "de la mort de leur propre Minotaure".

(3) Le « quantitative easing » fonctionne aujourd’hui à l’échelle de l’Europe depuis que la BCE distribue des euros…